[Interview] Open Data : « Le compte n’y est pas ! » déplore la sénatrice Bouchoux
Loi Valter, loi Lemaire, fusion CNIL-CADA...
Le 29 octobre 2015 à 08h30
10 min
Droit
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À l’origine d’un rapport remarqué sur l’ouverture des données publiques, la sénatrice Corinne Bouchoux a tenté cette semaine de convaincre le gouvernement et ses collègues parlementaires d’adopter un projet de loi Valter plus favorable à l’Open Data, en vain. L’élue écologiste a accepté de répondre à nos questions, alors que ce sujet est amené à revenir très prochainement à l’ordre du jour.
Quel est votre sentiment aujourd’hui, après la tournure prise par les débats de lundi ?
Le premier souci, c'est qu'on a fait du saucissonnage. Au lieu d'avoir un beau texte, cohérent, global, qui aborderait la plénitude du sujet, on a un morceau pour la transposition de la directive sur la réutilisation des informations du secteur public, histoire qu'on n'ait pas trop de soucis avec Bruxelles. On a ensuite laissé du travail à Axelle Lemaire, en lui disant qu'elle allait faire un autre versant. Et il semble qu'Emmanuel Macron ait repris tout ce qui est à la fois filières et l'aspect macro-économique, le global. Donc forcément, quand vous coupez un sujet aussi technique et si juridiquement compliqué en trois morceaux... C’est regrettable ! Mais je ne suis pas majoritaire donc je prends acte.
Ensuite, de ce que j'ai vu des débats à l'Assemblée nationale, je pense qu'on a vraiment été sur une vision a minima du gouvernement. Clothilde Valter a dit « pas de surtransposition, on fait déjà plus dans certains domaines, on ne va pas plus loin, etc. » Le député Luc Belot a essayé (assez habilement) de faire des ouvertures allant dans le sens de ce qu’on avait préconisé dans notre rapport de l'an dernier. Mais est-ce que le dialogue n'a pas été suffisamment long dans le temps avec ses amis socialistes à l'Assemblée ? En tout cas, force est de constater qu'il s'est retrouvé un peu esseulé sur quelques votes importants. Et que du coup, même les avancées sur lesquelles moi je comptais qu'il aurait pu faire, il ne les a pas obtenues... Je le regrette et je crois qu'il doit être un peu déçu aussi.
Dès lors, au lieu de partir d'un texte que j'aurais imaginé plus progressiste, avec plus de gratuité et moins redevances, le projet de loi qui est arrivé ici au Sénat était déjà un texte « petit braquet »... Je suis contente d'avoir pu faire adopter deux amendements, sur les standards ouverts et la révision des listes d'informations tous les cinq ans. Mais il y a une déception sur l'enseignement supérieur, où nous avions avec Jean-Pierre Sueur une vraie différence de vision vis-à-vis du rapporteur Portelli.
Ma conclusion, c'est que Jean-Jacques Hyest [sénateur Les Républicains ayant participé au rapport sénatorial sur l'Open Data, ndlr] nous a cruellement manqué lors des débats. Je pense que s'il avait été là, peut-être qu'il aurait précisé des choses parce qu'il a vraiment bien compris ce qu'est l'Open Data, tout le modèle économique qui est derrière et le pari que ça constitue pour l'avenir. J'ai quand même l'impression que sur le plan juridique, mes collègues sont très compétents, très érudits, mais je me demande dans quelle mesure la thématique de l'Open Data est totalement prise en compte par une génération politique qui n'est pas digital native. Je suis une modeste apprenante éclairée par nos geeks, et j'essaie de me tenir à niveau, mais j'ai vraiment l'impression qu'on avait lundi une complication de ce fait là ; d'avoir un texte qui ne parlait pas forcément à un certain nombre de collègues qui étaient intéressés mais qui étaient un peu éloignés du sujet, notamment dans ses aspects techniques.
Comment expliquez-vous qu’aussi peu de parlementaires s’intéressent à ce sujet – que ce soit au Sénat ou à l’Assemblée nationale, où les hémicycles étaient quasi déserts ?
À mon avis, c'est en partie générationnel et en partie culturel. Il faut du temps pour monter en compétences sur ce sujet. Je pense que sur un certain nombre de sujets (fiscalité, recomposition des territoires...) mes collègues ont une compréhension immédiate. Sur l’Open Data, j'ai l'impression qu'il y a un décalage que je ne peux que constater. Mais on peut y arriver !
La position du gouvernement sur vos amendements n’a-t-elle pas démontré que les choses n’ont pas évolué depuis votre rapport : il existe d’énormes freins internes à l’administration ?
L’exécutif a effectivement fait vraiment le minimum du minimum dans la transposition... Après, je connais Clothilde Valter depuis 30 ans. C’est quelqu'un de très honnête. Je pense qu'elle a fait le job parce qu'on lui a dit « Clothilde, on saucissonne un texte, tu fais la modernisation de l’action publique donc on va te donner ça ». Ce n'est pas une question de personne. Par contre, Axelle Lemaire n'aura aucune excuse.
Ce qui s'est passé lundi rend très humble, parce que quand je vois le temps qu'on a passé l’année dernière en commission à mener des auditions, à élaborer notre rapport, etc. Au regard de la qualité du débat de lundi, j'avais envie de me dire qu’il n'y en avait pas beaucoup qui avaient dû lire notre rapport ou même son résumé !
Ne regrettez-vous pas de ne pas avoir soumis au vote vos deux amendements sur la fin des redevances ?
Si j'avais pensé pouvoir peser dans le rapport de force, je les aurais maintenus. Mais là, quand j'ai vu combien on était dans l’hémicycle, ce n'était même pas la peine... Ils étaient 12 à droite, on était 10 à gauche... Je n'aurais même pas fait le PS et le PC, on était 2 écolos donc j'aurais fait 2 voix ! Ça aurait même pu être contre-productif si ça s’était transformé en « Il n'y en a que deux au Sénat qui demandent ça »... Alors après, remonter la pente, c'est dur !
Qu’attendez-vous désormais des discussions en commission mixte paritaire ?
Joker... Je ne sais pas ! Je ne vois pas du tout ce qui peut en ressortir sachant qu'il n'y aura que des membres de la commission des lois, de la nôtre et de celle de l'Assemblée nationale. Ça risque d’être compliqué si le rapporteur Portelli ne souhaite pas revoir ses positions. En tout cas, ça ne va pas être ce qu'on avait espéré l'an dernier dans notre rapport... C'est sûr que pour le moment, le compte n'y est pas !
Pensez-vous malgré tout qu’un accord sera trouvé ?
Très franchement, je ne sais pas. Tout est possible ! Les passionnés qui s'intéressent de près au sujet, dans cet hémicycle, se comptent sur les doigts de deux mains. Voilà...
Quels sont les principaux points à modifier selon vous ?
On est d'accord avec le PS sur le fait qu'il faut revenir sur les exceptions en faveur de l'enseignement supérieur. Il serait incompréhensible qu'on en reste là. J'espère que Jean-Pierre Sueur, qui est un poids lourd du PS, un universitaire reconnu, pourra faire entendre son avis – qui est assez proche du nôtre.
Là où je ne suis pas optimiste, et pourtant je trouvais que c'était vraiment le bon plan, c’est sur le modèle du freemium. Ça me semblait quelque chose de diplomatiquement « gagnant-gagnant », et j'aurais aimé que ça puisse rester. Les administrations de type INSEE, deux fois par an, auraient libéré leurs données. Par contre, les petites start-ups très pointues ou ceux qui auraient besoin de beaucoup plus, eux, auraient payé pour avoir une version actualisée.
Je vais militer ici sur ces deux points, mais il n'y aura même pas d'écolos à la CMP...
Pensez-vous reprendre les propositions de votre rapport de l’année dernière sous forme d’amendements au projet de loi numérique d’Axelle Lemaire ?
Je vais essayer ! Je ne vous cache pas qu'on a une petite surprise début octobre en découvrant que le gouvernement songeait à fusionner la CNIL et la CADA. Je ne dis pas que c'est une mauvaise idée. Tout peut se concevoir en démocratie, ce n'est pas absurde. Ce qui m'inquiète, c'est le rapport au réel que ça dénote. Faire ça dans les trois mois, c'est compliqué... La CADA et la CNIL sont de belles machines qui ont un historique de 40 ans. Compacter deux institutions ayant chacune une expertise, une jurisprudence, et dire « hop, on réunit les deux », juridiquement c'est délicat...
Que doit-on comprendre, que vous préféreriez attendre un autre véhicule législatif ?
Si on le décide, il faut d'abord faire du « vivre ensemble » entre ces deux autorités administratives : des séminaires de travail, envisager quelque chose qui soit opérationnel, etc. Je n'ai rien contre les fusions. Ce qui m'interroge, c'est de le faire aussi vite et avec aussi peu de préparation des acteurs de terrain. Si c'est pour faire un truc mal goupillé, on risque de cumuler les inconvénients sans avoir beaucoup d'avantages.
Quelles idées en particulier pensez-vous porter dans le cadre du projet de loi numérique ?
Je ne peux pas encore vous dire ça avec certitude. Je pense que je vais reprendre toutes les propositions qu'on avait faites avec Jean-Jacques Hyest, pour retenir celles qui ont une chance de passer au Sénat dans le contexte politique actuel. Je vais me reconcerter avec les associations que nous avions consultées lors du rapport et je vais essayer d'en trouver deux ou trois emblématiques qui peuvent recueillir ici une majorité politique.
Je ne vais pas faire de quantitatif, je ne travaille pas pour faire de la communication, du buzz, je travaille pour faire passer des textes. J'aimerais quand même bien porter l'histoire du référé qui permettrait, s'il y a une jurisprudence de la CADA, d'obliger une administration à communiquer un document administratif. Sauf que vous voyez bien que si je passe beaucoup de temps à faire un amendement sur ça mais qu'on me dit qu'on supprime finalement la CADA, ça tombe un peu à l’eau... Donc il faut que je me penche sereinement sur le texte pour voir ce qui a un sens.
Quel regard portez-vous sur les dispositions de l’avant-projet de loi numérique relatives à l’Open Data ?
Je pense que c'est un travail en construction. Ce serait bien qu'on puisse l'améliorer le plus possible, mais quand je vois la majorité qu'il y a au Sénat, ça va être compliqué...
Qu'est-ce qui vous a alerté en particulier ? L’introduction de seuils pour le déclenchement du principe d’ouverture des données publiques par exemple ?
Ah non mais ça... (soupir) Il faut être pragmatique. C'est vrai qu'il est compliqué de limiter les moyens de l'administration et de leur dire en même temps qu’il faut ouvrir leurs données... Je pense que ça a plus de sens d’opérer une distinction entre les missions incombant aux différents acteurs publics. Je fais une différence entre les administrations dont la vocation première est de produire des données (INSEE, Météo-France, etc.) et les administrations qui ont d'autres missions dont la communication de données est secondaire voire périphérique. Mais c'est un texte qu'on va essayer d'enrichir de notre mieux, on va le dire comme ça...
Merci Corinne Bouchoux.
Le 29 octobre 2015 à 08h30
[Interview] Open Data : « Le compte n’y est pas ! » déplore la sénatrice Bouchoux
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Quel est votre sentiment aujourd’hui, après la tournure prise par les débats de lundi ?
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Comment expliquez-vous qu’aussi peu de parlementaires s’intéressent à ce sujet – que ce soit au Sénat ou à l’Assemblée nationale, où les hémicycles étaient quasi déserts ?
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La position du gouvernement sur vos amendements n’a-t-elle pas démontré que les choses n’ont pas évolué depuis votre rapport : il existe d’énormes freins internes à l’administration ?
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Ne regrettez-vous pas de ne pas avoir soumis au vote vos deux amendements sur la fin des redevances ?
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Qu’attendez-vous désormais des discussions en commission mixte paritaire ?
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Pensez-vous malgré tout qu’un accord sera trouvé ?
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Quels sont les principaux points à modifier selon vous ?
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Pensez-vous reprendre les propositions de votre rapport de l’année dernière sous forme d’amendements au projet de loi numérique d’Axelle Lemaire ?
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Que doit-on comprendre, que vous préféreriez attendre un autre véhicule législatif ?
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Quelles idées en particulier pensez-vous porter dans le cadre du projet de loi numérique ?
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Quel regard portez-vous sur les dispositions de l’avant-projet de loi numérique relatives à l’Open Data ?
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Qu'est-ce qui vous a alerté en particulier ? L’introduction de seuils pour le déclenchement du principe d’ouverture des données publiques par exemple ?
Commentaires (8)
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Abonnez-vousLe 29/10/2015 à 08h59
#1
Merci pour cet éclairage des mécanismes législatifs.
Que d’acteurs et que d’intérêts distincts !
Conclusion : vivement un parlement rajeuni…
Le 29/10/2015 à 09h10
#2
Le 29/10/2015 à 09h45
#3
ça m’énerve toujours autant qu’ils puissent passer des lois à 22 comme ça…
Ils sont où les autres députés bon sang ?
Le 29/10/2015 à 10h33
#4
Les projets étant discutés en commission avant de passer dans l’hémicycle, le plus gros du boulot est déjà fait.
La séance ne permet que de voter les amendements décidés en commission. Donc ne reste que les 22 concernés, le reste de l’hémicycle sachant qu’ils n’ont plus rien à apporter et ne votent pas sur des textes qu’ils n’ont pas travaillé.
Comme l’a dit très bien Isabelle Attard, le passage dans l’hémicycle c’est juste un cérémonial, le travail de fond est fait avant.
Le 29/10/2015 à 10h50
#5
Merci Xavier pour l’interview, c’est vraiment intéressant !
Et déprimant de voir que si peu d’élus s’intéressent au sujet, voire pire, votent sans en comprendre la portée… Je comprends que cette élue soit désabusée, c’est comme essayer d’apprendre à un chien à lire, elle aura beau faire tous les efforts du monde ça restera lettre morte !
Pour la fusion CNIL-CADA, j’ai du mal à en voir l’intérêt… Si c’est pour faire des économies, c’est contre-productif à l’heure du tout-numérique ! Ce sont 2 autorités différentes, qui ne traitent pas du même sujet. Et ça sent le budget (encore) raboté une fois la fusion actée, histoire de les empêcher de faire leur job ! Pendant ce temps, on augmente celui de la Hadopi " />
Le 29/10/2015 à 13h46
#6
Le 29/10/2015 à 14h08
#7
ça doit être terriblement usant, n’empêche " />
Le 30/10/2015 à 13h45
#8