Apple et Google : deux réactions différentes face aux dérives publicitaires
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Le 07 juin 2017 à 15h04
12 min
Internet
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Coup sur coup, Apple et Google viennent de mettre une claque aux acteurs de la publicité en ligne. Le premier est décidé à bloquer par défaut le tracking non désiré, alors que le second veut bannir les formats publicitaires abusifs. Des stratégies différentes qui collent aux intérêts de chacun.
On le sait, le marché publicitaire a multiplié les dérives ces dernières années. Et si des instances comme l'IAB ou la CNIL ont tardé à agir de manière concrète sur le sujet, les choses bougent enfin. Ainsi, outre les initiatives DEAL et LEAN mises en place par la première, le RGPD et ePrivacy entreront en vigueur dès l'année prochaine.
Pourtant, de grandes avancées pourraient bien venir directement de certains géants américains. Une surprise ? Pas vraiment. Mais en la matière, chacun agit à sa manière. Et c'est le navigateur qui est au centre de ces stratégies.
D'Adblock au « bloqueur de contenus » d'Apple
Les initiatives pour bloquer la publicité n'ont rien de nouveau. Comme les dérives de ce marché, elles ont plus de 10 ans et ne cessent de se renforcer depuis (voir notre analyse). Pour rappel, ces dispositifs fonctionnent en général par la combinaison de deux éléments, qui seraient inoffensifs l'un sans l'autre :
- Une extension permettant de bloquer des domaines ou des portions de code à travers des règles CSS
- Une liste recensant tous les éléments à bloquer pays par pays, site par site
L'une des listes les plus connue est EasyList, ainsi que ses dérivées, qui sont établies via des forums (dont une partie est gérée depuis un espace privé). Mais elles sont nombreuses. Chaque bloqueur de publicité en active un nombre plus ou moins important par défaut, selon sa stratégie et l'objectif visé : bloquer la publicité, les trackers, l'affiliation ou un peu de tout.
C'est l'une des explications du succès d'uBlock Origin ces derniers temps, même si l'extension a parfois pour effet secondaire de rendre certains sites peu utilisables. Elle est aussi née du rejet de la stratégie commerciale de la société derrière le champion du secteur : Adblock Plus (Eyeo).
Son équipe a en effet décidé de fonder son modèle économique sur une liste blanche laissant passer certaines publicités qui respectent un cahier des charges précis. Un service gratuit pour certains, mais payant et plutôt cher pour d'autres, comme Google.
Cette façon de faire est contestée de tous côtés, donnant naissance à de nombreuses initiatives. Certains navigateurs ont ainsi commencé à proposer eux-mêmes un dispositif de blocage basé sur des listes publiques ou bien sur leurs propres critères. C'est notamment le cas d'Opera ou de Firefox (en navigation privée).
Mais c'est bien une décision récente d'Apple qui a marqué les esprits. La marque à la pomme a en effet annoncé la mise en place d'un dispositif permettant d'exploiter des bloqueurs de contenus au sein de Safari à partir d'iOS 9. Une manière d'ouvrir la porte aux bloqueurs de publicité sur l'un des OS les plus utilisés sur mobile. Mais aussi de réserver une fonctionnalité populaire au navigateur maison, afin d'inciter les utilisateurs à ne pas aller voir ailleurs.
Elle avait été suivie dans cette décision par plusieurs constructeurs, dont Samsung.
Des avancées, mais le gros du problème publicitaire perdure
La situation s'était ainsi stabilisée, et le marché publicitaire se préparait surtout à devoir digérer l'arrivée du RGPD et d'ePrivacy l'année prochaine. Pour autant, le problème de fond demeure et continue de poser problème aux éditeurs de sites et de services, qui doivent désormais choisir entre un financement payant en s'éloignant de la publicité et une volonté de se mettre au service des marques afin « d'accompagner leur communication ».
Car le blocage de la publicité n'a fait que mettre le problème sous le tapis. Les pratiques n'ont eu de cesse de se durcir ces dernières années, hors de tout contrôle. L'une des dernières tendances en date est la publicité vidéo en lecture automatique, parfois avec le son, qui agace les internautes au plus haut point sans que personne ne bouge le petit doigt.
Nous avions ainsi mis en ligne récemment un guide détaillant comment bloquer la lecture automatique. Certains navigateurs proposent en effet des options plus ou moins accessibles, et il faut parfois passer par une extension spécifique. Cela reste néanmoins fastidieux, et nécessaire sur chaque appareil que l'on utilise.
Face à ces nouveaux problèmes, et le besoin d'un changement de fond, ce sont deux acteurs qui s'organisent, chacun à sa manière. Ce qui devrait permettre de faire le ménage... de gré ou de force.
Google va bloquer les sites qui abusent (mais pas ceux qui vous trackent)
Le premier à taper du poing sur la table aura été Google. Géant de la publicité en ligne, il s'appuie sur l'initiative Coalition for better ads créée notamment en réponse à Eyeo, qui s'affichait de plus en plus comme un défenseur de la vertu publicitaire pour renforcer sa position centrale et son modèle économique.
Plusieurs grands noms du marché se sont donc accordés sur des règles de bonne conduite afin de ne pas ennuyer l'internaute, étude à l'appui. Et c'est donc finalement Google qui aura le rôle du policier (voir notre analyse), l'IAB ayant toujours refusé d'endosser ce costume.
La semaine dernière, on apprenait donc que Chrome, actuellement le navigateur majoritaire (surtout sur ordinateur de bureau), n'afficherait plus dès l'année prochaine de publicité sur les sites qui ne respecteraient pas les règles de Better ads, ou qui afficheraient des éléments « nuisibles ».
Un dispositif que nous avions détaillé, et que certains ont rapidement comparé à un bloqueur de publicité classique avec un peu de précipitation. Car il s'agit ici d'un blocage a minima, qui est d'ailleurs bien moins vigoureux que celui qui peut être mis en place par la majorité des dérivés d'Adblock, notamment ceux utilisables dans l'écosystème Apple.
Il n'est ainsi pas du tout question de limiter le tracking des utilisateurs, le volume global des publicités sur l'ensemble d'une page, etc. Le géant de la recherche affiche plutôt une position de consensus, visant à assurer une pratique responsable des éditeurs tout en incitant les internautes à ne plus bloquer la publicité.
Dans le même temps, la société prend bien soin de ne pas s'attaquer à ce qui ne se voit pas, comme les trackers. Il faut dire que de nombreux de ses dispositifs, d'Analytics à Fonts en passant par l'intégration des blocs YouTube, peuvent suivre l'internaute sur l'ensemble de sa navigation, site par site, minute par minute.
Au passage, elle met d'ailleurs en avant son projet Contributor à travers un nouveau service : Funding Choices. Un rôle d'arbitre qui n'est donc pas totalement désintéressé.
Apple permet de bloquer l'autoplay et généralise son mode lecteur
De son côté, Apple qui a décidé d'ouvrir les vannes assez largement au blocage de la publicité sans distinction, a fait plusieurs annonces concernant Safari lors de la keynote de sa WWDC.
La première concerne les vidéos en lecture automatique, qu'il sera désormais possible de bloquer automatiquement. Une fonctionnalité qui n'était pas du tout présente au sein du navigateur et qui fait son apparition sous macOS High Sierra, mais pas sous iOS 11 pour le moment. Espérons que cela sera le cas dans de futures mises à jour.
Dans la pratique le fonctionnement est simple : il suffit de se rendre dans les paramètres des sites web dans la section Lecture automatique. Vous pourrez alors décider de bloquer tous les contenus en lecture automatique, seulement ceux avec du son ou aucun. Une liste vous permet de rajouter des exceptions. Nous avons bien entendu mis à jour notre guide afin d'évoquer cette nouveauté.
Notez au passage que le mode Lecteur, qui affiche le contenu d'un article séparé du reste du site pour en faciliter la lecture, peut aussi être automatisé de la sorte. Vous pouvez ainsi décider de l'activer automatiquement sur tous les sites ou seulement certains. Une manière de ne pas être gêné par la publicité omniprésente sur certains sites, qui était déjà proposée sous iOS dans certains cas (notamment via les options de Twitter par exemple).
ITP pour gérer les domaines et cookies tiers avec plus de finesse
L'autre annonce était plus énigmatique : un blocage des trackers à travers le machine learning. Dans un billet de blog, l'équipe de WebKit vient détailler ce dispositif connu sous le petit nom d'Intelligent Tracking Prevention (ITP). Celui-ci vise à réduire le tracking croisé entre sites et à limiter l'impact de la récolte de données à travers les cookies ou autres outils du même genre.
Car pour rappel, si plusieurs sites chargent des ressources depuis un domaine tiers, celui-ci peut recouper les informations et construire un profil sur l'utilisateur. C'est notamment comme cela que Google peut vous suivre à la trace sur l'ensemble des sites qui utilisent gratuitement Analytics, ou que les réseaux sociaux peuvent faire de même à travers leurs boutons et autres scripts d'intégration.
Il était précédemment possible de désactiver complètement les cookies tiers, mais cela peut poser problème dans certains cas. L'idée est désormais de proposer un système un peu plus malin, basé sur des statistiques concernant les domaines depuis lesquels sont chargées les ressources des sites visités par l'utilisateur, et ceux avec lesquels il interagit.
Le machine learning entre alors en jeu pour détecter les domaines qui ont la possibilité de suivre l'utilisateur à travers différents sites, et de les classer. Tout cela est géré au sein de l'appareil et n'est donc pas partagé avec Apple. La fonctionnalité est présente aussi bien dans Safari pour iOS 11 que dans la version intégrée à macOS High Sierra.
Dans les deux cas, elle remplace la précédente gestion de collecte des données qui permettait de bloquer l'ensemble des cookies, seulement ceux des sites que l'on ne visitait pas directement (cookies tiers), etc.
Désormais, la prévention du suivi inter-sites sera activée par défaut. Elle sera accompagnée d'une option permettant de Bloquer les nouveaux cookies et données de sites web. Celle-ci est désactivée par défaut. Sous iOS, elles sont liées à une nouvelle option permettant de désactiver l'accès à l'appareil photo et au micro.
Une interaction sous 24 heures, sinon les données sont isolées puis purgées
Mais dans la pratique, comment est-ce que cela fonctionne ? Dans son billet de blog, l'équipe de WebKit indique que si un domaine est classé comme étant capable de vous tracker sur différents sites, ses cookies pourront être utilisés par des sites tiers pendant 24 heures après votre dernière interaction. Passé ce délai, ce ne sera plus le cas.
Au bout de 30 jours, les données seront purgées par Safari. Si vous l'avez demandé, les nouveaux cookies et données ne seront ensuite plus acceptés. Apple précise que dans la phase entre la purge et la période où les cookies ne peuvent plus être utilisés depuis des sites tiers ils sont isolés.
Cela signifie que leur domaine et ses sous-domaines sont les seuls à pouvoir accéder aux données, ce qui évite le traçage tout en permettant de garder des fonctionnalités comme la connexion par exemple. L'équipe précise qu'une stratégie identique d'isolation est déjà en place pour les caches et le stockage HTML5.
De la mise en place prochaine découle quelques règles pour les développeurs qui devront parfois s'adapter afin d'éviter tout problème. Tout d'abord s'assurer que les domaines qui gèrent les données des utilisateurs sont bien ceux avec lesquels ils interagissent, mais le cas de l'analyse d'audience, de la connexion unifiée ou de l'attribution publicitaires sont aussi évoqués.
Apple précise qu'elle va prendre en compte les différentes requêtes qui lui seront remontées dans la période de quelques mois qui sépare la publication des premières bêtas de la version finale. Il sera intéressant de voir les stratégies qui seront mises en place par certains pour continuer à pouvoir assurer un suivi des utilisateurs, même si cela semble désormais relativement compliqué.
Le monde de la publicité à la croisée des chemins, chacun fait ses choix
À moins que des acteurs omniprésents sur le web comme Facebook, Google ou Twitter utilisent leurs domaines principaux pour assurer le suivi des utilisateurs, et ainsi tromper le système d'Apple. Ils seraient alors clairement avantagés par rapport à d'autres acteurs. C'est un point auquel la marque à la pomme devra sans doute répondre, peut être en appliquant une isolation systématique de certains domaines ?
Quoi qu'il en soit, on voit que tout se met désormais en marche pour que le marché publicitaire soit obligé de revoir nombre de ses pratiques : tracking permanent, lecture automatique, formats insupportables. Même si ePrivacy et le RGDP venaient à être défaillants dans leur capacité à protéger les internautes européens, de nombreux acteurs ont déjà mis en place des dispositifs qui pourront prendre le relais.
Cela n'est sans doute pas pour nous rassurer, puisque ces politiques de sociétés privés américaines peuvent changer du jour au lendemain, contrairement à la loi qu'il est moins aisé de faire bouger (dans un sens comme dans l'autre). Mais pour le moment tout évolue dans le bon sens.
L'internaute devrait sans doute s'en féliciter, même s'il devra choisir avec attention ses outils de navigation en fonction de ses besoins. À moins que ces différentes initiatives ne se généralisent et trouvent un écho notamment chez Firefox, qui semble désormais un peu à la traine en la matière. Nul doute que cela devrait changer dans les mois à venir.
Apple et Google : deux réactions différentes face aux dérives publicitaires
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Des avancées, mais le gros du problème publicitaire perdure
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Commentaires (6)
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Abonnez-vousLe 07/06/2017 à 19h59
De bonnes nouvelles en sommes … en espérant que le système d’Apple soit adapté sur les autres navigateurs
Le 07/06/2017 à 20h04
A la lecture de l’article, j’ai l’impression que les vendeurs/concepteurs/whatever cherchent absolument à résoudre un problème qui n’existe plus chez les utilisateurs depuis la démocratisation des adBlock.
Et puis, tous les billets de blogs, propositions et innovations techniques proposées ne seront réellement efficaces que si les sites web et les utilisateurs font preuve de bonne volonté. Ce dont je doute tant la confiance est brisée entre les deux parties.
(un si bel article avec si peu de commentaire… " />)
Le 07/06/2017 à 20h16
J’ai hâte de voir ces mises à jour arriver.
La gestion actuelles des cookies sur iOS et macOS n’étant pas terrible, celle qui va arriver me semble très bien. Comme il est possible d’utiliser des applications tierces pour la publicité, ce n’était pas indispensable de faire comme la version de google.
Bon après, si on pouvait avoir les deux de base, ce serait encore mieux 😁
Le 08/06/2017 à 07h00
Le souci c’est qu’on a résolu aucun souci, on a tout mis sur le tapis et on attend que ça pète. Les choses bougent, mais le gros des mouvements nous attend. Et ça va être d’un tout autre niveau ;)
Le 08/06/2017 à 08h01
Bel article ! :)
Ce qui ressort pour moi, c’est que Google se pose en gendarme et juge de la pub d’un internet qu’il a plus que largement participé à polluer. C’est d’ailleurs avec ça que Google a fabriqué sa cash machine. Je ne dis pas que c’est les seuls ou les pires, mais ça me fait rire jaune quand même.
En terme de tracking je n’en parle même pas. M’étant presque complètement “dégoogle-isé” il y a 8 mois, je me suis vite rendu compte qu’on ne l’est jamais vraiment à moins d’être ultra-agressif sur les anti-trackers. Ils sont partout, tout le temps. Ça en devient malsain.
Bref, Google en chevalier blanc c’est drôle et pathétique.
Le 12/06/2017 à 17h44
Excellent article, merci !