DMA : la fondation Mozilla « extrêmement déçue » des propositions d’Apple
Des pommes, du boudin
La fondation Mozilla n’est pas contente des annonces d’Apple sur les adaptations proposées pour le DMA. Elle dénonce des conditions trop complexes et une situation presque intenable pour sa part en l’état actuel. Elle ne pense pas pouvoir proposer un Firefox Gecko sur iOS.
Le 29 janvier à 12h19
6 min
Droit
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Les annonces d’Apple sur le DMA étaient attendues de pied ferme. La société californienne étant désignée comme contrôleur d’accès, elle doit respecter des devoirs particuliers. Le plus important est de veiller à ce que la concurrence puisse librement jouer. Elle devait donc se mettre en retrait sur plusieurs points : sa boutique d’applications, les commissions appliquées ou encore l’utilisation du NFC pour les paiements.
Tous ces points ont été abordés dans un long communiqué. Apple n’y cache pas son agacement. L’entreprise prévoit ainsi une dégradation de l’expérience utilisateur et surtout de la sécurité. Un agacement qui a dû teinter les propositions faites, tant elles semblent peu incitatives.
Dans les grandes lignes, Apple propose un nouveau système. Principale mesure : l’autorisation des boutiques tierces. Cependant, pour en profiter, les éditeurs devront certifier (notarisation) leurs applications, payer une commission (allégée) ainsi qu’une redevance. Cette dernière peut faire exploser les frais mensuels.
Mais alors qu’on ne l’attendait pas spécialement sur ce point, Apple a décidé un changement pour les navigateurs. Pour la première fois, les éditeurs tiers pourront fournir leur propre moteur. Comme nous l’indiquions la semaine dernière, cela signifie que Chrome et tous ses dérivés pourront utiliser Blink et que Firefox pourra apporter son Gecko. En Europe uniquement, pour l’instant.
Mozilla fait grise mine
Au sujet des navigateurs, on peut se réjouir de ce tournant historique. Depuis qu’iOS et l’App Store existent, les navigateurs tiers n’ont le droit que d’embarquer une vue embarquée de WebKit, le moteur de Safari.
Cependant, Mozilla a récemment indiqué tout le mal qu’elle pensait de cette fausse bonne nouvelle. Dans un entretien avec The Verge, Damiano DeMonte, porte-parole de la fondation, a fait savoir que cette dernière était « extrêmement déçue ».
« Nous sommes encore en train d'examiner les détails techniques, mais nous sommes extrêmement déçus par le plan proposé par Apple de restreindre le BrowserEngineKit nouvellement annoncé aux applications spécifiques à l'UE. Cela aurait pour effet de forcer un navigateur indépendant comme Firefox à construire et à maintenir deux implémentations de navigateur distinctes – un fardeau qu'Apple n'aura pas à supporter ».
C’est tout le problème : les conditions proposées par Apple ne sont valables que dans le cadre du DMA, donc uniquement en Europe. Même si l’on imagine que les éditeurs de navigateurs ont dans leurs cartons des versions intégrant leur propre moteur, il faut maintenant que ce travail soit finalisé. En d’autres termes, prêt pour l’utilisation, avec tout le travail d’optimisation et d’assurance qualité qui va avec.
Le grand fossé
Même en mettant de côté la question des frais – qui a fait bondir notamment Tim Sweeney, fondateur et président d’Epic – celle d’un App Store spécifique à l’Europe pose un grand problème.
Si un éditeur décide de profiter des conditions de l’App Store, il devra répondre à plusieurs questions pratiques avant même de se lancer dans les estimations de redevance. La principale sera de savoir s’il compte proposer des fonctions autorisées uniquement par les nouvelles conditions.
Apple permet en effet de proposer une application à la fois sur l’App Store et sur des boutiques tierces. Dans ce cas cependant, l’application doit être partout la même. Dans le cas de Firefox, on peut imaginer qu’une distribution simple par l’App Store lui convient : c’est dans la boutique officielle que les utilisateurs ont le plus de chances de voir le navigateur, largement en perte de vitesse.
L’autre grand souci – celui pointé par Mozilla – est qu’un navigateur utilisant son propre moteur ne pourra être distribué qu’en Europe. Tant que la société de Cupertino n’harmonise pas ses règles à l’échelle de la planète, les éditeurs seront contraints de financer et maintenir deux versions de leur navigateur. Deux versions aux écarts fonctionnels sans doute importants.
« Les propositions d'Apple ne donnent pas aux consommateurs des choix viables en rendant aussi difficile que possible pour les autres de fournir des alternatives compétitives à Safari. Il s'agit là d'un autre exemple de la création par Apple de barrières empêchant une véritable concurrence entre les navigateurs sur iOS », a ainsi tranché Mozilla.
La Commission européenne doit se prononcer
L’ampleur des changements proposés par Apple est certaine. La société ajoute par exemple près de 600 nouvelles API dans iOS 17.4, dont la première bêta a été distribuée en fin de semaine dernière aux développeurs.
Mais aucune de ces propositions n’existe concrètement tant qu’elles n’ont pas été avalisées par la Commission européenne. Celle-ci se penche actuellement sur le sujet, mais n’a pas encore réagi officiellement. Cela ne saurait tarder.
En attendant, Thierry Breton s’est exprimé sur ce point. Le commissaire européen, chargé entre autres du marché intérieur, s’est montré ferme : « Le DMA ouvrira les portes de l'internet à la concurrence afin que les marchés numériques soient équitables et ouverts. Le changement est déjà en cours. À partir du 7 mars, nous évaluerons les propositions des entreprises, en tenant compte des commentaires des tiers ». Avant d’ajouter : « Si les solutions proposées ne sont pas suffisantes, nous n'hésiterons pas à prendre des mesures énergiques », rapporte Reuters.
Il est clair aujourd’hui que les propositions d’Apple ne convainquent pas. Spotify, vent debout depuis des années contre le fonctionnement de l’App Store, a publié vendredi soir un communiqué pour dire tout le mal qu’elle pense d’Apple.
L’entreprise suédoise critique violemment par exemple la redevance de 0,50 euro. « C'est de l'extorsion, pure et simple. Si Apple prélève déjà une commission de 17 % (et de 10 % pour les paiements récurrents) sur les biens numériques achetés, pourquoi devrait-elle également prélever une redevance annuelle forfaitaire pour chaque utilisateur ? », fustige-t-elle.
Elle critique des conditions intenables pensées pour rendre le DMA aussi douloureux que possible pour les développeurs. Dans son cas, un passage aux nouvelles conditions signifierait une explosion des frais, la société possédant environ 100 millions d’utilisateurs en Europe. Conclusion ? « La seule conclusion possible est qu'Apple oblige les développeurs à rester dans le statu quo », pointe Spotify.
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La Commission européenne doit se prononcer
Commentaires (10)
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Abonnez-vousLe 29/01/2024 à 12h57
Le 29/01/2024 à 19h50
Ça serait formidable mais légalement je trouve ça très bancal légalement parlant.
À part les US et leur contrôle des transactions en dollars dans le monde (par exemple pour intenter un procès de corruption du gouvernement chilien par Alstom), je ne connais pas de parallèle.
Modifié le 29/01/2024 à 20h34
Mais l'argument sur le moteur de navigateur pourrait porter dans l'UE. Le fait de n'autoriser à utiliser un autre moteur de navigateur que pur l'UE oblige à doubler le travail pour les autres pays. C'est donc bien un frein à la possibilité d'utiliser réellement leur propre moteur dans l'UE parce que le coût de développement s'ajoute au coût pour le reste du monde. Cela fausse donc la concurrence dans l'UE (en particulier vis-à-vis d'Apple comme le fait remarquer Mozilla).
Pour les autres points, en particulier les 0,5 € par téléchargement, cela n'est applicable que pour l'UE et il est possible d'attaquer ce point.
Édit :
Sur les 0,5 € par téléchargement, j'ai l'impression que c'est contraire au 7) de l'article 6 du DMA :
Modifié le 29/01/2024 à 13h16
Le 7 de l'article 5 du DMA dispose que :
Et quand on lit le considérant (43) : on voit bien que navigateur internet doit être pris dans le sens moteur de navigateur internet.
Édit : le gras est de moi.
Édit 2 : ajout du lien vers le DMA.
Le 29/01/2024 à 13h13
Je me demande si au contraire il ne devrait pas garder gecko et virer webkit dans iOS pour meilleur diversité. Mais c'est clair qu'ils ont pas les moyens de faire les 2.
Sais-ton si webkit sera toujours le moteur de rendu par défaut comme sur Android: lorsqu'une application affiche en son sein du web/HTML c'est le moteur de Chrome qui solicité (alias webkitview)?
Le 29/01/2024 à 13h23
Modifié le 29/01/2024 à 13h34
Ils ne peuvent pas virer webkit en dehors de l'UE. Il ne leur reste qu'à faire du lobbying aux USA pour que l'on impose la même mesure à Apple.
Pour la seconde partie de ton commentaire, si tu lis le commentaire que j'ai écris plus haut, on voit dans la partie du considérant (43) que j'ai cité : Donc une application doit aussi pouvoir utiliser un autre moteur de rendu.
Modifié le 30/01/2024 à 08h07
A priori les API web de iOS ne sont pas changées donc le navigateur interne restera webview. En théorie, une application européenne pourrait embarquer Gecko ou Blink mais ça obligerait a intégrer tout le navigateur dans le package de l'application le rendant inutilement lourd.
Le 30/01/2024 à 19h59
Je ne sais pas s'ils finiront quand même par dégoupiller une version motorisée par Chromium pour ces iOS ; ils ont beaucoup moins de moyens financiers que Mozilla…
Le 15/02/2024 à 18h54
Merci d'expliciter les acronymes, ça rendra les articles plus compréhensibles.