Le ministre de l’Action et des comptes publics, Gérald Darmanin, a présenté mercredi son projet de loi « relatif à la lutte contre la fraude » (fiscale, sociale ou même douanière). L’exécutif mise notamment sur le croisement de données entre administrations et sur le « name and shame ».
Présenté par le gouvernement comme un « complément » au projet de loi sur le droit à l’erreur, ce nouveau texte entend « cibler et renforcer les sanctions à l’encontre des fraudeurs qui contreviennent délibérément aux principes fondamentaux d’égalité devant les charges publiques et de consentement à l’impôt ». Plusieurs de ses articles visent directement l'univers numérique.
Comme l’avaient annoncé le Premier ministre et le locataire de Bercy fin janvier, il s’agira avant tout de renforcer les moyens de détection et de caractérisation de la fraude, tel le « data mining », même si l’exécutif a finalement intégré des dispositions relatives aux revenus générés par les utilisateurs de plateforme de type Airbnb ou BlaBlaCar (voir nos explications) et au contrôle des logiciels de caisse.
Bercy ouvrira davantage ses données à l'URSSAF, l'inspection du travail...
Afin de faciliter le travail des contrôleurs et autres agents chargés du recouvrement, l’article 2 du projet de loi Darmanin permettra à davantage de fonctionnaires d’accéder aux informations contenues dans certains fichiers de la Direction générale des finances publiques (DGFiP).
L’inspection du travail, l’URSSAF et la caisse de la mutualité sociale agricole (MSA) pourront ainsi consulter les bases FICOBA (fichier national des comptes bancaires et assimilés), FICOVIE (fichier des contrats d’assurance vie), BNDP (base nationale des données patrimoniales) et PATRIM (traitement automatique pour estimer un bien). L’objectif : mieux débusquer les montages frauduleux, parfois transnationaux et commis en bande organisée.
Le Conseil d’État a toutefois mis en garde le gouvernement sur le fait qu’une telle réforme ne pouvait être « proportionnée » que « si les conditions, le champ et les modalités d’accès aux informations couvertes par le secret fiscal par les personnes ainsi désignées et habilitées, qui relèvent normalement du domaine réglementaire après consultation de la Commission nationale de l’informatique et des libertés » étaient « définies de manière à ce que cet accès soit strictement limité aux besoins des missions des agents compétents en matière de lutte contre le travail illégal ».
Certains agents de l’inspection du travail, officiers et agents de police judiciaire, seront d’autre part destinataires des informations contenues dans le répertoire national commun de la protection sociale (RNCPS).
Le texte « étend enfin le droit de communication entre les agents des douanes et les agents de la direction générale de la prévention des risques, actuellement limité à certaines de leurs missions », explique l’exécutif dans son exposé des motifs. Cette mesure vise plus particulièrement à renforcer la lutte contre les fraudes à la taxe générale sur les activités polluantes.
Du « name and shame » pour dissuader les fraudeurs
« Il faut, dans le cas d’un fraudeur ayant commis des infractions graves, que le peuple français sache qui cherche à s’exonérer des obligations fiscales légitimes, qui incombent à chacun » avait déclaré le Premier ministre, en janvier dernier. Dans cette optique de « name and shame », le projet de loi Darmanin contient ainsi deux dispositifs complémentaires.
L’article 6 vise tout d’abord à instaurer une nouvelle sanction administrative « consistant à rendre publics les rappels d’impôts et les sanctions administratives pécuniaires dont ils ont été assortis, une fois devenus définitifs ». Bercy pourrait ainsi publier sur le site Internet de la DGFiP, pour chaque fraudeur mis au « pilori numérique » :
- La nature et le montant des droits fraudés
- Les amendes et majorations appliquées
- La « dénomination » du contribuable (et éventuellement son activité et le lieu d’exercice pour les professionnels)
Il n’y aurait toutefois rien de systématique. La décision de publication serait prise par l'administration, après avis « conforme et motivé » d’une commission composée de six magistrats du Conseil d’État, de la Cour des comptes et de la Cour de cassation (en activité ou honoraires).
Ne seraient visées que « les fraudes les plus graves », selon le gouvernement. Ce qui correspondrait d’après son projet de loi aux manquements « caractérisés par un montant de droits fraudés d'un minimum de 50 000 € », et assortis du « recours à une manœuvre frauduleuse ».
Cette mesure de rétorsion serait d’autre part réservée aux personnes morales (entreprises, associations...), et non aux particuliers. Ce qui a grandement fait sourciller le Conseil d’État. Aux yeux de l’institution, ce dispositif n’est ni « pertinent », ni « juridiquement acceptable », en ce qu’il méconnaîtrait le principe d’égalité des contribuables devant la loi.
Autre limitation : les manquements ayant suscité un dépôt de plainte pour fraude fiscale par l'administration ne pourront pas faire l’objet d’une telle mise à l’index. Et pour cause. L’article 5 du projet de loi prévoit dans un second temps que chaque condamnation pour fraude fiscale (au sens de l’article 1741 du Code général des impôts) fasse « par défaut » l’objet d’une publication et d’une diffusion – alors qu’il s’agit aujourd’hui d’une peine complémentaire, donc non systématique.
Pour assurer la conformité de cette mesure à la Constitution, le gouvernement a prévu que les magistrats pourraient déroger à cette nouvelle règle « par une décision spécialement motivée », « en considération des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur ».
Le gouvernement mise sur « l’effet dissuasif » de ces dispositions « auprès des particuliers comme des entreprises, la perspective d’une condamnation publique étant beaucoup plus probable ». Il estime qu’elles permettraient également « d’augmenter marginalement l’effet pécuniaire, dû aux frais d'affichage et de diffusion à la charge du contribuable condamné ».
Les douanes pourront obtenir les codes sources des logiciels de systèmes de caisse
Autre mesure-clé du projet de loi Darmanin : un durcissement de l’arsenal législatif à l’encontre des logiciels dits permissifs, c'est-à-dire conçus pour permettre et dissimuler la fraude.
L’article 2 prévoit ainsi que les agents des douanes pourront se faire communiquer par les éditeurs, concepteurs, distributeurs ou toutes personnes « interv[enant] techniquement » sur les fonctionnalités de « logiciels de gestion, de comptabilité, des systèmes de caisse » le code source, les données, traitements et la documentation relatifs à ces programmes (à l’image de ce qui prévaut aujourd’hui pour l’administration fiscale).
Ces éléments devront même « être conservés jusqu’à l’expiration de la troisième année suivant celle au cours de laquelle le logiciel ou le système de caisse a cessé d’être diffusé ». Le tout sous peine d'amende (dans la limite de 50 000 euros).
Des amendes pouvant atteindre 15 % du chiffre d'affaires sont d’autre part introduites pour les personnes qui mettraient à la disposition des logiciels spécialement conçus pour frauder.
Commentaires (4)
#1
Bonne idée mais encore trop de cas d’exception je trouve.
Les limite (50 000€ + volonté de nuire) me semble justifié, par contre limiter au seules entreprises est étrange. Peur que certain «phobique administratif» apparaisse ?
#2
Les plus gros fraudeurs, tout le monde les connait déjà (banques, plateformes, etc.) Et tout le monde continue à acheter chez eux. Je doute que la publication des condamnations sur le site de la Dgfip change quoi que ce soit.
#3
#4
Les douanes pourront obtenir les codes sources des logiciels de systèmes de caisse
=> C’est bien mais j’ai du mal à comprends à quoi ca sert… C’est comme les machines à voter : Comment être sur que le code source correspond au binaire qui tourne, notamment si une mise à jour est possible… ?