La proposition de loi sur les consultations en ligne de citoyens privée d’examen à l’Assemblée
Et là, c'est le drame
Le 03 février 2017 à 15h30
8 min
Droit
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Cette fois-ci, c’est sur : la proposition de loi visant à généraliser les consultations en ligne de citoyens ne sera pas examinée par le Parlement avant la fin de la législature. Le député Patrice Martin-Lalande réfléchit néanmoins à un autre texte, afin de multiplier les expérimentations durant le prochain quinquennat.
En dépit de nombreuses tractations, que ce soit à Matignon, à l’Élysée, à Bercy ou auprès de la présidence de l’Assemblée nationale, Patrice Martin-Lalande (LR) et Luc Belot (PS) n’ont pas réussi à faire inscrire leur proposition de loi organique à l’ordre du jour du Parlement. La conférence des présidents du 31 janvier a ainsi entériné les textes qui seraient débattus d’ici la fin de la législature, sans que celui-ci n’y figure.
Rappelons-en l’idée : organiser une consultation en ligne de citoyens avant l’examen – en commission comme en séance publique – de chaque texte de loi, quelle que soit l’assemblée saisie. Seules les déclarations de guerre et les projets de lois relatifs à l’état d’urgence auraient été dispensés de passer par une telle étape. En fin de discussion, le rapporteur aurait eu pour mission d'apporter des réponses aux « principales contributions », afin que l’exercice ne soit pas trop à « sens unique ».
Un agenda politique délicat et un texte probablement trop ambitieux
Mais comment expliquer que les deux parlementaires n’aient pas réussi à trouver une solution, eux qui envisageaient soit une inscription dans les « niches » groupe majoritaire (ou des radicaux), voire directement sur initiative de l’exécutif, soit un examen au Sénat via le dépôt d’un texte identique ? « L'agenda est hyper serré », répond Luc Belot, contacté par nos soins. « On est dans un agenda de pré-campagne présidentielle, avec les primaires qui viennent tout juste de s'achever, etc. Il y avait les impératifs du groupe [PS, ndlr], les impératifs du gouvernement, tous les ministres faisant des pieds et des mains pour utiliser toutes les niches pour des dernières lectures... »
Le rapporteur de la loi Numérique nous avait également confié que ses relations avec Bernard Cazeneuve, devenu Premier ministre en décembre dernier, étaient loin d’être au beau fixe, surtout depuis l’épisode du fichier TES. Au sein même de la majorité, cette réforme était surtout loin de faire l’unanimité. Dominique Raimbourg, le président de la commission des lois de l’Assemblée nationale, a ainsi fait valoir à plusieurs reprises qu’il n’était pas favorable à une généralisation des consultations en ligne de citoyens, estimant qu’il faudrait commencer par poursuivre les expérimentations (voir notre article).
Les deux élus ont commencé à éplucher les contributions citoyennes
Afin de donner davantage d’élan à leur proposition de loi, Patrice Martin-Lalande et Luc Belot avaient décidé fin novembre d’organiser une consultation en ligne sur leur texte. Mardi 31 janvier, les deux élus ont procédé à une restitution de cette initiative lors d’une table-ronde.
Si la plupart des internautes se sont montrés séduits par le principe de la généralisation, beaucoup ont émis des réserves quant aux modalités de mise en œuvre d’une telle réforme. Pour certains participants, il ne devrait par exemple pas y avoir d’exception : les déclarations de guerre ou les projets de loi relatifs à l’état d’urgence ont selon eux vocation à être soumis à consultation, comme les autres textes, même dans des délais plus resserrés.
Le fait qu’une consultation soit organisée à chaque étape de la procédure parlementaire (en commission, en séance publique, à l’Assemblée puis au Sénat...) a d’autre part fait l’objet d’une certaine désapprobation. « Les arguments des uns et des autres restent valables que la loi soit en discussion à l'Assemblée ou au Sénat », faisait, toujours à titre d’illustration, valoir un internaute.
Patrice Martin-Lalande ne semble toutefois pas prêt à remettre les grandes lignes de son projet sur le métier. « Il est nécessaire de faire une consultation à l'Assemblée et au Sénat, insiste-t-il. On verra comment trouver les moyens d'éviter les doublons, mais par définition, le texte qui sort de l'Assemblée en première lecture est rarement identique à celui voté en commission. Il est forcément modifié ! Donc quand un texte arrive au Sénat, l'idée qu'il puisse faire l'objet d'une consultation semble aussi s'imposer, puisque ce ne sera pas le même texte. »
Pas question de rouvrir le débat sur les logiciels libres
Autre idée ayant émergé durant ces débats en ligne : imposer l’utilisation de plateformes de consultation reposant sur du logiciel libre, afin que chacun puisse auditer librement leur code source. « C'est une décision qui peut avoir son importance, je ne le nie pas, mais ça ne relève pas du niveau législatif », évacue Patrice Martin-Lalande, joint par Next INpact.
Luc Belot va plus loin : « Ça n'a jamais été ma posture que d'obliger ou d'interdire ». « À partir du moment où une entreprise, une association... propose une solution et qu'elle est mise à la disposition de tous, ceux à qui ça ne convient pas et qui auraient voulu un autre format peuvent le faire ailleurs. Mais ça, c'est le jeu du marché. Demain, il y aura certainement des plateformes qui seront totalement open source, et qui permettront toutes les vérifications, et après, chacun choisira. »
Ces postures pourraient susciter beaucoup de déception de la part d’association telles que Regards Citoyens ou l’April (Association de promotion du logiciel libre), qui expliquaient il y a peu qu’il était « essentiel » que les principes démocratiques traditionnels s’appliquent également pour les outils numériques : « Dépouillement collaboratif des votes, journaux officiels, délibérations publiques… Depuis ses balbutiements et jusqu’aujourd’hui, la démocratie a dû s’équiper d’outils assurant un minimum de transparence et d’égalité d’accès à la vie publique, afin de permettre un niveau de confiance suffisant pour les citoyens. » Leur crainte : qu’un prestataire détourne des votes, empêche volontairement l’expression de certaines opinions, etc.
Certaines contributions pourraient toutefois conduire Patrice Martin-Lalande à revoir son texte, par exemple au sujet de l'utilisation de pseudonymes.
Une nouvelle proposition de loi pour expérimenter avant de généraliser
En revanche, le député Les Républicains nous a confié qu’il allait faire un pas envers ceux qui prônent une poursuite des expérimentations : « Si ça peut permettre une meilleure appropriation de cette évolution par le Parlement, de regarder comment ça fonctionne sans être obligé de répondre tout de suite à beaucoup de consultations, etc. Pourquoi pas ? » L’élu envisage ainsi de déposer, « probablement dans les semaines qui viennent », une nouvelle proposition de loi organique prévoyant une période d’expérimentation, avant un basculement vers la généralisation totale.
« Les expérimentations permettront, quand on généralisera, d’en avoir tiré les enseignements pour avoir une procédure rodée et déjà soumise à l'épreuve des faits », soutient le parlementaire. En mettant un peu d’eau dans son vin, Patrice Martin-Lalande espère aussi arriver à « une adoption plus facile » de son texte. Ce ne sera cependant pas lui qui le défendra devant l’Assemblée nationale, puisqu’il ne se représentera pas.
Pour l’heure, le député ne s’est manifestement pas encore décidé sur les modalités exactes de mise en œuvre de ces expérimentations (choix des textes, nombre d’initiatives, durée de cette période transitoire, etc.). « L'avantage c'est qu'on aura fait le travail préparatoire (rédaction, consultation des experts juridiques...) et que le texte sera prêt à être débattu », se félicite-t-il néanmoins à quelques semaines de la fin de la législature.
Une réforme peu évoquée dans le cadre de la campagne présidentielle
Présidentielles oblige, faut-il s’attendre à ce que ce sujet s’invite dans la campagne? « Si François Fillon est candidat, je souhaite que ça figure dans ses propositions » nous répond Patrice Martin-Ladande. Il promet d’y veiller « notamment avec Nathalie Kosciusko-Morizet », qui avait porté une proposition similaire durant la primaire de la droite. À gauche, le hollandais Luc Belot, qui ne s'est pas engagé dans le cadre des primaires, s’en sort avec un timide « Je ne sais pas... » Benoît Hamon a bien fait quelques propositions sur ce terrain, contrairement au candidat Les Républicains, mais celles-ci restent pour l’heure assez floues.
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Commentaires (10)
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Abonnez-vousLe 03/02/2017 à 15h36
Pourtant c’est LE moment pour laisser une grosse bouse sur le fauteuil.
Le 03/02/2017 à 16h03
“Un agenda politique délicat et un texte probablement trop ambitieux”
Voilà, tout est dit : nos politocard sont frileux, peureux… dès qu’il y a un gros chantier en vue, c’est trop compliqué pour eux, vite, ils se cachent !!! " />
Le 03/02/2017 à 16h08
. Dominique Raimbourg, le président de la commission des lois de
l’Assemblée nationale, a ainsi fait valoir à plusieurs reprises qu’il
n’était pas favorable à une généralisation des consultations en ligne
de citoyens….
et on pourrait savoir POURQUOI ?
et, pas “réponse bateau” (svp) histoire de noyer le poisson* –> langue de bois ! " />
* l’internaute
Le 03/02/2017 à 18h15
En même temps c’était mieux d’arrêter l’hypocrisie maintenant. Les commissions consultatives ne servent pas à grand-chose, les décisions sont déjà prises avant. C’est ce qu’avait constaté notamment la Quadrature du Net je crois dans le domaine du numérique. Et je suis d’accord avec eux, il faut passer par la case justice et/ou médias pour avoir une vraie influence.
Le 03/02/2017 à 22h53
autant le constat qu’elles ne sont pas suivies est clair, autant je ne suis pas d’accord sur le fait qu’elles ne servent à rien.
Elles servent justement à mettre en place une autre démocratie, et à montrer le refus de démocratie de tous ceux qui se disent être leur défenseur et donne des leçon de moral à tire larigot.
Si lors d’une loi, la consultation citoyenne dit un truc, et qu’ils votent un autre, ils ne peuvent pas prétexter “représenter le peuple” (leur taff), et fatalement la légitimité de la loi sera remise en question.
Pour une loi, cela n’a pas que peu d’impact. Si ils le font pour toutes les lois, ça va finir par se voir un poil quand même, et sera surtout l’occasion de quelques “rappels” lorsqu’ils voudront voter une loi scélérate X ou Y en se donnant des grandes vertues.
Un peu comme un ancien premier ministre qui se pronait défenseur de la démocratie lorsqu’il essayait de museler ses opposants à coups d’interdiction de manifester, d’assignation à résidence, et de 49-3 (toute ressemblance avec des faits réels n’est que purement fortuite …)
Le 04/02/2017 à 11h20
Cet article publié ici en donne les raisons - peut-être pas toutes.
Perso, je le rejoins assez.
Le 06/02/2017 à 14h52
Désole je viens de découvrir votre commentaire.
Pour avoir travaillé dans un organisme public qui organise des consultations publiques, je peux vous dire que les participants associatifs à ces consultations sont triés… Lors des enquêtes publiques, les salariés et agents sont envoyés pour inscrire des mentions favorables aux projets dans les registres…
Le 06/02/2017 à 15h22
J’ai suivi une partie des débats sur LCP, c’est pas reluisant.
“Le vent tourne, je ne sais pas si on aura le choix.”
“Comment on pourrait faire pour que ça se passe le moins mal possible ?”
Je force le trait, mais c’est ce que j’ai perçu.
Le 06/02/2017 à 15h39
Rien ne bouge tant qu’ils n’ont pas peur, les grandes avancées sociales sont toujours obtenues suite à de coups de forces, ce n’est pas nouveau.
En ce moment, ils essaient de nous faire oublier cela par différentes tactiques:
- En criminalisant les chemises arrachées (violence inacceptable, terrorisme, comparution immédiate)
- En promouvant à toute force un “dialogue social” trompeur car il sous-entend que la négociation se fait d’égal à égal.
Le 07/02/2017 à 10h54