Quel est le rapport entre le fluor présent dans nos os et les étoiles Wolf-Rayet supermassives ? Une équipe d’astronomes apporte des réponses à ce sujet en se basant sur des données provenant d’une très lointaine galaxie, lorsque l’univers était à ses débuts.

Les publications scientifiques sont parfois facilement accessibles au commun des mortels (au moins en apparence à la lecture de leur titre), mais dans certains cas elles sont totalement absconses.

C’est la situation dans laquelle nous nous trouvons avec la publication du jour dans Nature Astronomy et intitulée : « The ramp-up of interstellar medium enrichment at z > 4 ». On vous fait grâce de la traduction française qui n’est pas plus parlante. L'Observatoire Européen Austral (ESO) propose un sous-titrage bien plus compréhensible : « Une nouvelle découverte permet de mieux comprendre comment le fluor – un élément présent dans nos os et nos dents sous forme de fluorure – est forgé dans l'Univers ».

Sans être une révolution, cette découverte permet d’en apprendre un peu plus dans le grand puzzle de l’univers. 

Le fluor : d’où vient-il, quels sont ses réseaux ? 

Maximilien Franco, chercheur à l'université de Hertfordshire (Royaume-Uni) qui a dirigé la nouvelle étude, rappelle que « nous connaissons tous le fluor, car le dentifrice que nous utilisons tous les jours en contient sous forme de fluorure ». Comme c’est le cas pour la plupart des éléments qui nous entourent, le fluor est créé à l'intérieur des étoiles. Mais les détails de sa formation restaient un mystère.

Pire encore : « Nous ne savions même pas quel type d'étoiles produisait la majorité du fluor dans l'Univers ! ». Grâce au Grand réseau d'antennes millimétrique/submillimétrique de l'Atacama (ALMA), une équipe de chercheurs a repéré du fluor – sous la forme de fluorure d'hydrogène – dans des nuages de gaz de la galaxie NGP-190387.

Son nom ne vous dit rien ? C’est normal : elle est loin, très loin puisque sa lumière a mis pas moins de 12 milliards d’années à nous parvenir. Nous la voyons donc telle qu’elle était lorsque l’univers n’était qu’un enfant âgé de 1,4 milliard d’années, soit un dixième de son âge actuel.

Les étoiles de Wolf-Rayet sur le banc des accusés 

Cette donnée temporelle est très importante : « Comme les étoiles expulsent les éléments qu'elles forment dans leur cœur lorsqu'elles arrivent en fin de vie, cette détection implique que les étoiles qui ont créé le fluor ont dû vivre et mourir rapidement ». Attention, la notion de rapidité est relative : dans l'histoire de l'Univers, on peut en effet considérer quelques millions d'années ne représentent rien de plus qu’un clin d'œil.

Les chercheurs pensent ainsi « que les étoiles Wolf-Rayet […] sont les sites de production de fluor les plus probables ». Elles doivent leur nom aux Français Charles Wolf (1827 - 1918) et Georges Rayet (1839 - 1906) qui ont découvert des « étoiles dont les raies spectrales sont en émission, alors qu’elles sont en absorption pour l’immense majorité des étoiles ». « Nous savons aujourd’hui que ces étoiles de Wolf-Rayet sont le dernier stade de l’évolution de nombreuses étoiles massives, avant leur explosion comme supernova », explique l’Observatoire de Paris.

Pour les scientifiques, pas de doute : « ces étoiles sont nécessaires pour expliquer les quantités de fluorure d'hydrogène qu'ils ont repérées ». Les étoiles Wolf-Rayet étaient déjà soupçonnées d’être des sources de fluor, « mais les astronomes ignoraient jusqu'à présent leur rôle dans la production de cet élément au début de l'Univers ».

Pour Maximilien Franco cette étude montre que les étoiles Wolf-Rayet « nous aident, en quelque sorte, à conserver une bonne santé dentaire ! ». D’autres hypothèses existent bien évidemment (et les sources sont très certainement multiples), mais certaines nécessitent d’attendre des milliards d’années avant d’avoir du fluor.

Elles sont donc incompatibles avec les données recueillies : « Pour cette galaxie, il n'a fallu que quelques dizaines ou centaines de millions d'années pour avoir des niveaux de fluor comparables à ceux trouvés dans les étoiles de la Voie lactée, qui a 13,5 milliards d'années. C'est un résultat totalement inattendu », affirme Chiaki Kobayashi, professeure à l'université de Hertfordshire.

Une « découverte fortuite »

Détail « amusant », cette détection du fluor est en fait le fruit d’une « découverte fortuite ». La galaxie NGP-190387 a été initialement repérée par le télescope spatial Herschel de l'Agence Spatiale Européenne et ensuite observée par ALMA, mais elle est « extraordinairement lumineuse au regard de sa distance ».

Cela s’explique en partie par la présence d’une autre galaxie massive près de la ligne de visée reliant NGP-190387 et la Terre : « Cette galaxie massive a amplifié la lumière observée par Maximilien Franco et ses collaborateurs, leur permettant de repérer le faible rayonnement émis il y a des milliards d'années par le fluor de NGP-190387 ».

Comme toujours avec les découvertes issues des données ALMA, l’ESO rappelle que l’ELT (Extremely Large Telescope) est en cours de construction au Chili et qu’il permettra d’avoir de plus amples détails : « nous serons en mesure d'observer NGP-190387 à travers la lumière directe des étoiles, ce qui nous permettra d'obtenir des informations cruciales sur le contenu stellaire de cette galaxie ».

Nous aurons donc de nouvelles réponses, qui soulèveront probablement de nouvelles questions…