Comment la mission InSight va étudier la structure interne de Mars
Vous verrez, SEIS simple
Le 04 mai 2018 à 14h15
9 min
Sciences et espace
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Demain, une fusée Atlas V décollera avec la mission InSight et deux nanosatellites à son bord. Elle s'intéressera au cœur de Mars et essayera de comprendre pourquoi le « moteur » de la planète s'est arrêté de fonctionner il y a 4 milliards d'années. À bord de l'atterrisseur se trouve un instrument français : le sismomètre SEIS.
Si l'année 2020 promet d'être chargée avec Mars 2020 de la NASA et ExoMars de l'ESA, une autre mission décollera le 5 mai de Vandenberg en Californie : InSight (INterior exploration using Seismic Investigations, Geodesy and Heat Transport). Comme son nom l'indique, elle va passer au crible la structure interne de la planète rouge pour en comprendre les rouages.
Nous avons déjà expliqué comment (et pourquoi) les précédentes missions avaient mis en évidence la présence d'eau liquide à la surface et l'habitabilité de la planète à une certaine époque. La suite logique est de chercher des traces de vies.
Lancement demain à 13h05 (heure de Paris)
Mais, contrairement à Mars 2020, ce n'est pas le but premier d'InSight : « Le dispositif mesurera l’activité tectonique de Mars, ce qui permettra d’en déduire des informations sur sa structure (taille du noyau, épaisseur du manteau…) » détaille le CNES. La France participe activement à ce programme avec le développement du sismomètre SEIS (Seismic Experiment for Interior Structures).
Le décollage est prévu pour samedi 5 mai à 13h05 (heure de Paris), sauf retard de dernière minute bien évidemment. L'engin prendra place à bord d'une fusée Atlas V (401) avec deux autres passagers (nous y reviendrons). Plusieurs retransmissions en direct seront proposées. C'est notamment le cas de la Cité de l'espace de Toulouse qui reprendra le flux de la NASA, avec des commentaires et des explications en français.
InSight : un atterrisseur « recyclé », avec un instrument à la pointe
InSight est la douzième mission du programme Discovery de la NASA, dont le but est principalement d'étudier notre système solaire. La première date de 1996 avec NEAR Shoemaker (Near Earth Asteroid Rendez-vous), tandis que l'une des dernières n'est rien de moins que le télescope spatial Kepler. Nous pouvons également citer la sonde Dawn, Mars Pathfinder, Stardust, Deep Impact, etc. Bref, beaucoup de missions ayant marqué l'exploration spatiale.
Lors de la sélection finale, Insight était en compétition avec Titan Mare Explorer (TiME) et Comet Hopper (CHopper). La première devait se poser sur Titan, le plus grand satellite de Saturne, tandis que la seconde visait une comète. Quoi qu'il en soit, la mission d'exploration du sous-sol martien a gagné et décollera demain. Elle arrivera sur site le 26 novembre 2018 et se posera si tout va bien dans la région Elysium Planitia. Elle se situe à environ 1 000 km au nord-ouest du cratère Gale où se trouve le rover Curiosity. Sa mission nominale s'étalera sur deux ans.
Philippe Laudet, chef de projet au CNES, explique que la sonde « InSight est une récupération de l'atterrisseur Phoenix, une mission martienne de 2008 », les deux fabriqués par Lockheed Martin Space Systems. Si la sonde a déjà prouvé sa résistance et sa fiabilité il y a 10 ans, les scientifiques ont dû s'adapter à la forme prédéfinie de l'engin pour y caser leurs instruments, parfois dans des « volumes complètement improbables » explique l'un des chercheurs français travaillant sur cette mission.
En plus de deux caméras et d'un bras robotisé, trois instruments scientifiques sont à bord, pour un poids de 50 kg environ (sur les 358 kg de l'atterrisseur) :
- SEIS (Seismic Experiment for Interior Structure),
- Un capteur de chaleur HP3 (Heat Flow and Physical Properties Package)
- RISE (Rotation and Interior Structure Experiment), chargé de quantifier les variations de l’axe de rotation de la planète rouge
Mesurer des déplacements de la taille d'un atome
SEIS a été conçu et fabriqué en France. Le sismomètre est un instrument hybride sur six axes comprenant trois capteurs sismiques très large bande placés dans une sphère en titane sous vide, ainsi que trois autres sismomètres courtes périodes. Tous les six sont également équipés d'une sonde de température.
Les trois sismomètres dans la sphère sont « capables de détecter un frémissement de l’ordre de 10^- 11 mètre, c’est-à-dire de la taille d’un atome se félicite le CNES. C’est pour garantir ce haut niveau de performance qu’ils sont placés dans un vide très poussé, et que la sphère doit rester totalement hermétique pendant toute la durée de la mission ».
Afin de protéger l'instrument du vent et autre rayonnement sur Mars, un bouclier sera posé dessus grâce au bras articulé de l'atterrisseur. L'opération est délicate puisqu'il ne faudra pas le toucher et le positionner avec une précision de l'ordre de quelques millimètres.
Si tout se passe comme prévu, cette mission sera la première à analyser le cœur de la planète de cette manière. « Les sondes américaines Vikings (1976) avaient un sismomètre, mais l'un d'eux ne s'est jamais allumé et l'autre, resté sur la plateforme, n'a enregistré que les mouvements de l'atterrisseur » se souvient Philippe Laudet dans une interview à La Dépêche.
Annulée en 2015 à cause de SEIS, puis reportée à 2018
La conception de SEIS n'a pas été de tout repos : « La mission américaine l'a retenu comme instrument principal. C'est là que l'histoire a démarré comme une fusée ». Bruce Banerdt, responsable scientifique mission InSight au JPL/NASA, explique que la France travaillait depuis 20 ans sur un sismomètre. Il aurait donc été contre-productif pour les États-Unis d'en développer un maison.
Mais, en décembre 2015, la NASA annule le lancement de la sonde « en raison d’un problème technique sur l'instrument SEIS fourni par le CNES ». En l'occurrence, il s'agissait d'une microfuite sur la sphère. « C’était la première fois qu’un instrument aussi sensible était réalisé. Nous étions très près du résultat, mais une anomalie s’est produite, nécessitant des investigations complémentaires. Nos équipes trouveront une solution, mais malheureusement pas à temps pour le vol de 2016 » justifiait alors Marc Pricher, directeur du centre spatial de Toulouse.
Il faudra attendre septembre 2016, et une rallonge de 153,8 millions de dollars (en plus des 675 millions initiaux), pour que la mission soit finalement confirmée pour le 5 mai 2018.
Pour Philippe Laudet, « c'est un mal pour un bien. Nous avons réparé, changé le design et amélioré le sismomètre. Pendant ce temps, les Américains ont fabriqué un bras robotique plus solide, un meilleur parachute de descente et les Allemands [responsables de HP3] ont amélioré leur instrument. Tout le monde est très content après avoir tiré la langue pour arriver à l'échéance ».
Les buts de la mission InSight
Toute cette débauche de science a pour but de mieux comprendre le fonctionnement de Mars. Philippe Lognonné, géophysicien et planétologue à l'Institut de Physique du Globe de Paris, fait une analogie intéressante avec une voiture : InSight va « ouvrir le capot et voir pourquoi le moteur s'est arrêté de fonctionner il y a 4 milliards d'années. Il y a eu du volcanisme, des failles, des rivières et des champs magnétiques. Pourquoi Mars qui était habitable est aujourd'hui devenu un désert froid, sec et aride » se demande-t-il (et il n'est pas le seul).
Bref, il s'agit de cerner « l'histoire de sa formation et de son évolution » résume Francis Rocard, responsable des programmes d'exploration du système solaire au CNES. Pour rappel, les débuts « de vie » la planète Mars sont assez proches de ceux de la Terre, mais il y a une « rupture » il y a 3 à 3,2 milliards d'années (des explications par ici). SEIS sera épaulé par le second instrument à bord de l'atterrisseur : le capteur de chaleur HP3.
Ce dernier « évaluera la vitesse de refroidissement de la planète afin de reconstituer son "histoire thermique" ». Il dispose d'une sonde qui s'enfoncera jusqu’à 5 mètres dans le sous-sol martien, « afin de mesurer le flux de chaleur de la planète et d’en déduire sa vitesse de refroidissement et donc la puissance dissipée par le moteur planétaire ».
Pour Philippe Lognonné, « c'est maintenant que le travail va commencer. Tous les jours nous aurons de nouvelles données qu'il faudra traiter. L'objectif va être de détecter les mouvements du sol générés par des séismes ou des impacts de météorites. À partir de ces ondes, on va pouvoir déterminer l'endroit où elles se sont propagées, où elles se sont réfléchies et voir vraiment l'intérieur de la planète ».
Deux nanosatellites profitent de ce lancement : les Mars Cube One
À bord de la fusée, deux passagers supplémentaires : les Mars Cube One (MarCO A et B). Les deux nanosatellites sont indépendants, mesurent 36,6 x 24,3 x 11,8 cm pour un poids de 13,5 kg. Ils disposent de huit propulseurs chacun pour ajuster leur trajectoire.
Peu après le largage de l'atterrisseur par la fusée, ils seront à leur tour envoyés dans l'espace direction Mars. Ce n'est donc pas un seul engin qui volera vers la planète rouge, mais un trio indépendant. C'est la première fois que des nanosatellites voleront vers une autre planète, restant habituellement à proximité de la Terre précise la NASA.
La Cité des Sciences détaille leur mission : « Ils doivent servir à titre expérimental de relais de télécommunications entre la Terre et InSight pour suivre cette dernière au cours de sa descente ». Dans tous les cas, l'agence spatiale américaine rappelle que « le succès de la mission InSight ne dépend pas de la performance de MarCO. Le Mars Reconnaissance Orbiter (MRO) de la NASA et les grands télescopes radio sur Terre devraient également recevoir des transmissions d'InSight pendant la descente et l'atterrissage ».
MRO conservera les données pendant une heure en faisant le tour de Mars, avant de les envoyer vers la Terre. De leur côté, les radiotélescopes terrestres ne pourront que vérifier si la sonde est bien « vivante ». Les MarCO devraient survoler la planète en même temps que l'atterrisseur effectuera sa descente, récupérant ainsi les données en temps réel avant de les envoyer vers la Terre (avec un décalage de quelques minutes le temps de les traiter, puis le temps que le signal arrive).
Une vidéo explicative du fonctionnement des MarCO A et B est disponible par ici.
Comment la mission InSight va étudier la structure interne de Mars
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Lancement demain à 13h05 (heure de Paris)
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InSight : un atterrisseur « recyclé », avec un instrument à la pointe
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Mesurer des déplacements de la taille d'un atome
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Annulée en 2015 à cause de SEIS, puis reportée à 2018
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Les buts de la mission InSight
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Deux nanosatellites profitent de ce lancement : les Mars Cube One
Commentaires (6)
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Abonnez-vousLe 04/05/2018 à 16h13
Passionnant !
Le 04/05/2018 à 16h46
Intéressant les microsatellites. J’espère que ça donnera lieu à plus d’applications pratiques dans le domaine de l’exploration planétaire cette technologie. À suivre !
Le 04/05/2018 à 18h07
Comme à chaque fois, un plaisir à lire ces articles sur l’exploration spatiale.
Le 05/05/2018 à 07h48
Tout à fait d’accord avec “Paratyphi”
C’est articles sur l’espace en général et sur l’exploration de Mars en particulier, sont intéressants et bien documentés, un vrai régals.
Toutes mes félicitation à Sébastien Gavois !
Le 06/05/2018 à 09h12
Un vrai plaisir ces articles, comme toujours " />
Le 07/05/2018 à 11h22
Merci pour ces articles passionnants. " />