Pour Ursula von der Leyen l’Europe perd « du terrain » dans la science
L’Europe est CERNée
Comment se porte la science européenne au niveau mondial ? Ursula von der Leyen, présidente de la Commission européenne, souffle le chaud et le froid. Les talents sont là, les ambitions aussi…reste les moyens. Le CERN, lui, a déjà les yeux tournés vers l’avenir, jusqu’en 2100 (ou presque).
Le 02 octobre à 09h50
7 min
Sciences et espace
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À l’occasion du 70e anniversaire du CERN, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen dresse un portrait de l’état de la recherche et développement en Europe. Après un détour par les années 50 pour la création du CERN (le 29 septembre 1954) à une époque où « bon nombre de nos scientifiques les plus brillants avaient fui l'Europe », elle s’intéresse au présent et à l’avenir.
« Nous sommes au cœur d'une course mondiale aux technologies qui façonneront le monde de demain, des technologies propres aux technologies quantiques, de l'intelligence artificielle à la science de la fusion. Et alors que l'Europe abrite davantage de chercheurs que les États-Unis et la Chine, nous perdons du terrain dans de nombreux domaines ».
Brevets : la part de l’Europe a diminué de moitié
Elle cite en exemple les demandes de brevets, dont la part de l’Europe a « diminué de moitié au cours des deux dernières décennies, passant de 30 % à 15 % ». La présidente de la Commission européenne veut donc « inverser de nouveau la tendance, comme les fondateurs du CERN l'ont fait il y a 70 ans ».
En France, il est indéniable que nous disposons de nombreux talents dans les domaines de l’intelligence artificielle et de l’informatique quantique, mais conserver l’« excellence scientifique française » est plus compliqué en pratique, surtout face à des géants américains qui disposent de mannes financières monstrueuses.
Comme nous l’avons expliqué lors de l’annonce du plan IA de Cédric Villani et des promesses d’Emmanuel Macron, il était question de « revaloriser les métiers de la recherche […], poursuivre le soutien aux initiatives d’excellence […], financer massivement quelques filières et technologies stratégiques ». Rebelote avec le plan quantique, mais la réalité du terrain n’est toujours pas à la hauteur des prétentions.
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L’Europe comme une unité
Elle met en avant trois enseignements. « Le premier, c'est que l'échelle compte. Aucun pays européen n'aurait pu, à lui seul, construire le plus grand collisionneur de particules au monde ».
Comme expliqué dans notre FAQ sur la guerre froide des semi-conducteurs, l’Europe ne peut peser dans la balance commerciale mondiale qu’en tant qu’unité, pas individuellement pour chaque pays, surtout face à des superpuissances comme les États-Unis et la Chine.
Un nouvel accélérateur de 2030 à… 2095
Pour rester dans la course aux particules, Ursula von der Leyen souhaite « augmenter l'enveloppe consacrée à la recherche » dans son prochain budget, sans donner de chiffres. La présidente rappelle que la Chine prévoit de construire un accélérateur de 100 km, ce « qui lui permettrait de disputer au CERN sa position de chef de file mondial ».
Mais le CERN prépare déjà la suite avec un nouveau collisionneur circulaire, dont l’étude de faisabilité est en cours. Son nom de code est FCC pour… Futur collisionneur circulaire. « On prévoit un nouveau tunnel d'une circonférence de 90,7 km, d'une profondeur moyenne de 200 m, et huit sites en surface [sept en France, un en Suisse, ndlr] pour au plus quatre expériences », explique le CERN. Le Grand collisionneur de hadrons actuel (LHC) mesure 27 km de circonférence.
Le calendrier prévisionnel va jusqu’à la fin de ce siècle (oui, un peu avant 2100). L’étude de faisabilité devrait se terminer en 2025, puis la décision finale est attendue pour 2027 - 2028 par les États membres du CERN.
La construction du nouvel accélérateur devrait débuter en 2030, puis la première phase « FCC-ee » (mesures de précision) débuterait au milieu de la décennie 2040 pour environ 15 ans. La seconde phase « FCC-hh » (haute énergie) est prévue pour 25 ans à partir de la décennie 2070. Cela nous amène donc aux alentours de 2095… sans compter d’éventuels retards. Après tout, 2095 c’est dans 70 ans « seulement », et le CERN fête ses 70 ans.
Pour Ursula von der Leyen, « grâce à ce nouvel accélérateur, l'Europe devrait pouvoir conserver sa marge d'avance dans le domaine scientifique et repousser plus encore les limites des connaissances humaines ». Coût du projet : environ 16 milliards d’euros, répartis sur au moins 15 ans pour le FCC-ee, dont environ un tiers rien que pour la construction du tunnel.
Partager ses jouets et ses découvertes
Deuxième enseignement, « si l'on veut être plus compétitif, il faut aussi collaborer davantage. Toutes vos découvertes sont en libre accès. Vous les partagez fièrement avec un vaste réseau d'universités, d'entreprises et de start-ups ». Elle veut donc que tous les chercheurs européens puissent accéder aux infrastructures de recherche, telles que les supercalculateurs. « Il est temps de permettre enfin la libre circulation du savoir et de la science dans toute l'Europe ».
C’est l’objectif de la loi sur l’Espace européen de la recherche (EER) (ou European Research Area en anglais). Il s’agit de mettre en place un « marché unique sans frontières pour la recherche et l’innovation, favorisant la libre circulation des chercheurs, des connaissances scientifiques et de l’innovation, et encourageant une industrie européenne plus compétitive ».
Ce programme a été lancé en 2000 à Lisbonne, puis sa gouvernance a été refondue en 2021 avec un nouveau plan stratégique pour 2022 - 2024. Les travaux sont maintenant en cours pour la période 2025 - 2027.
Si on fait un parallèle avec la France, il faudra faire attention à ce que la recherche ouverte ne coûte pas un bras. Nous expliquions récemment que « si l'accès ouvert aux articles scientifiques permet à tout un chacun de pouvoir les consulter sans payer, les éditeurs n'ont pas abandonné l'idée de faire payer leur publication en la facturant souvent aux auteurs ».
Troisième point : convertir la science dans des applications de la vie de tous les jours : « Votre mission principale, au CERN, a toujours été la recherche fondamentale. Mais tout au long de votre histoire, vos travaux ont eu d'innombrables retombées positives pour notre société et notre économie ».
La présidente cite de nombreux exemples : le web pour commencer, les écrans tactiles, de nouveaux outils de lutte contre le cancer. Bref, « le CERN est la preuve vivante du fait que la science favorise l'innovation et que l'innovation favorise la compétitivité ».
« Nous avons besoin de davantage de partenariats de ce type entre la recherche et les entreprises ; de davantage d'idées qui passent du laboratoire à l'usine. Il s'agira d'un pilier important d'un nouveau règlement européen sur l'innovation. Nous devons placer la recherche et l'innovation au cœur de l'économie européenne », lâche-t-elle en guise de conclusion.
Pour Ursula von der Leyen l’Europe perd « du terrain » dans la science
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L’Europe comme une unité
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Commentaires (11)
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Abonnez-vousLe 02/10/2024 à 10h00
Modifié le 02/10/2024 à 10h17
Beaucoup de recherches académiques sont aussi financées par le privé aux Etat-unis par exemple.
Chose que peut de milliardaire français (moins vrai en Allemagne) font, ils préfèrent investir dans des entreprises et ou de l'art. J'ai abordé la question avec XN un jour par mail et il m'a confirmé en effet que ce n'était pas un terrain sur lequel s'investissait et d'autre non plus.
D'un autre coté on préfère faire du crédit impôt recherche qui profite principalement aux grandes entreprises qui n'en n'ont pas besoins (son inefficacité à été démontrée par la cour des comptes je crois) que de vraiment soutenir la recherche sur le long terme.
Alors oui la France participe aux grand projets (CERN, ITER, VIRGO, ELT) mais le soutient de base des laboratoires est en baisse et stagne, et on individualise la recherche (ANR, ERC) et donc on dilue les moyens.
Le problème c'est aussi d'accepter de ne pas être bon partout pour rester bon sur quelques domaines. Mais en face de cela on met aussi les opportunités économiques mais le gap pour en profiter est toujours trop haut par rapport aux moyens que l'on veut mettre en face.
Bref on perd sur les deux tableaux.
Le 02/10/2024 à 10h19
Bon on va être réaliste plutôt 20-25 Milliards d'euros pour prendre en compte la réalité de tel projet.
Le 02/10/2024 à 11h14
Le 02/10/2024 à 12h05
Le 02/10/2024 à 13h17
Le 02/10/2024 à 13h15
« Le premier, c'est que l'échelle compte. Aucun pays européen n'aurait pu, à lui seul, construire le plus grand collisionneur de particules au monde ».
N'aurait voulu peut-être, mais pouvoir si. Financer quelques dizaines de milliards d'€ sur plusieurs années, c'est largement à la portée de plusieurs états européens.
Ensuite, elle a cru s'adresser à un service R&D d'une entreprise et non à un organisme de recherche fondamentale menée par plusieurs états ? Les raisons de la compétition actuelle entre les industries est assez éloignée des découvertes faites il y a plusieurs décennies par des labos de recherche fondamentale. La preuve : le web a été inventé par le CERN et aujourd'hui, ce sont des entreprises américaines qui se tirent la bourre.
« Il est temps de permettre enfin la libre circulation du savoir et de la science dans toute l'Europe »
Le savoir n'est pas une marchandise. A partir du moment où un article scientifique est publié, le monde entier peut y accéder. Il n'y a pas de limitation à un continent.
« marché unique sans frontières pour la recherche et l’innovation, favorisant la libre circulation des chercheurs, des connaissances scientifiques et de l’innovation, et encourageant une industrie européenne plus compétitive »
Réussir à placer le terme "marché" quand on parle de construction du savoir et de recherche (d'autant plus, fondamentale) sur plusieurs décennies, fallait oser.
Quant à la "libre circulation des chercheurs", mis à part quelques pays dans le monde, cela fait longtemps que les chercheurs peuvent aller travailler dans un autre pays. Je ne commente pas le reste de la phrase tout aussi hors-sol.
« le CERN est la preuve vivante du fait que la science favorise l'innovation et que l'innovation favorise la compétitivité »
Moi qui pensait qu'un chercheur voyait dans l'innovation la possibilité d'offrir de nouveaux services, plus de confort, moins de souffrance (maladie), d'en apprendre plus sur nous, nos origines, où nous allons, ce qui nous entoure. Eh bien non. Selon cette dame, l'objectif est d'apporter de la compétitivité entre les entreprises.
Le 02/10/2024 à 13h28
J'ajouterai que l'on ne mesure pas l'avancée de la science aux dépôts de brevet et que ceux-ci ne portent pas sur des découvertes scientifiques, éventuellement sur leurs applications. La science, ça se publie simplement, sans brevets.
Modifié le 02/10/2024 à 15h01
Elle parle d'innovation et de compétitivité... parce que c'est le premier rôle de la Commission.
L'Union Européenne tout entière s'est créée sur l'économie, pas sur l'idéologie. Et donc son argumentation est entièrement tournée sur les aspects économiques de la recherche.
Personnellement je trouve que par le passé cette Commission a fait des choix courageux (REACH, RGPD...) et s'est attaqué à bien plus fort qu'elle (les GAFAM, entre autres).
Bien évidemment que son taux de réussite n'est pas toujours à la hauteur de ses ambitions ! Le lobbying MASSIF dont elle est l'objet ne facilite pas du tout la réussite des projets législatifs et des tentatives de réglementer un Schmilblick qui tends fortement vers le chaos, et je ne parlerais pas du manque de vision à long terme et du nombrilisme des gouvernants en général...
A travers elle, dénigrer l'Europe est facile, parce qu'on continue à ignorer tous les services qu'elle nous rends, à quel point elle est devenue absolument indispensable, et ce même si elle est parfois (souvent) décevante d'un point de vue citoyen.
Le 02/10/2024 à 18h03
Je retiendrais 2 choses bien de son mandat précédent : les vaccins contre le COVID négociés au niveau européen (mais elle n'est pas la seule à avoir agit sur le sujet) et le DMA et le DSA (là, c'est plus Thierry Breton qui était à la manœuvre).
On lui reproche d'être trop atlantiste et proche de Bidence qui assez gênant quand on représente l'UE. Quand je vois l'accord remplaçant le Privacy Shield, je trouve vraiment qu'elle joue contre son camp, certains disant qu'elle a échangé du gaz de schiste contre nos données personnelles.
Le 03/10/2024 à 12h06
Avec les ressources économisées (monétaires mais pas que) on pourrait accélérer plus encore la transition écologique...