Pas de droit à l’oubli dans le registre du commerce, la brèche du droit d’opposition
Quand un entrepreneur en BTP se prend une pelle
Le 10 mars 2017 à 09h50
4 min
Droit
Droit
L’administrateur d’une société mise en faillite peut-il exiger l’effacement ou du moins faire restreindre la publicité de ce passé peu glorieux au titre du droit à l’oubli ? La justice européenne a répondu par la négative, non sans ouvrir une petite brèche.
L’administrateur de l’Italiana Costruzioni Srl, une société de construction de bâtiments, avait été victorieux d’un marché pour un complexe touristique. Cependant, les biens ne se sont pas vendus. Selon Salvatore Manni, la cause tient au « registre des sociétés » national, équivalent de notre registre du commerce et des sociétés (RCS), qui mentionne une bruyante casserole : la mise en faillite en 1992 d’une société liquidée en 2005 dont il avait été administrateur.
Les juridictions italiennes ont adressé une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne : est-ce que le droit à l’effacement (« droit à l’oubli »), déjà reconnu dans les moteurs de recherche, s’impose aussi aux mesures de publicités organisées par le RCS ?
Deux textes s’affrontent ici. L’article 3 de la directive 68/151/CEE qui contraint les États membres à prévoir un registre des sociétés, accessibles à tous. La directive de 1995 relative à « la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel », qui impose que les données personnelles ne doivent pas être conservées pendant une durée excessive.
La publicité du RCS, une garantie pour les tiers
Comment marier l’inconciliable ? Faut-il par exemple imposer un effacement, une anonymisation ou un verrouillage des données personnelles au bout d’un certain laps de temps ? Dans son arrêt rendu hier, la justice européenne va rappeler les tenants de l’obligation de publicité du RCS : « protéger notamment les intérêts des tiers par rapport aux sociétés par actions et aux sociétés à responsabilité limitée, dès lors qu’elles n’offrent comme garantie à l’égard des tiers que leur patrimoine social ».
Cette publicité répond à une obligation de sécurité juridique, évidemment accrue depuis l’avènement du marché intérieur. De plus, il est impossible de prévoir un délai unique à l’expiration duquel l’inscription dans le registre et cette publicité ne seraient plus nécessaires. Les situations sont en effet beaucoup trop hétérogènes, déjà au regard des délais de prescription prévus par chaque législation.
La brèche du droit d’opposition
La CJUE refuse donc de reconnaître un droit à l’effacement sur le registre du commerce en Europe. Toutefois, elle a ouvert une (petite) brèche issue de la directive 95/46. Son article 14 prévoit en effet un droit d’opposition au traitement des données personnelles dès lors qu’existent « des raisons prépondérantes et légitimes tenant à [la] situation particulière » de la personne concernée.
De ces quelques lignes, elle déduit que les différentes autorités chargées des registres doivent opérer une appréciation au cas par cas, pour savoir s’il est « exceptionnellement justifié », « pour des raisons prépondérantes et légitimes tenant à leur situation particulière », de limiter l’accès aux données des personnes inscrites aux seuls tiers « justifiant d’un intérêt spécifique à la consultation de ces données ».
En résumé, pas de droit à l’oubli dans le RCS, mais possibilité de limiter la publicité de ce registre pour des raisons exceptionnelles, selon une appréciation au cas par cas encadrées par une myriade de conditions serrées.
Autant dire que dans ce trou de souris, va s’engouffrer un lourd contentieux dans les États membres. L’entrepreneur ne doit pas pour autant s’en frotter les mains : la CJUE a déjà considéré que la raison évoquée – le lien entre mauvaises ventes et mise en faillite – « ne saurait suffire » à constituer une raison « prépondérante » : les acheteurs potentiels ont l’intérêt légitime de disposer des informations que cet entrepreneur souhaitait calfeutrer.
Pas de droit à l’oubli dans le registre du commerce, la brèche du droit d’opposition
-
La publicité du RCS, une garantie pour les tiers
-
La brèche du droit d’opposition
Commentaires (12)
Vous devez être abonné pour pouvoir commenter.
Déjà abonné ? Se connecter
Abonnez-vousLe 10/03/2017 à 13h58
Merci Marc, pour ce commentaire d’arrêt -).
Si j’ai bien compris l’arrêt, l’apport essentiel de ce dernier est de qualifier les Registres légaux du type
RCS, de “traitement de données à caractère personnel” (Cf. point 35 de l’arrêt). En France, la liste des données personnelles traitées lors de l’immatriculation d’une personne morale est contenue au sein des articles R123-54et- 55 du code de commerce, et pour les commerçants personnes physiques, il convient de se reporter aux articlesR123-37 à -39 du même code.
De plus, le GIE des greffes des Tribunaux de commerce (infogreffe) est co-responsable du traitement
avec le l’INPI, qui assure la centralisation au niveau national (RNCS). Il en va de même pour les données recueillies lors de l’attribution du numéro SIRET par INSEE.
Mais, le point 56 de cet arrêt considère que “ les États membres ne sauraient[…] garantir aux personnes physiques [dont les données personnelles figurent au sein du RCS] le droit d’obtenir par principe après un certain délai à compter de la dissolution de la société concernée l’effacement des données à caractère personnel les concernant”.
Et, au point suivant, on peut lire que “cette interprétation […] n’aboutit pas, par ailleurs, à une ingérence disproportionnée dans les droits fondamentaux des personnes concernées, et notamment leur droit au respect de la vie privée ainsi que leur droit à la protection des données à caractère personnel, garantis par les articles 7 et 8 de la Charte [des droits fondamentaux de l’Union européenne]”.
La parfaite information de l’ensemble des tiers (et pas seulement des créanciers) et les principes de loyauté et de liberté du commerce dans un contexte d’unification du marché intérieur fonde cette
solution, au détriment de la protection de la vie privée. En effet, la Cour relève que les personnes qui exercent un mandat social au sein d’une société commerciale “ sont conscientes de cette obligation [de divulguer leur identité et leur fonction auprès des tiers] au moment où elles décident de s’engager dans une telle activité (économique)” (Cf. point 59).
Enfin, comme le souligne Marc, la Cour conclue au point 60 qu”‘il ne saurait toutefois être exclu que puissent exister des situations particulières [justifiant qu’] exceptionnellement l’accès […] soit limité, à l’expiration d’un délai suffisamment long après la dissolution de la société en question, aux tiers justifiants d’un intérêt spécifique à leur consultation”.
Aussi, non seulement l’effacement n’est pas envisagé, mais, qui plus plus, il faut un “délai suffisamment long après la dissolution” pour que l’accès soit seulement restreint aux seuls créanciers.
En matière de liquidation judiciaire, l’article L643-13 du code de commerce permet à tout créancier intéressé de demander devant le tribunal de commerce la réouverture de la procédure après le
jugement de clôture de la procédure en cas insuffisance d’actif.
Pour déterminer “ce délai suffisamment long”, il peut être envisageable de se fonder sur le délai de prescription civile extinctive de droit commun de 5 ans, à compter du jugement de clôture, prorogé de 5 ans en cas de réouverture. Aussi, après un délai de 5 à 10 après la clôture des opérations de Liquidation (ces dernières pouvant être très longues), l’accès aux données personnelles sera restreint aux seuls créanciers parties à la procédure
antérieure.
Le 11/03/2017 à 21h54
Futurs Entrepreneurs, sachez que la pire faute existante dans notre société est d’avoir voulu monter votre entreprise. A partir de ce moment, vous êtes coupables de tous les maux et aucune forme de pardon ne pourra vous être accordé.
On considère qu’un braqueur ou un meurtrier à le droit à l’oubli… mais pas un entrepreneur.
Vous voulez d’autres exemples ?
Si en tant que particulier vous avez contracté des crédits pour les dilapider en “biens” inutiles dans le premier magasin venu, vous n’aurez qu’a recourir à une procédure de surendettement… et l’on vous pardonnera.
Mais si vous avez contracté des dettes pour payer le salaire de vos employés pendant une période creuse, c’est totalement impardonnable et vous n’aurez droit à aucune pitié quand bien même vous tomberiez vous même par la suite dans la misère la plus noire.
Deux poids deux mesures…
Le 11/03/2017 à 22h46
On constate rapidement, dès qu’on voyage un peu, la différence de mentalité entre les pays qui cultivent l’esprit entrepreneurial qui célèbre la réussite et respecte ceux qui ont connus l’échec qui va nécessairement avec toute entreprise (au sens premier du terme), et les pays qui cultivent et célèbrent les rentiers de la gloire (politocaille) ou à vie (fonctionnaires), et plus généralement le ramassis de tocards et d’incompétents qui noyautent tous les postes de pouvoir, pourrissent l’environnement économique et pensent faire œuvre d’utilité en stigmatisant ceux qui ont eu un jour le malheur de prendre des risques pour nourrir tous ces parasites et leur meute de soiffards décérébrés. On ne les pleurera pas quand ils se feront pendre.
Le 12/03/2017 à 18h44
Heureusement au contraire qu’on a des gardes fou en Europe et en France, la planète est déjà bien amochée par ces court-termistes de pseudo entrepreuneurs de tout poil.
Capitalisme de m….
Le 12/03/2017 à 20h22
Le 13/03/2017 à 07h55
Le 13/03/2017 à 10h00
Le 13/03/2017 à 10h03
Lorsqu’il se fera hospitaliser un jour pour quelque chose de sérieux et qu’il sera hospitalisé dans un hôpital public (car le privé ne faisant que du chiffre d’affaire, ils dégagent les patient sérieux) on verra s’il traite les infirmières ou les personnels soignants de parasites…
Le 13/03/2017 à 14h58
Le 13/03/2017 à 21h42
Le 14/03/2017 à 09h23
Le 15/03/2017 à 00h10