Retour sur deux piliers du Plan Quantique en France : l’ordinateur et les communications
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Notre dossier sur le Plan Quantique en France :
Le 26 janvier 2021 à 14h22
11 min
Sciences et espace
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Avec l’informatique quantique, « nous sommes véritablement entrés dans une nouvelle ère ». C’est le cas des communications où la « révolution » est déjà là, mais aussi des ordinateurs où elle est en embuscade. Des chercheurs du CEA et CNRS font le point sur l’avancement des travaux et reviennent sur le Plan Quantique français.
La semaine dernière, Emmanuel Macron dévoilait le Plan Quantique de la France, avec un financement de 1,8 milliard d’euros sur cinq ans à la clé. Il se décompose en plusieurs tranches, notamment pour mettre au point des machines quantiques (en deux phases), développer les communications, les capteurs et la recherche fondamentale.
Afin d’aller au-delà du simple discours politique, le CEA et le CNRS avaient organisé une conférence de presse avec près d’une dizaine de chercheurs travaillant sur les différents aspects du quantique et de leurs applications au quotidien (ou presque).
Avant d’entrer dans les détails, Sébastien Tanzilli (chargé de mission technologies quantiques au CNRS) et Philippe Chomaz (directeur scientifique à la Direction de la recherche fondamentale du CEA) dressaient un panorama de l’implication du quantique dans notre monde actuel.
- Les détails du Plan Quantique : 1,8 milliard d’euros, un « ordinateur hybride » à l’horizon 2023
- Retour sur deux piliers du Plan Quantique en France : l’ordinateur et les communications
- L’informatique quantique c’est aussi la recherche fondamentale, l’écologie, les capteurs… (à venir)
« Nous sommes véritablement entrés dans une nouvelle ère »
Ce dernier commence par rappeler que la mécanique quantique est une « théorie inventée au début du 20e siècle pour comprendre la matière, les atomes, les électrons, la lumière et leurs interactions ». Depuis, elle a permis de développer énormément de technologies sur de vastes domaines d’applications comme « l'information, les lasers, l'électronique, les transistors, les ordinateurs, les smartphones ». Si bien que, pour le chercheur, on est déjà « aujourd'hui une société entièrement quantique ».
La première question que l’on peut légitimement se poser est donc de se demander pourquoi lancer un Plan Quantique début 2021 alors que la mécanique et les technologies quantiques ont déjà plus d’une centaine d’années et des applications dans la vie courante.
Prenant le relai, Sébastien Tanzilli explique que la réponse est… « à la fois complexe et simple », comme c’est finalement un peu toujours le cas dans le monde du quantique. Réponse courte : « nous sommes véritablement entrés dans une nouvelle ère […] après des années et des années de recherche et de développement », explique le chercheur du CNRS.
Les quatre piliers de la recherche en « quantique »
La « nouveauté », c’est qu’on est désormais capable de contrôler individuellement et collectivement – le second point est le plus important – des systèmes quantiques tels que des électrons, atomes ou photons. « Cette capacité nous permet d'accéder véritablement à des propriétés de la physique quantique, [qui] sont disruptives pour tout un ensemble de technologies, qui s'apparente au traitement et à la communication de l'information ».
Le sujet principal pour Sébastien Tanzilli est donc de savoir : « qu'est-ce qu'on pourra faire demain que nous ne pouvons pas faire aujourd'hui ou pas de manière optimale », aussi bien dans les domaines du calcul, des mesures et des communications. Sans oublier la recherche fondamentale, une part extrêmement importante de la physique mécanique, informatique ou quantique.
Philippe Chomaz détaille un peu les propos de son collègue et l’intrication des champs de recherches : « les capteurs quantiques vont créer et mesurer l’information, la communication quantique va la transférer et le calcul quantique va transformer cette information ». Le Plan Quantique présenté hier a justement « pour objectif de permettre à la France d'être un acteur fort » dans l’ensemble de ces domaines.
Sécuriser « de manière "ultime" » les communications
Sébastien Tanzilli commence par revenir sur les communications, où la physique quantique peut servir à échanger des clés secrètes pour les algorithmes de cryptographie. Elles peuvent ainsi « être utilisées dans des protocoles de communication ou de cryptographie pour sécuriser de manière "ultime" les échanges de données qui transitent au travers ou entre des systèmes d'information ». Les communications peuvent passer par des fibres optiques ou des satellites qui, selon les cas, peuvent être la source et/ou le récepteur du signal.
Avec le Plan Quantique, 325 millions d’euros sont consacrés aux communications, en faisant le second poste de dépense après la construction d’ordinateurs quantiques (en deux phases). L’objectif « réside véritablement dans la construction de réseaux de communication quantique sur les bases des réseaux télécoms existants », affirme Sébastien Tanzilli. Et ce ne sont pas les pistes de travail qui manquent. Voici deux exemples : quelles sources de photons utiliser et quels protocoles mettre en œuvre pour garantir la sécurité des liens ?
Eleni Diamanti (chercheuse du CNRS au laboratoire LIP6), rappelle que des technologies sont déjà disponibles dans le commerce pour la distribution quantique de clés, permettant « un niveau de sécurité de communication plus élevé et ce que l'on pourrait attendre avec les communications modernes traditionnelles ». Sur ce point, on est donc au-delà de la théorie depuis des années, mais l’usage est « plutôt limité » pour le moment. Le but de la recherche – aidée par les fonds supplémentaires – est de démocratiser cette technologie.
Nicolas Sangouard (chercheur à l’Institut de physique théorique de CEA-Paris-Saclay) rappelle tout de même que « ces systèmes commerciaux n'exploitent pas pleinement le potentiel de la quantique. Ils reposent par exemple sur un niveau de confiance des appareils utilisés ». Des améliorations sont donc possibles.
Une des thématiques abordées par les chercheurs est de savoir « comment justement rendre ces prototypes plus sûrs en reposant leur sécurité sur moins d'hypothèses ». Le but ultime – Nicolas Sangouard en parle comme d’un « rêve » – serait « par exemple des systèmes où même si on ne connait pas la provenance des appareils ni leur fonctionnement, on pourrait utiliser les communications quantiques pour sécuriser les communications ».
Le chercheur ajoute que les systèmes actuels ne fonctionnent que « sur des distances réduites », même si elles s’allongent régulièrement au fil du temps. Avec d’autres chercheurs, Nicolas Sangouard « rêve d'un Internet quantique, un Internet avec une sécurité ultime », mais cela « passe par de gros programmes de recherche nationaux et européens ».
L’annonce du Plan Quantique va dans le bon sens pour Nicolas Sangouard : « on a plein d'énergie et on est maintenant content d'avoir les moyens pour développer ces ambitions ».
Se préparer aujourd’hui à la révolution de demain
Pour le scientifique du CEA, il ne faut pas attendre pour sécuriser les communications : « malgré le fait que cette technologie [un ordinateur quantique, ndlr] n'existe pas encore, c'est déjà une menace pour la sécurité, puisque la plupart des communications actuelles sont effectivement codées avec des problèmes mathématiques qui pourront dans le futur être cassés avec des ordinateurs quantiques ». Google par exemple testait déjà mi-2016 des algorithmes post-quantiques, c’est-à-dire capables de résister à de telles machines.
L’avenir soulève ainsi des questions déjà concrètes : « indépendamment qu’il faille trois, cinq ou dix ans […] si on stocke l’information qui est échangée à l’heure actuelle, on pourra l’échanger dans trois, cinq ou dix ans ». Cela n’a rien de nouveau, des agences de renseignements (c’est le cas de la NSA par exemple) stockent depuis déjà des années des données chiffrées dans l’attente de récupérer un jour la clé, de disposer d’une faille ou d’un ordinateur assez puissant (une machine quantique par exemple) pour casser le chiffrement par la « force ».
Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que, dans le Plan Quantique du gouvernement, 150 millions d’euros sont dédiés à la cryptographie post-quantique, dont le but est évidemment de « sécuriser les communications ». Eleni Diamanti, qui travaille sur ce sujet, affirme que « la France est très bien positionnée dans les systèmes cryptographiques post-quantiques ». Il faut donc garder ce leadership.
La chercheuse revient au passage sur l’état actuel de la recherche : « L’idée d’un système de cryptographie hybride qui combine de façon complémentaire et avantageuse les algorithmes de cryptographique quantique et post quantique, c’est la solution la plus poursuivie par les chercheurs […] ça promet une sécurité maximale dans tous les cas d’usages imaginables ».
La quête d’un vrai ordinateur quantique
Philippe Chomaz évoque ensuite le second pilier du Plan Quantique : le calcul et les machines quantiques, objets de tous les fantasmes ou presque. Le financement de près de 800 millions d’euros (quasiment 50 % du Plan) laisse à priori toutes les portes ouvertes. Les scientifiques peuvent travailler sur des concepts et dispositifs afin de réaliser « un ordinateur quantique qui permet de résoudre des problèmes inaccessibles à la puissance d'un calculateur classique ». Aucune piste n’est officiellement privilégiée pour le moment.
Dans le lot, il y a par exemple l’« ordinateur quantique à base de silicium ». Maud Vinet (responsable du programme matériel quantique au CEA-Leti) rappelle que, en 2016, une première mondiale a été annoncée : « on a utilisé une technologie quasi industrielle qui sert à fabriquer des transistors pour fabriquer un bit quantique ».
Interrogée par un de nos confrères pour savoir où en est cette technologie aujourd’hui, la scientifique explique : « une grande partie de notre travail est de comprendre tous les paramètres matériaux et technologiques qui vont avoir un impact sur la performance du qubit pour être capable d'en mettre plusieurs millions ». Un qubit en effet ne sert à rien pour les calculs, il en faut des dizaines, des centaines, des milliers…
Cette perspective est néanmoins encore lointaine : « à l'état de l'art dans le monde académique, il y a eu quatre qubits qui ont été démontrés dans les technologies semi-conducteurs ». Pas de quoi révolutionner le monde de l’ordinateur quantique, ou de fanfaronner vis-à-vis de Google et son système à 53 qubits.
Pour rappel, la société en avait profité pour revendiquer la suprématie quantique, démentie rapidement par d’autres acteurs et chercheurs. Comme nous l’avons récemment expliqué, savoir si la barrière mythique est franchie n’est pas le plus important. « On est à un point de bifurcation » et le prochain embranchement sera de « faire un calcul utile, c'est-à-dire battre un calculateur classique sur quelque chose d'utile ».
Il faut tenter le « pari du silicium »… sera-t-il payant ?
Maud Vinet tient par contre à préciser que ce serait un peu réducteur de comparer ainsi l’ordinateur quantique à base de silicium à celui de Google, car « il y a tout un travail technologique qui est préparatoire à pouvoir mettre beaucoup de qubits ».
Tristan Meunier (chercheur du CNRS à l’Institut Néel) donne de la perspective : « notre stratégie c’est de partir d'un système qui est directement intégrable en utilisant les technologies de la microélectronique. Mais ceci a un coût, ça veut dire qu'on est en retard à l'heure actuelle par rapport à la recherche académique. Mais sur le long terme, on peut penser que notre stratégie sera payante ».
Pour Philippe Chomaz, il est « essentiel » de tenter ce « pari du silicium », car cela « pourrait permettre d'atteindre, avec les technologies de la microélectronique, un ordinateur avec un très grand nombre de qubits dans un horizon de la décennie ». On se donne donc rendez-vous dans plusieurs années pour voir où en sera chacun et quelles technologies auront pris de l’avance et auront encore un avenir devant elles.
Dans le prochain et dernier article de notre série, nous reviendrons sur la révolution des capteurs quantiques, ainsi que sur l’importance de la recherche fondamentale et d’une politique commune en Europe.
Retour sur deux piliers du Plan Quantique en France : l’ordinateur et les communications
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« Nous sommes véritablement entrés dans une nouvelle ère »
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Les quatre piliers de la recherche en « quantique »
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Sécuriser « de manière "ultime" » les communications
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Se préparer aujourd’hui à la révolution de demain
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La quête d’un vrai ordinateur quantique
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Il faut tenter le « pari du silicium »… sera-t-il payant ?
Commentaires (15)
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Abonnez-vousLe 26/01/2021 à 14h30
J’adore PCInpact, vraiment, c’est trop cool ce genre d’article.
Le 26/01/2021 à 21h58
Si je suis convaincu de l’usage du quantique en calcul, je suis plus dubitatif sur la communication.
Oui la quantique permettra de sécuriser le lan d’un site ou d’un datacenter, un périmètre normalement privé déjà maîtrisé. Et encore cela passe par l’utilisation de fibres jusqu’aux terminaux clients pour avoir du bout en bout sur le site.
Mais avec les contraintes d’optique que cela impose, je ne vois pas comment transformer les infrastructures wan basées sur du multiplexage optique et du routage ultra rapide d’un contenu de buffer par le renvoi optique d’un photon irremplaçable.
Et même avec des fibres creuses il y’a de fortes pertes.
Par conséquent, en raison de la distance et du besoin de routage, il faudra toujours un équipement intermédiaire qui lis l’état (donc le détruit) et retransmet le message sur une autre paire et ainsi de suite.
Pour ceux qui font du réseau, ça revient à faire du macsec entre chaque noeud de routage de l’opérateur en lui faisant confiance car on ne le maîtrise pas. (C’est pour ça qu’on encapsule en bout en bout avec ipsec ou wanmacsec justement)
La seule réponse serait d’avoir une méthode inviolable pour construire son chemin au travers de nodes qu’on ne maîtrise pas en réservant un contexte privatisé lié à une constante dédiée comme la longueur d’onde ou une fraction de temps. Mais là encore impossible de faire ça sur un paris dallas….
Le 26/01/2021 à 23h37
Il me semble que j’avais lu que ce qui intéressait les militaires c’était l’intrication quantique puisque ici peu importe la distance, si un élément a son état modifié, l’autre état est modifié. A l’échelle de l’humanité c’est pas très pratique pour communiquer, mais ça rendrait les communications inviolables pour la dissuasion nucléaire.
Le 28/01/2021 à 13h55
Là ils expliquent comment ça marche apparemment
Aussi sur les fibres creuses il y a beaucoup plus de pertes que les SMF classiques, ce n’est pas utilisé pour ça mais plutôt en tant que composant optique pour manipuler la lumière vu qu’on peut les fabriquer un peu comme on veut (en polymérisation multi-photons par exemple)
Le 27/01/2021 à 00h53
Ça n’en fait pas une “ansible” pour autant. Il faut envoyer le photon B de la paire, et là ça se complique. Même reçu de l’autre côté ça ne devient pas le bout d’un tunnel permanent, même unidirectionnel.
Je pense qu’il est possible d’en faire une infrastructure de distribution de clé bas débit entre grandes organisations adossée à des coms classiques. Désolé, on ne jouera pas à counter strike avec 0ms de latence contre les 1ers colons martiens
Le 27/01/2021 à 08h48
Bah, il faut le prévoir à l’avance.
Tu donnes un stock de “photons B” dans genre un mini accélérateur de particule (que tu met dans le sous marin ou la fusée avant le départ), et tu gardes les “A” de ton côté.
Mais (si ça marche) ça va faire cher le bit à transmettre…
Le 27/01/2021 à 08h57
On rame déjà à transporter des vaccins à -80, alors des accélérateurs
Autant faire comme les chaussures de luxe, la droite de la clé sur une carte, la gauche sur une autre et envoyer ça via la RFC pigeon voyageur.
Même résultat pour moins cher.
Le 27/01/2021 à 09h13
C’est clair que c’est plus simple. Mais ça reste toujours possible (même si difficile) d’intercepter les deux parties de messages…
Alors que l’intrication quantique permettrait de transmettre une information sans communication (sauf au préalable dans des conditions « sécurisée » ou plus pratiques) donc impossible à intercepter…
Et j’achète pas de chaussures de luxe, donc j’ai pas compris l’histoire des clés… (c’est vraiment « chaussures » que t’as voulu dire et pas, peut-être «voiture », même si je comprends toujours pas trop )
Le 27/01/2021 à 09h57
Pour éviter de se faire voler leur cargaisons, les fabricants de chaussures de luxe se sont mis à expédier les chaussures gauches un autre jour et avec un autre chemin que la droite. Cette pratique logistique s’est répandue jusqu’aux baskets/trainers.
Comment être sûr que ton photon est bien arrivé à destination ? Le gribouillis sur l’accusé réception UPS ? Un message sur un autre canal sécurisé commun ? Dans ce cas autant s’échanger des clés découpées via différents canaux.
La longue distance et la multiplicité des destinataires ne sont pas près d’être gérés
Le 27/01/2021 à 09h10
Autant installer un satellite à équidistance de la Terre et de Mars qui envoie des photons intriqués vers les deux astres. Par contre la trajectoire du satellite va être compliquée à gérer…
Le 27/01/2021 à 09h04
Dans le 1,8 milliard, il y a détournement de l’argent prévu initialement pour Saclay qui avait été détourné pour les JO de 2024 ?
Le 27/01/2021 à 10h32
Ah ok, j’en avais entendu parler en effet, mais j’avais pas fait le lien…
Non, le photon tu le donnes en main propre à l’avance : sécurité du transfert de photon.
Mais bon, je viens de relire https://fr.wikipedia.org/wiki/Intrication_quantique#Réalisation_pratique_d’un_état_intriqué">wikipédia sur l’intrication quantique et apparemment, ça ne fonctionnerait pas…
Le 27/01/2021 à 12h18
L’intrication quantique ce n’est pas ça. Les photons ont un état identique à leur création (que l’on connait car ils sont dans une “superposition d’état”), et la mesure (donc la destruction) d’un photon de la pair ne va pas “par magie” définir l’autre.
L’autre photon aura le même état que le premier. Ce qui intéresse les militaires c’est que cela assure théoriquement une sécurité parfaite, puisque la mesure d’un photon équivaut à la mesure de l’autre. Si c’est pas le cas, il y a violation de la communication .
Le 28/01/2021 à 19h31
Ça serait bien de mentionner les avis des experts en sécurité, histoire de relativiser les délires de physiciens qui cherchent aussi et d’abord des financements.
L’avis de l’ANSSI: République FrançaiseLe NCSC (UK): https://www.ncsc.gov.uk/whitepaper/quantum-security-technologies
Le quantique n’apporte rien a la sécurité des communications.
Le 30/01/2021 à 10h58
Copie France est d’ailleurs déja en train de définir l’assiette de redevance sur les quantums.