Les policiers en ont marre de demander l’autorisation de cliquer sur les liens pédophiles
Pedobarred
Le 31 décembre 2020 à 07h30
13 min
Droit
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La vice-présidente des Républicains a déposé une proposition de loi visant à faciliter la procédure en matière d'enquêtes sous pseudonyme, ou « cyberpatrouilles », ès-pédocriminalité. Mais également élargir le champ du fichier judiciaire automatisé des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes.
Avec sa proposition de loi, la députée Virginie Duby-Muller veut renforcer la lutte contre la pédocriminalité, après avoir été contactée par un gendarme savoyard indigné par le voyage à l’étranger d’un pédophile de Haute-Savoie.
Pour étoffer son texte, rapporte l'Essor de la gendarmerie, elle a rencontré le commissaire divisionnaire Éric Berot, patron de l’Office Central de Répression des Violences aux Personnes (OCRVP). Les treize enquêteurs de son Groupe Central des Mineurs Victimes (GCMV), chargé des infractions liées à la pédopornographie et au tourisme sexuel, ont raconté les difficultés et lourdeurs de la procédure dite de cyberinfiltration sous pseudonyme.
Non content d'être « évidemment totalement sous‑dimensionné face à la menace, et contraint de se concentrer majoritairement sur les phénomènes les plus inquiétants, et de prioriser les dossiers », déplore la députée, ce groupe de policiers infiltrés doit notamment demander une autorisation expresse au procureur ou au juge d’instruction avant de cliquer sur un lien web pédophile. Une demande préalable que la députée propose de supprimer pour la remplacer par une habilitation spéciale.
Des enquêteurs forcés à « des acrobaties juridiques pour respecter la loi »
Introduite par la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance afin de mieux lutter contre la mise en péril de mineurs, la technique des enquêtes sous pseudonyme, ou « cyberpatrouilles », permet à des officiers de police judiciaire, dès lors que diverses infractions sont commises au moyen d’Internet, d’enquêter en ligne, sous pseudonyme, afin de recueillir des preuves.
Elle a depuis été progressivement généralisée à l'ensemble des infractions de la délinquance et de la criminalité organisées, mais également aux délits d'atteintes aux systèmes de traitement automatisé de données à caractère personnel mis en œuvre par l'État, commis en bande organisée.
Or, une modification du code de la procédure pénale, entrée en vigueur le 1er juin 2019 et ayant vocation à uniformiser le régime de cette technique d’enquête, a paradoxalement complexifié son usage en matière de lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants en ligne.
Virginie Duby-Muller explique en effet qu'en vertu de l'article 230 - 46 du code de procédure pénale, « l’acquisition et la transmission de contenus illicites en réponse à une demande expresse sont désormais soumises à une autorisation préalable du procureur de la République ou du juge d’instruction ». Dès lors, « à chaque fois que le policier infiltré constate un lien pédophile, il doit demander l’autorisation au parquet avant de pouvoir cliquer sur ce lien et constater la présence de matériel pédopornographique ».
Or, « assujettir ainsi le recueil de la preuve à cette autorisation préalable met à mal l’impératif de réactivité et d’échange instantané que se doivent d’avoir les enquêteurs spécialisés, particulièrement contraints dans leur travail ». Outre le caractère très chronophage de cette mesure, elle se révèle également profondément inapplicable à la cyberinfiltration sur internet, « forçant les enquêteurs à des acrobaties juridiques pour respecter la loi ».
Une disposition censée « simplifier les phases d’enquête »
Cet article avait été introduit par la loi du 23 mars 2019 de programmation 2018 - 2022 et de réforme pour la justice pour, paradoxalement, « simplifier les phases d’enquête en harmonisant et en étendant le recours aux techniques spéciales d’enquête ou aux enquêtes sous pseudonyme sur internet ».
Les règles applicables au recours à cette technique figuraient en effet « de manière éparse et dans des rédactions hétérogènes au sein d’une dizaine de dispositions du code de procédure pénale, de codes spécialisés et de lois », déploraient alors Laetitia Avia et Didier Paris, rapporteurs de la commission des lois de l'Assemblée.
L'article entendait également l'élargir à une catégorie d’infractions définies non plus par leur nature mais par la peine encourue d’une part, et le mode opératoire d’autre part, à savoir « tous les crimes et aux délits punis d’une peine d’emprisonnement lorsque ces infractions sont commises par un moyen de communication électronique », et d'étendre la possibilité pour les enquêteurs d'« acquérir et de transmettre des produits ou contenus illicites, après autorisation du magistrat en charge de l’enquête », à peine de nullité.
L'objectif était d'« encadrer, désormais, l'acquisition de tout contenu, produit, substance, prélèvement ou service, y compris illicite, qui serait soumise à l'autorisation du procureur de la République ou du juge d'instruction, autorisation mentionnée au dossier de la procédure ».
Cette autorisation préalable était alors présentée comme susceptible de constituer « une garantie pour les officiers de police judiciaire qui seraient conduits à commettre des actes illicites, tout en permettant de sécuriser la procédure et d'éviter certains abus ».
« Nous exigeons l’autorisation préalable d’un magistrat »
Au Sénat, la commission des lois avait souligné que « la "cyber-infiltration" (ou l'enquête sous pseudonyme) n'est encadrée par aucune des garanties prévues pour l'infiltration, en dépit de sa nature attentatoire au droit au respect de la vie privée ». Or, et « en l'absence de contrôle, le risque que les enquêteurs recourent à des stratagèmes visant à provoquer la commission d'une infraction demeure élevé malgré l'interdiction "d'inciter à commettre ces infractions" ».
Elle avait dès lors adopté un amendement « visant à autoriser le recours à cette technique seulement pour les enquêtes concernant les infractions punies d'une peine égale ou supérieure à trois ans d'emprisonnement » et à l'entourer de « plusieurs garanties, à savoir le contrôle de l'autorité judiciaire sur les opérations et l'interdiction de recourir à des "procédés frauduleux" ou à des stratagèmes visant à provoquer des infractions, contraires à l'exigence constitutionnelle de loyauté de la preuve ».
Nicole Belloubet, garde des Sceaux, avait répondu que « la restriction aux seules infractions punies d’une peine d’au moins trois ans d’emprisonnement proposée par la commission des lois constituerait un recul par rapport au droit actuel dans des affaires pour lesquelles cette procédure est aujourd’hui possible. Je pense, par exemple, aux affaires d’acquisition ou de consultation d’images pédopornographiques qui constituent un délit puni de deux ans d’emprisonnement ».
Elle rappelait par ailleurs que « nous avons souhaité, contrairement à ce que j’ai entendu, renforcer le contrôle de l’autorité judiciaire : nous exigeons l’autorisation préalable d’un magistrat lorsqu’il y a acquisition ou transmission de produits illicites, soit du procureur de la République, soit du juge d’instruction qui intervient sur autorisation préalable. Cette disposition n’existait pas auparavant. Nous renforçons donc les garanties. Je le dis également à l’attention des sénatrices et sénateurs qui craignent que nous n’allions systématiquement à l’encontre des garanties et des libertés ».
Une « autorisation préalable », par « tout moyen », mais pas « motivée »
En réponse à un amendement de la députée sociale Cécile Untermaier, qui proposait que cela fasse l’objet d’« une autorisation spécialement motivée du juge des libertés et de la détention », Nicole Belloubet avait rétorqué que « le fait d’exiger une autorisation préalable priverait d’intérêt ce type d’enquête, qui doit pouvoir être lancée dans des délais très courts. Parce qu’il s’agit d’actes liés à internet, il faut agir rapidement ».
Rappelant que le gouvernement souhaitait « maintenir le principe selon lequel l’autorisation du magistrat pour acquérir ou transmettre des contenus ou produits illicites peut être donnée par tout moyen », elle estimait a contrario que « le fait de prévoir une décision écrite et motivée du magistrat nous semble alourdir inutilement la procédure et ne va pas dans le sens de la simplification, laquelle est, je le rappelle, l’un des objets principaux du projet de loi que je défends ».
Virginie Duby-Muller propose donc de simplifier la procédure de cyberinfiltration des enquêteurs pour lutter les pédocriminels. Il suffirait de retirer l'obligation, « à peine de nullité », de demande d'autorisation du procureur de la République ou du juge d’instruction, avant d'« extraire, transmettre en réponse à une demande expresse, acquérir ou conserver des contenus illicites ».
Elle compte également « adapter la durée de la garde à vue aux réalités de l’exploitation informatique de ses objets personnels, très souvent nécessaire dans le cadre de la lutte contre la pédocriminalité (exploitation de l’ordinateur du gardé à vue, qui utilise souvent le darknet et un système crypté) », en prévoyant une prolongation de la garde à vue au‑delà de 24 heures « si une exploitation des saisies des supports numériques de la personne gardée à vue est nécessaire ».
Un fichier de plus de 78 000 « auteurs d’infractions sexuelles ou violentes »
Elle propose enfin quatre autres articles afin de renforcer le Fichier Judiciaire des Auteurs d’Infractions Sexuelles ou violentes (FIJAIS) en vue d'améliorer la lutte contre les pédocriminels.
Pour rappel, ce fichier placé sous la responsabilité du ministère de la justice, recense les personnes majeures ou mineures condamnées pour certaines infractions sexuelles ou violentes (30 ans pour un crime ou un délit puni de 10 ans de prison ou plus, 20 ans dans les autres cas), afin de faciliter l'identification et la localisation des auteurs de ces infractions, et empêcher leur répétition.
Y sont fichées les personnes condamnées, même de manière non définitive, y compris en cas de dispense de peine ou d'ajournement de la peine, celles déclarées irresponsables pénalement en raison d'un trouble mental, ayant exécuté une composition pénale ou simplement mises en examen lorsque le juge d'instruction a ordonné l'inscription de la décision dans le fichier. À noter que l'exhibition sexuelle et le harcèlement sexuel n'entraînent pas l'inscription au FIJAIS. Plus de 78 000 personnes y étaient inscrites en 2018, contre environ 43 408 en octobre 2008.
Elles ont l’obligation de justifier de leur adresse au moins une fois par an et de déclarer leur changement d’adresse dans les quinze jours. Plusieurs autorités peuvent avoir accès à ce fichier : les autorités judiciaires, les officiers de police judiciaire spécialement habilités, les préfets et administrations de l’État, les maires et les présidents de conseils régionaux et départementaux par l’intermédiaire des préfets pour les recrutements dans les professions impliquant des contacts avec des mineurs.
Éviter l'exportation de la pédocriminalité
Or, « plusieurs zones d’ombre dans ce fichier permettent aujourd’hui à la pédocriminalité de s’exporter facilement, et de nombreux pédocriminels vont s’attaquer à de nouveaux enfants hors de nos frontières », déplore la députée.
Virginie Duby-Muller compte tout d'abord inverser le raisonnement concernant l’inscription au FIJAIS : les personnes condamnées pour délit de consultation habituelle de pédopornographie seront systématiquement inscrites dans le fichier, sauf décision contraire spécialement motivée de la juridiction.
En l'état, le code de la procédure pénale prévoit en effet que « les décisions concernant les délits (…) ne sont pas inscrites dans le fichier, sauf si cette inscription est ordonnée par décision expresse de la juridiction ».
Un second article veut favoriser la consultation préventive et la vérification des antécédents des Français employés comme bénévoles dans des associations, en France comme à l’étranger (notamment dans le domaine humanitaire), en permettant au président d’une association accueillant des mineurs de demander une vérification au FIJAIS aux autorités françaises.
Un troisième article entend obliger les individus condamnés pour des infractions à caractère sexuelles commises contre des mineurs à signaler leurs sorties de territoire. Il s’agirait de rendre obligatoire le signalement des personnes fichées au FIJAIS pour un départ en vacances à l’étranger, en amont de leur départ, et le signalement de celles expatriées au consulat le plus proche, dans un délai de 15 jours après le déménagement.
Ficher les passeports des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes
La proposition de loi (PPL) vise enfin à « renforcer la lutte contre l’exploitation sexuelle des enfants à l’étranger, en faisant figurer sur les passeports des agresseurs sexuels pénalement condamnés en France la mention de leurs actes, afin de prévenir toute velléité de récidive à l’étranger, dans des pays où l’exploitation sexuelle des mineurs n’est toujours pas au centre de l’action publique ».
Cette mesure s’inspire de l'« International Megan’s Law to Prevent Demand for Child Sex Trafficking » signée le 8 février 2016 par le président Barack Obama et qui oblige à faire mentionner à l'intérieur des passeports des agresseurs sexuels de mineurs de nationalité américaine une mention stipulant qu’ils ont été condamnés pour cette agression, afin de prévenir les autorités étrangères de leurs crimes passés.
La députée note à ce titre que le département d’État américain avait en outre révoqué les passeports existants, et demandé aux personnes concernées de refaire leur passeport selon la nouvelle législation.
Une mesure par ailleurs critiquée à mesure que se retrouvent également fichées comme telles des personnes ayant eu un rapport consenti avec un(e) mineur(e) ayant caché sa minorité, ou encore des mineurs consentants. Des adolescents de plus de 16 ans sont ainsi régulièrement fichés comme criminels sexuels pour avoir fait l'amour alors qu'ils n'avaient pas 18 ans, ou encore pour s'être envoyés des sextos...
Alors que son modèle américain ne vise que les seuls agresseurs sexuels de mineurs, la proposition de loi cible quant à elle tous « les auteurs d’infractions sexuelles ou violentes inscrits sur le fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles ou violentes ayant fait l’objet d’une condamnation définitive ». La PPL précise cela dit que « les modalités et conditions d’application de ces dispositions sont déterminées par décret en Conseil d’État pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés ».
Nos confrères de l'Essor notent en outre qu'« il ne faudra toutefois pas espérer un examen prochain de ce texte : la prochaine niche parlementaire de l’opposition visée est en effet en septembre prochain ». La députée espère toutefois pouvoir pousser sa réforme avant cette date, sous forme d’amendements.
Elle aurait aussi demandé un rendez-vous avec Gérald Darmanin pour convaincre le gouvernement d’agir.
Les policiers en ont marre de demander l’autorisation de cliquer sur les liens pédophiles
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Des enquêteurs forcés à « des acrobaties juridiques pour respecter la loi »
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Une disposition censée « simplifier les phases d’enquête »
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Une « autorisation préalable », par « tout moyen », mais pas « motivée »
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Un fichier de plus de 78 000 « auteurs d’infractions sexuelles ou violentes »
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Éviter l'exportation de la pédocriminalité
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Ficher les passeports des auteurs d'infractions sexuelles ou violentes
Commentaires (12)
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Abonnez-vousLe 31/12/2020 à 08h57
Mais c’est pas possible d’être aussi lent…
Ça explique pas mal de choses du coup.
Le 31/12/2020 à 09h31
Encore une fois ce n’est pas forcément la procédure le problème mais les ressources humaines disponibles
Le 05/01/2021 à 12h57
Dans les cirques il y a d’ailleurs de moins en moins de funambules.
Le 31/12/2020 à 11h23
Brigitte Macron, la prof qui baise avec ses élèves mineurs, va enfin être fichée
Le 31/12/2020 à 11h35
[quote]À noter que … le harcèlement sexuel n’entraînent pas l’inscription au FIJAIS.[/quote]
Le 31/12/2020 à 11h50
On dit haut-savoyard si on ne veut pas risquer le bûcher.
Le 01/01/2021 à 01h53
+1000
Les gens y voient souvent l’inéficacité chronique de la Justice, alors qu’au contraire elle est très efficace avec les moyens qu’on lui donne…
Le 01/01/2021 à 12h49
Sinon, un paire de ciseaux pour couper l’objet du délit
Le 01/01/2021 à 14h00
Attention quand même si c’est un enfant l’objet
Le 01/01/2021 à 15h33
Combien de temps à votre avis pour que ces propositions se retrouvent pour autre chose que pour les pédophiles ?
Le 05/01/2021 à 12h55
A concurrence des différences des droits nationaux. Ce qui est légal ici peut être interdit là…
Le 01/01/2021 à 15h35