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États-Unis : une influenceuse porte plainte pour appropriation illicite de son style de vie

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États-Unis : une influenceuse porte plainte pour appropriation illicite de son style de vie

Aux États-Unis, un procès inédit entre deux créatrices de contenu vient illustrer les enjeux de plagiat et de protection de la propriété intellectuelle qui agitent le milieu de l'influence en ligne.

Le 28 novembre à 15h32

Est-ce qu’un style de vie relève de la propriété intellectuelle ? Est-ce qu’une manière de se présenter, de se photographier, de montrer ses derniers achats, peut-être classé à un niveau similaire à celui du geste artistique, ou de la marque ? C’est ce qu’une bataille juridique engagée au pays de l’influence doit trancher.

Du haut de ses 21 ans, Alyssa Sheil, influenceuse Amazon, est poursuivie en justice devant un tribunal du Texas par sa collègue Sydney Nicole Gifford (24 ans). Cette dernière l’accuse de violation de droits d’auteur, d’ingérence délictuelle dans de potentielles relations commerciale, d’appropriation illicite de l’image d’une autre personne, entre autres éléments. Le tout sur trois plateformes principales : TikTok, Instagram, et via leurs boutiques Amazon respectives.

Dans un document de 70 pages, Gifford évoque un schéma répété : quelques jours ou semaines après ses publications, Alyssa Sheil posterait des contenus semblables dans l’angle, le ton ou le texte des messages. Ainsi d’une paire de boucles d’oreille en forme de nœuds, que Gifford a présenté à ses abonnés en ramenant délicatement ses cheveux en arrière. Quelques jours plus tard, Sheil a publié des photos de la même paire de boucles, présentées de manière similaire. Ou d’un ensemble de vêtements de sport, montré sur une photo en pieds, une jambe tendue, l’autre pliée, le téléphone masquant le visage.

Si l’affaire résonne avec les accusations de plagiats qui remonte, de manière sporadique, de divers écosystèmes de la création de contenu, elle pourrait avoir de larges conséquences pour le milieu. Elle obligera en effet la justice à se prononcer sur le cadre d’une activité dont les contours juridiques restent, à l’heure actuelle, relativement flous.

La « clean girl », une esthétique, une mode… un mode de vie ?

Alyssa Sheil et Sydney Nicole Gifford sont deux « clean girls », littéralement « filles propres ». La clean girl aesthetic (plus de 600 000 publications sur TikTok, plus de 300 000 sur Instagram) est une tendance, au même titre que le sont ou l’ont été celles des e-girl, du cottage core, du Y2K, et d’une multitude de modes dont la durée varie de l’éphémère à l’établissement de réelles sous-cultures numériques.

Le monde des clean girls se décline en tons de beige, de blanc et, bien que plus rarement, de noir. D’après la chroniqueuse Anne Chirol, qui suit de près les tendances numériques, le concept est apparu sur TikTok en 2020, en référence aux icônes de beauté que sont les sœurs Gigi et Bella Hadid ou Kendall Jenner, dont la demi-sœur Kim Kardashian est elle-même une évidente source d’inspiration pour les clean girls.

Les clean girls ont des routines de soin censées ne demander aucun effort, quand bien même elles passent par la promotion de quantité de soins et de pratiques diverses visant à gommer la moindre imperfection. Sur Instagram, TikTok ou Pinterest, elles mettent en avant une forme de beauté très contrôlée qui illustre parfaitement l’un des effets négatifs que TikTok est régulièrement accusé de provoquer sur la santé des plus jeunes : celui de la promotion permanente d'une perfection inexistante. D’aucuns estiment par ailleurs que la tendance est désormais démodée.

Pour Alyssa Sheil et Sydney Nicole Gifford, cela dit, c'est loin d'être le cas : les deux femmes vivent de leurs publications à l’esthétique clean girl. Au quotidien, elles commandent des produits sur Amazon, les photographient sur fond blanc, de bois, ou sur elle-même, et postent le tout, en photo ou en vidéo, sur leurs réseaux. Le but : convaincre des internautes de cliquer sur leurs liens d’affiliation. À chaque achat opéré de cette manière, elles reçoivent une commission. Comme tous les influenceurs shopping, les deux femmes « ont trouvé comment faire carrière à partir des achats impulsifs des autres », écrit the Verge, qui signe une longue enquête sur leur opposition.

Tunnel algorithmique ou copie réfléchie ?

Or, en avril 2024, Sydney Nicole Gifford a déposé une plainte en vertu du Digital Millennium Copyright Act (DMCA), qui protège aux États-Unis le droit d’auteur contre le vol en ligne. Dans sa plainte, Sydney Nicole Gifford accuse Alyssa Sheil de l’avoir copiée jusque dans des plans spécifiques des vidéos qu’elle publie régulièrement en ligne. Elle estime même que les similitudes s’étendent jusqu’à certains aspects de la vie réelle, dans l’apparence, l’élocution, et même certains tatouages d’Alyssa Sheil.

Elle réclame jusqu'à 150 000 dollars de dommages et intérêts pour « préjudice moral » et perte de revenus – elle décrit notamment des baisses de près de moitié autour de grandes opérations comme celle du Black Friday – et demande que les publications d’Alyssa Sheil soient retirées.

Cette dernière se défend en expliquant que le travail de curation n’est pas du ressort des seuls influenceurs, mais aussi (surtout lors de vastes opérations marketing), poussé par Amazon lui-même. Le géant numérique leur fournit d'ailleurs des outils, comme le creator hub, où ces derniers peuvent trouver les tendances du moment.

Quel internaute n’a pas vu, par ailleurs, alors qu’il ou elle s'intéressait à un sujet ou une tendance, l’algorithme de l’une de ses plateformes l’enfermer peu à peu dans une boucle de contenus liés à cette thématique ?

Les droits des influenceurs, un domaine qui reste en friche

Les guidelines d’Amazon sont d’un faible recours. Certes, elles indiquent de « ne PAS publier de contenu qui porte atteinte à la propriété intellectuelle ou à d'autres droits de propriété d’autrui ». Cela dit, nombre de pratiques sont devenues courantes en ligne : faire des unboxing, c’est-à-dire sortir des produits d’un colis (souvent Amazon) pour le détailler à ses abonnés, est par exemple devenu un genre à part entière.

Aussi Alyssa Sheil se plaint-elle d’être la seule à devoir subir un tel processus juridique… alors que les créatrices et créateurs adeptes d’une même tendance deviennent difficiles à différencier.

Si cette affaire concentre une variété d’enjeu, la question du plagiat n’a rien de neuf dans le monde de l’influence. Fin 2023, le youtubeur britannique Hbomberguy publiait une vidéo de près de quatre heures dans laquelle il détaillait la variété de cas de plagiats qu’il avait recensé au fil de sa pratique, problématique qui avait aussi agité le YouTube francophone l’année précédente.

Au fil des années, divers juristes ont pu prendre la parole pour fournir quelques éléments aux créateurs et créatrices. Certains de ces derniers ont par ailleurs tenté de créer des syndicats ou des associations pour défendre leurs droits – ainsi, en France, de l’Union des Métiers de l’Influence et des Créateurs de Contenu (Umicc), créée à l’occasion des débats sur la loi contre les dérives des influenceurs. Mais aux États-Unis, ces initiatives peinent à se faire une place réelle, pointe The Atlantic.

Pour le moment, en France comme Outre-Atlantique, il existe plus de textes pour empêcher les créateurs de contenus d’opérer des opérations problématiques – de la sponsorisation non déclarée, de la promotion de produits dangereux, etc – que pour protéger leur travail vis-à-vis de leurs concurrents.

Commentaires (7)

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Malheureusement Internet, cet outil formidable du 21eme siècle est accessible à tout le monde, mais vraiment tout le monde... pour en faire par certains & certaines du vrai grand n'importe quoi et qui n'a aucun intérêt...
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Je lis l'article et me dit que je ne dois pas vivre dans le même monde que ce qu'il relate tellement je n'en connais rien et préfère ne pas en connaitre plus. Je dois être vieux...
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je trouve ça assez magique et ironique

un influenceur, de base, ça dit "faites comme moi" en cuisinant / se maquillant / achetant ..., et là quelqu'un a pris ça au pied de la lettre jusqu'à faire la même chose pour gagner sa vie et se fait attaquer en justice, j'adore

je prendrai bien du pop-corn si c'était pas sur un sujet aussi futile (c'est le principe même des influenceurs que je trouve futile, le souci sur les droits sur la façon de filmer est plus compliqué, mais les vendeurs de voiture se font pas des procès en permanence pour les pubs de leurs concurrents alors qu'il y a toujours des plans large / en ville / en mouvement ... soit il y a une exception soit ils ont trouvé un terrain d'entente, les vidéos d'influenceurs sont plus proches de ça que du film d'auteur qui me semblerait plus légitime pour crier au plagiat)

edit : typo
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Le plus "drôle" ici, c'est qu'en cherchant bien on doit pouvoir lui opposer (à l'accusatrice) qu'elle ne fait copier ce que d'autres font ou ont fait.
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Voilà pourquoi il n'y a pas d'influenceur ikea.
Bon, ceci dit, à 24 ans, elle est vieille dans le métier, non? Il faudrait pas la remplacer?
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La débilité humaine ne cessera jamais de me surprendre, et de m'exaspérer.
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Changez rien les ricains, on vous aime ! :mdr2:

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