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Voici la « plus grande carte de la matière noire jamais réalisée »

Et toujours plus de questions…

Voici la « plus grande carte de la matière noire jamais réalisée »

Le 28 juin 2021 à 10h17

Cette carte de la matière noire couvre « un quart du ciel de l’hémisphère sud » et comprend plus de cent millions de galaxies. Elle ouvre de nouvelles perspectives aux chercheurs, mais soulève aussi des questions sur les théories actuelles. Les scientifiques attendent le lancement d’Euclid pour améliorer encore cette carte.

La matière noire (ou sombre) est une « substance » dont l’existence fait consensus chez les physiciens, mais « elle demeure, plus de 80 ans après sa découverte, toujours aussi mystérieuse », rappelle le CNES. Sur bien des points, l’Univers reste en effet hermétique : « 95 % de son contenu, la matière noire et l’énergie noire, nous sont invisibles alors qu’elles ont un effet gravitationnel ».

Matière noire et cisaillement gravitationnel

Plus intrigant encore, la matière noire serait présente partout autour de nous : « un humain est traversé environ 100 000 fois par seconde par un wimp ». Ce wimp (Weakly Interactive Massive Particle) est une particule candidate à la matière noire, que l'on peut littéralement traduire par « mauviette », explique le Centre national de la recherche scientifique.

Si la matière noire fait consensus, c’est notamment car sa présence « est trahie par le phénomène de cisaillement gravitationnel, qui dévie la trajectoire de la lumière à ses alentours. Depuis 1993, la mesure de ce phénomène permet aux chercheurs de détecter la présence de matière noire, à partir d’image de galaxies ». Comme pour tous les phénomènes gravitationnels, plus la distorsion est importante, plus la concentration en matière noire est élevée.

Jusqu’à présent, les observations ne couvraient qu’une petite partie du ciel, mais une équipe de chercheurs annonce avoir « constitué la plus grande carte de la matière noire jamais réalisée ». Ces travaux font l’objet d’une publication dans la revue Monthly Notices of the Royal Astronomical Society.

Cette carte est « une véritable prouesse »

Pour y arriver, les scientifiques ont travaillé sur des clichés dans les bandes de fréquences de la lumière visible et de l’infrarouge proche avec la caméra de la collaboration internationale Dark Energy Survey (DES) du Chili. Sa définition est de 570 Mpixels, via 62 capteurs individuels. Les chercheurs ont ainsi pu observer « plus de cent millions de galaxies » pour dresser leur carte.

Cette manière de faire (exploiter des images de galaxies pour révéler la matière noire) « a été ouverte en 1993 par Nick Kaiser, professeur à l’ENS », explique l’École Normale Supérieure. Pour mener à bien leurs travaux, les chercheurs dont il est aujourd’hui question ont « développé de nouvelles méthodes statistiques nourries par les avancées de l'intelligence artificielle ». 

Niall Jeffrey, co-auteur principal de ce travail et chercheur au LPENS (Laboratoire de Physique de l’École Normale Supérieure), ne cache pas sa joie : « C’est une véritable prouesse que d’avoir pu cartographier l’Univers aux plus grandes échelles sur une grande partie du ciel ». La carte couvre ainsi « un quart du ciel de l’hémisphère sud », explique le LPENS.

carte de la matière noire
Crédits : CNRS N. Jeffrey / Dark Energy Survey collaboration

Théorie contre observation : nouveau round

Ces résultats sont surprenants pour Niall Jeffrey car cette carte montre que la distribution de la matière noire est plus lisse et étendue que les prédictions théoriques ne le laissaient penser. « L'observation semble s'écarter de la théorie de la relativité générale d'Einstein, ce qui pose une énigme aux chercheurs », ajoute la BBC qui s’est entretenue avec le chercheur. Or, il faut que la théorie colle aux observations, pas le contraire.

Les conséquences peuvent être importantes : « Si cette disparité est vraie, alors peut-être qu'Einstein avait tort […] Vous pourriez penser que c'est une mauvaise chose, que la physique est peut-être brisée. Mais pour un physicien, c'est extrêmement excitant. Cela signifie que nous pouvons découvrir quelque chose de nouveau sur ce qu'est réellement l'Univers », explique-t-il à nos confrères. 

Carlos Frenk, cosmologiste, directeur de l’Institute of Computational Cosmology à l'Université de Durham et chercheur principal de Virgo, ne sait pas trop sur quel pied danser face à cette découverte : « J'ai passé ma vie à travailler sur cette théorie et mon cœur me dit que je ne veux pas la voir s'effondrer. Mais mon cerveau me dit que les mesures sont correctes, et que nous devons envisager la possibilité d'une nouvelle physique ». Cette nouvelle voie reste à définir.

Le satellite Euclid de l’ESA attendu au tournant

Au-delà de prendre la tête du concours à celui qui a « la plus grosse », cette carte de la matière noire permet « d'imposer des contraintes importantes aux théories sur l'origine de l'Univers », ajoute le CNRS. C’est une première étape et les scientifiques attendent maintenant de pied ferme le projet Euclid de l’Agence Spatiale Européenne. Il permettra de mesurer « plus d'un milliard de galaxies » et donc de proposer une « carte de l’invisible » plus précise.

Les attentes sont importantes puisqu’Euclid « révolutionnera ce champ de recherche ». La France est fortement impliquée dans ce projet avec la participation d’environ 500 membres, « dont le responsable scientifique de la mission (Yannick Mellier) et son adjoint (Francis Bernardeau) ». 

Cette mission comprend pour rappel un satellite qui devrait décoller durant la seconde moitié de 2022. Il embarque deux instruments qui sont déjà « construits et entièrement testés » depuis un an, selon l’Agence Spatiale Européenne. Ils ont été livrés à Airbus Defence and Space à Toulouse et l’intégration avec le satellite a débuté l’été dernier afin de former le module de charge utile de la mission.

On y retrouve un télescope avec un miroir de 1,2 mètre de diamètre, prévu pour fonctionner à la fois dans les longueurs d’onde visibles avec l’imageur Visible instrument (VIS) et dans le proche infrarouge avec Near Infrared Spectrometer and Photometer (NISP). 

VIS dispose d’une mosaïque « de 36 capteurs CCD, composés chacun d’une matrice de 4 000 pixels par 4 000 pixels. Le détecteur possédera au total environ 600 mégapixels ». De son côté, NISP « bénéficiera du plus grand champ visuel sur un instrument infrarouge ayant jamais volé dans l’espace ». De plus amples détails sont disponibles sur ce site dédié à Euclid.

Commentaires (18)

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La matière noire (ou sombre) est une « substance » dont l’existence fait consensus chez les >physiciens,


Elle ne fait pas consensus me semble-t-il, il y a des théories qui essaient de s’en passer (théorie MOND par exemple).

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D’après certains, c’est le problème : Le très gros des troupes est parti sur la matière/énergie noire. Donc, si tu veux des financements, il faut aller dans cette direction. Du coup, ça renforce le “consensus” depuis des années, sans résultats probant. C’est un problème de troupeau, tout le monde suit le mouvement, éventuellement à contre cœur pour une petite partie. Au risque de rester des décennies à tourner en rond dans un cul de sac.



A chaque fois ça, la matière noire me fait penser à l’éther du siècle dernier.




(reply:1882788:DantonQ-Robespierre)


Je te conseille ça : youtube.com YouTube

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J’avoue que je pense la même chose, ça fait des dizaines d’années qu’on cherche la matière noire sans aucun autre indices que les effets gravitationnels observés, ça donne l’impression qu’on s’enferme dans cette solution.

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Ben c’est qu’on ne connaît rien d’autre que la matière qui affecte la gravitation, donc on part la dessus…
Mais si quelqu’un trouve autre chose de plausible, ne t’inquiète pas, ça sera étudié.

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Merci énormément pour cette conférence pleine d’humour et absolument passionnante ! Je pense que s’il savait, ce bon vieux Platon se retournerait dans sa tombe… de joie !



Comme quoi on peut faire d’excellentes confitures dans de très, très vieux pots…



Ceci dit, l’idée risque fort de déranger, voire de secouer pas mal de physiciens confortablement accrochés aux acquis du Modèle Standard…

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Résolution ≠ définition

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C’est corrigé :chinois:
Et je vais de ce pas chercher des orties pour quelques coups de fouet avec :transpi:

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eglyn a dit:


Elle ne fait pas consensus me semble-t-il, il y a des théories qui essaient de s’en passer (théorie MOND par exemple).


Consensus ne veux pas dire que tout le monde est d’accord mais la grande majorité. La science vogant d’un consensus à l’autre au fil des découvertes

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Pour faire court, ce n’est pas parce que l’observation n’est pas conforme au modèle que le modèle est faux.



Par exemple, avec Newton, l’observation contredit le modèle du on prend une plume et une bulle de plomb.



Après, certains scientifiques creusent la piste des forces engagées par l’univers non visible en occultant complètement l’existence de matière noire. Aussi, on ne connait pas bien l’origine de la masse qui est à ses balbutiements avec la découverte du boson de higgs.



Par ailleurs, intervient également des problématiques mathématiques sur les grands nombres de l’ordre de l’infini (ex : 1+2+3…=-112).



Nos connaissances actuelles sont encore limitées en la matière. C’est déjà fabuleux de pouvoir réaliser les modèles actuels en regardant par la lorgnette caché derrière une porte.

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eglyn a dit:


Elle ne fait pas consensus me semble-t-il, il y a des théories qui essaient de s’en passer (théorie MOND par exemple).


De ce que j’ai compris la théorie MOND ne semble de plus capable d’expliquer les anomalies gravitationnelles au vu des dernières découvertes que l’on a fait sur la matière noire. Actuellement le consensus semble clairement s’orienter vers des objets localisés.

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thecis a dit:


Par ailleurs, intervient également des problématiques mathématiques sur les grands nombres de l’ordre de l’infini (ex : 1+2+3…=-112).


Il peut se passer des chose bizarre quand on manipule l’infini n’importe comment, mais il n’y a pas de problème particulier a faire des mathématique avec des grand nombres, du moins pas ceux a l’échelle de l’univers.



Le nombre de molécules de l’univers observable c’est 2^80 atomes, un blague pour les mathématiciens qui peuvent travailler avec des nombres inimaginablement plus grand comme le nombre de Graham ou TREE(3) mais en les considérant tout à fait comme des nombre normaux.

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thecis a dit:


Pour faire court, ce n’est pas parce que l’observation n’est pas conforme au modèle que le modèle est faux.



Par exemple, avec Newton, l’observation contredit le modèle du on prend une plume et une bulle de plomb.


Oui, car le modèle est « faux » (en tout cas, pas assez précis pour réussir à expliquer la différence), pas l’observation :transpi:.

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Si j’en crois cet article (déjà cité ailleurs, mais vraiment passionnant) : ni la matière, ni l’énergie noires n’existent.



(Cela m’a semblé complètement différent de la théorie MOND, elle aussi déjà discutée ailleurs, mais je peux me tromper)

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yannickta a dit:


D’après certains, c’est le problème : Le très gros des troupes est parti sur la matière/énergie noire. Donc, si tu veux des financements, il faut aller dans cette direction.


Les deux piste ont été pas mal étudiées. Si on se concentre de plus en plus sur la matière noire, c’est surtout que toutes les découvertes récentes vont beaucoup plus dans ce sens que dans le sens d’une réforme des loi de la gravitation. C’est assez facile d’imaginer que la matière noire est répartie inégalement dans l’univers. C’est plus difficile d’imaginer une loi de gravitation qui varie au travers de l’univers.




yannickta a dit:


A chaque fois ça, la matière noire me fait penser à l’éther du siècle dernier.


C’est sur que la matière noire a un point commun avec l’Ether : c’est que c’est quelque chose d’intangible qui permet de compléter une théorie. La différence c’est que l’éther posait plein de problèmes théoriques qui font que la théorie était inconsistante et qu’il donc a été abandonné.
La nature exacte de la matière noire n’est certes pas connue, mais elle reste cohérente avec les observations actuelles.

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Je plussoie sur les financements, et le fait que les astrophysiciens actuels sont beaucoup trop orientés dans leurs certitudes. C’est un peu comme la théorie des cordes qui n’a jamais conduit à aucune prévision ou observation, mais qui est très utile à un cercle de gens pour passer des doctorats et s’auto-congratuler entre eux. Le conformisme ambiant et le manque d’imagination sont en train de tuer l’esprit scientifique de base. Quant aux deux expériences qui étaient censées démontrer l’existence de la matière noire, elles n’ont rien donné, expliquant pourquoi de plus en plus de scientifique dans la communauté commencent sérieusement à douter de cette voie. Ensuite on peut toujours bricoler des cartes d’amas de matière sombre avec des ordinateurs. Ça passe le temps, ça fait des publications, ça fait plaisir. Avant on faisait des théories que l’on vérifiait par l’expérience. Maintenant on engrange des exabytes d’expérience en espérant que l’IA trouvera la théorie à notre place. J’exagère à peine chez certains. Bref, je pense qu’on va bien rigoler dans les 30 ans qui viennent, avec un nombre croissant de pseudo-scientifiques. La crise sanitaire a ainsi déjà démontré ce qui se passe quand des bouffons sous influence jouent les conseillers du pouvoir, ou pire encore : deviennent des politiques à part entière.

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hansi a dit:


Avant on faisait des théories que l’on vérifiait par l’expérience


C’est faux. L’observation a toujours été la première phase avant d’élaborer un modèle théorique que l’on vérifie par l’expérience. Il a fallu près de 50 ans avant de détecter le boson de Higgs qui n’était qu’une théorie pour tenter d’expliquer certains phénomènes physiques, par exemple.

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eglyn a dit:


J’avoue que je pense la même chose, ça fait des dizaines d’années qu’on cherche la matière noire sans aucun autre indices que les effets gravitationnels observés, ça donne l’impression qu’on s’enferme dans cette solution.


Comparaison n’est pas raison, mais la découverte des ondes gravitationnelles n’a pas été un long fleuve tranquille.



L’“inventeur” qu’était Einstein s’est déjugé, avant de revenir sur cela. Les observations indirectes laissaient penser qu’elles existaient (perte de masse lors de la fusion de deux corps massifs) mais pas assez précises pour valider ou invalider cela. Puis la marge d’erreur a baissé, les scientifiques de tout bord de plus en plus convaincus.



Tellement convaincus qu’ils ont fait dépenser des milliards d’€ dans des instruments de plusieurs kilomètres de long et horriblement sensibles (ligo et virgo), travailler 10 ans sur du bruit pour une seule chose : capter un signal qui n’existait pas à ce moment.



Parfois l’effet troupeau a du bon.

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