Exclusif : Next INpact s’est procuré le projet de décret d’application de l’article de la loi Macron qui oblige les transporteurs (SNCF, Air France, RATP...) à diffuser en Open Data leurs principales données, à commencer par celles relatives à leurs tarifs, horaires et arrêts. Le gouvernement vient d'ailleurs d'engager une concertation avec les acteurs concernés.
Véritable « fourre-tout », la loi pour la croissance et l’activité a permis aux députés d’introduire un article censé conduire à la mise en Open Data des données de transport détenues par des sociétés telles que BlaBlaCar, EasyJet ou Eurolines. L’objectif est ambitieux, puisqu’il s’agit de fournir de la « matière première » aux développeurs qui souhaiteraient proposer, grâce à ces précieuses informations, un site ou une application capable de calculer un trajet complet prenant en compte l’ensemble des moyens de transport disponibles : bus, train, métro, avion, etc.
Le nouvel article L 1115 - 1 du Code des transports prévoit ainsi que les transporteurs et autres fournisseurs de « services de mobilité » devront diffuser « librement, immédiatement et gratuitement » tout un ensemble d’informations concernant – outre les arrêts et horaires « planifiés et en temps réel » – leurs tarifs, l'accessibilité aux personnes handicapées, la disponibilité des services, ou bien encore les « incidents constatés sur le réseau ». Ces acteurs seront au passage tenus de mettre en ligne leurs données « dans un format ouvert », afin de faciliter leur réexploitation d’un point de vue informatique.
Un décret d'application attendu pour début novembre « au plus tard »
Sauf qu’avant d’entrer en vigueur, ces dispositions doivent encore être complétées par un décret d’application. La loi Macron précise d'ailleurs que le gouvernement est tenu de publier cet additif « au plus tard » trois mois après sa promulgation au Journal officiel (donc d’ici au 7 novembre). L’exécutif avait toutefois indiqué qu’il pourrait aller plus vite, en prenant ce décret dès le mois de septembre.
Selon nos informations, les choses ont avancé puisqu’un projet de décret a été élaboré en lien avec le ministère des Transports. Cette ébauche doit encore être transmise pour avis à différentes institutions, dont le Conseil d'État, ce qui laisse à penser que le texte que nous révélons aujourd’hui pourrait encore évoluer.
Des dispositions applicables aux trajets franco-français uniquement
Que dit ce projet de décret, censé entrer en vigueur le lendemain de sa publication au Journal officiel ? Il vient préciser de très nombreux points. Tout d’abord, il indique que les transporteurs devront ouvrir leurs données dès lors qu’il sera question de trajets « ayant pour point d’origine et de destination le territoire national ». Autrement dit, les compagnies aériennes n’auront par exemple pas à mettre en Open Data les informations relatives à leurs vols internationaux.
Ensuite, ce texte définit quels seront les « services de mobilité » tenus de respecter ces nouvelles obligations : les « services d’autopartage, de location de bicyclettes, de stationnement en parcs », mais aussi les « services facilitant la pratique du covoiturage ».
Des données différentes en fonction des modes de transport
Ce projet de décret vient surtout préciser les informations qui devront être ouvertes par chaque type de professionnel. Toutes les entreprises assurant des « services réguliers de transport public de personnes » (train, bus, avion...) devront ainsi publier leurs données relatives :
- « au nom et à la localisation des arrêts de véhicules de transport collectif, des ports, des aéroports, des terminaux et des escales ;
- aux horaires planifiés et en temps réel aux arrêts de véhicules de transport collectif, aux ports, aux aéroports, aux terminaux et aux escales ;
- aux tarifs publiés à l’avance ainsi qu’aux données tarifaires contenues dans les conventions de service public ;
- à l’accessibilité aux personnes handicapées des emplacements d’arrêts de véhicules de transport collectif, des ports, des aéroports, des terminaux et des escales ;
- aux événements constatés sur le réseau qui sont de nature à affecter la bonne réalisation du trajet, en particulier les retards et les annulations ».
Les « services d’autopartage et de location de bicyclettes » auront quant à eux à charge de libérer leurs données relatives :
- « au nom et à la localisation des stations de location en libre-service ;
- aux tarifs publiés ainsi qu’aux données tarifaires contenues dans les conventions de service public ;
- au nombre de bicyclettes ou de véhicules en libre-service – le cas échéant, accessibles aux personnes handicapées – disponibles à la location par station ;
- au nombre d’attaches à vélos en libre-service ou au nombre de places de stationnement – le cas échéant, réservées aux personnes handicapées – disponibles par station ;
- à l’état – ouvert ou fermé – des stations de location de bicyclettes ou de véhicules en libre-service ;
- le cas échéant, à l’état de fonctionnement des bornes de recharge pour véhicules électriques en libre-service ».
Les exploitants de parcs de stationnement devront pour leur part ouvrir leurs informations relatives :
- « au nom et à la localisation des parcs de stationnement ;
- aux horaires d’ouverture des parcs de stationnement ;
- aux tarifs publiés ainsi qu’aux données tarifaires contenues dans les conventions de service public ;
- à la capacité des parcs de stationnement – le cas échéant, au nombre de places réservées aux personnes handicapées ;
- à l’état – notamment ouvert, fermé ou réservé aux abonnés – des parcs de stationnement ;
- au taux d’occupation des parcs de stationnement exprimé sous la forme d’un indicateur à trois niveaux (« libre », « risque de saturation », « complet ») ou, le cas échéant, au nombre de places disponibles ;
- le cas échéant, à l’état de fonctionnement des bornes de recharge pour véhicules électriques ».
Quant au covoiturage, les « plateformes dématérialisées de mise en relation entre conducteurs et passagers » de type Blablacar ou Carpooling seront tenues d’ouvrir leurs « données relatives aux offres de trajet partagé, comprenant les horaires, la disponibilité et le prix, obtenues par l’intermédiaire d’une interface de programmation ».
Un « délai raisonnable » de mise en ligne pourra être accordé aux transporteurs
Ce projet de décret précise toutefois que seules les informations « disponibles sous une forme numérique » devront être diffusées par les acteurs du transport et de la mobilité. La mise en ligne des données en temps réel devra intervenir « immédiatement ou, à défaut, dans les délais raisonnables nécessaires à cette diffusion » – ce qui pourrait laisser une marge de manœuvre aux acteurs visés par ces nouvelles obligations, dans la mesure où rien ne dit ce qu’est un « délai raisonnable »... Les autres données devront être « diffusées à l’avance afin de permettre une information destinée à la préparation des déplacements », selon le texte que nous nous sommes procuré.
Quant à la réexploitation de ces informations, celle-ci sera possible à condition que « leur source et la date de leur dernière mise à jour soient mentionnées » par le réutilisateur. Le gouvernement a enfin tenu à préciser que ces utilisations nouvelles ne pourront avoir « pour conséquence la fourniture d’informations qui seraient de nature à induire en erreur ou à porter atteinte à la sécurité des voyageurs ».
Les acteurs élaborant des « chartes Open Data » pourront passer outre ces dispositions
Si l’ensemble de ces dispositions laisse pour l’heure augurer un dispositif plutôt ambitieux, il ne faut pas oublier que le nouvel article du Code des transports introduit par la loi Macron offre dans le même temps une belle échappatoire aux professionnels... Les sociétés de transport et de mobilité seront en effet « réputées remplir leurs obligations » dès lors qu’elles auront choisi d'adhérer à des « codes de conduite, des protocoles ou des lignes directrices préalablement établis par elles et rendus publics » après homologation par les ministres des Transports et du Numérique. Autrement dit, le simple fait de signer – et non de respecter – ces sortes de chartes sera suffisant au regard de la loi. Le décret ne concernera d’ailleurs pas les acteurs optant pour cette voie. On devine ainsi que la rigidité de l'ébauche actuelle pourrait de ce fait conduire un grand nombre de transporteurs à élaborer un code de conduite...
Nous avons d'autre part appris qu'une réunion de concertation aurait lieu vendredi 25 septembre à Paris avec les professionnels concernés, afin de faire un point sur ces nouvelles dispositions. À Bercy, on espère d'ailleurs qu'un maximum d'acteurs opteront pour une charte. « Le code de conduite a vocation à être le guide des acteurs. Le décret vient seulement à titre subsidiaire, si jamais une entreprise en était dépourvue » explique-t-on au cabinet d’Emmanuel Macron. Le ministère de l’Économie souhaite avant tout engager un mouvement auprès des principaux transporteurs. « Pour le reste, ce seront les tribunaux qui seront juges de l'incapacité de certains acteurs à contribuer à la transmission de données. Mais pour le moment, on n'en est pas là ! On considère que tout le monde joue plus ou moins le jeu. »
Ces codes de bonne conduite inquiètent cependant les militants de l’Open Data, dans la mesure où il est par exemple prévu que ces textes pourront comporter des « dérogations au principe de gratuité à l'égard des utilisateurs de masse ». L’association Regards Citoyens avait ainsi vu d’un très mauvais œil la rédaction finalement retenue par le législateur, mis sous pression par le gouvernement : « Si l'objectif d’Emmanuel Macron était d'avoir recours à un code de conduite, il n'avait pas besoin de passer par une phase législative et une discussion au Parlement. La vérité sur ce dossier, c'est que le ministre de l'Économie et le rapporteur à l'Assemblée ont plié face au lobbying intensif des anti-Open Data du transport » pestait en ce sens l’organisation à l'origine du site NosDéputés.fr (pour en savoir plus, voir notre article : « Comment le gouvernement a reculé sur la mise en Open Data des données de transport »).
Commentaires (7)
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#2
Nouveau concept : la loi bi-goût, comme les malabar.
Douce et fruitée d’un côté, amère de l’autre.
On peut aussi parler de la première loi… facultative.
#3
C’est une question d’habitude.
Le concept “même loi pour tous” est tellement loin ….
#4
Attendons de voir ce que ça donnera. Le cas des TCL à Lyon sera intéressant, vu à point quel point c’est des tanches sur le numérique.
#5
#6
J’imagine que ceux qui vont se plier à cette loi, seront issue de la nouvelle économie numérique, et les vieux dinosaures s’agripperont à leur ancien modèle, une fois de plus.
Et une fois de plus, ils seront ringardisés.
#7
Je comprends pas qu’une loi puisse exister pour exiger que des sociétés privées travaillent gratuitement pour leurs concurrents…