Adoptée par les députés, la loi « Anti-Amazon » encore loin d’être appliquée
Cric couac
Le 21 février 2014 à 13h41
8 min
Droit
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Sans grande surprise, la loi « Anti-Amazon » a été adoptée hier par l’Assemblée nationale. Ce texte, qui mettra fin à la gratuité des frais de port des livres achetés sur Internet, est toutefois encore loin d’entrer en vigueur. Le gouvernement a en effet été contraint de le notifier à la Commission européenne, ce qui va paralyser les discussions parlementaires pour au moins deux mois. Explications.
La fameuse proposition de loi dite « Anti-Amazon » était de retour hier à l’Assemblée nationale, après avoir été adoptée en première lecture par les députés en octobre dernier. Pour rappel, ce texte vise à modifier la loi sur le prix unique du livre, de telle sorte que les cybermarchands auront interdiction formelle de cumuler deux avantages qu’ils peuvent aujourd’hui proposer à leurs clients : la gratuité des frais de port et une ristourne de 5 %. Pour l’heure, deux sociétés sont connues pour offrir de tels services en France, Amazon et La Fnac. Cette stratégie menée de longue date par le géant américain est cependant perçue par le gouvernement et les parlementaires comme de la concurrence déloyale, l’entreprise perdant manifestement de l’argent (plus de 2 milliards de dollars au niveau mondial pour le dernier trimestre 2013) afin d’étouffer ses concurrents.
Au Sénat, le texte a été musclé. Les élus du Palais du Luxembourg ont en effet souhaité que les frais de port ne puissent plus être gratuits, sauf dans l’hypothèse où le livre acheté sur Internet serait retiré dans « un commerce de vente au détail de livres », c’est à dire dans une boutique, certains « Relais Colis », etc. La mesure se veut principalement psychologique, l’idée étant de « supprimer l’argument commercial du "zéro frais de port" affiché par certaines plateformes et d’offrir l’espoir que le consommateur s’oriente vers d’autres sites de vente de livres » selon les mots de l’auteur de l’amendement ayant amené cette modification de la proposition de loi, la socialiste Bariza Khiari. Dans la pratique, les prix ne devraient vraisemblablement bouger qu’à la marge, comme nous l’expliquions dans notre analyse : « Ce que pourrait changer la loi Anti-Amazon ».
Alors que le texte aurait pu être voté par l’Assemblée nationale dans les mêmes termes qu’au Sénat (ce qui aurait signifié une adoption définitive de la loi), il n’en fut rien. La Commission des affaires culturelles n’avait pourtant rien trouvé à redire à la version retenue par les sénateurs, ne proposant aucun amendement...
Mais c’est en fait du côté du gouvernement qu’est arrivée la « surprise ». Il s’avère que le texte ne pourra finalement pas être adopté avant plusieurs mois. Et pour cause : le ministère de la Culture a notifié le texte à la Commission européenne à la mi-janvier (voir ici), comme lui impose la législation européenne. Cela signifie que s’est ouvert à ce moment-là une période dite de « statu quo » de trois mois, durant laquelle le texte transmis pour avis à Bruxelles ne peut être applicable. Cette période devrait s’achever le 22 avril prochain, à moins que la Commission n’ait besoin d’un délai supplémentaire. L’on passerait alors de trois à six mois de « statu quo ».
Un « couac » de la Rue de Valois ?
Mais alors que certains voient là une belle « boulette » du gouvernement, cette notification tardive empêchant de fait toute entrée en vigueur du texte, la ministre de la Culture a tenté hier de se justifier (voir le compte-rendu des débats). Selon Aurélie Filippetti, la transmission a été faite « tout à fait dans les temps ». L’exécutif est en effet tenu de notifier à la Commission européenne une version « stabilisée » de la mesure envisagée. L’UMP n’a cependant pas manqué d’attaquer le gouvernement sur ce sujet, d’autant que la mesure n’a guère évolué entre l’Assemblée nationale et le Sénat. « Même si on l’avait notifié après son examen à l’Assemblée, on aurait dû recommencer après le passage au Sénat puisque ce n’était pas le même » a néanmoins rétorqué la ministre de la Culture.
Mais la députée Annie Gennevard a insisté : « Je persiste à penser, madame la ministre, que quelque chose ne s’est pas bien passé de votre côté. Le texte a été adopté en première lecture le 3 octobre 2013. Il était quasiment stabilisé. Il aurait pu être notifié à ce moment ». Aux yeux de l’élue, la Rue de Valois a trop traîné, y compris dans l’hypothèse où elle était contrainte d’attendre l’adoption du texte au Sénat avant toute notification. « Admettons que cette stabilisation n’ait pas été suffisante, il fallait alors le présenter au lendemain de l’adoption en première lecture par le Sénat, le 9 janvier au matin. Or vous avez attendu près de trois semaines, puisque vous l’avez notifié à la Commission européenne aux alentours du 20 janvier (...). Ne nous racontons pas d’histoires : il y a eu, reconnaissez-le, un oubli fâcheux » a-t-elle ainsi asséné.
« Nous avons tous notre part de responsabilité, a concédé Aurélie Filippetti, mais, de grâce, dédramatisons ». Jouant la temporisation, la ministre de la Culture a fait valoir que « concrètement, la seule chose que cela changera, c’est qu’une lecture sera ajoutée au Sénat ».
Pour faire mieux passer la pilule, la locataire de la Rue de Valois a expliqué qu’en raison « du risque que les acteurs économiques concernés attaquent [le] dispositif devant les tribunaux, le gouvernement se [devait] de conférer la plus grande sécurité juridique à l’ensemble du dispositif. C’est pourquoi il a donc été procédé à sa notification, conformément aux dispositions de la directive, ouvrant une période de trois mois qui pourrait être prolongée de trois mois supplémentaires si la Commission européenne émettait un avis circonstancié au terme du premier délai, avant que le texte ne soit définitivement adopté ».
Amendé, le texte repart finalement au Sénat pour une seconde lecture
Pour prolonger les débats parlementaires le temps que Bruxelles rende son avis, l’exécutif avait concocté un amendement. C’était d’ailleurs le seul à avoir été déposé sur cette proposition de loi. L’amendement en question visait à supprimer le délai de trois mois prévu pour permettre aux professionnels de s’adapter aux dispositions « Anti-Amazon ». Sans grande surprise, les députés se sont résolus à l’approuver. « Si nous sommes persuadés de l’urgence qu’il y a à faire appliquer ce texte, il est de notre responsabilité de parlementaires de faire adopter un texte conforme aux procédures communautaires » a ainsi reconnu l’UMP Christian Kert.
Finalement, la proposition de loi a été adoptée par l’Assemblée nationale. Avec la modification opérée au travers de cet amendement, le texte repart pour une seconde lecture au Sénat. Celle-ci ne devrait pas avoir lieu avant le mois d’avril, voire au mois de septembre - tout dépendra de ce que décidera la Commission européenne.
Pas d'entrée en vigueur avant avril voire septembre
Mais quand bien même ce texte fut voté à l’unanimité, plusieurs élus ont exprimé leur scepticisme à son égard. Ce fut notamment le cas de la députée Isabelle Attard : « Votre proposition de loi ne peut prétendre changer en profondeur l’état du commerce du livre en France. Certes, il est possible que certains acheteurs passent par leur libraire plutôt que par des sites en ligne. Mais pour l’immensité des achats qui ne peuvent pas être réalisés localement (...) par manque de librairies ou à cause de l’épuisement des stocks, votre proposition de loi ne fera qu’augmenter les marges des multinationales de la vente en ligne » a-t-elle ainsi regretté, renvoyant le gouvernement vers son refus d'appliquer un taux de TVA réduit aux livres numériques sans DRM (voir notre article).
L’on notera enfin que le gouvernement apparaît d’autant plus perdant dans cette histoire qu’il avait profité de l’unanimité régnant sur ce texte pour y adosser un beau cavalier législatif : l’autorisation de légiférer sur le contrat d'édition numérique par ordonnance. Les dispositions en question sont maintenues, mais l'exécutif a perdu de précieux mois.
Adoptée par les députés, la loi « Anti-Amazon » encore loin d’être appliquée
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Un « couac » de la Rue de Valois ?
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Amendé, le texte repart finalement au Sénat pour une seconde lecture
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Pas d'entrée en vigueur avant avril voire septembre
Commentaires (25)
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Abonnez-vousLe 21/02/2014 à 20h24
Et donc si j’ai bien compris, non seulement les libraires français ne pourront plus faire de frais de port gratuit, mais en plus ça ne changera rien entre Amazon et les autres sites. Donc pourquoi changer d’habitude ? " />
Le 22/02/2014 à 07h48
pourquoi s’acharner spécialement sur amazon ?
ils ne sont pas les seuls à offrir les frais de port pour les livres
Le 22/02/2014 à 08h00
Pour contourner il suffit qu’Amazon offre une carte d’adhérent style FNAC a chaque client et la livraison est gratuite, de toute façon ce gouvernement de Fauxcialiste se réveille trop tard maintenant que Virgin à coulé ….
Le 22/02/2014 à 08h02
le gouvernement offre bien des retraites de préfet à 6000€ mensuel à ses amis " />qui n’ont jamais été préfet et il y en a pas mal… et la personne ne moufte un mot ….
Le 22/02/2014 à 09h37
… que les cybermarchands auront interdiction formelle de cumuler deux avantages qu’ils peuvent aujourd’hui proposer à leurs clients : la gratuité des frais de port et une ristourne de 5 %. Pour l’heure, seul Amazon offre de tels services en France, ainsi que La Fnac - mais uniquement à ses adhérents. …
Une erreur dans l’article, à la FNAC, la réduction de 5% et les frais de ports gratuits pour l’achat en ligne s’applique à tout le monde. Ce n’est qu’uniquement pour l’achat en magasin qu’il est faut être adhérent pour bénéficier des 5% de réduction.
Le 22/02/2014 à 10h01
Le 21/02/2014 à 13h53
J’invite Amazon à baisser leurs prix tout simplement pour se rattraper, puisque les frais de ports ne sont plus inclus ! Et surtout de dire MERDE à l’Etat français !
Le 21/02/2014 à 13h57
Pour l’heure, seul Amazon offre de tels services en France, ainsi que La Fnac - mais uniquement à ses adhérents.
C’est incomplet. " />
Mollat et BDFugue le font aussi. Pour leurs membres (carte de membre gratuite, contrairement à l’adhésion à la FNAC) et à partir d’un certain montant (20 ou 25€) mais aux dernière nouvelles, la loi interdit aussi dans ce cas-là.
Le 21/02/2014 à 13h58
Le 21/02/2014 à 14h01
Le 21/02/2014 à 14h02
Amazon : OK, frais d’envoi : 1 cents, ce n’est plus gratuit
Le 21/02/2014 à 14h04
ristourne de 5% + fdp de 1ct ça passera ?
si oui, c’est très con cette loi.
aussi, si je comprend bien, si Amazon me livre en “relais colis” qui est une librairie (comme pas loin de chez moi), les fdp pourront être gratuits quand même ?
Le 21/02/2014 à 14h05
Quel blague de se battre sur cet amendement… Amazon aura tellement de moyen de passer outre qu’ils doivent bien se marrer (et vu leur niveau pour l’évasion fiscale, ils ont surement déjà trouvé tous les moyens de filouter tout ça)
Au final, ça fera chier seulement d’autres e-commerçants plus modestes, peut être même français…. bravo " />
Le 21/02/2014 à 14h08
Au pire amazon remerciera l’État de l’aider à réduire ces pertes sur les frais de ports. " />
Le 21/02/2014 à 14h09
c’est en effet un peu dommage de perdre du temps à adopter une loi qui ne servira certainement à rien, alors qu’il y a sûrement d’autres sujets plus importants à traiter.
Le 21/02/2014 à 14h19
Mais alors que certains voient là une belle « boulette » du gouvernement, cette notification tardive empêchant de fait toute entrée en vigueur du texte, la ministre de la Culture a tenté hier de se justifier
Encore un coup du coursier stagiaire " />
Mais virez donc ce mec ! " />
Le 21/02/2014 à 14h34
Le 21/02/2014 à 14h37
Le 21/02/2014 à 14h47
Le 21/02/2014 à 14h48
Tant pis, nous irons sur Nozama.com qui sera créer pour contourner le problème. " />
Le 21/02/2014 à 15h39
Le 21/02/2014 à 15h51
Le 21/02/2014 à 15h52
mais l’exécutif a perdu de précieux mois, Gollum !
Hum !, hum !
Le 21/02/2014 à 17h32
N’y-a-t-il pas plus urgent à faire en France actuellement que d’adopter une loi comme celle ci ??
Le 21/02/2014 à 18h34