Blocage administratif : le ministère de l’Intérieur attaqué par le représentant de la CNIL
L'Intérieur débloque ?
Le 21 décembre 2018 à 16h03
6 min
Droit
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Hier, à Cergy Pontoise, une affaire hors norme était auscultée par le tribunal administratif. Pour la première fois, la personnalité qualifiée de la CNIL s’est opposée au ministère de l’Intérieur s’agissant du retrait et du déréférencement administratifs de pages du site IndyMédia. Next INpact était sur place. Compte rendu.
Depuis la loi du 13 novembre 2014 relative à la lutte contre le terrorisme, l’Office central de lutte contre la criminalité liée aux technologies de l'information et de la communication (OCLCTIC) a pour mission d’ordonner le blocage et le déréférencement de sites incitant ou faisant l’apologie du terrorisme. Ces mesures administratives, décidées sans juge, ne concernaient jusqu’alors que la pédopornographie.
En pratique, l’office doit d’abord s’adresser à l’éditeur et à l’hébergeur et, faute d’évolution, peut se tourner devant les FAI et moteurs de recherche. Le texte, outre ses deux décrets d'application de février et mars 2015, prévoit néanmoins l’intervention d’une personnalité qualifiée désignée par la CNIL, à savoir Alexandre Linden, qui termine son mandat le 31 janvier.
Sa mission ? Contrôler d’éventuelles atteintes à la liberté d’expression et de communication – en somme la régularité de cette liste noire. Il peut recommander à l’OCLCTIC de revoir ses demandes et, au besoin, saisir le juge administratif.
Jusqu’à présent, l’antenne du ministère de l’Intérieur et cet intervenant extérieur travaillaient de concert. Dans une dizaine de cas, l’office a finalement suivi ses recommandations. Une seule fois, c’est la personnalité qualifiée qui a changé d’avis.
Dans l’affaire que doit juger le tribunal administratif de Cergy Pontoise, l’antagonisme a été trop fort, Alexandre Linden ayant décidé de contester les positions de la Place Beauvau.
Quatre publications sur IndyMédia ciblées par l’Intérieur
Dans les nuits du 18 au 21 septembre 2017, à Grenoble, Meylan et Clermont-Ferrand, des véhicules et un local de gendarmerie sont incendiés. Quatre articles de revendications sont publiés sur IndyMédia (dont grenoble.indymedia.org et nantes.indymedia.org), sites libertaires qui fonctionnent sur le principe de la publication ouverte.
En octobre et novembre, l’OCLCTIC réclame le retrait de ces billets. Ceux-ci sont considérés comme autant de « provocation à des actes de terrorisme ou apologie de tels actes ». Il demande en outre le déréférencement de deux articles. IndyMedia dénonce ces méthodes, retire deux articles (non celui-ci ou celui-là).
Dès le 7 novembre 2017, dans quatre recommandations, la personnalité qualifiée conteste lui-aussi ces mesures. Quoique graves, les faits sont d’après lui sans lien avec des actes de terrorisme. Ces décisions administratives sont malgré tout confirmées en février 2018 par le cabinet du ministre de l’Intérieur.
Hier, la rapporteure Caroline Gabez a bien relevé la difficulté du contentieux qui s’est déporté devant la quatrième chambre du tribunal administratif de Cergy, puisque la juridiction se retrouve démunie du moindre antécédent jurisprudentiel. Ajoutons qu’aucune procédure n’a été initiée devant le parquet antiterroriste.
La notion d'« entreprise terroriste » devant le juge administratif
Hier, devant le juge administratif, la question pivot a été celle de la notion même d’acte de terrorisme, et ses satellites : l’apologie ou l’incitation à commettre ces actes. La magistrate a d’abord invité le tribunal à s’inspirer des articles 421 - 1 et 421-2-5 du Code pénal qui traitent de ces infractions graves afin de « déterminer si ces publications entrent dans ce périmètre ».
Comme l’a rappelé l’affaire Tarnac, ces notions sont relatives à « des atteintes volontaires à l’intégrité physique de personnes, des dégradations ou destructions de biens publics (…) lorsqu’elles sont intentionnellement en relation avec une entreprise individuelle ou collective ayant pour but de troubler gravement l’ordre public par l’intimidation ou la terreur ».
« Chaque mot compte », a insisté la rapporteure. L’entreprise terroriste est un « mode d’action » destiné à générer une épouvante, une sidération, une peur violente, qui veut faire naitre chez les citoyens « un sentiment de menace », une paralysie par l’effroi. Elle veut déstabiliser, voire détruire les structures politiques sociales, et se distingue des autres formes de violence comme la criminalité mafieuse.
Pour l’Intérieur, qui n’était pas présent dans la salle, pas même son avocat, nul doute que ces violences commises à l’égard des forces de l’ordre se rattachent à ces infractions. Gendarmes et policiers sont régulièrement la cible d’attaques. Il existe des impacts personnels sur les services, quand ce n’est pas sur leurs proches. Dans le résumé dressé par la rapporteure, il devine une méthodologie, une apologie ou une provocation à mener de telles actions. Et l’élément intentionnel ne fait pas de doute : il y aurait un état d’esprit destiné à susciter des actes de même nature, d’autant que ces infractions seraient présentées sous un jour favorable.
Les doutes de la rapporteure publique
La rapporteure a eu beau lire et relire : l’administration ne démontre pas selon elle que les faits relatés relèvent de l’entreprise ou de l’intimidation terroriste. Ces revendications anarchistes n’ont pas eu de rebondissement national, il n’y a pas eu de déstabilisation de l’État, de sentiment d’épouvante, de sidération de la population ou de fracturation de la société.
« Sans minimiser l’extrême gravité des faits, des revendications et des retentissements sur le personnel, sans nul doute affecté, il n’y a pas eu d’impact national » a-t-elle encore affirmé, avant de relever que « seule la presse locale en a parlé » (voir cet article du Dauphiné Libéré).
Il y a certes une pensée anarchiste, mais aucune information sur leurs auteurs. Les éléments matériels manquent cruellement à l’appel. Les revendications restent finalement très générales. Indéniablement, elles ne relèvent pas du terrorisme.
Devant le tribunal, Alexandre Linden, pas mécontent de voir la rapporteure se rallier à ses conclusions, commentera : « C’est la première fois que je plaide devant le tribunal administratif pour un tel litige (…). Je ne méconnais pas la gravité des faits, mais le plus important est de relever l’absence de lien avec l’entreprise terroriste ».
Le jugement sera rendu le 31 janvier 2019. « Cela nous laisse un peu de temps pour échanger encore en interne avec les membres de la formation de jugement » a conclu le président, qui anticipe déjà l’écho de sa décision. Une première en France dans l’histoire du blocage administratif, qui montre toute l'importance des contrôles internes sur cette censure de bureau.
Blocage administratif : le ministère de l’Intérieur attaqué par le représentant de la CNIL
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Quatre publications sur IndyMédia ciblées par l’Intérieur
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La notion d'« entreprise terroriste » devant le juge administratif
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Les doutes de la rapporteure publique
Commentaires (15)
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Abonnez-vousLe 21/12/2018 à 16h30
comme quoi, y’a des gens qui veillent au grain :)
(en espérant que ce soit vraiment un boulot de fond et pas juste pour se faire de la pub et être prolongé à son poste car “il à fait son taff’”)
je suis pas allé voir les articles, mais le principe du blocage administratif pouvant potentiellement être manipulé/détourné/utilisé a des fins de censure … le fait qu’il y ait un contrôle et des contestations possibles est rassurant
merci pour l’info
Le 21/12/2018 à 16h32
Merci! D’abord Alexandre Linden qui a incontestablement raison sauf à transgresser tous nos principes.
Ensuite à la rapporteure dont le sens des conclusions est extrêmement important, étant rappelé qu’il est très majoritairement suivi par ceux qui jugent.
Enfin et surtout merci à toi Marc de sortir de l’ombre un tel sujet, car petit à petit, renoncement par renoncement, c’est bien nos libertés publiques et individuelles qui sont remises en cause par de telles pratiques.
Tu m’as mis la pêche !
Le 21/12/2018 à 17h09
Je comprends pas trop le rôle de la rapporteuse dans cette affaire… Elle est elle-même magistrat et conseillère au tribunal de Cergy. Donc elle donne son avis avant un jugement ?
C’est “l’équivalent” d’un proc dans un TA ?
Le 21/12/2018 à 17h58
Le 21/12/2018 à 18h02
Le 21/12/2018 à 18h13
Le 21/12/2018 à 18h30
Le 21/12/2018 à 20h17
Le 22/12/2018 à 09h12
Les mecs ont brûlés des voitures à côté des habitations des familles de gendarme pour meylan ils ont brûlé une voiture au pied de l’immeuble et ils ont voulu faire une blague au pompier en enchaînant la barrière du parking… revendiqué par des anarchistes féministe pour meylan.. sachant qu’il y avait femmes et enfants dans l’immeuble dont une partie du mur a brûlé . Pour Grenoble c’était le garage des voitures qui reste quand même proche des habitations.. si ça c’est pas du terrorisme et ils appelaient à tuer les bleues.. je vois pas ce qu’il lui faut au mec de la cnil
Le 23/12/2018 à 10h09
Merci pour l’article, et tous les autres d’ailleurs traitant des dérives liberticides qui peu à peu façonnent notre paysage.
Le 23/12/2018 à 13h25
il y a deux choses, les faits, et la communication autour.
ce qui était jugé (du moins c’est ce que j’ai compris) c’est les articles qui rapportaient les faits, étaient-ils de nature à encourager ce genre de faits (auquel cas on bloque) soit il ne faisait que les rapporter (et là pourquoi le bloquer ?)
Le 24/12/2018 à 03h54
De ce que j’ai compris à l’époque .. ces articles étaient tout simplement le communiqué de leurs actes tout bonnement ….
C’est la revendication de leurs actes , comme si Daesh écrivait un twiitt “ on revendique l’attentat ”
Il ne s’agit pas de rapporter … mais de propagande de leurs propres actes, ce ne sont pas des journalistes ce sont des “anarcho-libertaire” ayant revendiqué sur ce site du même bord
Le 24/12/2018 à 08h48
Oui, merci pour cet article et votre vigilance sur les libertés publiques dans notre monde informatisé. Marc, le seul journaliste présent ! Bravo " />
Le 24/12/2018 à 11h12
Le 27/12/2018 à 09h49