Aurores sur Jupiter : un mystère de 40 ans résolu

Aurores sur Jupiter : un mystère de 40 ans résolu

Mais il en reste encore tellement…

Avatar de l'auteur

Sébastien Gavois

Publié dansSciences et espace

13/07/2021
6
Aurores sur Jupiter : un mystère de 40 ans résolu

Pour la première fois, des astronomes ont observé l'ensemble du mécanisme de formation des aurores à rayons X sur Jupiter. Pour les chercheurs, ce processus pourrait se produire « dans de nombreuses autres parties de l'Univers ». La sonde spatiale Juno de la NASA et le télescope XMM-Newton de l’ESA ont été mis à contribution.

« Les aurores de Jupiter émettent toutes sortes de rayonnements, parmi lesquels de puissants flashs de rayons X. Ceux-ci sont d’autant plus intrigants qu’ils se répètent souvent toutes les 10 à 40 minutes », rappelle l’Université de Liège. Leur origine restait par contre un mystère pour les scientifiques.

Le Dr Zhonghua Yao, chercheur à la Chinese Academy of Sciences et membre du Laboratoire de Physique Atmosphérique et Planétaire de l’Université de Liège explique ce phénomène : « Ces aurores en rayons X sont causées par des ions d’oxygène et de soufre qui proviennent de la lune volcanique Io [un satellite naturel de Jupiter, ndlr] et qui, après s’être répandus dans toute la magnétosphère de Jupiter, sont accélérés avant d'être précipités dans l'atmosphère polaire de Jupiter ». Un sujet qu’il connait bien puisqu’il est le premier auteur de la publication scientifique dans Science Advances.

Une sonde (NASA) et un télescope (ESA) main dans la main

Pour arriver à ce résultat, les chercheurs se sont basés à la fois sur des données de la sonde Juno et des mesures d’un télescope spatial en orbite autour de la Terre. C’est bien la combinaison des deux instruments qui permet d’arriver au résultat, l’un ou l’autre seul ne pouvait être suffisant.

Bertrand Bonfond, chercheur au LPAP et co-auteur de l’étude, explique pourquoi :

« On pourrait croire, naïvement, que les observations des planètes depuis la Terre sont superflues, puisque l’on peut envoyer des sondes sur place. Rien n’est moins vrai, car les instruments qui mesurent les particules ou le champ magnétique d’une planète ne peuvent effectuer leurs observations que d’un seul endroit à la fois.

Les télescopes au sol ou en orbite autour de la Terre fournissent une vue globale qui placent les observations de sondes spatiales telles que Juno, dans ce cas précis, dans leur contexte. De plus, les sondes spatiales ne sont pourvues que d’un nombre limité d’instruments et aucune caméra à rayons X n’a jamais été embarquée sur une sonde pour étudier Jupiter ».

Les aurores sur Terre et Jupiter

Zhonghua Yao a remarqué que quelque chose clochait au niveau des aurores à rayons X de Jupiter, du moins par rapport à ce que l’on connait de ce phénomène sur Terre où les aurores ne sont visibles que sur une ceinture avec des latitudes comprises entre 65 et 80°. Au-delà de 80°, « les lignes de champ magnétique quittent la Terre et se connectent au champ magnétique du vent solaire ».

On aurait pu retrouver le même phénomène sur Jupiter, mais ce n’est pas le cas. Des aurores de rayons X sont présentes aux pôles et peuvent même être différentes entre le Nord et le Sud. Un mystère qu’il fallait donc résoudre.

L’équipe de Yao avait déjà découvert que les aurores à rayons X « pouvaient être liées à des champs magnétiques fermés générés à l'intérieur de Jupiter, qui s’étendent ensuite sur des millions de kilomètres dans l'espace avant de faire demi-tour ». D’immenses boucles en quelque sorte, qui finissent par revenir au lieu de quitter définitivement la planète. Des mesures confirment cette hypothèse. 

Des aurores toutes les 27 minutes

Les 16 et 17 juillet 2017, le télescope XMM-Newton de l’Agence spatiale européenne (ESA) a observé Jupiter en continu pendant près de 26 heures. Il a alors « vu » des aurores à rayons X pulser à intervalle régulier, toutes les 27 minutes pour être précis.

À ce moment-là, Juno « se trouvait approximativement à 4 500 000 km de Jupiter, au cœur de sa magnétosphère, précisément sur les lignes de champ magnétique reliées à ces aurores », explique l’université de Liège. Quand nous parlions de boucles géantes à des millions de kilomètres, Juno était donc en plein dedans et a donc pu prendre des mesures.

La sonde décrit une orbite fortement elliptique, l’amenant jusqu’à 4 200 km seulement de la planète avant de s’en éloigner jusqu’à 8 millions de kilomètres. 

L‘analyse des données de Juno donne un premier indice aux chercheurs : « des oscillations du champ magnétique qui avaient justement la même période que les flashs auroraux », cela ne pouvait donc pas être une coïncidence. « Ils se sont alors tournés vers des simulations numériques de la magnétosphère pour rechercher l’origine de ces oscillations et ils ont trouvé qu’elles étaient probablement générées par la friction du vent solaire sur les couches externes de la magnétosphère ».

La pièce manquante : les ondes EMIC

Zhonghua Yao tempère : « ces oscillations lentes du champ magnétique vibrent certes au même tempo que les aurores X, mais elles ne peuvent pas, à elles seules, accélérer les ions ». Il manquait donc toujours une pièce du puzzle pour arriver aux aurores à rayons X. La réponse se trouve dans les ondes électromagnétiques ions-cyclotron (aussi appelées ondes EMIC).

« Ces ondes sont excitées par les oscillations lentes du champ magnétique, et elles ont justement la bonne fréquence pour permettre aux ions de "surfer" dessus et de gagner de la vitesse, jusqu’à ce qu’elles percutent l’atmosphère et génèrent les bouffées de rayons X », explique l’université.

L’ESA aussi y va de son explication de manière plus imagée :

« Lorsque la planète tourne, elle entraine avec elle son champ magnétique. Le champ magnétique est frappé par les particules de vent solaire et se retrouve comprimé. Cette compression fait chauffer des particules piégées dans le champ magnétique de Jupiter. Cela déclenche un phénomène appelé ondes électromagnétiques ions-cyclotron (EMIC), dans lesquelles les particules se dirigent ».

« Les particules sont des atomes chargés électriquement appelés ions […] Les ions "surfent" sur les ondes EMIC sur des millions de kilomètres dans l’espace, et finissent par s'écraser dans l'atmosphère de la planète en déclenchant des aurores à rayons X ».

William Dunn, co-auteur et membre de l’université de Liège, affirme qu’il ne s’agit pas de science-fiction : « Nous voyons ce bel enchainement d’événements dans les données de Juno. Nous voyons la compression se produire, nous voyons l'onde EMIC se déclencher, nous voyons les ions, puis nous les voyons se déplacer […] Et, quelques minutes plus tard, XMM voit une rafale de rayons X ».

Même chose sur Saturne, Uranus, Neptune et d’autres ?

Zhonghua Yao élargit cette conclusion à d’autres planètes : « Il n’y a aucune raison pour que ces jeux complexes entre ondes et particules, en particulier le rôle des ondes EMIC, soient une particularité de Jupiter. Sur Terre, les ondes EMIC accélèrent aussi des protons dans l’atmosphère aurorale. Il s'agit d'un processus fondamental qui s'applique à Saturne, Uranus, Neptune et probablement aussi aux exoplanètes ». Il pense que cela pourrait aussi s’étendre à des structures bien plus grosses comme des amas de galaxies.

Pour William Dunn, « il se pourrait que les ondes EMIC jouent un rôle important dans le transfert d'énergie d'un endroit à un autre à travers le cosmos ».

Dans tous les cas, l’étude des aurores de Jupiter devrait reprendre de plus belle dans quelques années avec la sonde JUICE (JUpiter ICy moons Explorer) de l'ESA. Lancement prévu en 2022, arrivé sur place en 2029.

6
Avatar de l'auteur

Écrit par Sébastien Gavois

Tiens, en parlant de ça :

Google lance son opération de communications Gemini pour rivaliser avec OpenAI

Preprint not PR-print

17:31 IA 0
Ecran bleu de Windows

Linux : le composant systemd se dote d’un écran bleu de la mort

LoL Micro$oft

16:33 Soft 12
Une petite fille en train d'apprendre à programmer et hacker logiciels et appareils électroniques

Un roman graphique explique les logiciels libres aux enfants

Hacking 4 freedom

11:24 SoftSociété 17

Sommaire de l'article

Introduction

Une sonde (NASA) et un télescope (ESA) main dans la main

Les aurores sur Terre et Jupiter

Des aurores toutes les 27 minutes

La pièce manquante : les ondes EMIC

Même chose sur Saturne, Uranus, Neptune et d’autres ?

Google lance son opération de communications Gemini pour rivaliser avec OpenAI

IA 0
Ecran bleu de Windows

Linux : le composant systemd se dote d’un écran bleu de la mort

Soft 12
Une petite fille en train d'apprendre à programmer et hacker logiciels et appareils électroniques

Un roman graphique explique les logiciels libres aux enfants

SoftSociété 17
Nouveautés pour Messenger

Meta lance (enfin) le chiffrement de bout en bout de Messenger, entre autres

Socials 4

#LeBrief : cloud européen, OSIRIS-REx a frôlée la catastrophe, CPU AMD Ryzen 8040

Windows en 2024 : beaucoup d’IA, mais pas forcément un « 12 »

Soft 18
Einstein avec des qubits en arrière plan

Informatique quantique, qubits : avez-vous les bases ?

HardScience 8
Notifications iPhone

Surveillance des notifications : un sénateur américain demande la fin du secret

DroitSécu 14

En ligne, les promos foireuses restent d’actualité

DroitWeb 19

#LeBrief : modalité des amendes RGPD, cyberattaque agricole, hallucinations d’Amazon Q, 25 ans d’ISS

Logo Twitch

Citant des « coûts prohibitifs », Twitch quitte la Corée du Sud

ÉcoWeb 29
Formation aux cryptomonnaies par Binance à Pôle Emploi

Binance fait son marketing pendant des formations sur la blockchain destinées aux chômeurs

Éco 10
Consommation électrique du CERN

L’empreinte écologique CERN en 2022 : 1 215 GWh, 184 173 teqCO₂, 3 234 Ml…

Science 6
station électrique pour voitures

Voitures électriques : dans la jungle, terrible jungle, des bornes de recharge publiques

Société 74

#LeBrief : intelligence artificielle à tous les étages, fichier biométrique EURODAC

KDE Plasma 6

KDE Plasma 6 a sa première bêta, le tour des nouveautés

Soft 13
Un homme noir regarde la caméra. Sur son visage, des traits blancs suggèrent un traitement algorithmique.

AI Act et reconnaissance faciale : la France interpelée par 45 eurodéputés

DroitSociété 4
Api

La CNIL préconise l’utilisation des API pour le partage de données personnelles entre organismes

SécuSociété 3
Fouet de l’Arcep avec de la fibre

Orange sanctionnée sur la fibre : l’argumentaire de l’opérateur démonté par l’Arcep

DroitWeb 22
Bombes

Israël – Hamas : comment l’IA intensifie les attaques contre Gaza

IA 22

#LeBrief : bande-annonce GTA VI, guerre électronique, Spotify licencie massivement

Poing Dev

Le poing Dev – Round 7

Next 102
Logo de Gaia-X sour la forme d’un arbre, avec la légende : infrastructure de données en forme de réseau

Gaia-X « vit toujours » et « arrive à des étapes très concrètes »

WebSécu 6

Trois consoles portables en quelques semaines

Hard 37
Une tasse estampillée "Keep calm and carry on teaching"

Cyberrésilience : les compromis (provisoires) du trilogue européen

DroitSécu 3

#LeBrief : fuite de tests ADN 23andMe, le milliard pour Android Messages, il y a 30 ans Hubble voyait clair

#Flock a sa propre vision de l’inclusion

Flock 25
Un Sébastien transformé en lapin par Flock pour imiter le Quoi de neuf Docteur des Looney Tunes

Quoi de neuf à la rédac’ #10 : nous contacter et résumé de la semaine

44
Fairphone 5 démonté par iFixit

Sans surprise, le Fairphone 5 obtient 10/10 chez iFixit

Hard 4

WhatsApp vocaux à vue/écoute unique

WhatsApp permet d’envoyer des vocaux à écoute unique

Soft 10

Logo de Google sur un ordinateur portable

Google propose un correctif aux disparitions mystérieuses sur Drive

Soft 21

Puce AMD Instinct

IA : AMD annonce la disponibilité des accélérateurs Instinct MI300A et MI300X

Hard 0

Un œil symbolisant l'Union européenne, et les dissensions et problèmes afférents

Cloud : 1,2 milliard d’euros pour un Projet important d’intérêt européen commun

Web 11

Sonde OSIRIS-REx de la NASA lors du retour de la capsule des échantillons sur Terre

Échantillons d’OSIRIS-REx : la NASA a frôlé la catastrophe

Science 11

CPU AMD Ryzen avec NPU pour l’IA

Ryzen 8040 : AMD lance de nouveaux CPU mobiles (Zen 4, RDNA 3, NPU)

Hard 2

Commentaires (6)


ChatNoir Abonné
Le 13/07/2021 à 12h31

Très intéressant, merci Sébastien.


darkweizer Abonné
Le 13/07/2021 à 12h47

Sympa :inpactitude:


dematbreizh Abonné
Le 13/07/2021 à 14h23

« il se pourrait que les ondes EMIC jouent un rôle important dans le transfert d’énergie d’un endroit à un autre à travers le cosmos »



ça sens la future explication foireuse de série/film de SF à l’avenir…
(pour une “téléportation” ou autre technologie remplaçant le nucléaire. Ou une catastrophe menaçant la terre!)


DantonQ-Robespierre Abonné
Le 13/07/2021 à 16h42

Magnifique, comme d’habitude, MERCI Sébastien ! :incline:


sitesref Abonné
Le 14/07/2021 à 12h18

:bravo: :bravo: :bravo:


Inny Abonné
Le 14/07/2021 à 15h44

Un article de Seb, c’est bien. :D