Claire Lemarchand : recycler, c’est aussi « essayer de retrouver un grain de sel dans une ratatouille »
Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme
Le 07 octobre 2022 à 07h58
8 min
Sciences et espace
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Claire Lemarchand, directrice chez Ecosystem.eco, nous explique ce qu'est un éco-organisme, ses missions et ses ambitions. C'est aussi l'occasion de parler de l’indice de réparabilité, du recyclage des terres rares, des matériaux critiques et des batteries de voiture, d'effacement des données personnelles, etc.
Dans la première partie de notre dossier, nous sommes revenus sur le mélange entre écologie et high-tech : empreinte incompressible, réutilisation de vieilles machines, etc. Afin d'aller plus loin et de mieux cerner les enjeux et limites actuels, nous nous sommes entretenus avec Claire Lemarchand, directrice chez Ecosystem.eco.
Ecosystem est un éco-organisme dont l’agrément a été renouvelé pour six ans en mars dernier. Mais qu’est-ce qu’un éco-organisme et quel est votre objectif sur cette période ?
Un éco-organisme est une entreprise de droit privé, Ecosystem est une SAS, mais elle doit être agréée par les pouvoirs publics et répondre à un décret qui donne le cahier des charges pour les six prochaines années. Tous les six ans, nous repensons notre mode de fonctionnement au regard de ce qui nous est demandé.
Pour ce nouvel agrément, la loi AGEC étend notre périmètre d’action. Avant, nous étions centralisés sur la fin de vie des équipements électriques et électroniques, donc le recyclage. Désormais, nous intervenons plus en amont. Nous travaillons sur l’allongement de la durée de vie de ces équipements.
Nous avons deux leviers dans le cahier des charges. Nous devons favoriser le réemploi des appareils, ce qui en réalité était déjà dans notre ADN, mais c’est désormais plus formalisé. Et nous allons aussi inviter les Français à avoir le réflexe réparation avant de considérer le recyclage, sinon penser à une seconde vie pour leur matériel. Plus on fait durer un appareil, meilleur c’est pour l’environnement.
Pensez-vous que les particuliers et collectivités sont suffisamment informés des services comme le vôtre ? La communication est-elle encore une de vos missions essentielles ?
Tout à fait, et on y travaille. Nous faisons déjà sur le fond « réemploi et réutilisation » des appels aux dons sur des objets tels que les jouets ou les téléphones. On se rapproche alors d’Emmaüs ou des CCAS (centre communal d’action sociale, ndlr). On réfléchit à étendre cet encouragement au don sur les objets de première nécessité tels que les réfrigérateurs, les plaques de cuisson, mais aussi les ordinateurs pour diminuer la fracture numérique.
Pour la communication globale sur l’ensemble de nos services, cette mission fait aussi partie de notre agrément. Nous serons plus actifs auprès du grand public sur le point de la réparation dès que nous aurons agréé un réseau de réparateurs suffisamment volumineux. Pour l’instant nous constituons un fond de réparation pour baisser la facture des consommateurs.
Nous devons ensuite labelliser un réseau de confiance vers qui les consommateurs devront se retourner pour accéder au bonus réparation, donc la remise sur facture. Nous lancerons notre campagne de communication lorsque nous aurons atteint un minimum de 1 000 réparateurs sur des grandes enseignes comme des petits artisans et sur une couverture géographique sur l’ensemble de la France.
L’indice de réparabilité mis en place ces dernières années en France a-t-il eu un impact notable ?
Cet indice nous intéresse, on le suit de près. Il a un impact sur ce que l’on appelle l’écoconception fin de vie, un point sur lequel nous accompagnons des fabricants et distributeurs. Mais c’est un sujet qui relève davantage de l’ADEME, l’agence engagée sur la transition écologique, et dont nous verrons les effets d’ici quelques années.
Pour l’instant, l’indice est assez récent, il faut laisser aux appareils le temps d’avoir besoin d’être réparés, le plus tard possible on l’espère. En tout cas, des études démontrent un impact dans l’acte d’achat. Le facteur économique reste le plus influent, mais à prix égal, l’indice de réparabilité peut faire pencher la balance en faveur d’un produit.
Quel est le pourcentage de terres rares et matériaux critiques récupéré lors du recyclage ?
D’abord un point, en réalité, c'est la criticité des métaux, terres rares comprises, qui est importante. Il s’agit donc de la date estimée à laquelle il n’y aura plus ce type de ressources ou que l’on ne pourra plus en extraire dans l’état actuel de nos connaissances. Et puis il y a une criticité technologique due à l’accroissement des besoins, notamment pour tous les objets connectés.
On trouve dans les matériels électroniques de très nombreux métaux que je ne vais pas énumérer ici tant il en existe. À date, nous arrivons à isoler l’or et l’argent de manière industrielle sans difficulté. Mais la kyrielle d’autres métaux est beaucoup plus compliquée à récupérer, car ils sont en quantité infinitésimale et souvent sous forme d’alliage ou de nanoparticule. Pour faire une analogie culinaire, nous parlons ici d’essayer de retrouver un grain de sel dans une ratatouille.
C’est réalisable, nous travaillons sur le sujet et investissons en recherche et développement, mais nous n’arrivons pas encore à passer à la phase industrielle. Nous sommes conscients qu’il faut accélérer, car il y a de gros enjeux. On estime que certains métaux critiques auront disparu à l’horizon 2030 pour certains, 2050 pour d’autres.
Pour ce qui est des alliages, je me permets de reprendre une métaphore culinaire. Mélanger de la crème fraiche et de la moutarde, ça n’a rien de compliqué. Essayez ensuite de les reséparer... Nous travaillons sur des processus chimiques et nous arrivons à dissocier les alliages en laboratoire, mais nous bloquons là encore sur l’aspect industriel.
C’est un défi de toute notre filière sur lequel de très nombreux pays travaillent, car il y a des enjeux majeurs sur le plan économique, écologique et même géopolitique.
Avez-vous d’autres objectifs ou défis à relever en plus de ceux déjà évoqués ? On pense notamment aux voitures électriques.
Pour l’instant, elles rentrent dans le cadre de la filière de recyclage dite VHU, véhicule hors d’usage. Mais cela m’évoque un enjeu important auquel nous sommes confrontés, comme l’industrie automobile, avec les batteries au lithium.
Sur les produits électriques et électroniques, on compte deux départs de feu par jour durant le traitement de ces déchets. La majorité est heureusement maitrisée, mais un par mois nécessite de faire appel aux pompiers et on considère que tous les deux ans, nous avons une unité de traitement qui part en flamme. C’est donc un autre défi aussi très important pour nous.
Quelles garanties offrez-vous sur l’effacement des données personnelles lorsqu’on dépose un smartphone, une tablette, un PC ?
En effet, c’est important d’en parler, car il s’agit parfois d’un frein au recyclage ou au don, notamment pour les téléphones. Il y a toujours cette crainte, plus ou moins rationnelle, d’avoir laissé des photos ou des numéros et c’est bien normal.
Nous avons déployé un service de collecte des téléphones pour éviter que ces appareils se retrouvent dans des bacs. Ils sont donc directement envoyés à un centre de traitement. Je vous engage à vous rendre sur jedonnemontelephone.fr. Vous recevez ou imprimez des étiquettes préaffranchies pour envoyer votre téléphone aux Ateliers du Bocage, une filiale d’Emmaüs, qui ont mis en place tout un process d’effacement des données. Concernant les ordinateurs, qu’ils soient portables ou sous forme d’unité centrale, tout est broyé avant que les matières soient séparées, donc il ne reste rien des données qu’ils contenaient.
En revanche, là aussi nous pouvons aborder une autre problématique qui est celle du vol des matériels dans les bacs de collectes ou en déchetteries. Les données sont le cadet des soucis de ces pilleurs, car leur but est de vendre les métaux contenus dans ces appareils. Mais pour nous ça reste un sujet très sensible. L’envol du cours des métaux fait que les effractions sont en nette augmentation. C’est un fléau écologique, car dans ce cas il n’y a pas de dépollution des appareils.
Claire Lemarchand : recycler, c’est aussi « essayer de retrouver un grain de sel dans une ratatouille »
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Ecosystem est un éco-organisme dont l’agrément a été renouvelé pour six ans en mars dernier. Mais qu’est-ce qu’un éco-organisme et quel est votre objectif sur cette période ?
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Pensez-vous que les particuliers et collectivités sont suffisamment informés des services comme le vôtre ? La communication est-elle encore une de vos missions essentielles ?
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L’indice de réparabilité mis en place ces dernières années en France a-t-il eu un impact notable ?
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Quel est le pourcentage de terres rares et matériaux critiques récupéré lors du recyclage ?
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Avez-vous d’autres objectifs ou défis à relever en plus de ceux déjà évoqués ? On pense notamment aux voitures électriques.
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Quelles garanties offrez-vous sur l’effacement des données personnelles lorsqu’on dépose un smartphone, une tablette, un PC ?
Commentaires (21)
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Abonnez-vousLe 07/10/2022 à 09h48
Intéressant ! merci :-)
Le 07/10/2022 à 10h31
Sans entrer par effraction dans les déchèteries il y a un gisement d’ordinateurs gratuits et fonctionnels à vue (ou présentant une panne mineure) assez impressionant malgré le comportement de certains ferailleurs voire des agents.
Là est la cause.
À mon sens : ayant déjà sorti un PC de la poubelle commune j’ai bien quelques difficultés à cerner les intentions civiles de mes voisins ou des reponsables IT d’entreprises. (Mais je ne dois pas être très apte à faire une violence gratuite à l’environnement sans doute. )
Le 07/10/2022 à 12h15
Ah ouais quand même :/
Le 07/10/2022 à 12h24
Ils vont bientôt refuser de recycler des produits Samsung ?
Le 07/10/2022 à 12h27
C’est pas d’ailleurs illegal dans les déchetteries de faire de la récup ?
Après j’ai donné des dizaines de téléphone fonctionnel à jedonnemontelephone et seulement 2 ont été réutilisé, tout le reste à été recyclé :/
Le 07/10/2022 à 12h36
C’est strictement interdis (par chez moi en tout cas) et franchement je trouve ça bien dommage.
Le 07/10/2022 à 12h46
Dans certaines de nos déchetteries sur Lille, il y a un coin appelé “seconde vie” ou quelques chose du genre.
A priori, c’est fait pour donner une seconde vie aux objets fonctionnels laissés là.
La seule fois où je suis allé voir et où une chaise me faisait de l’œil, je me suis fais houspiller par l’agent présent sur place. J’ai donc supposé que les agents se servent en premier….
Le 07/10/2022 à 12h49
Merci pour cet article qui permet de mieux se rendre compte de la réalité du marché et du recyclage.
On nous bassine à longueur de temps, on nous greenwashe même… On essaye de nous donner bonne conscience en permanence avec le recyclage mais la triste réalité c’est qu’il faut éviter de consommer pour rien.
Le recyclage consomme de l’énergie et on n’arrive pas à tout réutiliser.
Le 07/10/2022 à 14h03
Merci pour l’article !
J’étais réticent justement à donner des vieux téléphones (fonctionnels ou non) pour des raisons de récup sauvage et donc potentielle fuite de données contenues dedans.
Le 07/10/2022 à 15h07
Le recyclage, ce n’est pas envoyer les Peugeot, machine à laver et ordinateur en Afrique ?
Le 07/10/2022 à 21h06
Non. C’est d’envoyer le dernier cri de l’année précédente aux mains d’un reconditionneur financé par nounou pour que le dernier né pousse son premier cri de la paume.
Quant au reste des articles la CAF devrait pouvoir t’aider.
Le 07/10/2022 à 15h32
Sur ce site, j’aurais aimé une étape “1.5” qui explique comment supprimer/raz son smartphone chez soi avant de l’envoyer.
Sans espérer une liste exhaustive pour tous les modèles/versions, avoir les instructions pour les modèles usuels ca serait bien.
Le 07/10/2022 à 16h07
“On estime que certains métaux critiques auront disparu à l’horizon 2030 pour certains”
J’aimerai bien savoir lesquels et quel impact cela aurait.
Le 07/10/2022 à 20h21
Difficile d’estimer avec certitude les gisements car le secteur minier est peu bavard.
Ce qui en revanche est vrai aujourd’hui c’est qu’il y a une forte progression de la demande sur le cuivre et le lithium à cause des VE.
Mais personne ne saura prédire une date de fin qui dépend bien plus de la disponibilité de l’énergie que du stock géologique à cause du taux de perte très faible de ces métaux lorsque recyclés et de la non généralisation des VE pour tous les pays (car trop de pertes en conversion d’énergie sur certains réseaux comme la Pologne par ex).
Sur les métaux plus rares je ne vois que le cobalt qui est en déclin consensuel.
Il doit y avoir aussi l’or qui ne devrait pas tarder à flancher.
Pour le reste il faut chercher la concentration extraite par m3, cela donne une idée de la trajectoire… reste que c’est aussi un choix politique : si chaque pays donne les moyens d’extraire même si la mine considérée n’est pas rentable alors le déclin recule de quelques années. C’est comme pour le pétrole grosso modo, mais en plus sombre encore!
Le 07/10/2022 à 21h33
Dans ma ville (région parisienne) il est compliqué de déposer des articles à la déchèterie, pire que pénétrer à Fort Knox. Mon dernier écran 27’ peut_être réparable est parti dans la poubelle grise comme tout ce que je jette maintenant.
Comme j’ai dit au gars de la déchèterie : Je viens du Portugal jeter mon écran…
Le 08/10/2022 à 05h22
Chez moi les manouche font un check point sur les routes menant a la déchèterie. J’y vais qu’une fois tout les 3⁄4 mois environs, et a chaque fois sa prend de l’ampleur leur dispositif. Sa devient n’importe quoi… Par contre je trouve que la decheterie est efficace, beaucoup de personnel et ils accompagne vraiment bien les gens (qu’ils le veuillent ou non , un peu comme les check point manouche, a moins d’en écraser un tu passe pas sans rendre compte de ce que tu amene…)
Le 08/10/2022 à 10h11
Chez moi aussi.
Ils prennent le prétexte de la sacro-sainte “sécurité” : Selon eux, si tu prends un appareil en déchetterie, tu le branches chez toi & il pète, ben tu pourrais te retourner contre la déchetterie…
Le 11/10/2022 à 17h27
Contre la déchèterie ? C’est quoi ce délire de voir partout des coutaux dans le dos ?
Le 09/10/2022 à 07h41
Il y a 3 mois, j’avais une tv lcd (47 pouces qui avait 10 ans et avait déjà été réparé il y a plusieurs années) qui est tombée en panne. Vu son age, et vu que j’avais possibilité d’en récupérer une autre (seconde vie), je l’ai apporté à ma déchèterie / recyclerie.
J’avais apporté la zapette, la doc, le cable d’alimentation. Dans ma tête, le circuit sera : envoi vers un centre pour réparation ou démontage pour recyclage intelligent des différents composants.
J’arrive, je demande où déposer l’appareil. On me montre un gros caddy à l’extérieur (où se trouve déjà une autre télé). Je trouve cela louche, mais je vais déposer délicatement ma télé.
Dans le doute, je demande à un employé ce qu’elle va devenir. La réponse est cinglante : Ca part à la benne, destruction puis récupération des métaux précieux. J’étais dégouté (et mon interlocuteur tout autant).
La réalité est là, le reste n’est que du blabla d’organisme en recherche de fond pour assurer leur petit business de consultant sur les taxes eco-emballage et éco-participation.
Ça me rappelle le coup des chargements de bouteilles en plastique provenant de France qui se retrouve en Chine (alors que manifestement, tout le monde avait bien trié). Au passage, cette affaire avait fait grand bruit, mais on a n’a jamais eu les tenant et aboutissants, ni les responsables (coupables) de la destination de cette cargaison…
Le 11/10/2022 à 17h31
Les FFP3 sous forme de crédit carbone ont de l’avenir.
Le 12/10/2022 à 16h16
Le personnel est rarement sympa en déchetterie. Je sais pas si ça vient du fait qu’ils doivent parler fort pour se faire entendre (bruit et éloignement), que dans certaines c’est trop petit et c’est le gros bordel pour circuler ce qui énerve tout le monde, les catégories de déchets et signalisation parfois peu claire qui provoquent des erreurs, ou les réglementations débiles des communes comme limiter aux (très) locaux ou la façon de catégoriser comme particulier ou professionnel, mais je me fais souvent aboyer dessus, parfois avant même d’avoir mis le pied hors de la voiture, et proportionnellement à la quantité de chose que j’amène.
Bref, y a du travail d’amélioration à faire à ce niveau pour motiver un peu les gens à y amener leurs gros déchets plutôt qu’à les poser à l’arrache à côté des containers de rue.
Rien n’est réparé en déchetterie, tout au plus déconstruit et recyclé un minimum. Ce n’est pas l’endroit où amener quelque chose à réparer.