75 ans du CEA : de l’énergie et la bombe atomique, au dépistage de la Covid-19 et à la 5G
Quoi ??? 5G et Covid-19 sont liés ?
Le 19 octobre 2020 à 15h58
12 min
Sciences et espace
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Pendant des dizaines d’années, le Commissariat à l'énergie atomique a travaillé sur les réacteurs nucléaires et la bombe atomique, mais aussi sur de très nombreux autres projets : l’aérospatiale, les communications, le solaire, la robotique, la santé, l’intelligence artificielle, etc.
C’est le 18 octobre 1945, deux mois après la fin de la Seconde Guerre mondiale, que le général de Gaulle crée le CEA (il avait annoncé cette idée en septembre de cette même année). Il n’était à l’époque « que » le Commissariat à l'énergie atomique et il faudra attendre 2010 pour que son champ de compétence soit étendu aux énergies alternatives.
L’ ordonnance du général de Gaulle sur « l’utilisation de l’énergie atomique »
« Officiellement, il s’agit du premier organisme nucléaire civil dans le monde. Il ne dépend que du président du Conseil », explique la ville de Fontenay-aux-Roses, où le centre de recherche est historiquement implanté. Les liens avec l’armée sont néanmoins étroits (nous y reviendrons).
Le CEA a pris naissance via une ordonnance signée par le général. Elle indiquait que sa mission était de poursuivre « les recherches scientifiques et techniques en vue de l’utilisation de l’énergie atomique dans divers domaines de la science, de l’industrie et de la défense nationale ».
Le rayon d’action du CEA ne s’arrête pas là. Il doit aussi étudier « les mesures propres à assurer la protection des personnes et des biens contre les effets destructifs de l’énergie atomique ». Il faut rappeler le contexte : quelques semaines auparavant, les États-Unis venaient de larguer deux bombes atomiques sur le Japon, à Hiroshima et Nagasaki, avec les conséquences que l’on connait.
Enfin, le CEA doit fournir « au gouvernement toutes les informations concernant l’énergie atomique et ses applications et, notamment, l’éclaire dans la négociation des accords internationaux. Et en général, il prend toutes les mesures utiles pour mettre la France en état de bénéficier du développement de cette branche de la science ».
Le CEA est le « n°1 français des brevets en Europe »
75 ans plus tard, le CEA affirme être, en 2020, l’acteur français de référence pour la recherche sur les énergies bas carbone et aussi le « premier organisme de recherche déposant de brevets en France ». Selon le classement de mars 2020 de l’Office européen des brevets (OEB), il arrive en effet en tête pour les demandes de brevets européens en France, et à la 30e place du classement général.
Selon l’Institut national de la propriété industrielle (INPI), il est même en tête des établissements de Recherche, d’Enseignement Supérieur et établissements de l’État (RESE) depuis plus de 10 ans. Il devance depuis plusieurs années le CNRS, pour le moment à la sixième place. Si l’on ajoute les entreprises, il est quatrième (derrière PSA, Valeo et Safran).
Il compte aujourd’hui près de 20 000 collaborateurs, qui s’intéressent à des champs divers et variés : « la transition énergétique (énergies nucléaires et renouvelables, efficacité et stockage de l’énergie, climat), la transition numérique (intelligence artificielle, calcul quantique, cybersécurité), la médecine du futur, la défense et la sécurité et la compréhension des lois de l’Univers, de la matière et du monde du vivant ».
Un vivier de scientifiques de renom, sous la direction de Frédéric Joliot-Curie
Alors qu’il vient de fêter ses trois quarts de siècle, revenons brièvement sur son histoire, ses missions et ses découvertes.
Après sa création, deux premières personnes prennent les rênes du Commissariat : Frédéric Joliot-Curie occupe le poste de haut-commissaire chargé des questions scientifiques et techniques, tandis que Raoul Dautry devient le premier Administrateur général, en charge des questions administratives et financières.
Les premiers membres ne sont rien de moins que « Pierre Auger, Irène Joliot-Curie, Francis Perrin et le général Dassault », rappelle Fontenay-aux-Roses. Alors que le pays d’après-guerre est ruiné et encore rationné, « le tout nouveau CEA bénéficie des meilleures conditions financières possibles », explique la ville de Fontenay.
« Nous étions installés dans de longues casemates voutées et basses, très mal éclairées. Nous travaillions toute la journée à la lumière artificielle, des débris de plafond nous dégringolaient sur la tête. On nous demandait des précisions au demi pour cent, mais souvent la présence de corps étrangers faussait tout », se souvient Hélène Emmanuel, ingénieur service radioélément.
ZOE : la première pile atomique française
Le premier travail du CEA était de construire une pile à l’eau lourde, sous la houlette du Franco-Russe Lew Kowarski (qui l’avait déjà fait pour le Canada). Le projet prend de l’importance pour le gouvernement français en 1947, lorsque débute la guerre froide. « Après un an d’efforts, le dispositif est prêt : il s’agit d’une cuve cylindrique (entourée par des réflecteurs de neutrons en graphite) contenant des gaines d’aluminium dans lesquelles sont empilées des pastilles d’oxyde d’uranium ».
Le 15 décembre 1948, trois ans après la création du CEA, premier fait d’armes : « le remplissage de la cuve à l’eau lourde provoque la divergence de la pile EL1 plus connue sous le nom de ZOE pour Zéro énergie, Oxyde d’uranium, Eau lourde. C’est le premier réacteur nucléaire français ». Le président Vincent Auriol visite le site le 21 décembre 1948. Il aurait lâché cette phrase : « Voici une réalisation qui ajoutera au rayonnement de la France ».
Cette annonce aura l’effet d’une « bombe » dans le monde, notamment aux États-Unis : « L’existence de la pile française est une véritable menace pour les mesures que les nations de langue anglaise ont jugé bon d’adopter. Pour beaucoup, la menace est encore plus grande du fait que le directeur des travaux français, le docteur Frédéric Joliot-Curie, est un communiste avoué », pouvait-on lire dans les médias locaux, résume Fontenay.
1950 : « L’ère des pionniers du CEA était terminée »
Le réacteur français atteint sa pleine puissance en 1949 (et fonctionnera jusqu’en 1976), l’année où Frédéric Joliot-Curie devient président du Conseil Mondial de la Paix. En 1950, il est de ceux qui répondent à l’appel de Stockholm pour « l’interdiction absolue de l’arme atomique ».
Quelques semaines après une déclaration au congrès du PCF appelant les scientifiques à ne pas donner la moindre « parcelle de leur science pour faire la guerre contre l’URSS », il est convoqué par Georges Bidault (président du Conseil) et déchargé dans la foulée de ses fonctions. « L’ère des pionniers du CEA était terminée ». Francis Perrin lui succède alors et Pierre Guillaumat prend la place de Raoul Dautry.
Quelques années après sa création, les effectifs du Commissariat augmentent de façon très importante : un peu moins de 1 500 personnes en 1950, 5 000 en 1955, plus de 10 000 en 1958, 20 000 au début des années 60 et même plus de 30 000 quelques années plus tard.
En route vers la bombe atomique
En 1954, une étape est franchie avec une série de décisions qui débouchera sur l’arme atomique française. C’est en 1960 que la première explosion a lieu à Reggane, dans le Sahara algérien. Il fut ensuite à la charge du CEA et DAM de « militariser les engins nucléaires, c’est-à-dire faire en sorte qu’ils soient opérationnels, en les adaptant à un vecteur donné pour qu’ils soient transportables ». Cette même année, la première Loi de Programme Militaire (LPM) est adoptée (elle existe encore aujourd’hui).
En 1961, d’autres essais ont lieu en galerie cette fois-ci, mais toujours en Algérie. Puis, à partir de 1966 en Polynésie française, débouchant ainsi sur la première arme thermonucléaire française en 1968. Finalement, l’arrêt définitif des essais nucléaires français est acté en 1996 par Jacques Chirac, après une ultime campagne – à la demande des scientifiques afin de pouvoir passer sur des simulations pour la suite – entre septembre 1995 et janvier 1996.
La fin de l’ère des essais nucléaires ne signifie pas la fin des travaux sur le domaine de la défense pour le CEA. En 2004 par exemple, il a signé un accord-cadre avec la Direction générale de l'Armement (DGA) « afin de renforcer les
liens entre la recherche civile, la recherche de défense et l’industrie ».
Mais le CEA c’est aussi du solaire, de l’espace…
Voici enfin quelques innovations et pistes de recherche du CEA. Depuis les années 90, le Commissariat travaille sur le développement de la détection d’obstacles et de piétons pour les véhicules autonomes et de piles à combustible pour le transport. Il a notamment développé en 2005 (avec Peugeot) la première pile française pour l’automobile : Genepac.
De nombreux travaux se déroulent également sur les « cellules photovoltaïques haute performance » (hétérojonction) et/ou avec d’autres procédés – nous avions d’ailleurs interviewé Renaud Demadrille sur des vitres photovoltaïques à double fonction – et le stockage « de l’énergie sous forme d’hydrogène ».
Dans le monde du spatial aussi le CEA est présent, parfois de manière indirecte. « Depuis les années 70, le CEA a développé en partenariat avec EDF, Framatome et l’IRSN, le logiciel Cathare, qui permet de modéliser et simuler les écoulements diphasiques des fluides […] Initialement utilisé pour concevoir et améliorer la sûreté des centrales nucléaires, ce logiciel est aujourd’hui adapté et utilisé dans d’autres secteurs dont le spatial ».
Toujours dans l’espace, « ses équipes ont par exemple réalisé une partie de l'instrumentation du télescope Herschel, un télescope spatial infrarouge, opérationnel entre 2009 et 2013 ». Le Commissariat est également impliqué dans d’autres instruments spatiaux à différents niveaux de conception, notamment les prochaines missions que sont JWST, EUCLID et SVOM, dans la découverte des sept exoplanètes du système Trappist, etc. Dans tous les cas, il n’est pas le seul laboratoire français, on retrouve aussi très souvent le CNES, le CNRS et des universités.
… des joints très hautes résistances, de la 5G…
Le CEA dispose aussi d’une grande expertise dans la conception « de joints ultra-résistants et ultra-étanches capables de supporter des conditions extrêmes, comme des températures allant de - 273 °C jusqu’à+ 800 °C et des pressions allant de 10⁻¹³ bar, correspondant à des niveaux de vide très poussés, jusqu’ à 1 000 bar ».
Par exemple, en 200 ans, un joint Helicoflex « laissera échapper un volume équivalent à celui d'une tête d'épingle ». Ils sont utilisés partout dans le monde dans les secteurs du nucléaire, de la pétrochimie, de l’aéronautique, de la Formule 1, mais aussi dans les accélérateurs de particules du CERN et les fusées Ariane.
Le CEA revendique aussi être le premier démonstrateur mondial du réseau sans fil de nouvelle génération. Oui il s’agit bien de 5G : le Commissariat était « le coordinateur du consortium Europe – Corée "5G Champion", aux Jeux olympiques d’hiver de 2018, et a réussi, avec ses partenaires, la toute première preuve de concept intercontinental de réseau 5G ».
… du médical, de l’IA, du calcul hautes performances, de la robotique…
Citons également le développement en quelques mois d’un test capable de diagnostiquer la maladie de Creutzfeld-Jacob (ou de la vache folle). Les chercheurs ont également mis au point des solutions de vidéosurveillance des troupeaux bovins, avec détection des animaux malades grâce à des algorithmes d’intelligence artificielle.
Le CEA dispose d’ailleurs depuis 2010 du Très Grand Centre de Calcul (TGCC) avec le supercalculateur Joliot-Curie qui a remplacé Curie en septembre 2018. Il est actuellement à la 33e place du Top 500 des supercalculateurs, mais le CEA dispose aussi de Tera-1000-2 à la 20e place.
Signalons aussi le développement de robots d’assistance pour l’industrie, de béton hautes performances, de peintures sans polluants chimiques toxiques, de la « sûreté et la fiabilité des têtes nucléaires de la dissuasion » pour les sous-marins nucléaires, de drones (solaires), etc. Sans oublier des travaux dans les mondes de la sureté aéronautique, de la surveillance de l'environnement, des modèles climatiques, des ballons météo, du Li-Fi... Les champs d’action du CEA sont trop nombreux pour être tous cités.
Tout récemment, les équipes du Commissariat étaient impliquées dans la détection du coronavirus SARS-Cov-2 avec un test sérologique permettant d’avoir les résultats en 15 minutes seulement. Il a été mis au point par la PME NG Biotech, en collaboration avec des équipes du CEA-Joliot et de l’Assistance publique - Hôpitaux de Paris (AP-HP).
Enfin, terminons avec deux jeux. ScanScience tout d’abord : « Entrez dans la peau d'un extra-terrestre envoyé en mission top-secrète sur Terre pour y collecter tous les progrès scientifiques et technologiques. Explorez 3 niveaux pour retrouver des objets, scannez leurs innovations et décryptez les données pour extraire " l'ADN commun " de tous ces progrès cachés autour de nous ». Puis le prisonnier quantique qui fête sa première année et dont le but est d’intéresser les jeunes à la science.
- Retrouver le dossier du CEA sur 75 ans d’innovations
- Accéder au jeu ScanScience et le Prisonnier quantique
75 ans du CEA : de l’énergie et la bombe atomique, au dépistage de la Covid-19 et à la 5G
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1950 : « L’ère des pionniers du CEA était terminée »
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En route vers la bombe atomique
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Mais le CEA c’est aussi du solaire, de l’espace…
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… des joints très hautes résistances, de la 5G…
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… du médical, de l’IA, du calcul hautes performances, de la robotique…
Commentaires (6)
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Abonnez-vousLe 19/10/2020 à 17h06
Superbe dossier, merci.
J’aurais ajouté un petit paragraphe à la fin qui parait un brin joyeuse que le CEA est soumise à présent de contraintes budgétaires fortes (because politics) ce qui entraine l’arrêt de certains gros projets comme Astrid.
Le 19/10/2020 à 20h51
Et encore le CEA parait richissime comparé à bien d’autres institut de recherche, c’est dire l’état de la recherche en France :/
Le 20/10/2020 à 06h12
Un dossier pour le prochain numéro de NXI ? Je trouverais intéressant de le signaler si c’est le cas !
Super intéressant et très bon contenu. J’aime beaucoup ces nouveaux dossiers divers et ce retour vers la science. Merci !
Le 20/10/2020 à 08h19
Précision pour le TGCC : le centre est installé au CEA mais les machines sont financées par GENCI (dont le CEA est actionnaire, tout comme l’état français, le CNRS, les universités et l’INRIA). Les machines installées au TGCC peuvent être utilisées par tous les chercheurs académiques des institutions françaises (et par des chercheurs d’autres pays européens dans le cadre de PRACE).
Par contre Tera-1000-2 est une machine 100% CEA.
Le 20/10/2020 à 19h45
Z’ont du confondre avec le moratoire sur la 5G…
Le 21/10/2020 à 12h53
Le problème de financement, c’est que sous couvert de rapprocher la recherche technologique (on appelle ainsi la recherche qui vise à transférer à l’industrie les travaux de recherche fondamentale) de la réalité des besoins industriels, on a créé un bousin bureaucratique qui réduit pas vraiment le coût pour l’État, mais qui aligne clairement les développements du CEA sur les besoins temporaires des industriels partenaires.
Les chefs de laboratoire passent leur temps à monter des dossiers de demande de financement de projet : une part payée par un industriel, mais qui touche du CIR, donc de l’argent de l’État, une part payée par un programme de recherche (de la France ou de l’UE, mais en dernière instance payé par l’État), et un part payée par les financements directs du CEA par l’État (cette dernière part se réduit continuellement, et est même faible pour le LETI qui développe la microélectronique.
Au final, le CEA bosse pour plein d’industriels étrangers, n’a quasiment plus d’influence sur la stratégie de développement technologique en France, et tend à perdre son leadership dans pas mal de domaine sur lesquels l’absence d’industrie locale limite le niveau d’excellence. Tout ça est à rapprocher de l’absence de politique industrielle sérieuse en France et en Europe depuis 30 ans. C’est triste pour les chercheurs. Et pour l’usage de nos impôts…
Merci pour le dossier !