Dans l’espace, les débris sont « une menace pour notre avenir »
Un caillou = une berline à 130 km/h
Le 28 octobre 2020 à 16h03
15 min
Sciences et espace
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Les débris spatiaux se comptent en centaines de milliers et se déplacent à plusieurs dizaines de milliers de km/h, ils peuvent donc faire de gros dégâts. L’ESA dresse un portrait peu flatteur de l’état de l’espace et met en garde contre le syndrome de Kessler. Des initiatives existent, mais il reste encore du travail pour arriver à un espace « durable ».
Le Bureau des débris spatiaux de l’Agence spatiale européenne (ESA) surveille en permanence la situation des satellites et des débris. Chaque année, il publie un rapport sur « l‘état actuel de l’environnement spatial ». L’édition 2020 est disponible depuis peu.
L’enjeu est important, d’autant que l’environnement spatial doit être considéré « comme une ressource naturelle partagée et limitée ». L’ESA explique que, si nous continuons à créer des débris de manière non contrôlée, « nous pourrions en arriver au syndrome de Kessler ».
Ce scénario catastrophe est à la base du film Gravity. Pour faire simple, il s’agit d'un seuil au-delà duquel « la densité des débris en orbite terrestre basse est suffisamment forte pour que les collisions entre les objets et les débris créent une réaction en chaîne, chaque collision générant des débris qui augmentent à leur tour la probabilité de collisions supplémentaires ».
Conséquence, certaines orbites deviendraient « complètement inhospitalières ». Il faut donc éviter que la réalité rejoigne la fiction. Des initiatives et règles existent au niveau international, mais elles ne sont pas toujours suivies et le nombre de débris ne cesse d’augmenter. Il y en a près de 130 millions d’un millimètre ou plus, largement suffisant pour causer des dégâts.
Explosions, collisions : des débris par centaines de milliers
Dans son rapport, l’Agence spatiale européenne commence par revenir sur les débuts de la conquête spatiale depuis 1957 : « des tonnes de lanceurs, de véhicules et d’instruments ont été envoyées dans l’espace. Il n’y avait alors aucune disposition relative à ce qu’il fallait en faire une fois qu’ils arrivaient en fin de vie. Leur nombre a continué à augmenter, et les explosions et les collisions dans l’espace ont créé des centaines de milliers d’éclats de débris dangereux ».
Holger Krag, chef du Programme de sécurité spatiale, explique que les explosions – causées par des restes d’énergie comme du carburant et des batteries – « sont le plus grand contributeur actuel au problème des débris spatiaux ».
L’ESA pense néanmoins que « les collisions entre les débris et les satellites en opération vont devenir la principale source de débris ». C’est d’autant plus d’actualité que le nombre de satellites en orbite augmente considérablement ces dernières années, notamment avec les constellations de plusieurs (dizaines de) milliers de satellites. C’est le projet de SpaceX avec Starlink par exemple.
Malgré des directives internationales, toujours plus de débris
Problème, et malgré des mesures mises en place depuis des années, « aucun ralentissement de la fréquence de ces événements » n’est constaté, regrette l’ESA. Par contre, le nombre de désorbitages en fin de mission s’améliore… mais « lentement ».
Cette situation a poussé les acteurs du spatial à prendre des mesures de prévention concernant les débris, y compris au niveau des gouvernements. Pour conserver une autonomie d’accès à l’espace, il faut en effet non seulement avoir des lanceurs, mais aussi des moyens pour détecter, surveiller et éviter les débris.
L’ESA rappelle qu’il existe des normes et directives internationales pour une utilisation « durable » de l’espace :
- Concevoir les lanceurs et les véhicules spatiaux pour qu’ils « perdent » le moins possible d’éléments – tant au décollage que pendant l’exploitation – suite aux conditions hostiles rencontrées dans l’espace.
- Prévenir les explosions en libérant l’énergie stockée, c’est-à-dire en « passivant » les véhicules en fin de vie.
- Mettre les missions terminées hors de portée des satellites opérationnels, soit en les désorbitant, soit en les envoyant vers une orbite cimetière.
- Éviter les collisions dans l’espace en choisissant avec soin ses orbites et en effectuant des manœuvres d’évitement de collision.
De son côté, le CNES détaille de son côté cinq règles proposées par la NASA en 1995, reprises par le Japon en 1997 et la France en 1998. Elles reprennent une partie des directives de l’ESA, mais proposent des mesures supplémentaires :
- L’interdiction de générer volontairement des débris dans l’espace (capots de protection de télescope par exemple) et de détruire volontairement des satellites dans l’espace
- La mise en œuvre de tous les moyens possibles pour éviter l’explosion en orbite. En fin de mission, il faut mettre l’objet dans un état inerte en dissipant toute son énergie, ce qui induit d’avoir prévu cette opération lors de sa conception
- L’interdiction de rester plus de 25 ans en orbite basse ou de rester sur l’orbite géostationnaire après la fin de mission (ces 2 orbites étant les plus concernées par la prolifération de débris spatiaux).
- La mise en œuvre de tous les moyens possibles pour éviter les collisions : éviter l’évitable
- La protection des populations au sol. Dans les cas où l’on ne peut éviter un retour au sol des débris, privilégier la désorbitation contrôlée dans une zone non peuplée
Fin 2017, le CNES affirmait que « la France est le seul pays à avoir une loi qui traite des débris spatiaux : il s’agit de la Loi sur les Opérations Spatiales promulguée en 2010 ».
Est-ce suffisant pour autant (au niveau international) ? La réponse est pour l’instant « non » pour l’Agence spatiale européenne, qui revient sur « des tendances inquiétantes », la première étant que « nous créons de plus en plus de débris ».
Jan Wörner, directeur général de l’ESA, proposait récemment une comparaison pour essayer d’imaginer l’état de l’espace proche de nous : « Imaginez combien il serait difficile de naviguer en haute mer si tous les navires n’ayant jamais fait naufrage dans l’histoire dérivaient à la surface de l’eau. C’est ce qui se passe aujourd’hui en orbite, et cela ne peut pas continuer ainsi ».
Combien y a-t-il de débris dans l’espace ?
Ainsi, « le nombre de débris, leur masse combinée, et la surface totale qu’ils occupent sont en constante augmentation depuis le début de l’ère spatiale ». Le Bureau des débris spatiaux de l’ESA en dénombre ainsi pas moins de 25 297 dans son rapport. Ils représentent une masse de 8 782,5 tonnes et occupent l’équivalent d’une superficie de 83 414,5 m², soit une douzaine de terrains de foot.
L’orbite terrestre basse (LEO, jusqu’à 2 000 km d’altitude) regroupe le gros des débris avec pas moins de 13 932 objets, soit plus de la moitié de l’ensemble. Ils représentent par contre « seulement » 2 751 tonnes pour une superficie de 21 206 m². Ils sont donc nombreux, mais assez peu lourds et imposants.
Sur l’orbite géostationnaire (GEO, entre 35 586 et 35 986 km) prisée par les satellites de télécommunications, l’ESA dénombre 862 objets pour une masse de 2 521,8 tonnes et une superficie de 24 872,1 m². La masse et la superficie sont du même ordre de grandeur que sur l’orbite basse, mais avec 16 fois moins d’objets répertoriés.
Un rapport sénatorial se faisait récemment l’éco d’un décompte du CNES concernant les débris spatiaux : « on estime à 23 000 le nombre d’objets suivis dont la taille est supérieure à 10 cm. Seulement 5 % de ces débris sont actifs et la plupart se situent en orbite basse ». On est assez proche des 25 297 de l’ESA.
- L’espace « est de moins en moins un univers de paix », son arsenalisation une question de temps
- Le renseignement spatial évolue rapidement, la France va déployer de nouveaux satellites.
- L’espace en manque de régulation
Par contre, les chiffres explosent si on considère les débris de plus petite taille : « il y aurait au-dessus de nos têtes 35 000 objets compris entre 1 et 10 cm et environ 35 millions de débris inférieurs à 1 cm ». C’est probablement encore bien pire que cela.
En février 2020, l’ESA a mis en ligne une estimation du nombre de débris en s’appuyant sur des modèles statistiques. Il augmente de manière inversement exponentielle à la taille des objets. Nous avons ajouté entre parenthèses des valeurs données par la NASA de début 2012 afin de voir l’évolution sur un peu moins de 10 ans :
- 5 500 objets de plus de 1 m
- 34 000 objets de plus de 10 cm (21 000 en 2012)
- 900 000 objets entre 1 et 10 cm (500 000 en 2012)
- 128 000 000 objets entre 1 et 10 mm (plus de 100 000 000 en 2012)
L’Agence spatiale européenne en profitait pour faire le décompte des lancements : plus de 5 560 fusées ont été envoyées dans l’espace (sans compter les échecs donc), plaçant environ 9 600 satellites en orbites, dont 5 500 étaient encore en place en février 2020. Près de la moitié seulement – 2 300 environ – étaient encore en fonctionnement à ce moment-là.
Quelle est leur vitesse ? Quels sont les risques ?
Dans cette foire aux questions, l’Agence spatiale américaine explique que la vitesse moyenne des débris est de 25 000 à 29 000 km/h environ (7 à 8 km/s). Lors d’une collision, la vitesse d’impact moyenne est de 36 000 km/h. « Par conséquent, même les collisions avec un petit morceau de débris impliqueront une énergie considérable » et des dégâts du même ordre de grandeur.
Pour se donner une idée des forces dont il est question, on se souviendra de l’impact sur une des vitres de la Cupola (coupole) sur la Station spatiale internationale. Il était heureusement sans gravité pour l’intégrité de la structure et ne mesurait que 7 mm de diamètre. L’astronaute européen Tim Peake l’a pris en photo.
Un dégât minime causé par… « un flocon de peinture ou un petit fragment de métal pas plus grand que quelques millièmes de millimètre de diamètre ». Pour rappel, la coupole est équipée d’un quadruple vitrage, tandis d’un « blindage » renforce les zones sensibles de la Station.
De son côté, l’ESA explique qu’un « objet d’une taille allant jusqu’à 1 cm pourrait rendre inopérant un instrument ou un système de vol critique sur un satellite. Tout ce qui dépasse 1 cm pourrait pénétrer dans les boucliers des modules d’équipage de la Station spatiale internationale, et tout ce qui dépasse 10 cm pourrait briser un satellite ou un vaisseau spatial en morceaux ».
Le CNES y va aussi de sa comparaison : « un objet de 1 cm de diamètre aura la même énergie qu’une berline lancée à 130 km/h ».
La conséquence d’un débris de « quelques millièmes de millimètre de diamètre ». Crédits : NASA/ESA
Déjà plus de 500 fragmentations
Bref, même quelques millimètres peuvent suffire à faire de gros dégâts. Plus il y a de débris, plus les risques sont importants. Le problème étant que « les événements qui génèrent des débris sont de plus en plus courants ». Au cours des deux dernières décennies par exemple, il y a eu en moyenne « douze fragmentations accidentelles […] chaque année, et cette tendance est malheureusement à la hausse ».
Depuis le début de la conquête spatiale, le nombre de fragmentations estimé par l’ESA dépasse les 500. Une fragmentation, explique l’Agence, correspond au moment où des débris sont créés. Ce phénomène peut avoir plusieurs origines : collision, explosion, souci électrique, morceaux se détachant d’eux-mêmes, etc.
Parfois, les débits sont la conséquence directe d’une démonstration de force d’un pays. Après les États-Unis, la Russie et la Chine, l'Inde est le quatrième pays à avoir détruit un de ses propres satellites avec un missile. Selon l’administrateur de la NASA, cette explosion aurait généré au moins 400 débris, dont une soixantaine de plus de 15 cm.
Voici un tableau regroupant l’ensemble des fragmentations identifiées en 2019. Il y en a eu 16, pour un total de près de 2 000 objets catalogués pour une masse totale d’environ 25 tonnes.
24 morceaux auraient même été expulsés à une altitude supérieure, menaçant potentiellement la Station spatiale internationale. N’allez pas croire que c’est de l’histoire ancienne et que les traités évoqués précédemment n’étaient pas encore en place. Le tir de missile de l’inde date de… mars 2019.
Il y a certes des expérimentations pour déployer des engins capables de nettoyer l’espace en récupérant des débris, mais aucune ne semble avoir abouti pour le moment. L’Agence spatiale japonaise (JAXA) a tenté de déployer une « longe électrodynamique », un genre de « corde » composée d'acier et d'aluminium qui devait se charger en électricité afin d'attirer par électromagnétisme des débris. Le système n’a pas fonctionné.
De plus en plus de mesures d’atténuation… et heureusement
Tout n’est pas noir pour autant : certains acteurs tentent de respecter les règles et directives internationales… « mais ils ne sont pas encore assez nombreux », regrette l’ESA. Selon son Bureau des débris spatiaux, « à l’heure actuelle, 80 % des lanceurs tentent "d’évacuer" l’orbite terrestre basse, et la grande majorité y parvient, alors que seuls 20 % essayaient au début du millénaire ». C’est « une très bonne nouvelle », car les lanceurs sont parmi les plus gros objets lancés dans l’espace, les rayer rapidement de l’équation permet de limiter les risques de fragmentation.
Comme nous l’avons déjà indiqué, le nombre d’objets sur une orbite basse (LEO) est très important, c’est dû à la « prolifération des petits satellites et des constellations ». De par leur position, « autour de 88 % des petits satellites lancés dans cette région vont naturellement respecter les mesures d’atténuation » et donc « se désintégrer dans l’atmosphère ».
En orbite géostationnaire (GEO) aussi la problématique des débits est prise en compte, mais il n’est évidemment pas question de parcourir les 36 000 km dans le sens inverse pour bruler dans l’atmosphère. Les satellites sont poussés un peu plus haut, sur une orbite cimetière.
Les acteurs ont dans tous les cas tout intérêt à respecter un minimum de civisme les uns envers les autres, car ils risquent autant de mettre en danger leurs satellites que ceux de leurs « concurrents » s’ils génèrent trop de débris spatiaux.
Sur les « dix dernières années, entre 85 et 100 % des satellites en fin de vie ont essayé de se conformer à ces mesures [d’atténuation des débris, ndlr], et 60 à 90 % d’entre eux ont réussi ». Notez d’ailleurs qu’il existe déjà une « dépanneuse de l’espace » afin de redonner un peu de vie à certains satellites et/ou de les guider jusqu’à une orbite de cimetière.
L’ESA optimiste, mais prudente
L’ESA se réjouit que des mesures soient mises en place et toujours plus prises en compte dans les missions, mais elle reste très prudente : « L’analyse méthodique du changement des attitudes dans l’espace, en ce qui concerne l’adoption de mesures d’atténuation de débris, nous donne des raisons de nous montrer prudemment optimistes – ce n’était pas le cas il y a dix ans ».
Un optimisme de mise, car « même si tous les lancements spatiaux prenaient fin demain, les projections montrent que le nombre global de débris continuerait d’augmenter puisque les collisions entre objets créent de nouveaux débris par effet de cascade ». On n'est pas loin du syndrome de Kessler dans cette déclaration de l’ESA.
Dans son rapport, le sénateur Christian Cambon (LR) rappelait que le risque de collision pouvait être renforcé par… l’effet du réchauffement climatique : « Quand l'atmosphère se réchauffe, la densité de ses couches supérieures diminue. À 300 kilomètres d'altitude, elle s'amenuise d'environ 5 % chaque décennie », explique-t-il en se basant sur des données de scientifiques de l'université de Southampton.
Les débris et les satellites seraient alors moins freinés par les couches supérieures de l’atmosphère et « donc susceptibles de rester plus longtemps en orbite », entrainant mathématiquement plus de risques de collisions et donc de débris.
Dans l’espace, les débris sont « une menace pour notre avenir »
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Explosions, collisions : des débris par centaines de milliers
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Malgré des directives internationales, toujours plus de débris
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Combien y a-t-il de débris dans l’espace ?
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Quelle est leur vitesse ? Quels sont les risques ?
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Déjà plus de 500 fragmentations
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De plus en plus de mesures d’atténuation… et heureusement
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L’ESA optimiste, mais prudente
Commentaires (13)
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Abonnez-vousLe 28/10/2020 à 16h10
Super article :)
Le 28/10/2020 à 17h14
Intéressant en effet!
Le 28/10/2020 à 18h08
Maintenant, le problème va aussi se répercuter sur le privé.
Est-ce que des entreprises comme Space X, BlueOrigine ou OneWeb ne privilégieront pas les bénéfices au détriment du bien commun ?
Le 29/10/2020 à 09h32
j’avoue, c’est ‘cela’ qui me fait peur !
maintenant, qu’on a ouvert l’espace aux les vols Commerciaux, “ils ne vont pas se gêner, tiens” !!!
ding/dring : profit-dollars
Le 28/10/2020 à 19h49
Bonne nouvelle : ça évolue moins vite que la covid-19
Le 28/10/2020 à 22h41
Pourquoi parler au futur alors que la réponse est déjà là : ils s’en foutent.
Le 29/10/2020 à 07h40
Superbe article
Le 29/10/2020 à 07h59
J’ai juste lu le titre, et je me suis dit que ça fait bien 30 ans que je lis ça, les débris orbitaux.
Dans 30 ans on aura toujours le même discours.
Le 29/10/2020 à 13h55
Très intéressant. C’est autant le bordel autour de la terre que sur la terre…
Le 29/10/2020 à 14h31
Superbe article ! 👍
Je suis toujours sur le cul qu’on puisse détruire des satellites avec des missiles pour montrer qu’on a la plus grosse, tout en se foutant complètement des conséquences !
Le 29/10/2020 à 16h00
je me rappelle d’une vidéo où l’on détruisait par missile un ancien satellite
qui s’éparpillait en 1000 morceaux d’1 cm. !
“purée,….sont, pas TRES malins, de faire ça ”
Le 29/10/2020 à 14h45
Dans l’espace, personne ne t’entendra tousser…
Le 30/10/2020 à 21h07
2 secondes de réflexion auraient pu t’éviter ce cliché débile : « les bénéfices » sont la mesure de la durabilité d’un modèle de spécialisation. Quand une entreprise fait un profit, on peut en déduire que les biens/services produits ont une valeur plus élevée que les coûts engendrés pour les produire. Ce résultat indique que l’entreprise a réalisé une contribution positive pour le bien des consommateurs, et globalement pour la société tout entière – c-à-d le seul « bien commun » qui a une nature et définition non-idéologique.