Livre numérique : la Hadopi règle un différend sur l'exception handicap

Livre numérique : la Hadopi règle un différend sur l’exception handicap

Il n'y a que braille qui m'aille

Avatar de l'auteur

Marc Rees

Publié dansDroit

26/02/2016
8
Livre numérique : la Hadopi règle un différend sur l'exception handicap

La Hadopi vient d’annoncer avoir réglé un différend sur le socle de l’exception handicap. Une excellente nouvelle qui permet de revenir plus en détail sur les zones d’ombre de ce secteur.

C’est une procédure inédite qu’avait lancée l’an passé une association de masseurs kinésithérapeutes aveugles et malvoyants. Objet du courroux ? Le refus d’un éditeur de lui transmettre les ouvrages sous forme numérique. Or, cette association agréée a notamment pour mission d’adapter des ouvrages en braille ou version audio, bref sous toute technique jugée utile pour les personnes aveugles ou malvoyantes.

La loi DADVSI

Pour mémoire, cette exception a été introduite dans notre droit par la loi du 1er août 2006 relative au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information. Elle permet donc aux associations spécialement agréées de pouvoir consulter des ouvrages directement depuis la BnF, via son service PLATON (pour Plateforme de Transfert des Ouvrages Numériques). Elles peuvent alors reproduire les œuvres sans autorisation des ayants droit, mais aussi et avant tout, réclamer des éditeurs les fichiers numériques correspondants.

Le mécanisme initié par la loi DADVSI n’ouvre pas totalement les vannes, le règne du monopole étant toujours présent. Seules les œuvres dont le dépôt légal est inférieur à 10 ans et postérieur au 4 août 2006 sont concernées. Pour les autres, plus anciennes, il faut passer impérativement par le biais de l’impérieuse autorisation. Il doit être ajouté que les éditeurs disposent d’un délai légal de deux mois pour déposer les fichiers numériques correspondants, dans un standard ouvert, conformément à un décret de 2008 (art. R. 122-20 du CPI).

Quand un document est déposé, il est ensuite disponible sur PLATON, pour les organismes, associations, etc. qui travaillent au profit des handicapés. L’exception est donc en théorie très utile, mais elle pose quelques difficultés lorsqu’un éditeur a du mal à fournir les fichiers sources…

Le différend réglé entre les murs de la Hadopi

C’est en tout cas ce qu’avance l’association précitée. Comme le lui autorise le code de la propriété intellectuelle, elle a saisi en 2015 la HADOPI, autorité compétente pour les différends portant sur la transmission des textes imprimés sous la forme d’un fichier numérique (article L.331-34 du CPI). C’est une première dans l’histoire de l’institution (VideoLan l’avait saisie sur le terrain de l’interopérabilité, mais la procédure était informelle, amiable, sans conséquence juridique potentiellement rugueuse).

L'autorité en tout cas annoncé hier la fin heureuse de ce différend. Après audition des deux parties et de la Bibliothèque nationale de France, elle assure avoir pu « dégager une solution assurant la transmission des fichiers souhaités sans risque de réutilisations abusives ». Ouf !

Une exception handicapante

On remarquera que l’exception handicap n’est pas toujours favorable aux principaux concernés. En 2013, un précieux rapport de l’Inspection Générale des Affaires Culturelles soulignait au ministère de la Culture les lacunes des dispositions actuelles.

Explications. L’article R.122-20 du CPI oblige les éditeurs à transmettre « le fichier numérique ayant servi à l'édition d'une œuvre imprimée dans les deux mois de la demande qui lui en est faite », mais il appartient ensuite à la BnF de mettre à disposition ces mêmes fichiers cette fois dans un « standard ouvert » au sens de l'article 4 de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, entendu du coup comme « tout protocole de communication, d’interconnexion ou d’échange et tout format de données interopérable et dont les spécifications techniques sont publiques et sans restriction d’accès ni de mise en œuvre. »

Seulement, avec une telle rédaction, le PDF est considéré comme un « standard ouvert ». Le rapport de l'IGAC indiquait en ce sens que « la BnF remplit parfaitement ses obligations en mettant à disposition plus de 80% des fichiers numériques en format PDF. Or, contrairement aux formats dérivés du standard XML, qui permettent de produire des publications accessibles, aisément et à moindre coût (seule caractéristique pertinente au regard de l’objectif de la loi du 1er août 2006), le format PDF n’est pas 'adaptatif". La référence à un simple standard "ouvert" conduit donc à une impasse ».

Ainsi, lorsqu’un éditeur dépose dans les délais les fichiers numériques des ouvrages demandés, « les éditeurs respectent leurs obligations, quel que soit le format de dépôt (PDF, Word, InDesign ou XML) ». De même, « en transmettant aux organismes agréés les fichiers PDF déposés par les éditeurs, la BNF respecte ses obligations ». Et si « les éditeurs et la BnF respectant leurs obligations légales et réglementaires, ils ne sont pas juridiquement responsables de la situation de pénurie persistante. »

Les efforts relatifs du projet de loi Création

Pénurie ? En septembre 2015, à l’Assemblée nationale, la Commission des affaires culturelles a pointé à l’aide des chiffres de l’IGAC, que « la production annuelle de publications adaptées ne représente en effet que 3,5 % de l’offre "grand public", et l’offre globale. La faible part des fichiers XML transmis par les éditeurs aux organismes agréés serait, selon le rapport de l’IGAC, la seule cause du faible volume d’ouvrages adaptés. »

Le projet de loi Création, en passe la semaine prochaine d’être adopté en première lecture au Sénat, entend changer les règles actuelles. Un futur article 122-5-1 fait reposer sur les épaules des éditeurs la responsabilité du format dans lequel le fichier est transmis. Ce format devra ainsi faciliter la production de documents adaptés.

Selon les sénateurs, « cette solution permet d'éviter de faire peser sur un établissement public une charge financière liée à de lourds processus de conversion, alors que le format XML par exemple, qui permet de fabriquer simultanément des formats de diffusion à destination de l'édition papier et de l'édition numérique, est déjà utilisé pour les éditeurs pour une majorité de textes ». Il reviendra cependant à un décret du ministère de la Culture le soin de définir la liste des formats en question. Autre souci, de taille plus imposante, la rédaction actuelle laisse entendre que le format adaptatif ne sera qu’optionnel pour les éditeurs...

D’où vient cette prudence ? En 2015, dans une note révélée dans nos colonnes, la France avait déjà exprimé ses inquiétudes auprès de Bruxelles. Face à l’élargissement ou l'arrivée possible de nouvelles exceptions, Paris s'est fait la voix des industries culturelles, en demandant à Bruxelles « de garder à l’esprit les grands équilibres dont le droit d’auteur doit être garant, dans le respect des droits et intérêts publics et privés en cause ». Les autorités françaises invitaient alors la Commission européenne à tenir compte « de l’objectif que s’est toujours assigné le législateur européen d’assurer un haut niveau de protection de la propriété intellectuelle ». Un message que devront avaler les personnes souffrant de déficiences.

8
Avatar de l'auteur

Écrit par Marc Rees

Tiens, en parlant de ça :

Chiffre et formules mathématiques sur un tableau

CVSS 4.0 : dur, dur, d’être un expert !

C’est comme CVSS 5.0 mais en moins bien

18:17 Sécu 1
Une tête de fusée siglée Starlink.

Starlink accessible à Gaza sous contrôle de l’administration israélienne

Géotechnopolitique

16:37 Web 17
Fibre optique

G-PON, XGS-PON et 50G-PON : jusqu’à 50 Gb/s en fibre optique

Il faudrait déjà généraliser la fibre

16:03 HardWeb 17

Sommaire de l'article

Introduction

La loi DADVSI

Le différend réglé entre les murs de la Hadopi

Une exception handicapante

Les efforts relatifs du projet de loi Création

Chiffre et formules mathématiques sur un tableau

CVSS 4.0 : dur, dur, d’être un expert !

Sécu 1
Une tête de fusée siglée Starlink.

Starlink accessible à Gaza sous contrôle de l’administration israélienne

Web 17
Fibre optique

G-PON, XGS-PON et 50G-PON : jusqu’à 50 Gb/s en fibre optique

HardWeb 17
Photo d'un immeuble troué de part en part

Règlement sur la cyber-résilience : les instances européennes en passe de conclure un accord

DroitSécu 7
lexique IA parodie

AGI, GPAI, modèles de fondation… de quoi on parle ?

IA 6

#LeBrief : logiciels libres scientifiques, fermeture de compte Google, « fabriquer » des femmes pour l’inclusion

livre dématérialisé

Des chercheurs ont élaboré une technique d’extraction des données d’entrainement de ChatGPT

IAScience 3
Un chien avec des lunettes apprend sur une tablette

Devenir expert en sécurité informatique en 3 clics

Sécu 11
Logo ownCloud

ownCloud : faille béante dans les déploiements conteneurisés utilisant graphapi

Sécu 16
Le SoC Graviton4 d’Amazon AWS posé sur une table

Amazon re:invent : SoC Graviton4 (Arm), instance R8g et Trainium2 pour l’IA

Hard 5
Logo Comcybergend

Guéguerre des polices dans le cyber (OFAC et ComCyberMi)

Sécu 10

#LeBrief : faille 0-day dans Chrome, smartphones à Hong Kong, 25 ans de la Dreamcast

Mur d’OVHcloud à Roubaix, avec le logo OVHcloud

OVHcloud Summit 2023 : SecNumCloud, IA et Local Zones

HardWeb 2
algorithmes de la CAF

Transparence, discriminations : les questions soulevées par l’algorithme de la CAF

IASociété 62

Plainte contre l’alternative paiement ou publicité comportementale de Meta

DroitIA 33
Nuage (pour le cloud) avec de la foudre

Économie de la donnée et services de cloud : l’Arcep renforce ses troupes

DroitWeb 0
De vieux ciseaux posés sur une surface en bois

Plus de 60 % des demandes de suppression reçues par Google émanent de Russie

Société 5
Une vieille boussole posée sur un plan en bois

La Commission européenne et Google proposent deux bases de données de fact-checks

DroitWeb 3

#LeBrief : des fichiers Google Drive disparaissent, FreeBSD 14, caméras camouflées, OnePlus 12

Le poing Dev – round 6

Next 148

Produits dangereux sur le web : nouvelles obligations en vue pour les marketplaces

Droit 9
consommation de l'ia

Usages et frugalité : quelle place pour les IA dans la société de demain ?

IA 12

La NASA établit une liaison laser à 16 millions de km, les essais continuent

Science 17
Concept de CPU

Semi-conducteurs : un important accord entre l’Europe et l’Inde

Hard 7

#LeBrief : PS5 Slim en France, Valeo porte plainte contre NVIDIA, pertes publicitaires X/Twitter

Un mélange entre une réunion d’Anonymous et de tête d’ampoules, pour le meilleur et le pire

651e édition des LIDD : Liens Intelligents Du Dimanche

Web 30
Bannière de Flock avec des bomes sur un fond rouge

#Flock, le grand remplacement par les intelligences artificielles

Flock 34
Un Sébastien transformé en lapin par Flock pour imiter le Quoi de neuf Docteur des Looney Tunes

Quoi de neuf à la rédac’ #9 : LeBrief 2.0, ligne édito, dossiers de fond

Next 65
Pilule rouge et bleue avec des messages codés

Encapsulation de clés et chiffrement d’enveloppes

Sécu 31
Empreinte digital sur une capteur

Empreintes digitales : les capteurs Windows Hello loin d’être exemplaires

Sécu 20

#LeBrief : succès du test d’Ariane 6, réparer plutôt que remplacer, Broadcom finalise le rachat de VMware

Puces en silicium

Apple ne paierait que peu de royalties à Arm pour ses puces

Hard 44

Des logiciels libres scientifiques français à l’honneur

SoftScience 4

Une femme dont le visage se reflète en morceaux dans une série de miroirs.

Pourquoi inclure des femmes si on peut les fabriquer ?

Société 24

Logo de Google sur un ordinateur portable

Google commencera son ménage dans les comptes non utilisés le 1er décembre

Web 7

Commentaires (8)


momal
Il y a 8 ans

Dans ce cas, si ils sont frileux pour transmettre des oeuvres dans un format ‘ouvert’ (oula les pirates n’attendent que cela, tapis au coin du bois), il suffirait de preciser quels sont les formats obligatoires que les editeurs doivent supporter.

A la louche, leur imposer une sortie en braille (j’ignore si il y a un format normé reutilisable..) et en un format audio non-mp3 (= pas de compression avec pertes), en precisant bien la maniere de le faire, genre ne pas faire lire les textes par un robot avec un voix de synthese metallique, mais plutot choisir parmi un panel de voix masculines et feminines tres humaines.

Charge aux editeurs de s’en accommoder, ce qui les rassurera face aux vilains teleporteurs-mangeurs de bebes chats.


vizir67 Abonné
Il y a 8 ans

“100 fois vous REMETTREZ votre travail l’ouvrage” !
(comme quoi….en insistant bcp. un peu) ! <img data-src=" />


Manixxx
Il y a 8 ans

C’est surtout que l’édition n’est pas un milieu hautement technique, où le XML peut être utilisé pour certains outils de production, mais pas tous. Et dès qu’une mise en page se complexifie tout est largement bricolé dans InDesign. Le PDF est alors la sortie la plus immédiatement transmissible.

Il faut aussi prendre garde au fait que tout ce qui ressemble à un “livre” en papier n’est pas nécessairement transposable en XML, pour toutes les finalités, en version numérique. Pour de la littérature générale, pas de problème, mais rapidement les livres très illustrés ou à finalité technique sont un enfer à convertir pour un usage “handicap”. Ils ne sont simplement pas conçus pour, par des gens dont le métier est l’édition, pas l’informatique.


cowboo
Il y a 8 ans

Je propose l’instauration de la Taxe pour la Fabrication de Copies (TFC pour les intimes) appliquée à tous les livres susceptibles d’être adaptés aux personnes souffrant de déficiences. Cette taxe servirait à financer la réalisation des copies adaptées aux différents handicaps.

Cette taxe serait basée, entre autres, sur le nombre de page du livre et les taux seraient déterminés par des études de faisabilité financées par les associations réalisant les copies.

Bien sûr, tout cela serait supervisé et voté par une commission indépendante composée des associations (50 % des voix), des représentants des personnes souffrant de déficiences (25 % des voix) et des éditeurs (25 % des voix).

<img data-src=" />


momal
Il y a 8 ans






cowboo a écrit :

Je propose l’instauration de la Taxe pour la Fabrication de Copies (TFC pour les intimes) appliquée à tous les livres susceptibles d’être adaptés aux personnes souffrant de déficiences. Cette taxe servirait à financer la réalisation des copies adaptées aux différents handicaps.

Cette taxe serait basée, entre autres, sur le nombre de page du livre et les taux seraient déterminés par des études de faisabilité financées par les associations réalisant les copies.

Bien sûr, tout cela serait supervisé et voté par une commission indépendante composée des associations (50 % des voix), des représentants des personnes souffrant de déficiences (25 % des voix) et des éditeurs (25 % des voix).

<img data-src=" />



joli !



numerid Abonné
Il y a 8 ans

Et pas uniquement d’un point de vue technique (mise en page Indesign ou Scribus ou autre logiciel de Pao) mais aussi parce que les illustrations et autres schémas ne sont généralement pas renseignés correctement quand ils le sont ce qui fait que le lecteur aveugle ou malvoyant perd beaucoup d’informations.

C’est marrant parce qu’on peut faire des mises en page de livres, même techniques, qui tiennent bien la route avec des logiciels de traitement de texte et, par exemple, avec un LibreOffice, générer un pdf hybride qui contient le fichier odt et donc le fichier xml.


anonyme_751eb151a3e6ce065481d43bf0d18298
Il y a 8 ans






numerid a écrit :

Et pas uniquement d’un point de vue technique (mise en page Indesign ou Scribus ou autre logiciel de Pao) mais aussi parce que les illustrations et autres schémas ne sont généralement pas renseignés correctement quand ils le sont ce qui fait que le lecteur aveugle ou malvoyant perd beaucoup d’informations.

C’est marrant parce qu’on peut faire des mises en page de livres, même techniques, qui tiennent bien la route avec des logiciels de traitement de texte et, par exemple, avec un LibreOffice, générer un pdf hybride qui contient le fichier odt et donc le fichier xml.


+1

Ou avec LaTeX, format ouvert, qui permet l’export en pdf ou en DVI.



La pensée
Il y a 8 ans

SI les maisons d’édition ne peuvent ou ne veulent pas transmettre les livres en formas numérique pour adaptation on devrais les contraindre a ce qu’ils éditent eux même des formats brailles, agrandis et audio (achetable sur leurs sites par exemple). Cela soulagerais l’administration et créerait pas mal d’emplois ;) .&nbsp;&nbsp; &nbsp;&nbsp;

&nbsp;
(un malvoyant)