Les technologies de surveillance à l’assaut des campus américains
... et des villages français
Le 16 mars 2021 à 09h08
8 min
Sciences et espace
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L'analyse de l'Atlas des technologies de surveillance déployées aux États-Unis, un projet de l'Electronic Frontier Foundation, révèle qu'elles auraient tendance à se banaliser dans les campus universitaires. En France, l'initiative Technopolice de la Quadrature du Net vient de son côté de lancer un « CADATHON ».
Aux États-Unis, la peur des fusillades dans les écoles et les campus a banalisé l'installation de systèmes de surveillance sophistiqués. Elles vont bien au-delà des caméras de vidéosurveillance : drones, capteurs de détection de coups de feu, lecteurs de plaques d'immatriculation automatisés, logiciels biométriques, entre autres.
En juillet 2020, l'Electronic Frontier Foundation (EFF), pionnière des ONG de défense des libertés numériques, avait lancé un « Atlas of Surveillance » avec la Reynolds School of Journalism de l'Université du Nevada, une base de données de plus de 7 000 technologies de surveillance déployées par les forces de l'ordre à travers les États-Unis.
Leur processus de recueil et de compilation de ces données leur a fait découvrir « une tendance particulière : les campus universitaires acquièrent un nombre surprenant de technologies de surveillance plus courantes dans les régions métropolitaines qui connaissent des niveaux élevés de crimes violents ».
Ils ont depuis documenté plus de 250 achats de ce type de technologies (voir la carte), allant de caméras piétons à des systèmes de reconnaissance faciale, adoptés par plus de 200 universités dans 37 États. Chiffres qui ne représenteraient qu'un « aperçu de ce qui se passe sur les campus universitaires du monde entier ».
Caméras-piétons, drones, LAPIs...
152 services de police de campus utiliseraient des caméras-piétons, la technologie la plus répandue qu'ils ont identifiée, chiffre qui ne représenterait cela dit qu'« une fraction » du total déployé dans tout le pays.
Depuis 2015, plus de 20 universités et collèges communautaires ont reçu des fonds dans le cadre du programme de subventions du département américain de la Justice pour les caméras-piétons mis en place sous l'administration Obama.
Sur de nombreux campus, les drones sont achetés à des fins de recherche. Pour autant, leurs données, basées sur une étude menée par le Center for the Study of The Drone du Bard College, ont par ailleurs identifié 10 services de police de campus équipés de drones de surveillance.
Ils seraient principalement utilisés pour aider à rechercher des personnes disparues, évaluer les accidents de la route, photographier des scènes de crime et cartographier les itinéraires d'évacuation. Mais aurait également été utilisé « à n'importe quelle fin » sur et hors campus, y compris pour surveiller des manifestations.
Des lecteurs automatisés de plaque d'immatriculation (LAPI) ont au surplus été identifiés dans 49 universités et collèges à travers le pays. Initialement utilisés pour l'application des règles de stationnement, ils sont dans certains cas partagés avec la police, qui surveille tous les appels d'urgence au service, ainsi que les alarmes d'incendie, les alarmes d'intrusion et les systèmes d'alarme de panique.
Réseaux sociaux, biométrie, robots...
Des collèges et universités surveillent également leurs étudiants sur les réseaux sociaux, « et ce n'est pas seulement pour retweeter ou aimer un joli post Instagram sur leur stage d'été », ironise l'EFF. Ils s'en servent d'abord pour rechercher des publications où les étudiants indiquent des idées suicidaires ou encore des menaces de violence armée.
L'EFF a ainsi identifié 21 collèges surveillant des médias sociaux « à la recherche de menaces », certains s'en servant aussi cela dit « pour surveiller les activités politiques des étudiants », « surveiller les médias sociaux des personnes à proximité des manifestations », ou... « à des fins de marketing ».
De plus, au moins quatre services de police des universités de Floride auraient accès à un réseau national de reconnaissance faciale appelé Face Analysis Comparison and Examination System (FACES), qui permet aux enquêteurs de rechercher des photos et clichés de permis de conduire de Floride.
Les visages ne sont pas les seuls identifiants biométriques à être scannés. En 2017, l'Université de Géorgie a ainsi introduit des stations de reconnaissance de l'iris dans les réfectoires, encourageant les étudiants à s'enregistrer avec leurs yeux pour documenter leurs repas.
Plusieurs services de police universitaires ont par ailleurs commencé à coupler leurs systèmes de vidéosurveillance à des logiciels d'analyse censés pouvoir suivre objets et personnes d'une caméra à l'autre, identifier des modèles et des anomalies, et potentiellement effectuer une reconnaissance faciale.
Deux écoles de San Francisco ont même envisagé de louer des robots de surveillance Knightscope en 2019 et 2020 pour patrouiller leurs campus, bien que les plans semblent avoir été sabordés par COVID-19. Les robots sont équipés de caméras, d'intelligence artificielle et, selon le modèle, de la capacité de capturer des données de plaque d'immatriculation, d'effectuer une reconnaissance faciale ou de reconnaître les téléphones à proximité.
Pour autant, conclut l'EFF, de nombreuses villes s'opposent à la surveillance en adoptant des ordonnances locales exigeant un processus public et l'approbation d'un organe directeur avant qu'un service de police puisse acquérir une nouvelle technologie de surveillance.
La Technocarte de Technopolice
Si le tour d'horizon est plutôt troublant, on aurait bien aimé avoir ne serait-ce qu'une idée du coût financier de telles technologies de surveillance. Un impensé que la Cour des comptes avait opportunément rappelé, il y a 10 ans. Elle avait en effet estimé que le développement de la « vidéoprotection » coûtait 300 millions d'euros par an à l’État, plus 300 autres aux collectivités, soit 600 millions d'euros annuels. Et ce, déploraient les magistrats, alors que, 20 ans après, « aucune étude d’impact, réalisée selon une méthode scientifiquement reconnue, n’a encore été publiée », afin d’en mesurer l’efficacité, et donc la pertinence.
10 ans plus tard, la question n'a toujours pas de réponse, mais la vidéosurveillance n'a de cesse de se banaliser. Après avoir conquis les grandes villes, c'est du côté des villages et des communes rurales que se conquièrent désormais les parts de marché. Avec un argument récurrent : les autres villes et villages de la région ont installé des caméras, et les délinquants déporteront chez nous si on ne s'y met pas aussi.
En octobre dernier, la Cour rappelait de nouveau que « l’ampleur des sommes engagées depuis plus de dix ans impose une appréciation objective de l’efficacité de la vidéoprotection », qui n’est toujours pas démontrée.
Elle réclamait alors d'établir une cartographie précise du déploiement des systèmes de vidéoprotection par les collectivités territoriales (estimée à un peu plus de 75 000 caméras sur la voie publique en 2018), mais également d'« engager une évaluation de l’efficacité de la vidéoprotection de la voie publique, notamment dans l’élucidation des crimes et délits, avec le concours de chercheurs et d’experts ».
Le collectif Technopolice, émanation de La Quadrature du Net, vient de son côté de mettre à jour sa carte collaborative des technologies sécuritaires en France. Il vient par ailleurs de découvrir, dans la brochure du guide annuel de l'AN2V, le lobby de la vidéosurveillance, que le bourg de Moirans (7 000 habitants) avait recours à un logiciel vidéosurveillance automatisée (VSA) pour faire de l’analyse algorithmique à partir des images captées par les caméras. Selon le guide AN2V 2020, le logiciel en question, Briefcam, équiperait déjà 34 autres villes en France, dont Roubaix, Vannes, Vitrolles, Nice, Vienne, La Baule, Vaulx-en-Velin, Deauville, Nîmes et Aix-les-Bains.
Le collectif vient également de lancer un « CADATHON », initiative visant à « analyser et documenter les dispositifs de surveillance policière qui se propagent dans nos villes et nos vies », en réclamant aux collectivités les documents afférents, via la plateforme collaborative MaDada.fr. Sur les 390 demandes d'accès aux documents administratifs « en attente » à ce jour sur le site, 55 concernent des caméras de vidéosurveillance, pour la plupart à l'initiative de La Quadrature du Net.
Une initiative lancée alors que la proposition de loi sur la Sécurité Globale, déjà adoptée par les députés, prépare de son côté la multiplication de ces yeux électroniques, avec au menu drones, caméras piétons et autres dispositifs embarqués.
Les technologies de surveillance à l’assaut des campus américains
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Caméras-piétons, drones, LAPIs...
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Réseaux sociaux, biométrie, robots...
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La Technocarte de Technopolice
Commentaires (8)
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Abonnez-vousLe 16/03/2021 à 15h05
0 commentaires, je suis déçu.
Le 16/03/2021 à 15h44
Toujours un pour gâcher l’immaculée d’un article… Quelle plaie ces commentateurs !
Le 16/03/2021 à 19h23
Que ce soit aux USA ou ailleurs, combien de ces équipements avec les identifiants par défaut et/ou jamais patchés (lorsqu’il y a ne serait-ce qu’un semblant de sécurité intégrée) ?
Le 17/03/2021 à 10h40
Quand on voit que la cnil met en garde contre « l’effet d’habituation » au technologies de surveillance et que ces technologies semblent surtout surgir dans les campus, on peut se poser des questions quant au modelage des jeunes générations à cet égard…
Le 17/03/2021 à 13h45
En même temps, avec le nombre de tueries de masse sur les campus qu’ils ont chez eux, j’imagine (sans cautionner) que c’est ça qu’ils veulent éviter…
Le 17/03/2021 à 16h08
Le problème est qu’une caméra ne va pas descendre de son support pour casser la figure au type qui arrive avec son M16 et que le temps que 1) quelqu’un le détecte sur les images, 2) prévienne la police, 3) qu’elle arrive, avec un fusil d’assaut tu as 3 fois le temps de faire un carnage.
Ou alors, il va falloir installer les casernes des SWAT sur les campus
Le 17/03/2021 à 16h25
Je dis pas que j’approuve, hein.
Par contre t’as mal lu la news : on parle aussi de surveillance des réseaux sociaux. Et là, les tueurs de masse sont souvent assez cons pour limite l’annoncer la veille sur FB (ou Tiktok ou Insta, pour les djeunz)…
Edit : pour les SWAT en local amha c’est l’étape d’après, vu que les rednecks US sont suffisamment cons pour ne jamais lâcher leur droit constitutionnel a avoir des fusils d’assaut pour chasser le canard… c’est pas demain qu’ils régaleront les armes, la bas…
Le 17/03/2021 à 20h33
En plus on sait tous que c’est les Noirs et les violeurs Mexicains qui tirent…
Ou les Ouighours, je sais plus…