C’est désormais certain : il n’y aura pas de véritable dépôt légal des ebooks en France. Suivant (finalement) l’Assemblée nationale, les sénateurs ont rejeté cette semaine les amendements obligeant les éditeurs à transmettre une copie de leurs titres à la Bibliothèque nationale de France.
« Cette obligation existe déjà pour les exemplaires papier, mais la BNF a instauré un système de dépôt des fichiers correspondant aux livres numériques qui est seulement facultatif, ce que l'on peut regretter » a rappelé dans l’hémicycle l’écologiste Corinne Bouchoux. « La législation comporte aujourd'hui un angle mort en la matière, ce qui risque de conduire à la disparition de nombreuses œuvres » s’est inquiété le communiste Patrick Abate. Leurs amendements visaient donc, comme nous avons déjà eu l’occasion de l’expliquer, à ce que les éditeurs soient contraints de transmettre à l’établissement public un « fichier » correspondant aux ebooks qu’ils publient.
« Voulons-nous que nos étudiants, nos doctorants soient obligés de se tourner vers des universités américaines pour se procurer des ouvrages qu'ils ne trouveront pas à la BNF ? Nous comptons sur vous, mes chers collègues ! » a même lancé la sénatrice Bouchoux. Mais les élus du palais du Luxembourg ne l’ont pas suivie – contrairement à ce qu’il s’était passé lors des débats en première lecture.
Le gouvernement et le rapporteur demeurent inflexibles
« L'objectif des auteurs de ces amendements est tout à fait louable, a reconnu le rapporteur Jean-Pierre Leleux (LR), car il est absolument indispensable qu'un jour les œuvres numériques fassent partie du patrimoine conservé et soient soumises à une obligation de dépôt légal. Cela viendra, c'est certain. » Mais pas demain... Le sénateur a en effet soutenu que l’instauration d’un véritable dépôt légal des ebooks « constituerait aujourd'hui une charge très importante pour la BNF et ses personnels, charge qui pourrait encore s'alourdir si les auteurs d'autres œuvres numériques, par exemple de jeux vidéo, souhaitaient bénéficier d'un dispositif identique, ce qui serait assez légitime ».
« L'angle mort que vous avez évoqué existe bien, monsieur Abate, mais il est réglementaire, et non législatif » a de son côté concédé la ministre de la Culture. Ce qui a permis à Audrey Azoulay de justifier l’avis défavorable du gouvernement sur ces amendements. « Cela étant, la préoccupation des auteurs des amendements reste tout à fait légitime, dans la mesure où la mise en œuvre de la loi s'est révélée pour le moins décevante, compte tenu à la fois des méthodes choisies, la BNF étant contrainte de collecter elle-même ce qui est publié, alors que la démarche inverse eût été peut-être plus opérante, et des normes techniques retenues, qui ne sont pas satisfaisantes pour l'ensemble des publications numériques. »
Pour mieux faire passer la pilule, la locataire de la Rue de Valois a expliqué qu’une concertation était en cours « depuis le début de cette année avec l'ensemble des professionnels, éditeurs mais aussi acteurs d'autres secteurs culturels concernés par cette obligation de dépôt légal », afin de réformer le décret d’application régissant le dépôt légal des livres numériques.
Le silence de la loi ne règlera « pas davantage » l'angle mort actuel
Certains sénateurs ont cependant refusé que le gouvernement mette ainsi la poussière sous le tapis... « On ne peut pas se résigner à ce que, pour des raisons techniques, la collecte de la création littéraire ne se fasse pas » s’est ainsi emportée Marie-Christine Blandin (EELV). « Si une panne informatique affectait demain le système d'information des notaires, les actes authentiques dressés pendant ce temps ne seraient pas pour autant annulés ! De même, si une inondation touchait la BNF, on déplacerait les livres papier du dépôt légal. Par conséquent, nous estimons que l'obligation de dépôt légal pour les livres numériques doit être inscrite dans la loi. Ce dépôt pourrait, dans l'attente de la mise au point d'un système plus satisfaisant, s'opérer sur des disques durs provisoires, qui seraient réexploités plus tard. »
Même son de cloche sur les bancs communistes : « Si la loi ne réglera certes pas les problèmes techniques, son silence ne le fera pas davantage » a fait valoir Patrick Abate.
En vain. Les sénateurs se sont rangés derrière le rapporteur et le gouvernement. En adoptant une position identique à celles des députés, ils ont définitivement écarté cette mesure du projet de loi Création, qui fera bientôt l’objet d’une commission mixte paritaire.
Commentaires (4)
#1
Ne serait-il pas plus simple de légaliser les sites warez d’ebooks et de les associer ainsi à la BNF.
Ce serait un bon moyen pour avoir la certitude qu’au moins un exemplaire de chaque ouvrage sera accessible aux étudiants et doctorants.
#2
Le problème de ces sites, c’est qu’ils fonctionnent (par essence) hors du système: cela m’étonnerait que les administrateurs qui sont actuellement dans l’illégalité soient volontaires pour porter l’étiquette de la bibliothèque nationale.
Alexandriz aurait pu, mais ils ont préféré l’éliminer. Dans le même temps, ils faisaient un travail de correction scandaleusement bénévole…
#3
Consternant. On parle d’archiver des ebooks, on nous répond avec l’impossibilité d’archiver des jeux vidéos. Quand on dit que les élus ne pigent rien au numérique, c’est pas du flan … by ?
Je rejoins les propos précédents, Alexandriz a fait bien mieux que la BNF sur le numérique. Plus qu’à espérer que d’autres prennent sérieusement le relais, et que les œuvres restent disponibles par un moyen ou un autre.
#4
On pourrait meme aller plus loin dans la réflexion.
Nous savons tous aujourd’hui que plus une oeuvre est dupliquée sur un maximum de supports dans un maximum d’endroits différents et moins elle a de chance de disparaitre aux yeux et aux oreilles des lecteurs ou auditeurs.
Je vois très mal nos universités se remettre à gérer les centaines de publications qui les concernent au format papier et de les mettre à la disposition de nos étudiants sous ce format alors que les PDF ( entre autres formats d’échange) se révèlent bien plus performants quant à leur stockage et surtout à leur consultation par ces meme étudiants.
Ce serait revenir 70 ans en arrière, quand l’informatique personnelle n’existait meme pas dans l’esprit de ses futurs concepteurs.
Comme d’habitude sur ce coup là, mais sur d’autres aussi, nos parlementaires, de gauche, de droite, de l’Assemblée Nationale ou du Sénat ne font pas l’effort intellectuel indispensable pour le bien etre et le devenir de la Nation.
C’est scandaleux ! ! !