Au Conseil constitutionnel, le procès de la surveillance en temps réel

Au Conseil constitutionnel, le procès de la surveillance en temps réel

Données de correction

Avatar de l'auteur

Marc Rees

Publié dansDroit

25/07/2017
11
Au Conseil constitutionnel, le procès de la surveillance en temps réel

Le Conseil constitutionnel a organisé ce matin une audience importante relative aux pouvoirs des services du renseignement. Elle vise un article du Code de la sécurité intérieure qui autorise la collecte en temps réel des données de connexion d’une personne dans un objectif antiterroriste.

French Data Network, la Fédération des fournisseurs d’accès à Internet associatifs et la Quadrature du Net ont sollicité devant les Sages l’annulation de l’article L.851-2 du Code de la sécurité intérieure (CSI) tel que modifié l’an passé.

Intégré par la loi Renseignement de 2015, cet article autorisait initialement le recueil des données de connexion d’ « une personne préalablement identifiée comme présentant une menace » dans une optique de lutte contre le terrorisme.

Cette disposition est passée sans dommage entre les griffes du Conseil constitutionnel.  Dans sa décision du 23 juillet 2015, il a jugé qu’il n’y avait pas de conciliation manifestement déséquilibrée entre « d'une part, le respect de la vie privée des personnes et, d'autre part, la prévention des atteintes à l'ordre public et celle des infractions ». Seulement, après les attentats de Nice et la nouvelle prorogation de l’état d’urgence, le gouvernement a profité de la fenêtre de tir pour étendre considérablement le périmètre de cette surveillance.

Extension du périmètre de la surveillance

Depuis cette loi du 21 juillet 2016 relative à l'état d'urgence, mais portant aussi mesures de renforcement de la lutte antiterroriste, elle s’étend depuis à toutes les données d’une personne « préalablement identifiée susceptible d'être en lien avec une menace ». Mieux encore, les services peuvent aussi surveiller l’entourage du suspect, du moins s’ils ont de « raisons sérieuses de penser » que des personnes « sont susceptibles de fournir des informations » au titre de la lutte contre le terrorisme. Soit, à l'heure des réseaux sociaux, presque n'importe qui.

Ce matin, Me Patrice Spinosi, avocat des requérants, a joué au jeu des différences, pas seulement de fond. Il a comparé d’abord d’un côté, le long travail législatif de loi renseignement et de l’autre, cette disposition votée en deux jours, juste après l’attentat de Nice du 14 juillet, sans l’ombre d’une étude d’impact. « Il y a eu une précipitation dans l’élargissement de ce texte » a regretté le juriste, pour dénoncer une surenchère sécuritaire : « à partir du moment où un coin est enfoncé dans la matière des libertés, le législateur ne peut que l’étendre et l’exceptionnel devient alors l’ordinaire puis le banal ».

Du flou de l'entourage 

Sur le fond, le rajout de l’entourage dans le périmètre de la surveillance est la goutte de trop. « Cette notion est particulièrement floue, il n’en existe évidemment aucune définition ». Est-ce une personne vue régulièrement, une fois par mois, par semaine voire une fois dans sa vie ? « Les potentialités d’extension sont considérables ! ».

Autre différence entre le texte de 2015 et sa modification en 2016 : la durée de la mesure. De deux mois renouvelables, pour passer à quatre mois renouvelables. Or, lorsque le Conseil constitutionnel a considéré que la disposition querellée n’était pas disproportionnée, il a relevé que le recueil était ciblé :

  1.  « Pour les besoins de la prévention du terrorisme »,
  2.  « Pour une durée de deux mois renouvelables »,
  3.  « Uniquement à l'égard d'une personne préalablement identifiée comme présentant une menace »
  4.  « Sans le recours à la procédure d'urgence absolue »

« Sur les quatre critères édictés, deux ont été abandonnés » remarque Patrice Spinosi : le délai a été doublé et l’entourage peut être visé même s’il ne présente pas de menace. Sur sa lancée, il a exhorté le Conseil constitutionnel à protéger efficacement les données de connexion. « C’est une carte signalétique, numérique d’une personne ».

Il a évidemment cité l’arrêt Digital Rights de la Cour de justice de l’Union européenne qui range dans cette catégorie « notamment, les données nécessaires pour retrouver et identifier la source d’une communication et la destination de celle-ci, pour déterminer la date, l’heure, la durée et le type d’une communication, le matériel de communication des utilisateurs, ainsi que pour localiser le matériel de communication mobile, données au nombre desquelles figurent, notamment, le nom et l’adresse de l’abonné ou de l’utilisateur inscrit, le numéro de téléphone de l’appelant et le numéro appelé ainsi qu’une adresse IP pour les services Internet ».

Il y a ainsi « un enjeu contemporain à un contrôle très strict de ces données » a insisté l’avocat de LQDN, FDN et FFDN avant de réclamer une censure immédiate de cette disposition, laquelle devrait alors refaire vivre celle en vigueur antérieurement.

code de la sécurité intérieure temps réelcode de la sécurité intérieure temps réel

Le texte de 2015 face au texte de 2016

L’exécutif défend l’extension de la surveillance en temps réel

L’argumentaire du représentant du Premier ministre s’est attaché au contraire à relever que l’accès en temps réel aux données de connexion est certes plus attentatoire à la vie privée que l’accès en temps différé, mais il reste moins attentatoire que l’interception de sécurité (IS), soit les écoutes. « L’accès en temps réel ne serait être jugé aussi intrusif » a-t-il soutenu, aux antipodes de la CJUE qui considère que l’atteinte à la vie privée n’est pas moindre, mais différente.

Surtout, sur une corde d’équilibriste, il a relevé que les garanties aujourd’hui n’étaient pas aussi maigres qu’on voudrait bien le dire. Déjà, les quatre critères dégagés par le Conseil constitutionnel ne peuvent être considérés comme intangibles.

En outre, le recueil des données de connexion ne met en cause que le droit au respect de la vie privée, non celui du secret des correspondances privées. Certes, l’autorisation est passée de 2 à 4 mois, mais c’est le droit commun en la matière et le Conseil a justement validé cette durée s’agissant des interceptions (article 852-1 CSI).

De même, les Sages ont validé la logique de l’entourage pour les écoutes réalisées par les services du renseignement (« Lorsqu'il existe des raisons sérieuses de croire qu'une ou plusieurs personnes appartenant à l'entourage d'une personne concernée par l'autorisation sont susceptibles de fournir des informations au titre de la finalité qui motive l'autorisation, celle-ci peut être également accordée pour ces personnes »). Pourquoi en serait-il différent pour le recueil des données de connexion ?

Certes encore, les interceptions sont contingentées chaque année, leur nombre maximal étant arrêté par le Premier ministre, après avis de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement. Mais c’est oublier que les IS sont ouvertes à l’ensemble des finalités de la loi renseignement, alors que la disposition ici en cause est calibrée pour la lutte contre le terrorisme.

Bref, chaque partie a argumenté sur les plateaux de la balance, les uns pour dénoncer un déséquilibre patent, les autres pour justifier une mesure parfaitement dans les clous des textes constitutionnels. La décision sera rendue le 4 août à partir de 10 heures. 

11
Avatar de l'auteur

Écrit par Marc Rees

Tiens, en parlant de ça :

Logo de StreetPress

Pourquoi le site du média StreetPress a été momentanément inaccessible

Incitation à la LCEN

16:41 Droit 0
Amazon re:Invent

re:Invent 2023 : Amazon lance son assistant Q et plusieurs services IA, dont la génération d’images

Site de Q

14:17 IA 10
Un œil symbolisant l'Union européenne, et les dissensions et problèmes afférents

Le Conseil de l’UE tire un bilan du RGPD, les États membres réclament des « outils pratiques »

09:34 Droit 2

Sommaire de l'article

Introduction

Extension du périmètre de la surveillance

Du flou de l'entourage 

L’exécutif défend l’extension de la surveillance en temps réel

Logo de StreetPress

Pourquoi le site du média StreetPress a été momentanément inaccessible

Droit 0
Amazon re:Invent

re:Invent 2023 : Amazon lance son assistant Q et plusieurs services IA, dont la génération d’images

IA 10
Un œil symbolisant l'Union européenne, et les dissensions et problèmes afférents

Le Conseil de l’UE tire un bilan du RGPD, les États membres réclament des « outils pratiques »

Droit 2

19 associations européennes de consommateurs portent plainte contre Meta

DroitSocials 9

#LeBrief : Ariane 6 l’été prochain, Nextcloud rachète Roundcube, désinformation via la pub

Chiffre et formules mathématiques sur un tableau

CVSS 4.0 : dur, dur, d’être un expert !

Sécu 6
Une tête de fusée siglée Starlink.

Starlink accessible à Gaza sous contrôle de l’administration israélienne

Web 28
Fibre optique

G-PON, XGS-PON et 50G-PON : jusqu’à 50 Gb/s en fibre optique

HardWeb 35
Photo d'un immeuble troué de part en part

Règlement sur la cyber-résilience : les instances européennes en passe de conclure un accord

DroitSécu 8
lexique IA parodie

AGI, GPAI, modèles de fondation… de quoi on parle ?

IA 7

#LeBrief : logiciels libres scientifiques, fermeture de compte Google, « fabriquer » des femmes pour l’inclusion

livre dématérialisé

Des chercheurs ont élaboré une technique d’extraction des données d’entrainement de ChatGPT

IAScience 3
Un chien avec des lunettes apprend sur une tablette

Devenir expert en sécurité informatique en 3 clics

Sécu 11
Logo ownCloud

ownCloud : faille béante dans les déploiements conteneurisés utilisant graphapi

Sécu 16
Le SoC Graviton4 d’Amazon AWS posé sur une table

Amazon re:invent : SoC Graviton4 (Arm), instance R8g et Trainium2 pour l’IA

Hard 9
Logo Comcybergend

Guéguerre des polices dans le cyber (OFAC et ComCyberMi)

Sécu 10

#LeBrief : faille 0-day dans Chrome, smartphones à Hong Kong, 25 ans de la Dreamcast

Mur d’OVHcloud à Roubaix, avec le logo OVHcloud

OVHcloud Summit 2023 : SecNumCloud, IA et Local Zones

HardWeb 2
algorithmes de la CAF

Transparence, discriminations : les questions soulevées par l’algorithme de la CAF

IASociété 62

Plainte contre l’alternative paiement ou publicité comportementale de Meta

DroitIA 37
Nuage (pour le cloud) avec de la foudre

Économie de la donnée et services de cloud : l’Arcep renforce ses troupes

DroitWeb 0
De vieux ciseaux posés sur une surface en bois

Plus de 60 % des demandes de suppression reçues par Google émanent de Russie

Société 5
Une vieille boussole posée sur un plan en bois

La Commission européenne et Google proposent deux bases de données de fact-checks

DroitWeb 3

#LeBrief : des fichiers Google Drive disparaissent, FreeBSD 14, caméras camouflées, OnePlus 12

Le poing Dev – round 6

Next 150

Produits dangereux sur le web : nouvelles obligations en vue pour les marketplaces

Droit 9
consommation de l'ia

Usages et frugalité : quelle place pour les IA dans la société de demain ?

IA 12

La NASA établit une liaison laser à 16 millions de km, les essais continuent

Science 17
Concept de CPU

Semi-conducteurs : un important accord entre l’Europe et l’Inde

Hard 7

#LeBrief : PS5 Slim en France, Valeo porte plainte contre NVIDIA, pertes publicitaires X/Twitter

Un mélange entre une réunion d’Anonymous et de tête d’ampoules, pour le meilleur et le pire

651e édition des LIDD : Liens Intelligents Du Dimanche

Web 30
Bannière de Flock avec des bomes sur un fond rouge

#Flock, le grand remplacement par les intelligences artificielles

Flock 34
Un Sébastien transformé en lapin par Flock pour imiter le Quoi de neuf Docteur des Looney Tunes

Quoi de neuf à la rédac’ #9 : LeBrief 2.0, ligne édito, dossiers de fond

Next 67
Nuage (pour le cloud) avec de la foudre

Cloud : Google demande au régulateur britannique d’enquêter sur Microsoft

Droit 13

Ariane 6 sur son pas de tir

Ariane 6 : premier décollage à l’été 2024

Science 7

La Grande Mosquée se détache devant les toits des maisons de Jérusalem.

Conflit Israël-Hamas : 349 marques financent la désinformation via la publicité programmatique

Web 4

Logo de Nextcloud

Nextcloud rachète la solution open-source de webmail Roundcube

ÉcoWeb 9

Logo de Steam

Steam va abandonner le support de macOS 10.13 et 10.14

Soft 6

Commentaires (11)


Ricard
Il y a 6 ans

J’ai mal au crâne après avoir lu l’article. <img data-src=" />


anonyme_803f20aa29b436e6de864421e61bf273
Il y a 6 ans

Capilotractée cette série là oui,

Un grand merci à LQDN, FDN, FFDN & NXI !!!

&nbsp;
&nbsp;

&nbsp;


Patch Abonné
Il y a 6 ans

En résumé : l’exécutif veut faire un Big Brother, le Conseil Constitutionnel essaie de les contrer avec les garde-fous.


dj0- Abonné
Il y a 6 ans

En effet la notion d’entourage est tellement floue!
De mémoire (vous me corrigerez si je me trompe), en 5 sauts on peut trouver un lien entre 2 humains pris au hasard.

Hâte de connaître la réponse des “sages”, mais je me fais peu d’illusions. Sur l’autel de la sécurité on sacrifiera jusqu’à nos dernières parcelles de liberté.
Je sais c’est du dit et re-dit… mais tant de gens l’ignorent ça me blase.
Merci qd même aux quelques courageuses assoc’

Exceptionnel, ordinaire, banal : ça me fait penser au doigt lubrifié qui précède le fist…
Hâte (et apeuré) d’un jour constater les dégâts, et de dire haha on vous l’avait bien dit


Vin Diesel Abonné
Il y a 6 ans

Boah, y’a rien de subtil là dedans&nbsp;&nbsp; …
Ce gouvernement tente de passer en force comme l’avait fait le précédent.&nbsp;&nbsp; <img data-src=" />
&nbsp;
Heureusement que maître Spinosi, FDN, FFDN et LQDN veillent au grain, ça me rassure parce que, perso, je me serais fait piéger comme un bleu bite sur ce coup.
&nbsp;<img data-src=" />
Et merci à NXI pour le développement !


MarcRees Abonné
Il y a 6 ans






Ricard a écrit :

J’ai mal au crâne après avoir lu l’article. <img data-src=" />


“si tu ne sais pas, demande” affirme un dicton local ;)



tifounon
Il y a 6 ans

6 degrés de séparations.

&nbsp;Je ne me fait guère d’illusions aussi, le CC n’ayant quasiment aucun pouvoir coercitif absolu.


vizir67 Abonné
Il y a 6 ans

t”es pas le seul !!!
“punaise”……………………


vizir67 Abonné
Il y a 6 ans

”…on vous l’avait bien dit” !

comme d’hab. , les gens se “réveilleront” une fois au pied-du-mur !!!


Ricard
Il y a 6 ans






MarcRees a écrit :

“si tu ne sais pas, demande” affirme un dicton local ;)


J’ai pas dit que j’avais pas compris, juste qu’il m’a fallu un effort de contorsion cérébral qui m’a foulé le cerveau. <img data-src=" />



MarcRees Abonné
Il y a 6 ans






Ricard a écrit :

J’ai pas dit que j’avais pas compris, juste qu’il m’a fallu un effort de contorsion cérébral qui m’a foulé le cerveau. <img data-src=" />


NXI&gt;YouPorn, s’tou.&nbsp;