Photo de Kenny Eliason sur Unsplash

Abandon du projet français d’ « Education Data Hub »

Arrêté avant la catastrophe

Avatar de l'auteur
Martin Clavey

Publié dans

Société numérique

22/02/2024 5 minutes
3

Photo de Kenny Eliason sur Unsplash

Le projet d' « Education Data Hub » qui était évoqué réellement depuis 2020, suite à la pandémie de Covid-19 et aux États généraux du numérique éducatif, ne devrait finalement pas voir le jour.

Un rapport de « préconfiguration » signé conjointement par le Ministère de l'Éducation Nationale et Inria, publié la semaine dernière et repéré par Acteurs Publics conclut que le projet d'« Education Data Hub » est trop flou et trop complexe pour que sa conception soit envisagée.

« À travers la diversité des perspectives, préoccupations, intérêts et niveaux de maturité des personnes auditionnées, la plateforme de données apparaît comme un objet protéiforme, source d’imaginaires variés et présentant des risques de dispersion des efforts et de déceptions futures », expliquent Federica Minichiello, Nicolas Roussel et Philippe Ajuelos, les trois auteurs du rapport.

En clair, personne n'est d'accord sur ce que devrait être la « Plateforme des données de l’éducation » (son autre nom plus français) poussée par le ministère de l'Éducation Nationale lorsque Jean-Michel Blanquer était à sa tête.

Partages de données entre acteurs hétérogènes

L'idée de cette plateforme a été lancée lors des « États généraux du numérique pour l’éducation », qui ont eu lieu en novembre 2020. Mais, comme le rappelle notre confrère d'Acteurs Publics, « la piste d’un Education Data Hub avait également été retenue par le ministère, sans que celle-ci n’ait pourtant été proposée ni soutenue sur la plate-forme de consultation en ligne ».

Elle devait « permettre le partage sécurisé des données et leur exploitation éthique pour l’intérêt général ».

Si la notion d'intérêt général peut être comprise de façons différentes, les contributeurs et utilisateurs envisagés de la plateforme étaient les enseignants, les cadres de l’éducation nationale, les collectivités, les scientifiques, mais aussi les entreprises du secteur EdTech.

Regroupement de « données scolaires » sensibles

À ne pas confondre avec la « Plateforme ouverte des données Éducation, Sports et Jeunesse » qui partage des données ouvertes, mais la plupart du temps consolidées, l'Education Data Hub avait pour ambition de permettre la consultation de données plus fines, mais potentiellement plus sensibles, d'où le rapprochement de dénomination avec le fameux Health Data Hub.

Ces « données scolaires » pourraient rassembler, par exemple, des informations administratives sur les élèves et leurs parents, des « traces d’apprentissage » (récoltées par des outils scientifiques comme des capteurs ou des enregistrements d'interactions), des données de vie scolaires (emplois du temps, les absences), des données de Parcoursup, etc.

Les trois rapporteurs confirment que l'accès à ces données réunies offrirait des « potentialités majeures ». Mais « l’hétérogénéité des sources de données, l’absence de catalogues, l’accès parfois difficile aux données, et les enjeux juridiques, éthiques et de souveraineté liés à leur collecte et à leur exploitation » compliquent sérieusement la donne.

Un ministère jusque-là très motivé

Pourtant, jusqu'ici, le ministère continuait à y croire. Un « Programme Équipements Prioritaires et de Recherche » (PEPR) « Enseignement et numérique » doté de 77 millions d'euros sur 10 ans a même été créé en 2021.

Celui-ci devait permettre de « constituer un entrepôt de données éducatives (Education Data Hub) à même de contribuer à la fois à un pilotage par la donnée des établissements et des académies, mais aussi à un travail affiné des enseignements à partir des traces d’apprentissages, et des EdTech pour les ressources existantes et à créer ». CapGemini se montrait aussi intéressé par le sujet.

Les auditions des acteurs et utilisateurs potentiels du projet ont refroidi les ardeurs. Non pas que le projet n'intéressait pas. « Les auditions menées confirment la pertinence et le bien-fondé du projet dans la perspective des quatre grandes ambitions citées précédemment (soutenir la constitution/consolidation du patrimoine de données ; jouer le rôle de tiers de confiance dans l’ouverture et le partage de ces données ; accompagner l’écosystème éducatif dans le développement de nouveaux usages des données partagées ; assurer le lien avec les élèves, enseignants et citoyens) », explique le rapport.

Un projet trop complexe à porter

Mais il précise en creux que les attentes bien logiques sur la sécurité, la confidentialité, les responsabilités juridiques, l’orchestration de la gestion des données, la définition de standards et d’équilibre public-privé qui pèseraient sur les épaules du ministère sont trop élevées. « Une plateforme de données n’est pas une fin en soi mais un moyen, sa valeur ne réside que dans ce qu’elle permet de faire de nouveau », commente-t-il.

Repli sur de plus petits projets

Les trois rapporteurs proposent de se replier sur d'autres outils déjà existants ou en cours de création. « Le programme IDEE [pour Innovations, Données et Expérimentations en Éducation, ndlr] devrait grandement simplifier l’accès des scientifiques aux données de la DEPP [ndlr : le service de statistiques du ministère] », expliquent-ils.

Ils ajoutent que « la doctrine technique en cours d’élaboration par le ministère devrait aussi faciliter la circulation des données entre acteurs publics et privés dans une logique de plateforme, à travers un cadre d’architecture et des règles et standards communs ».

Enfin, le ministère travaillerait sur la mise en place d'un tableau de bord du pilotage du numérique éducatif en prenant exemple sur ce qui existe déjà à l'Intérieur ou aux finances publiques.

Écrit par Martin Clavey

Tiens, en parlant de ça :

Sommaire de l'article

Introduction

Partages de données entre acteurs hétérogènes

Regroupement de « données scolaires » sensibles

Un ministère jusque-là très motivé

Un projet trop complexe à porter

Repli sur de plus petits projets

next n'a pas de brief le week-end

Le Brief ne travaille pas le week-end.
C'est dur, mais c'est comme ça.
Allez donc dans une forêt lointaine,
Éloignez-vous de ce clavier pour une fois !

Fermer

Commentaires (3)


La charrue avant les bœufs.
C’est pas plus mal de se replier sur des projets plus petits qui permettront une meilleur exploration des possibles des données ainsi récoltés.
Du coup s ils se replient sur des projets compatibles, ça veut dire qu il aurait eu des doublons ?
Pour une fois que des responsables d'un projet être capables d'admettre qu'ils font fausse route et avoir l'humilité de ne pas persister dans l'erreur, je dis bravo ! Que j'aimerai voir ça plus souvent ...