Le satellite Gaia « en train d’écrire l’histoire », le catalogue EDR3 en ligne
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Le 03 décembre 2020 à 16h18
12 min
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L’Agence spatiale européenne vient de mettre en ligne le catalogue EDR3 du satellite Gaia. Une gigantesque base de données sur plus de 1,8 milliard d’étoiles de notre galaxie. Aux scientifiques et astronomes amateurs du monde entier de les prendre en main pour faire avancer nos connaissances sur la Voie lactée, et donc de l’Univers.
Le satellite Gaia de l’Agence spatiale européenne (ESA) a été lancé fin 2013. Il s’est ensuite placé au point de Lagrange L2, « une zone gravitationnellement stable » indique l’ESA, à 1,5 million de kilomètres de notre planète sur l’axe Soleil-Terre (dans la direction opposée de notre étoile).
Il dispose de trois instruments, dont deux télescopes optiques, afin de déterminer avec un maximum de précision la position des corps célestes et d'analyser leur spectre lumineux. Pour avoir une vision de l’ensemble du ciel, il tourne sur lui-même. Ce satellite de deux tonnes au lancement a pour mission de réaliser une « cartographie 3D d’une partie de la Voie lactée, avec évaluation de la vitesse propre des corps célestes recensés ». Un travail titanesque qui s’étend sur plusieurs années.
DR1 en 2016, DR2 en 2018, et maintenant « Early » DR3
En 2016, un premier jeu de données était publié : Gaia DR1 (Data Release 1), avec entre autres choses la position dans le ciel de plus d'un milliard d’étoiles. En 2018, c’était au tour du second jeu de données DR2 (Data Release 2), avec des informations sur pas moins de 1,7 milliard d’étoiles.
Pour Claude Catala, président de l'Observatoire de Paris, ce catalogue était alors « en train de révolutionner une grande partie de l'astrophysique ». Nous étions longuement revenus sur l’histoire du satellite Gaia, son fonctionnement et les données du DR2 dans une précédente actualité.
Désormais, l’EDR3 – Early Data Release 3 – est en ligne depuis ce jeudi 3 décembre à 12 h précises. Les chiffres sont impressionnants, puisqu’elle contient des données sur pas moins de 1,811 milliard d’étoiles et 1,614 million de quasars.
Lors d’une conférence organisée par l’Observatoire de la Côte d’Azur (OCA), divers intervenants – CNES, Laboratoire d’Astrophysique Bordeaux, Observatoire de Paris… – se sont succédé pour en évoquer les grandes lignes de ce catalogue et ce qu’il apporte de plus, au-delà d’une centaine de millions d’étoiles de plus. Voici ce qu’il faut en retenir.
Avec Gaia, « la qualité des mesures est vraiment excellente »
Fabienne Casoli, directrice Observatoire de Paris, commence par rappeler l’intérêt de l’astrométrie. Il s’agit d’une partie de « l'astronomie qui se propose de déterminer les positions des astres dans le ciel afin de pouvoir interpréter leurs variations dans le temps », rappelle l’Universalis. C’est le « socle de l’astronomie depuis l’antiquité », affirme-t-elle, mais aussi l’objectif de la mission de Gaia qui vise à atteindre « une précision extrême ».
Et le satellite y arrive, comme l’ont à plusieurs reprises indiqué des chercheurs lors de la conférence. C’était par exemple le cas de Frédéric Arenou (ingénieur CNRS à l’Observatoire de Paris) : « Gaia est tellement complexe qu’il réussit à voir un mouvement […] produit par le fait que le Système solaire lui-même se déplace autour de notre galaxie », en 213 millions d’années (à une vitesse de 248 km/s).
« Il y a une petite accélération qui se produit, et cette petite accélération (qui est infime) Gaia a réussi à la mesurer pour la première fois dans le visible », explique-t-il. Il reconnait que la valeur obtenue correspond exactement à la prédiction théorique : « tant pis on n’a pas découvert quelque chose de nouveau, mais tant mieux, on montre que la qualité des mesures est vraiment excellente ».
François Mignard (directeur du Centre de recherches en géodynamique et astrométrie et membre du Gaia Science Team), y va aussi de sa petite analyse.
« Gaia est en train d’écrire l’histoire, et à chaque remise de données nouvelles – même partielles comme aujourd’hui avec l’EDR3 […] – de nouveaux éléments s’ajoutent. La précision non seulement est améliorée […], mais ça va bien au-delà. Il y a des tas d’éléments qualitatifs qui font que ces remises de données ont de plus en plus de valeur […] ». Il parle même d’un « saut comme probablement il y en a eu très très peu dans l’histoire de l’astronomie ».
Avec EDR3, des données sur 34 mois d’observation…
Avant de se lancer dans les détails d’EDR3, Catherine Turon (« astronome émérite » au GEPI) rappelle que les données de Gaia « sont ouvertes à tous », professionnels comme amateurs, et que « plus de 3 800 publications scientifiques utilisent déjà le catalogue DR2 publié en avril 2018 ». Elle ajoute que « la base de données de l’ESA est prise d’assaut » avec « plus de 5 000 utilisateurs par mois [et] 5 millions de requêtes ».
Frédéric Arenou ajoute que le troisième catalogue de Gaia est un « travail extrêmement long et compliqué », portant sur 34 mois de temps d’observations, contre 22 mois pour DR2 et 14 mois pour DR1. Il y a donc 50 % de plus qu’avec DR2 et plus du double de DR1.
Passer par une étape intermédiaire avec Early DR3 permet de publier les données astrométriques « déjà prêtes », sans attendre 2022, date de mise en ligne de DR3 en version finale. EDR3 promet déjà une précision des mouvements sur le ciel doublée et améliorée de 30 % sur les parallaxes trigonométriques.
… dans une archive compressée de 1,3 To
Interrogé sur la taille occupée par les données d’EDR3, on nous explique que c’est « une liste de 1,8 milliard d’objets avec une centaine de paramètres », cela ne représente donc pas « un volume considérable » sur le stockage. L’ESA précise qu’une archive compressée des données EDR3 pèse 1,3 To. Chantal Panem ajoute que cela représente « des centaines de To au CNES », lorsque les données sont décompressées.
Il s’agit d’un catalogue de données, sans « résultats » à proprement parler, reconnait Frédéric Arenou : « Gaia suscite des questions scientifiques extrêmement intelligentes », sur lesquelles des équipes vont probablement travailler. Le chercheur met néanmoins en avant « quatre idées de résultats » :
- Recensement complet du voisinage solaire
- Mouvement des étoiles entre les Nuages de Magellan
- Étude des différentes populations d’étoiles de l’anticentre galactique
- Première détermination dans le visible de l’accélération du Système solaire par rapport aux quasars lointains
Ce qu’on apprend sur notre voisinage « proche »
Céline Reyle (astronome à l’université Franche-Comté et à l’Observatoire des sciences de l’univers), reviens sur le premier point, qui est le plus « proche » de nous et aussi le plus facile à appréhender. En fait il s’agit de recenser les étoiles situées à moins de 100 parsecs de notre Soleil, soit une distance de 326 années-lumière. Cette sphère correspond à la limite de détection de Gaia des plus petites étoiles, « 10 000 fois moins puissante que le Soleil ».
Le satellite a identifié et cartographié avec précision – position, mouvement sur la voute céleste, distance, luminosité, couleur – 300 526 étoiles exactement. Pour 74 282 d’entre elles, la vitesse sur la ligne de visée est également donnée, permettant de savoir si elle s’éloigne ou se rapproche de nous. Les scientifiques peuvent ainsi « suivre leurs mouvements dans la Voie lactée ».
Dans ce cas précis, l’apport des données de Gaia est « colossal », affirme Céline Reyle : « dans un rayon de 25 parsecs, le contenu a augmenté d’un facteur deux et d’un facteur dix dans un rayon de 100 parsecs, grâce à Gaia et avec une précision des mesures inégalée ».
Ces informations permettent de simuler ce qui va se passer dans les 500 millions d’années à venir. On vous laisse découvrir de quoi il retourne dans le diaporama ci-dessous. Sachez simplement que la sphère de 100 parsecs de rayon correspond au tout petit point blanc de la première image. Les scientifiques ont ensuite simulé la diffusion des étoiles de ce cercle dans la Voie lactée sur un demi-milliard d’années.
Étoiles doubles et amas à la loupe, quid de la matière noire ?
Clément Hottier du GEPI nous propose « une balade dans la Voie lactée » et plus précisément dans la « petite » sphère de 100 parsecs que nous venons d’évoquer. Il propose une représentation (via des vecteurs) des mouvements d’étoiles doubles et d’amas dont les membres vont tous dans la même direction. Dans ce second cas, les « étoiles sont nées dans le même nuage moléculaire » en mouvement, gardé par les étoiles.
Si on connait désormais bien notre voisinage stellaire et son évolution à venir, « on a énormément de choses à apprendre sur le reste du disque de la Voie lactée »… qui s’étend sur plusieurs dizaines de milliers d’années-lumière.
Un intervenant pose la question de la possible implication de la DR3 sur la matière noire. Laurent Chemin (chercheur impliqué dans le projet Gaia à Unidad de Astronomia au Chili), répond « qu’il y en aura certainement, du moins on l’espère. […] L’étude des vitesses de rotation en fonction de la distance au centre de la Voie lactée va permettre de mesurer précisément la distribution de masses et de matière dans la Voie lactée ».
Ensuite, « quand on fait la différentiation entre la matière lumineuse (baryon) et la matière exotique/noire, on peut éventuellement contraindre sa structure et son importance […]. Mais il faut aussi ajouter – il faut être ouvert – qu’il y a d’autres modèles que ceux de la matière noire et on va pouvoir aussi tester cela avec les données astrométriques des vitesses dans la Voie lactée », ajoute-t-il.
Le catalogue complet DR3 arrivera en 2022…
Chantal Panem du CNES est ensuite venue parler de la suite des événements. Comme nous l’avons déjà expliqué, la deuxième partie du catalogue DR3 est « en préparation pour 2022 ». Ce catalogue complet travaille sur « les mêmes sources et observations qu’EDR3 et c’est une extension majeure du catalogue DR2 de 2018 avec beaucoup plus de sources analysées, de paramètres élaborés et surtout des résultats inédits ».
Dans DR3, Chantal Panem attend à trouver des positions, orbites, et variations de luminosité au fil du temps pour plus de 100 000 astéroïdes, contre 14 099 « seulement » dans DR2. La chercheuse explique que les calculs pour DR3 sont réalisés sur une « ferme » de 6 000 cœurs avec 5 Po de données : « on a dû doubler les performances de cette plateforme depuis DR2 pour pouvoir fournir des résultats dans un délai raisonnable ».
Dans tous les cas, DR3 « n’est pas la fin de cette aventure », loin de là même.
… puis DR4 en 2025 et DR5 aux alentours de 2030
Clara Nicolas (chef de projet Gaia au CNES) prend la parole pour évoquer la suite des événements. Il faut d’abord rappeler que la mission nominale de Gaia devait se terminer à l’été 2018, mais une première extension a été mise en place jusque fin 2020, tandis qu’une seconde est « d’ores et déjà acceptée pour se terminer fin 2022 ». Ce ne sera pas forcément la fin de la mission puisque le satellite devrait « pouvoir encore fonctionner et donc acquérir des données jusque courant 2025 on l’espère ».
La suite est prometteuse : avec la DR3 « on a absorbé les grandes marées de données à traiter, pour la DR4 c’est un tsunami […] ce sont des volumes de données à traiter encore deux fois plus importants avec plus de 150 milliards d’observations en six ans, des algorithmes scientifiques et des chaines de plus en plus complexes et interdépendants ». DR4 est prévu aux alentours de 2025 et les « traitements ont déjà démarré au CNES ».
D’ici une dizaine d’années, ce sera alors au tour de la Data Release 5 de pointer le bout de son nez, avec environ 10 ans de données à analyser.
Voici le nombre de mois à traiter pour chaque Data Release de Gaia (DR2 comprend aussi les données de DR1, DR3 celles de DR2, etc.) :
- DR1 : 14 mois
- DR2 : 22 mois
- DR3 : 34 mois
- DR4 : 66 mois
- DR5 : 120 mois
Un projet européen, la France largement présente
Enfin, Frédéric Arenou, explique que ce projet regroupe « plus de 400 personnes un peu partout en Europe et parfois même » d’autres pays à travers le monde. Il ajoute que la contribution de la France « c’est le quart, donc un poids extrêmement important ».
Maintenant qu’EDR3 est en ligne, la balle est dans le camp des chercheurs du monde entier (il n’y a aucune restriction d’accès) qui peuvent s’appuyer dessus pour leurs travaux et valider des publications scientifiques. Avec DR2, la moyenne est de quatre publications par jour, record à battre.
Le satellite Gaia « en train d’écrire l’histoire », le catalogue EDR3 en ligne
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DR1 en 2016, DR2 en 2018, et maintenant « Early » DR3
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Avec Gaia, « la qualité des mesures est vraiment excellente »
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Avec EDR3, des données sur 34 mois d’observation…
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… dans une archive compressée de 1,3 To
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Ce qu’on apprend sur notre voisinage « proche »
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Étoiles doubles et amas à la loupe, quid de la matière noire ?
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Le catalogue complet DR3 arrivera en 2022…
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… puis DR4 en 2025 et DR5 aux alentours de 2030
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Un projet européen, la France largement présente
Commentaires (5)
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Abonnez-vousLe 03/12/2020 à 23h40
Extrêmement intéressant !
Maintenant qu’on peut faire avance rapide, ça pourrait être intéressant de faire un retour rapide, pour voir d’où viennent les étoiles autour de nous :)
Le 04/12/2020 à 09h00
ce que je trouve barge c’est la dispersion des étoiles proches. on se rend alors compte que notre voisinage change énormément en 500 millions d’années. après effectivement, c’est long. ^^
Le 04/12/2020 à 11h53
Je me posais la question récemment, mais je suppose que Gaia petit aussi recenser un paquet d’objets dans le système solaire, non ?
Le 04/12/2020 à 12h29
Oui, Gaia recense pas mal d’objet de notre système solaire (en plus d’objet d’autres galaxies). À priori +14 000 objets de notre système solaire lors de GDR2. À voir ce qui a été rajouté avec GDR3 (cf cet article, il est espéré +100 000 objets du système solaire - “Dans DR3, Chantal Panem attend à trouver des positions, orbites, et variations de luminosité au fil du temps pour plus de 100 000 astéroïdes, contre 14 099 « seulement » dans DR2”).
Le 07/12/2020 à 10h03
Après avoir posé la question, j’ai eu l’idée lumineuse d’aller voir le site de la mission et la FAQ indique que Gaia détecte et mesure tout ce qui est plus lumineux qu’un certain seuil, que ça soit dans le système solaire, dans la galaxie ou en dehors, ce qui est assez logique somme toute.