Projet européen Gaia-X : « Il ne faut pas se moquer du monde »
Seulement de l’Europe ?
Le 15 avril 2022 à 13h04
8 min
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Lors de la conférence de lancement de Cloud XPR, Jaguar Telecom et Scaleway sont revenus sur le cas de Gaia-X. Ils n’ont pas changé d’avis sur le sujet : « je pense qu’il y a un faux masque […] Très clairement, il ne faut pas se moquer du monde ». D’autres comme OVHcloud ne veulent pas « déposer les armes ».
Gaia-X est un projet européen dont les racines ont maintenant plus de trois ans. Il a été lancé par l’Allemagne qui est rapidement rejointe par la France, avant de s’étendre dans le reste de l’Union européenne… et du monde au grand désespoir de certains. 22 membres (11 allemands et 11 français) étaient de la partie lors de l’annonce en grande pompe en juin 2020 de cette « infrastructure européenne de données ».
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Fin 2020, de nouveaux acteurs sont arrivés et pas des moindres. Une première salve de 158 membres en novembre, dont l’américain Salesforce et « tous les fournisseurs de cloud au niveau mondial, mais aussi toute une série d’utilisateurs dans de grands domaines comme la finance, l’énergie, la santé, l’industrie 4.0 ou la mobilité », expliquait à l’époque Hubert Tardieu (PDG par intérim de l’association Gaia-X).
Quelques semaines plus tard, c’était au tour de Palantir d’entrer dans Gaia-X. Une arrivée étonnante quand on se souvient que les trois piliers de Gaia-X étaient alors respect de la vie privée, souveraineté des données et interopérabilité… La société est en effet spécialisée dans le traitement des mégadonnées, y compris pour des gouvernements et des services de renseignements, et donc assez loin de la philosophie du projet. Ce n’était que le début (de la fin ?).
En avril 2021, 212 nouveaux membres arrivaient, dont 8 % étaient originaires d’Asie et d’Amérique du Nord. À la fin de l’année dernière, la coupe était pleine pour certains, notamment suite au sponsoring du sommet annuel de Gaia-X par des acteurs tels que Alibaba, AWS, Huawei et Microsoft. Vous avez demandé la souveraineté européenne, ne quittez pas.
Arnaud de Bermingham, président et fondateur de Scaleway, était monté au créneau : « Non, non et non là vraiment, c'est trop. Plus possible ce genre de choses ». Scaleway jetait alors officiellement l'éponge et ne renouvelait pas son adhésion à Gaia-X. On était loin de son discours enthousiaste de juin 2020, quand Scaleway s’engageait dans le projet « en tant que membre co-fondateur ».
La présentation et lancement ce mardi 12 avril du Cloud (souverain) XPR par Jaguar Network était évidemment l’occasion de revenir sur le sujet de Gaia-X, d’autant que Yann Lechelle (CEO de Scaleway) était également présent dans la salle.
« Une tromperie […] le mot n’est pas trop fort »
Denis Planat (directeur général de Jaguar Network) commence par rappeler que le groupe Iliad était présent à Gaia-X « par l’intermédiaire de Yann Lechelle jusqu’à une époque récente ». Il s’explique brièvement sur les raisons de ce départ : « pour des raisons assez évidentes à comprendre d’ailleurs – vous regardez les acteurs qui sont autour de la table, notamment ceux qui sont là pour défendre d'autres intérêts que ceux de Gaia-X et donc la défense européenne – nous avons décidé de nous retirer ».
Le directeur général enchaine : « je pense qu’il y a un faux masque […] Très clairement, il ne faut pas se moquer du monde ! […] Il y a un parti pris qui est de défendre les intérêts européens, un certain nombre d’acteurs qui sont là justement pour les mettre sur la table. Je pense qu'il y a une parfaite transparence sur les moyens des uns et des autres pour essayer de trouver la voie, le bon chemin ».
Voilà pour la partie positive, problème ce n’est pas la seule facette du projet : « Et puis vous avez des lobbyings qui expliquent en fait que ce n’est pas du tout cela qu'il faut faire et que l'on a plutôt intérêt à travailler à d'autres intérêts qui ne sont pas ceux de la communauté européenne. Donc partant de ce principe, je crois qu'il y avait, comment dirais-je, une tromperie en quelque sorte, le mot n’est pas trop fort ». Cette situation a en conséquence conduit à quitter le projet Gaia-X. D’autres comme Clever Cloud ont fait part de leurs inquiétudes, tandis qu’OVHcloud a décidé « de rester et de mener la bataille » (nous allons y revenir).
Pour Denis Planat, « on ne peut pas dire tout et son contraire au sein d’une même instance ». Cela ne signifie évidemment pas « qu'on désespère de lutter, enfin pas de lutter, mais de proposer sur le marché européen et en particulier sur la France, d’autres solutions, vous l’avez compris [avec le lancement de Cloud XPR] ».
Les regrets de Yann Lechelle face à Gaia-X
Yann Lechelle est à son tour revenu sur le sujet de Gaia-X lors d’une question sur la réversibilité des données et l’enfermement des clients. La possibilité de partir aussi facilement qu’on est arrivé est pour rappel un point largement mis en avant par Jaguar Network avec Cloud XPR : « C'est aussi la philosophie de Scaleway et cela répond aussi à cette question sur Gaia-X », explique le CEO.
« C'est-à-dire que la proposition de valeur de Gaia-X c’est justement cette réversibilité, et nous l’offrons déjà "by design", c’est notre approche groupe [avec Iliad, ndlr] déjà, et c’est quelque chose que Gaia-X ne traite pas précisément ». Il enfonce le clou(d) : « Le sujet de la souveraineté n’est pas traité par Gaia-X, le sujet de la réversibilité n’est pas traité, notamment sur les frais de sortie ».
Pour OVHcloud, « il ne faut pas déposer les armes »
Fin décembre, OVHcloud (un autre membre fondateur) prenait la parole dans un communiqué de presse pour expliquer que Gaia-X restait « une initiative ambitieuse à la croisée des chemins ». L’hébergeur roubaisien répondait alors plus ou moins directement au départ de Scaleway :
« Nous sommes convaincus que Gaia-X a aujourd’hui toutes les cartes en main pour construire un cloud de confiance européen et permettre de rééquilibrer le marché du cloud […] Il ne faut pas déposer les armes aujourd’hui, car c’est maintenant et dans les mois qui viennent que se joue l’avenir de l’un des secteurs européens les plus prometteurs. Les acteurs européens doivent être solidaires et travailler ensemble pour proposer une alternative aux hyperscalers ».
Même son de cloche chez Michel Paulin (directeur général d’OVHcloud) : « La route est longue et sinueuse, mais OVHcloud a décidé de rester et de mener la bataille. L’entreprise toutefois sera particulièrement vigilante et active pour s'assurer que Gaia-X se montre à la hauteur des attentes de ses membres fondateurs et ne s’écarte pas de ses objectifs initiaux en matière de protection des données, de transparence, d’ouverture et de souveraineté ».
Vestager n’est pas « inquiète », des acteurs européens lui répondent
Dernier épisode en date, une déclaration de Margrethe Vestager (commissaire européenne à la Concurrence) qui affirmait n’avoir « aucune inquiétude » sur un éventuel abus de position dominante par les trois acteurs du cloud américains que sont Amazon, Google et Microsoft. Elle mettait en avant Gaia-X « qui vise à réduire la dépendance de l'Union européenne vis-à-vis des géants de la Silicon Valley ».
OVHcloud n’est pas du même avis puisque la société a pris « des dispositions pour mettre en place des conditions de concurrence équitables entre les fournisseurs de services de cloud computing opérant sur le marché unique numérique européen, en déposant une plainte contre Microsoft auprès de la DG Competition de la Commission européenne ».
Suite à la déclaration de Margrethe Vestager, 14 acteurs du cloud (Clever Cloud, Qarnot, NextCloud, Scaleway…) lui ont adressé une lettre ouverte (.pdf) afin d’attirer son attention sur des « pratiques anti-concurrentielles de certains acteurs dominants américains sur le marché du cloud européen ».
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Commentaires (8)
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Abonnez-vousLe 15/04/2022 à 14h03
L’UE étant une création des USA pour les USA, faut-il s’étonner du tournant des choses ?
Et puisqu’on parle de concurrence selon Sainte UE, je ne vois toujours aucun PC GNU/Linux en grande surface en 2022. L’espace de vente public est toujours privatisé par les GAFAM, via les marges arrières, les certifications revendeurs obligatoires, avec la bénédiction de la CJUE qui a avalisé la vente forcée de l’OS en 2016 ! Ça résume bien la “libre” concurrence européenne, et ses traités débiles où tout protectionnisme est strictement interdit !
Il n’y a pas de souveraineté européenne comme il n’y a pas de peuple européen. La souveraineté s’entend au niveau national. Nous avons un acteur majeur du web avec OVH. Qu’est qu’on attend pour lui demander de construire nos data-center nationaux ?
Le 15/04/2022 à 14h34
Pour les DC, on les demande à Orange ça coute (moins) cher e l’état est actionnaire
Le 16/04/2022 à 07h51
Oui certainement. De Gaulle était un agent de la CIA c’est bien connu. C’est également pour ça que la NSA que avait mis sur écoute la représentation de l’UE à Washington, que les États-Unis ont mis tout leur poids pour que Galileo ne se fasse pas (fiancé par l’UE) et que la seule instance qui arrive à condamner les gafam pour leur pratiques soit à Bruxelles. On voit bien aussi que la Royaume-Uni s’est éloigné des américains en quittant l’UE D’ailleurs il se dit que dans le l’accord de libre échange qui se négocie UK-USA, le consommateur britannique va vraiment y gagner en voyant débarquer dans ses magasins de la viande aux hormones, du poulet au chlore et des OGMs dans toutes des céréales.
Le 16/04/2022 à 05h09
De Gaulle te salue
Le 16/04/2022 à 07h19
c’est ton point de vue et tu nous le partages. après de là à dire que c’est vrai et que ça a un quelconque lien avec Gaia-X il va falloir le prouver . Rame !
Le 17/04/2022 à 13h14
C’est dans les délires à la Asselineau qui fait de la pseudo histoire de la qualité de Z. Quand des historiens explorent ses “analyses” historiques, rien ne tient à part qu’il est parti de la conclusion et qu’il a cherché des preuves de son idéologies.
Le 16/04/2022 à 07h38
La crédibilité du projet en prend un coup.
Cette mascarade, avec l’appui Européen officiel c’est quand même pratique.
Sinon, comment une association peut-elle avoir un PDG ? Pour le coup M. Tardieu est président du CA.
Je ne connaissais pas la dénomination industrie 4.0, on y est pas encore d’ailleurs
Le 16/04/2022 à 10h01
“Quelques semaines plus tard, c’était au tour de Palantir d’entrer dans Gaia-X. Une arrivée étonnante quand on se souvient que les trois piliers de Gaia-X étaient alors respect de la vie privée, souveraineté des données et interopérabilité… La société est en effet spécialisée dans le traitement des mégadonnées, y compris pour des gouvernements et des services de renseignements, et donc assez loin de la philosophie du projet.”
J’vois pas où est l’problème; au contraire c’est excellent. Après tout, “les pires braconniers ne font-ils pas les meilleurs garde-chasse?”
De la même manière, qui de mieux que l’acteur qui depuis bientôt 40 ans tient les utilisateurs par les couilles grâce à des formats de données propriétaires et “interopérables au strict minimum parce qu’on est obligés mais faut pas trop déconner”, et l’acteur qui parse toutes les données qui lui sont fournies pour nourrir une immense base de données “mais c’est pour le bien de l’humanité vous en faites pas puis de toute façon la vie privée c’est obsolète” pour assurer le respect à l’Europe de sa souveraineté sur les données ?
(en vrai ? )