L’Europe avance (doucement) « pour surmonter la pénurie de semi-conducteurs »
Qui va piano va… piano
Le 20 février 2023 à 10h18
7 min
Sciences et espace
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Après les ambitions de la Commission européenne sur la production de semi-conducteurs en Europe, les députés du Parlement sont désormais « prêts à négocier une loi pour développer l’industrie des semi-conducteurs » et donc entamer les négociations avec le Conseil.
En guise de préambule, le Parlement européen rappelle que la production de micropuces « repose sur une chaîne d'approvisionnement extrêmement complexe et interdépendante » au niveau mondial. Un exemple : « Une grande entreprise de semi-conducteurs peut s'appuyer sur pas moins de 16 000 fournisseurs hautement spécialisés situés dans différents pays ». Et il ne faut pas oublier les difficultés pour obtenir certains matériaux rares et/ou critiques.
Cette interdépendance mondiale fragilise la chaîne d'approvisionnement. En effet, des événements géopolitiques, même lointains, peuvent avoir des conséquences tangibles à nos portes. Et ces dernières années ne nous ont pas épargnés… c’est le moins que l’on puisse dire.
Une pénurie, des causes multiples
On pense évidemment à la pandémie de Covid-19 et aux mesures de confinements qui ont suivi, mais ce n’est pas le seul élément, loin de là : « Des développements récents comme la guerre en Ukraine [dont l’invasion a débuté il y a un an presque jour pour jour, ndlr] ont suscité des inquiétudes supplémentaires pour le secteur des puces. D'autres événements tels que des incendies et des sécheresses ont touché de grandes usines de fabrication et ont aggravé la crise ».
Le Parlement européen estime que « la pénurie actuelle de micropuces devrait se poursuivre tout au long de 2023 car la plupart des solutions ont de longs délais de livraison. Par exemple, il faut deux à trois ans pour construire une nouvelle usine de fabrication de puces ».
Les semi-conducteurs sont partout
S’il est besoin de le préciser, rappelons que les puces électroniques sont des briques indispensables à tous les produits numériques du quotidien : smartphone, voiture, ordinateur, gestion de l’énergie, santé, communication, etc. Le Parlement explique qu’un « téléphone portable contient environ 160 puces différentes alors que des voitures électriques hybrides en contiennent jusqu'à 3 500 ».
Ces puces sont également à la base des technologies qui transforment notre monde numérique comme l’intelligence artificielle, l’Internet des objets, le cloud, les supercalculateurs… Bref, elles sont partout et dirigent presque le monde.
Problème pour le Parlement, « en moyenne, près de 80 % des fournisseurs des entreprises européennes opérant dans l'industrie des semi-conducteurs ont leur siège en dehors de l'UE ».
Les ambitions de la Commission
Il y a un an, la Commission européenne faisait part de ses ambitions fortes dans le domaine des semi-conducteurs avec la volonté de « passer à une vitesse radicalement supérieure en matière de développement, de production et d'utilisation de cette technologie clé », selon sa présidente Ursula von der Leyen.
L’Europe veut ainsi doubler sa part de marché d'ici à 2030 – c’est-à-dire passer d'entre 8 et 10 % actuellement à 20 % –, contre 24 % en 2000), ce qui implique de quadrupler sa production puisque la quantité de puces produites à cette époque devrait doubler. Pas simple, d’autant que les États-Unis aussi veulent augmenter leur part du gâteau et que les Chinois ne vont pas se laisser faire.
Peu de temps après, le Chip Act européen était lancé avec un plan d’investissement de 43 milliards d’euros – rehaussé depuis à 45 milliards d’euros –, dont 11 milliards de fonds publics. Il y a un an, la Commission se réjouissait d’avoir adopté « une communication, deux propositions de règlement et une recommandation » sur le sujet des semi-conducteurs. Elle renvoyait alors la balle dans le camp du Parlement européen et des États membres pour la suite de la procédure législative.
- Semi-conducteurs : l’Europe veut « quadrupler la production », une législation en février
- Chip Act européen : 43 milliards d'euros pour « redevenir leader mondial des semi-conducteurs »
Le Parlement européen approuve le « règlement sur les semi-conducteurs »…
Le Parlement vient justement d’établir « sa position de négociation » sur deux textes. Le premier sur « le règlement sur les semi-conducteurs, qui vise à renforcer la capacité technologique et l’innovation dans le secteur des semi-conducteurs de l’UE, et l’autre sur l’entreprise commune "Semi-conducteurs", qui vise à accroître les investissements pour développer ce type de présence européenne ».
Dans le premier cas, les députés ont « approuvé le texte adopté par la commission de l’industrie ». Celui-ci met notamment « l'accent sur les semi-conducteurs et les puces quantiques de nouvelle génération ». Il est aussi question de développer et attirer de nouveaux talents sur les trois piliers que sont la recherche, la conception et la production ; des éléments indispensables pour avancer de manière souveraine.
Le règlement est articulé autour de trois grands axes :
- « Le lancement de l’initiative "Semi-conducteurs pour l’Europe" qui est destinée à renforcer la compétitivité, la résilience et la capacité d’innovation de l’Union ». Cela comprend la mise en place de centres de compétences.
- « Un nouveau cadre pour garantir la sécurité de l'approvisionnement : il s’agit d’attirer des investissements et de renforcer les capacités de production ».
- « La mise en place d’un mécanisme de coordination entre les États membres et la Commission pour le suivi de l’approvisionnement des semi-conducteurs et la réaction en cas de crise à des pénuries de semi-conducteurs ».
Et voilà l’entreprise commune « Semi-conducteurs »
Le second texte concerne la proposition d’une entreprise commune « Semi-conducteurs ». L’objectif général est de « soutenir le renforcement des capacités à grande échelle par des investissements dans des infrastructures de recherche, de développement et d’innovation à l’échelle de l’UE et ouvertement accessibles ». Elle doit aussi mettre en commun des ressources au sein de l’Union européenne.
Quatre objectifs spécifiques sont également mis en avant :
- « le renforcement des capacités de conception à grande échelle pour les technologies intégrées des semi-conducteurs […]
- l’amélioration des lignes pilotes existantes et le développement de nouvelles lignes pilotes […]
- le développement de technologies avancées et de capacités d’ingénierie pour accélérer le développement de puces quantiques […]
- la création d’un réseau de centres de compétences dans toute l’Europe ».
Budget de 3,3 milliards d’euros, négociations avec le Conseil en vue
Le budget de l’Union européenne pour ce projet est de 3,3 milliards d’euros, provenant à parts égales des programmes Horizon Europe et Europe numérique. « Sur ce montant total, 2,875 milliards d’euros de ce soutien seront mis en œuvre par l’intermédiaire de l’entreprise commune "Semi-conducteurs", 125 millions d’euros par l’intermédiaire d’InvestEU et 300 millions d’euros par l’intermédiaire du Conseil européen de l’innovation (CEI) », précise le Parlement.
Eva Maydell, rapporteure sur l’entreprise commune « Semi-conducteurs » revient sur la question du budget, face aux dizaines de milliards annoncées outre-Atlantique : « Nous n’avons peut-être pas l’énorme puissance financière des États-Unis, mais le budget proposé par la Commission et le Conseil doit refléter l’importance du défi ».
Le Parlement indique qu’il est désormais « prêt à entamer les négociations avec le Conseil sur ces deux dossiers ». Le petit train législatif continue, mais on ne sait pas quand arrivera le prochain arrêt et encore moins le terminus.
L’Europe avance (doucement) « pour surmonter la pénurie de semi-conducteurs »
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Une pénurie, des causes multiples
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Les semi-conducteurs sont partout
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Les ambitions de la Commission
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Le Parlement européen approuve le « règlement sur les semi-conducteurs »…
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Et voilà l’entreprise commune « Semi-conducteurs »
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Budget de 3,3 milliards d’euros, négociations avec le Conseil en vue
Commentaires (22)
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Abonnez-vousLe 20/02/2023 à 10h29
” En effet, des événements géopolitiques, même lointains, peuvent avoir des conséquences tangibles à nos portes.” :
illustration concrète de L’Effet papillon
Le 20/02/2023 à 13h12
oui, mais aussi le coté obscur du “libre” échange…
y’a une dizaine d’années (ou une quinzaine, le temps passe vite) des inondations en Asie avaient mis en péril l’industrie du disque dur, à l’époque les tarifs avaient quasi fait x2 à cause de la pénurie, on nous disait qu’il faudrait 3 ans pour retrouver le même niveau de production. Je pense qu’il a été atteint. Mais les prix ne sont jamais redescendus.
Et c’est pareil pour de nombreux produits hightech : une fois qu’un événement a justifié une hausse de prix lié à une pénurie passagère, ça ne redescend quasiment jamais après…
Il faut s’attendre à payer les puces chères désormais. Fini les raspi à 15~20 balles.
Le 20/02/2023 à 14h16
Ha oui les inondations en Thaïlande de 2011. Ça m’avait frappé d’ailleurs. Quelques mois avant j’avais acheté un HDD de 3TB (2011 donc) pour 75€. J’avais par curiosité regardé le prix 3 ans et 6 ans après…Et bien après 6 ans, il était juste redescendu sous la barre des 80€.
La honte !
Le 20/02/2023 à 14h24
Ha oui les inondations en Thaïlande de 2011. Ça m’avait frappé d’ailleurs. Quelques mois avant j’avais acheté un HDD de 3TB (2011 donc) pour 75€. J’avais par curiosité regardé le prix 3 ans et 6 ans après…Et bien après 6 ans, il était juste redescendu sous la barre des 80€.
La honte
Le 20/02/2023 à 12h23
J’ai peur que tout cet argent finisse en fumée sans résultat concret, et le contribuable payera les pots cassés comme à son habitude. 45 milliard cela parait beaucoup d’argent mais ce n’est rien à coté de ce qu’investissent les géants du secteur implantés depuis des décennies. Il fallait réagir il y a 30 ans. Maintenant j’ai bien peur que même avec la meilleurs volonté, il soit compliqué de développer quoi que ce soit de concurrentiel avec si peu de moyens.
Le 20/02/2023 à 12h50
Tout dépend aussi de sur quoi ils veulent tabler exactement.
Si ce sont sur les puces <20nm, en effet c’est un peu tard, surtout vu le coût de construction des fabs. Mais toutes les puces n’ont pas besoin d’une finesse de gravure pareille, loin de là. L’énorme majorité se contente de plusieurs dizaines de nm sans aucun problème, et là le coût est largement divisé.
Le 20/02/2023 à 13h03
Je pense aussi qu’on ne vise pas la finesse de gravure ultime, qui est surtout requise pour les applications grand public (mobilité et informatique personelle).
C’est probablement un des plus gros marchés en volume et montants, mais c’est pas ce qui iNpacte le plus les industriels européens. Les industries automobile, aéronautique, défense ont des contraintes qui pèsent plus que la performance pure.
Le 20/02/2023 à 13h16
C’est clairement de cela qu’il s’agit car dans les 160 puces annoncées contenues dans un téléphone, il y en a peut-être 10 qui font appel à des finesses importantes.
La partie RF, mems (l’accéléromètre 3D), et la plus part des composants discrets sont avancés pour d’autres raisons comme par exemple les techniques d’épitaxie et jonctions hétérogènes.
Le 20/02/2023 à 13h49
Effectivement le budget de ce plan d’investissement devrait être annuel et on aurait une petite chance de rattraper Intel, Samsung, TSMC, etc.
Il faudrait aussi se forcer à faire des commandes fermes sur du made in Europe pour donner de la visibilité aux industriels, la production de semi-conducteurs c’est rentable au bout d’une décennie
Le 21/02/2023 à 17h09
Bah, comme pour le reste, quelques bonnes volontés au départ, et dès qu’il faut sortir le chéquier y’a plus personne ou presque. C’eest pas une vision commune qui avance mais une vision nombriliste de chaque Etat.
Genre :
Ariane groupe ?
Galileo ?
EPI ? (pour les paiements)
SCAF ?
Airbus ?
…
C’est du prévisible quand tu regarde une majorité de gros projets, au mieux ça se prends 10 ans dans la vue, facile, au pire, ça capote.
Pas beaucoup mieux, Allemagne, Italie dans une moindre mesure
Ah oui, y’a eux aussi … et les ESN qui vont vendre des procédés, etc …
Le 20/02/2023 à 14h28
Il faut voir à long terme… Il y a une grosse part de subventions, si on pousse les entreprises d’UE, elles vont grandir, augmenter leur CA, pouvoir investir de façon plus importante, se diversifier. Et attirer d’autres acteurs à s’implanter. Il faudra de nombreuses années, c’est clair… mais l’UE n’est pas un état, elle ne peut pas mettre 200 Milliards sur la table aussi facilement que les US (d’ailleurs elle n’a même pas 200 Milliards de budget annuel il me semble ?).
Ca va dans le bon sens, il faut récupérer les compétences et y aller étape par étape, c’est un secteur clé. Je pense que c’est un vaste sujet bien complexe ! On est clairement en retard, on peut aussi penser que ca va capoter, qu’on va dilapider l’argent, mais si on pense cela, il faut vite arrêter tous les projets.
Le 20/02/2023 à 14h51
Pouvoir produire c’est bien (usines tout ça), mais si on n’a pas les matières premières pour produire, ça ne vas pas changer grand chose…
Le 20/02/2023 à 15h29
Si ca fait une différence… C’est une dépendance de moins et la possibilité de choisir tes fournisseurs. Donc potentiellement, de nouveau fournisseurs peuvent émerger aussi.
Je ne connais pas les matières premières nécessaires, mais si tu prends le silicium comme exemple, tu peux te fournir en Norvège, ou favoriser des pays plus proches.
Le 20/02/2023 à 16h32
Même sans ça, quand on voit l’unification européenne sur les nouvelles technologies (aviation etc) tu te dis que ça ne règle finalement pas totalement le problème… (Coucou l’Allemagne… )
Le 21/02/2023 à 07h37
Oui, mais le but n’est pas de supprimer la dépendance, il faudrait des dizaines d’années, c’est de la réduire au maximum.
Le 20/02/2023 à 18h45
Hum si le budget ne part pas en rapports et études Bullshit. Car une telle manne va surement attirer pas mal de cabinets de conseil en tout genre. (surement, nouvellement spécialiste de la question)
Le 21/02/2023 à 00h36
Il faudrait surtout avoir des fonds d’investissement Européen capable de protéger les capitaux des quelques sociétés Européenne du domaine qui ne sont pas passées sous capital étranger.
Le 21/02/2023 à 08h34
ce qui serait pas mal aussi ce serait d’investir dans la R&D de procédés de recyclage…Et avant tout dans la durabilité et la sobriété.
Car comme l’a fait remarquer @Burn2 ci-dessus, les matières premières ne se trouvent pas sous le pas d’un cheval, et le problème des terres rares, c’est que les coûts économiques, énergétiques et écologiquesd’extraction et de purification sont énormes.
Le 21/02/2023 à 09h31
je crois entendre la douce musique pour les entreprise devant créer des capacité de production de l’énergie. Qui au final se sont accaparer de 18M€ au détriment d’EDF.
dans ton cas ce sera au détriment de l’Europe/contribuable, si une entreprise gagne plus en subvention qu’en vendant des produit devinons ce qui va se passer ?
Le 21/02/2023 à 13h54
Que font elles donc toutes ces usines européennes que j’ai connues ! Allemagne, Angleterre, Espagne, France, Hollande, Irlande, Italie, Suède ?
Pendant trente années j’ai travaillé avec elle. Pourquoi on ne parle pas d’elles, de leurs recherches, leurs productions ?
Le 21/02/2023 à 18h42
regarde ce qui c’est passé pour les panneau solaire, en Europe 40% plus chère qu’en chine tout a disparu de ce coté en Europe au profit de la chine, pourtant c’était de bon produit. Les éoliennes aussi, coup de bol comme c’est gros tu dois les assembler sur place.
les composés pharmaceutique 0 produit en Europe, les usines qui fonctionnait correctement ont toutes été fermé (dont le fameux paracétamol)
cela ne c’est pas fait en 5 minutes, il a fallu environ 20 ans pour que tous disparaisse un peu comme le nucléaire , et personnellement je pense que cela a commencé dans les années 1980.
Le 27/02/2023 à 08h41
Bonjour, je voulais juste signaler que la pénurie se termine pour toutes les industries qui en ont souffert. Pour les CPUs, cela va faire bientôt un an qu’il y a surproduction.
Cependant, soutenir financièrement ce secteur pour produire les puces dont nous avons besoin me semble une bonne stratégie. Reste à former les experts de ce marché qui se montre très complexe à maitriser de bout en bout.
Il faudra aussi ne pas oublier les fonctions avales de la production au risque de se retrouver avec des puces fabriquées en Europe mais packagées et assemblées en Asie.