L’Institut des normes de télécommunication de l’UE (ETSI) défie la Commission européenne
Irréductible gaulois, #oupas
Le nouveau directeur général de l'ETSI travaillait jusqu'à l'an dernier chez Huawei. La Commission européenne avait pourtant « officieusement encouragé » les gouvernements nationaux à voter pour un candidat « ne présentant aucun lien avec des entreprises étrangères ».
Le 18 avril à 14h00
7 min
Droit
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Les membres de l’Institut européen des normes de télécommunication (ETSI), qui joue un rôle majeur dans l’élaboration de normes techniques des principales technologies mondiales, viennent d'élire le suédois Jan Ellsberger pour succéder à Luis Jorge Romero, qui occupait le poste de directeur général depuis treize ans.
Les candidats pour le poste de directeur général étaient, relevait la semaine passée Euractiv, Luis Jorge Romero, directeur général de l’ETSI depuis 2011 et ancien directeur de Telefónica en Espagne, Gilles Brégant, directeur de l’Agence nationale des fréquences en France (ANFR) et ancien Directeur des technologies du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA) de 2005 à 2010, et Jan Ellsberger, ancien vice-président d’Ericsson et de Huawei en Allemagne, aujourd’hui conseiller pour une entreprise de conseil.
Selon Euronews, l’expert français en télécommunications était le « candidat favori de l’exécutif européen », la Commission ayant « officieusement encouragé » les gouvernements nationaux à voter pour Gilles Brégant, considéré comme un candidat « ne présentant aucun lien avec des entreprises étrangères ». La Commission s’inquiétait en effet des liens des deux autres candidats avec des entreprises étrangères.
Jan Ellsberger avait alors indiqué qu’il souhaitait « diversifier » les activités de l’ETSI « à la fois en termes de projets et de membres », et suggéré une expansion de l’organisme au Moyen-Orient dans les domaines de « l’IA et du transport automatisé ».
Euractiv soulignait alors que, « contrairement à d’autres organismes de l’UE », l’ETSI est « à la fois juridiquement et financièrement indépendant », parce que récoltant elle-même les bénéfices de ses plus de 850 membres, « dont un grand nombre d’entreprises privées ».
Le champion désigné disqualifié au troisième tour pour 0,5 %
Euractiv précise qu'il s’agissait de la première fois qu’une élection de l’ETSI était organisée selon les nouvelles procédures internes [PDF] de cette institution, permettant aux membres de voter à distance.
Or, selon les informations d’Euractiv, « seules 200 organisations ont voté, avec plus de 300 participants à l’assemblée générale, sur un total de plus de 850 membres ». De plus, « les pays membres dont le produit intérieur brut (PIB) est le plus faible (moins de 7 milliards d’euros) disposaient de l’équivalent de trois votes, tandis que les pays membres au PIB plus élevé disposaient de l’équivalent de 29 votes » :
« Les petites entreprises, dont le chiffre d’affaires dans le domaine des télécommunications est inférieur à 135 millions d’euros, ont disposé de l’équivalent de quatre voix, tandis que les grandes entreprises, dont le chiffre d’affaires est supérieur à 8 milliards d’euros, ont quant à elles disposé de l’équivalent de 29 voix. Les entreprises se situant entre ces deux catégories disposaient de 5 à 28 voix. »
Le premier tour de scrutin s’est soldé par « un résultat presque nul », relève Euractiv, Jan Ellsberger et Luis Jorge Romero obtenant chacun 34 % des voix, et Gilles Brégant 32 %.
Au second tour, Luis Jorge Romero « est arrivé en tête avec 36,5 % des voix, Jan Ellsberger 32 % et Gilles Brégant 31,5 % ». Aucun candidat n’ayant pu être élu, « car les candidats ont besoin de 71 % des voix pour être élus », Gilles Brégant a cela dit été « disqualifié du troisième tour pour 0,5 % » relève Euractiv.
Lors du dernier tour de scrutin, Luis Jorge Romero a obtenu 45,3 % des voix, contre 54,6 % pour Jan Ellsberger.
Un nouveau directeur passé d'Ericsson à Huawei
Suédois, Jan Ellsberger a « plus de 30 ans d'expérience » dans le domaine de la normalisation, précise l'ETSI. Il a dirigé pendant 12 ans les opérations mondiales de normalisation d'Ericsson en tant que vice-président pour l'industrie et la technologie, jusqu'en 2017.
Il a ensuite travaillé en tant que conseiller et membre des conseils d'administration de Fuld & Company (un pionnier du conseil en stratégie concurrentielle qui compte parmi ses clients des entreprises du classement Fortune 1000), de la 5G Automotive Association (5GAA), de l'Intelligent Transport Systems Europe (ERTICO, un partenariat public-privé de plus de 120 membres), de la Connected, Cooperative and Automated Mobility (CCAM, regroupant plus de 180 acteurs de l'innovation impliqués dans le domaine de la mobilité connectée, coopérative et automatisée) et de la Fédération routière internationale (IRF Global), et a été vice-président du développement de l'industrie et responsable de la normalisation pour l'automobile chez Huawei de 2017 à 2023.
Il avait annoncé l'an passé avoir décidé de quitter Huawei pour « soutenir la création d'une nouvelle entreprise familiale tout en réfléchissant à ce qui pourrait être ma prochaine mission intéressante ».
L'ETSI et « l’influence indue » d’entreprises non européennes
Euractiv précise qu'il « devra relever le défi de gérer les relations difficiles de l’ETSI avec la Commission européenne », qui a reproché à l’organisme d’être sous « l’influence indue » d’entreprises non européennes.
ETSI avait en effet élu un représentant de la branche allemande de la société américaine Intel à la présidence de son principal organe décisionnel, une décision qui dérangeait la Commission parce qu'elle allait à l’encontre de la promotion de la « souveraineté numérique » prônée par la Commission européenne.
Depuis sa création en 1988, rappelait Euractiv, l’ETSI « joue un rôle majeur dans l’élaboration de normes techniques des principales technologies mondiales ». Or, l'an passé, le commissaire européen au Marché intérieur, Thierry Breton, avait présenté une stratégie européenne de standardisation « visant à mieux faire entendre la voix européenne au niveau international », l’ETSI ayant alors été pointé du doigt comme « source de problèmes ».
Citant l’exemple d’une demande de standardisation pour le système de satellites Galileo que l’ETSI avait rejetée, M. Breton reprochait à l’organisme d’être sous « l’influence indue » d’entreprises non européennes, et avait proposé une « réforme de son fonctionnement interne » afin de « donner plus de poids aux représentants nationaux par rapport aux entreprises ».
La confrontation entre l’ETSI et la Commission avait été provoquée par le fait que son directeur général, Luis Jorge Romero, s’était « efforcé d’affirmer son indépendance vis-à-vis de l’exécutif », une réorientation rendue possible par le fait qu’il est financé par le secteur privé.
Or, la nomination d’un représentant d’une société américaine, « même par l’intermédiaire de sa filiale européenne », précisait Euractiv, ne semblait guère alignée sur les plans de la Commission visant à lutter contre « l’influence étrangère » au sein des organismes de standardisation européens.
« Il n’y a pas assez de coordination entre les acteurs européens dans les organismes de normalisation », expliquait alors une source d'Euractiv, soulignant que la Commission avait fait preuve d’un « manque de leadership ».
Le directeur général « est élu pour un mandat de cinq ans, qui peut être prolongé de trois ans par les membres », précise l'ETSI.
L’Institut des normes de télécommunication de l’UE (ETSI) défie la Commission européenne
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Le champion désigné disqualifié au troisième tour pour 0,5 %
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Un nouveau directeur passé d’Ericsson à Huawei
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L’ETSI et « l’influence indue » d’entreprises non européennes
Commentaires (2)
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Abonnez-vousLe 19/04/2024 à 12h31
Le 21/04/2024 à 09h47
Concernant le candidat français, il est arrivé deux fois en troisième position donc, même si c'était serré, il a perdu. Si les règles sont pourries, il faut les changer la prochaine fois. Là, on les applique et point à la ligne.
Si on revient sur la problématique des normes, il faut bien garder à l'esprit que les normes ont toujours été faites par des entreprises afin de servir leurs propres intérêts en demandant aux politiques des les imposer.
Politiquement, les normes, c'est habituellement pour un pays ou un groupe de pays un moyen de protéger ses industries en gênant la concurrence pendant un certain temps.
Techniquement, les normes, c'est un moyens de mutualiser les coûts de R&D (IEEE802.3 par exemple), et de diminuer les risques en évitant qu'une technologie concurrente ne vienne siphonner les ventes avant d'avoir rentabilisé les investissements (scénario betamax vs VHS ).
Avec les télécommunications, le protectionnisme par les normes, c'est daté car l'objectif numéro un des sociétés est d'avoir une norme qui couvre le monde entier pour ne pas avoir à se farcir de la R&D pour chaque région du monde.
Il reste toujours la possibilité de créer des réglementations pour contraindre le marché européen et là, les politiques auront la main. Mais il faudrait qu'ils s'en donnent les moyens.
Côté politique, les européen font des réglementations bien moles, RoHs, Reach et le marquage CE qui sont basées sur le fait que les entreprises respectent bien les loi par eux-même et s'auto-certifient. Quel taux de vérification ? Les Chinois se marrent avec tous les déchets neufs qu'ils nous envoient à longueur d'année.
A contrario, j'aime bien la manière de réfléchir côté US pour le coup: par exemple, avec les normes UL qui sont, de mémoire, exigées par les assureurs eux-même car ils veulent s'assurer de ne pas avoir à couvrir trop de risques.
C'est tout aussi payant pour les entreprises mais les moyens de vérification sont bien plus dissuasif je pense.
De même, entre un joli papier écrit par un fabricant qui jure la main sur le cœur que ses produits sont conformes et un certificat UL ou un certificat COFRAC, c'est le jour et la nuit.