Arrêt Allostreaming : FAI et moteurs doivent supporter les coûts du blocage et du déréférencement
Un gros coup de canon dans le ciel français
Le 16 mars 2016 à 14h05
7 min
Droit
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Dans un arrêt révélé dans nos colonnes, la cour d’appel de Paris a finalement donné raison aux ayants droit de l'audiovisuel et du cinéma face à Yahoo, Microsoft, Orange, SFR, Auchan Télécom, Darty Télécom, Bouygues Télécom, Numericable et Free. Le fond du dossier ? La question du coût du blocage et du déréférencement des sites de streaming illicites.
Le 28 novembre 2013, les professionnels de l’audiovisuel obtenaient, après une longue bataille avec les intermédiaires, le blocage de la galaxie Allostreaming. FAI et moteurs devaient donc bloquer ou nettoyer de leurs résultats une ribambelle de sites :
- dpstream.tv
- fifostream.tv
- allostreaming.com
- alloshowtv.com
- allomovies.com
- alloshare.com
- allomegavideo.com
- alloseven.com
- allourls.com
- fifostream.com
- fifostream.net
- fifostream.org
- fifostreaming.com
- fifostreaming.net
- fifostreaming.org
- fifostreaming.tv
Seulement, le tribunal de grande instance de Paris n’avait pas été au bout des vœux de l’Association des producteurs de cinéma (APC), de la Fédération nationale des distributeurs de films (FNDF), du Syndicat de l’édition vidéo numérique (SEVN), de l’Union des producteurs de films (UPF) et du Syndicat des producteurs indépendants (SPI).
Les juges refusaient en effet de faire supporter sur le dos des intermédiaires le coût de ces mesures. Les ayants droit de l’audiovisuel voyaient là un gros rocher dans leur stratégie de lutte contre la contrefaçon en ligne. Ils décidaient du coup de faire appel pour purger cette question financière.
Un article de la loi Hadopi pour socle juridique
Pour mémoire, cette décision s’était appuyée sur un article du Code de la propriété intellectuelle, voté avec la loi Hadopi. Le 336 - 2 du CPI permet en effet aux titulaires de droit de réclamer au TGI d’ordonner « toutes mesures propres à prévenir ou à faire cesser une telle atteinte à un droit d’auteur ou un droit voisin, à l’encontre de toute personne susceptible de contribuer à y remédier ». Cet article est la transposition en France de l’article 8, §3, de la directive n° 2001/29/CE du 22 mai 2001 du Parlement européen et du Conseil sur l’harmonisation de certains aspects du droit d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information.
Dans son arrêt, diffusé en avant-première sur Next INpact, la cour d’appel de Paris va confirmer les demandes des syndicats professionnels qui auront su démontrer « que le réseau allostreaming composé des sites principaux allostreaming.com, allomovies.com, alloshowtv.com et alloshare.com et de sites secondaires actifs dpstream.tv et fifostream.tv est entièrement dédié ou quasi entièrement dédié à la représentation d’œuvres audiovisuelles sans le consentement des auteurs ». Comme lors du jugement de première instance, tous les acteurs des nouvelles technologies désignés ont ainsi été tenus de procéder à un nettoyage en règle pour bloquer ou déréférencer ces contenus.
La question des coûts pilotée par un arrêt de la CJUE
Sur la question des coûts, qui est le gros morceau de ce dossier. Pour les ayants droit, « la mise à leur charge du coût des mesures ordonnées n’est pas conforme à la finalité de la directive 2001/29 et constitue un obstacle à l’accès au juge, également garanti par l’article 6, §1, de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ». Ils dénoncent aussi « qu’aucun des intermédiaires techniques n’a communiqué de documentation pertinente de nature à permettre un début de discussion contradictoire sur le coût précis de ces mesures, notamment pour déterminer le nombre de salariés déployés pour mettre en œuvre les mesures ordonnées. »
En réponse, Free dira en substance ne pas avoir à supporter le coût de mesures ordonnées par une décision judiciaire « relative à des faits dont elle n’est en aucun cas responsable ». Un argument partagé avec les autres FAI. Orange a ajouté néanmoins que les mesures ordonnées impliquent des modalités de mise en œuvre « compliquées dont le coût est augmenté du fait de sa qualité d’opérateur d’infrastructure vitale ».
Pour trancher, la Cour d’appel de Paris s’est appuyée sur l’arrêt Telekabel de mars 2014, déjà examiné dans nos colonnes. La CJUE avait dans cette décision rendue après le jugement Allostreaming, estimé que les FAI pouvaient prendre ces coûts à leur charge du moins en fonction des « ressources » et des « capacités » dont ils disposent. Aux yeux des magistrats européens, simplement, les opérateurs ne peuvent être tenus de faire des « sacrifices insupportables » lorsqu’on leur laisse comme ici le choix des armes.
Les juges français vont s'en inspirer en rappelant un principe général du droit : « une partie qui doit faire valoir ses droits en justice n’a pas à supporter les frais liés à son rétablissement dans ses droits ». Dans ce duel entre contenants et contenus, la Cour considère que les syndicats des ayants droit sont dans la nécessité d’agir face à ces contrefaçons massives et leur équilibre économique « déjà menacé par ces atteintes, ne peut qu’être aggravé par l’engagement de dépenses supplémentaires ».
En face, les FAI et moteurs sont eux « à l’origine de l’activité de mise à disposition de l’accès à ces sites ». Ils « tirent économiquement profit de cet accès (notamment par la publicité s’affichant sur leurs pages) ». Conclusion : « il est dès lors légitime et conforme au principe de proportionnalité qu’ils contribuent financièrement aux mesures de blocage ou de déréférencement ».
FAI et moteurs devront assumer tant qu'il n'y a pas de sacrifice insupportable
La messe est donc dite, et ne pourrait être revue que « dans l’hypothèse où une mesure particulière devait s’avérer disproportionnée eu égard à sa complexité, à son coût et à sa durée, au point de compromettre, à terme, la viabilité du modèle économique du FAI ou du fournisseur de moteur de recherche ». Ce n’est donc que dans une telle hypothèse que ce coût devrait être supporté par les ayants droit. Or, pour le moment, FAI et moteurs n’ont pu démontrer les « sacrifices insupportables » dont faisait part la CJUE, « ni que leur coût mettrait en péril leur viabilité économique ».
Par ailleurs, la CA considère que la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur la question des coûts, toujours, ne s’applique pas puisque les intérêts des ayants droit ne relèvent pas de « la sauvegarde de l’ordre public, dans l’intérêt général de la population ». Soit une petite giffle à ceux du secteur qui pensaient que la lutte contre les contenus illicites relevaient bien de cette priorité.
En résumé, les intermédiaires vont devoir prendre à leur charge le coût des mesures de blocage et de déréférencement voulu par les ayants droit, jusqu’au jour où ils parviendront à démontrer qu’il s’agit pour eux d’un « sacrifice insupportable ». On remarquera enfin que Google s'est désisté lors de l'appel.
Ouverture des vannes
Cette affaire est fondamentale puisqu'elle ouvre d'une certaine manière les vannes : à l'avenir, tous les secteurs de la création vont maintenant être tentés de réclamer eux-aussi des mesures de blocage, au frais des intermédiaires.
La décision est susceptible de cassation, on notera cependant que dans le cadre du projet de loi Création, les sénateurs ont autorisé le CNC à « engager une action en cessation devant le tribunal de grande instance en cas d’atteinte au droit d’auteur occasionnée par un service en ligne » justement sur le fondement de l'article l’article L336-2 du code de la propriété intellectuelle. En clair, si la disposition est maintenue, le Centre national du cinéma pourra lui aussi exercer des demandes similaires devant le TGI, en réclamant la prise en charge des coûts sur les épaules des FAI et des moteurs.
Arrêt Allostreaming : FAI et moteurs doivent supporter les coûts du blocage et du déréférencement
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Un article de la loi Hadopi pour socle juridique
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La question des coûts pilotée par un arrêt de la CJUE
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FAI et moteurs devront assumer tant qu'il n'y a pas de sacrifice insupportable
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Ouverture des vannes
Commentaires (42)
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Abonnez-vousLe 16/03/2016 à 16h51
Au final qui va payer ? Toujours les mêmes. " />
Le 16/03/2016 à 16h55
Ca se tient aussi bien que les raisonement des vendeurs de DVD et des politiques.
Le 16/03/2016 à 16h58
Combien de sites ont remplacé allostreaming depuis cette bataille juridique? 10? 100? 1000? " />
Le 16/03/2016 à 17h23
Problème: ça rapporte quoi un consommateur? Ça paye bien pour ses intérêts?
En fait, un consommateur, ça cherche à consommé le plus possible pour le moins d’argent possible. Qu’est ce qu’un lobbyiste irait se faire chier pour des prunes à la sortie?
Coté ayant droits, ça rapporte par contre! La y’a de l’argent!
Le 16/03/2016 à 19h20
Le 16/03/2016 à 19h30
Le 16/03/2016 à 20h12
Je dirais plutot que tu n’as pas compris mon message : le lobbyiste c’est toi, c’est moi, c’est les personnes qui se sentent concernées et qui prennent de leur temps pour défendre leur intérêt.
Mon message c’est que si personne ne ait rien, rien ne sera obtenu.
C’est d’ailleurs le plus gros problème en politique : tout le monde s’en fous, donc forcement, on prends les même et on recommence … et comme tout le monde s’en fous, on prends même pas la peine d’apprendre des erreurs commises, c’est dire.
Le 16/03/2016 à 23h18
le problème c’est que pour aller à l’attaque il faut une armée, même en étant éveillé à un problème donné, ce ne sont pas plus de quelques personnes qui ont à la fois l’envie, le savoir faire, et le pouvoir faire de soutenir une cause s’il n’y a pas de grosses sociétés pour soutenir derrière.
Une société a une raison de payer des gens pour défendre ses intérêts, même si ceux-ci vont à l’encontre du bien général. A contrario bien peu de sociétés n’ont d’intérêt à payer des avocats, et des juristes pour défendre le téléchargement “illégal” et autre streaming gratuit, au combien même cela permettrait de gigantesques revenus mais à long terme.
Du coup non, le lobbyisme, ce n’est pas le péquin moyen mais tout une structure aujourd’hui.
Le 17/03/2016 à 07h57
C’est bien ce que je dis. Quand tout le monde gère, personne gère, B-A-BA de la gestion d’équipe / projet.
Si c’est toi ou moi, on a un boulot, une famille, je n’habite pas sur Paris, je ne connais personne dans le monde politique. Comment veux tu qu’on soit efficace sur notre temps libre? On va pas descendre manifester à chaque fois que y’a un cadeau aux ayants droits.
Donc il faut des gens pour faire ça. Donc il faut les payer. Mais vu que y’a pas de thune, y’a personne. L’UFC et 60 millions de consommateurs font ce qu’ils peuvent, mais ils sont surtout vus comme des emmerdeurs que des lobbyistes.
Le 17/03/2016 à 08h41
Ah bientôt le retour au minitel, une liste de deux cents sites autorisés bien maîtrisé et tout et tout, a quand le renvoi de la population à la charrue afin d’en finir avec le chômage.
Le 17/03/2016 à 09h24
Je ne suis pas sur paris, je fais un doctorat et pourtant je fais du lobbying.
Je ne connaissais personne non plus mais il suffit de se rapprocher de ceux qui sont déjà plus ou moins en place et d’aider, du mieux qu’on peut.
En info, il y a l’April, FDN, la quadrature, voir pourquoi pas le PP.
Plus générale, l’UFC et d’autre
Faut juste que des gens de bonnes volontés se lancent un peu …
Tout seul il est impossible d’avoir que que se soit, mais si les personnes qui gueulent ici à chaque news prenaient autant de temps pour aider, met d’avis qu’on arriverait à quelque chose, enfin avec le temps.
Et non manifester (en premier ressort) ne sert à rien, d’abord on discute, après on voit :)
Le 17/03/2016 à 09h26
Le 17/03/2016 à 09h27
tu connais des sites autres que “casinos” et p2p/ddl bloqués en france ?
je n’ai pas souvenir de les avoir vus évoqués dans ces colonnes.
Le 17/03/2016 à 09h28
Le 17/03/2016 à 10h15
Changez vos DNS et c’est reglé … Bon evitez de mettre Google tout de meme !
Le 17/03/2016 à 10h46
J’ai vraiment de la peine à voir sur quelle base on peut faire supporter aux intermédiaires les coûts de blocage.
Bien sûr on peut discuter la question de savoir si c’est au lésé de payer la réaction de la société face au dommage qu’il a subi que ça soit pénalement (imaginez une victime devant payer les frais de prison de son agresseur) ou civilement (en principe les frais de justice sont pour la partie perdante), et de son application au droit d’auteur.
Mais là les intermédiaires ne sont responsables de rien si ce n’est d’avoir exécuté leur obligation de fournir un accès.
J’espère vraiment que la décision porte plus sur des erreurs de la part des intermédiaires dans leur défense que d’un nouveau principe jurisprudentiel les responsabilisant encore un peu plus.
J’ai peur qu’on glisse vair une obligation de contrôle active et de surveillance de la part des intermédiaires qui fait froid dans le dos.
Le 17/03/2016 à 10h55
au fait, merci pour la liste
Le 16/03/2016 à 14h14
Si les FAI bloquent ces sites à leurs frais, ça veut dire qu’ils doivent prendre en charge tous les frais liés à ce blocage.
Or nous, à présent, pour accéder à ces sites serons obligés de passer par un VPN, donc la question est sur les frais liés au VPN.
Est-ce que ce sont les FAI qui doivent les prendre en charge ?
Ce serait logique puisque c’est lié au blocage.
Le 16/03/2016 à 14h15
c’est bien, franchement ils sont fort pour défendre leurs intérêts j’aimerai bien être ayant droit t’as tout le ministère de la culture qui te caresse dans le sens du schtrumpf
Le 16/03/2016 à 14h15
Trop gros passera pas." />
Le 16/03/2016 à 14h17
Le 16/03/2016 à 14h24
Le problème c’est qu’il n’existe aucun “contre-lobby” sérieux.
Il est là le problème.
le jour où une association/organisme représentant suffisamment les consommateurs fera un véritable taf de lobbying auprès du ministère et des députés/sénateurs, ces derniers seront obligés d’écouter les différents avis. Surtout si ces asso/organismes font suffisamment de comm.
Tant qu’il n’y aura que les ayants droits à écouter, comment voulez vous que le gouv/ministère pensent à d’autre avis ?
Enfin ici l’erreur des FAI semblent d’avoir utiliser comme seule ligne de défense le fait qu’ils n’avaient pas à prendre en charge quelque chose dont ils n’étaient pas responsable tout en méconnaissant la jurisprudence, c’est je pense une belle erreur de leur part au vue de l’arrêt Telekabel. A partir du moment où il est dit qu’ils doivent prendre en charge ces frais sauf à démontrer qu’ils sont trop lourds, ils auraient du ajouter cette démonstration dans leur argumentation.
Le 16/03/2016 à 14h24
En fait le problème c’est pas la limitation d’accès (blacklist DNS et zou) mais le déréférencement…
Le 16/03/2016 à 14h28
Le 16/03/2016 à 14h44
Le 16/03/2016 à 14h47
Bonne nouvelle, les bonnes pratiques vont se répandre plus vite. VPN et proxy vont devenir la norme.
Le 16/03/2016 à 14h48
Le 16/03/2016 à 14h49
Le 16/03/2016 à 14h50
j’ai souri " />
Le 16/03/2016 à 14h50
Le 16/03/2016 à 14h52
Le 16/03/2016 à 14h53
Le 16/03/2016 à 14h54
Le 16/03/2016 à 14h55
Le 16/03/2016 à 14h59
Le 16/03/2016 à 15h02
Le 16/03/2016 à 15h35
Les actions collectives amèneront des décisions de justices, mais au bout de combien de temps ? et il suffira aux politiques de changer la loi pour rendre caduque la décision.
Si on veut avoir des avancer, c’est lors des débats réglementaires qu’il faut intervenir et être écouté (loi et décret).
Le 16/03/2016 à 15h39
Qu’est-ce qui empêche une organisation suffisamment représentative de rentrer dans ce cercle ?
Tu crois vraiment qu’un gouvernement quel qu’il soit peut prendre le risque de ne pas être écouté par des organisations représentatives ? Généralement les ministères n’apprécient pas vraiment les communiqués de presse montrant qu’ils refusent d’écouter des personnes légitimes.
Meme si au final ils ne reprendraient pas les idées, au moins ils les auraient entendu et parfois, après un long process de lobbying, ils peuvent pour finir les reprendre.
Actuellement il n’y a malheureusement rien, en dehors des ayant droits, il n’y a pas de pression du côté des consommateurs, du coup c’est sur qu’on aura aucune avancé ….
Le 16/03/2016 à 16h02
moi je serais à la place des opérateurs / google etc, je porterais plainte contre les ayants droits parce qu’ils créent des contenus qui peuvent être piratés, et que donc ils perdent des ressources à transporter/analyser/mettre à disposition des données illégales, il revient donc à la justice de forcer les ayants droits à faire cesser ces manquements par tout moyen qu’ils jugeront bons…..
Le 16/03/2016 à 16h09
Je pense que si les fai / moteurs de recherches voulaient vraiment se battre, ils pourraient blacklister tout contenu issu de ces ayants droits, le dialogue pourrait s’engager assez rapidement !!!!!
Le 16/03/2016 à 16h15
Moi ça me fera toujours bondir ces lois qui permettent des jugements en faveur des niches qui organisent la raretés.
Le 16/03/2016 à 16h19