Fusée réutilisable Themis : l’Europe valide le « premier jalon »… la route est encore très longue
En retard avant même de commencer
Le 03 décembre 2021 à 13h10
6 min
Sciences et espace
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L’Europe est en retard sur les fusées réutilisables, mais le projet avance : « Les essais récemment achevés de deux réservoirs de propergol ont marqué un premier jalon technologique ». L’attente sera encore longue puisque les essais complets en vol sont attendus pour 2025.
Alors qu’Ariane 6 ne décollera pour la première fois que l’année prochaine, l’Europe prépare activement la suite et notamment un concept de lanceur réutilisable. Le Falcon 9 de SpaceX fait des envieux ; la société d’Elon Musk et ArianeGroup ne sont d’ailleurs pas seules sur ce créneau : Blue Origin et Rocket Lab veulent faire de même.
SpaceX, Blue Origin, Rocket Lab… et l’Europe dans tout ça ?
Si la société de Jeff Bezos fait déjà des allers-retours dans l’espace avec son New Shepard, elle se prépare à passer la seconde avec New Glenn (premier vol fin 2022). Rocket Lab envoie déjà des satellites dans l’espace et a confirmé qu'elle tenterait, lors de son prochain lancement, de récupérer en vol son premier étage à l’aide d’un… hélicoptère !
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Ces trois entreprises sont américaines, quid de l’Europe ? Le scepticisme était dans l’ensemble de mise au début des essais de SpaceX, mais les mentalités ont bien changé depuis que la société d’Elon Musk enchaine les succès.
Le projet d’une fusée réutilisable s’est imposé à l’Agence spatiale européenne (ESA). Il prend pour le moment la forme d’un démonstrateur Themis et d’un nouveau moteur Prometheus. Le premier vol est pour 2022, avec de petits « hops » uniquement. Il faudra attendre 2025 pour un test complet, 2030 pour des lancements commerciaux.
L’Europe a donc une dizaine d’années de retard sur SpaceX, qui récupère des premiers étages depuis avril 2016.
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L’ESA veut aller vite…
Afin d’avancer au plus vite, SpaceX menait ses tests de récupération pendant des lancements commerciaux : une fois le satellite placé en orbite, l’objectif secondaire était de récupérer le premier étage. Les agences spatiales ne peuvent pas se permettre de faire de même, mais l’ESA veut tout de même essayer d’aller vite : « Pour accélérer les développements, les technologies sont testées rapidement dans les cycles de conception-réalisation ».
ArianeGroup a ainsi récemment effectué six tests sur des réservoirs à Vernon, en France. Le but était de « valider les processus et séquences fluidiques et électriques nécessaires au bon fonctionnement de deux réservoirs de propergol de test. Au cours de ces essais, les réservoirs ont été remplis puis vidés d’ergols cryogéniques ».
Le premier réservoir de test avait été verticalisé il y a plus d’un an, le 4 novembre 2020. Il se trouvait déjà en Normandie, sur la même zone d’essai PF20 de Vernon. Celle-ci était utilisée jusqu’en 1984 pour les essais des moteurs des fusées Ariane 1 à 4, et elle a été réhabilitée l'an dernier pour accueillir Themis.
Ces essais sur les réservoirs permettent de « réduire les risques liés aux essais de mise à feu à chaud avec le moteur Prometheus », explique l’ESA. Le moteur est d’ailleurs en cours d'intégration sur son banc d’essai, à Vernon. Cette première phase qui peut parfois réserver quelques surprises ; SpaceX en a d’ailleurs fait les frais avec sa prochaine fusée Starship, dont les réservoirs ont explosé à plusieurs reprises avant de finalement tenir le coup.
… mais vise toujours 2025 pour les vols
Prometheus est pour rappel un moteur à « très bas coût construit en grande partie par fabrication additive par couches ». Par rapport au moteur Vulcain de l’étage central d’Ariane 5, le coût de fabrication serait divisé par un facteur dix. Afin de s’adapter à tous les types de missions – et notamment pouvoir être utilisé sur les étages centraux et supérieurs des fusées –, il est doté d’une poussée variable et de capacités d’allumages multiples.
Le moteur utilise une combinaison de comburant et carburant : de l’oxygène et du méthane tous les deux sous forme liquide. L’ESA affirme que « les technologies Prometheus sont susceptibles d’être intégrées dans les améliorations apportées aux moteurs de fusée actuellement en service ».
Sans attendre que les tests de Prometheus soient terminés, le développement de démonstrateurs de vol Themis a déjà commencé, avec un écosystème de partenaires européens : réservoirs cryogéniques en acier pour la version de vol, systèmes optimisés et peu coûteux d’actionnement du vecteur de poussée, système de pieds d’atterrissage…
« Tous ces éléments constitutifs seront réunis pour être intégrés sur le démonstrateur de vol Themis pour des "hop-tests" à basse altitude à Kiruna, en Suède ».
Les travaux sur les différents éléments avancent donc en parallèle, mais ce n’est pas tout : « La conception finale de l’ensemble de lancement 3 du centre spatial Kiruna Esrange a été revue par le centre spatial suédois et ArianeGroup, afin de préparer les premiers essais de saut de Themis en Suède en 2023 ».
C’est en retard sur le calendrier initial qui parlait de 2022 pour ces tests. En 2023, Themis devait être à Kourou en Guyane pour des « loop tests », c’est-à-dire des vols suborbitaux et des manœuvres de retournement. L’ESA ne précise pas si cette échéance est aussi décalée. Tout ce petit monde se donne rendez-vous en 2025 (la date reste la même) pour des tests complets de vols depuis le Port spatial de l'Europe en Guyane.
Le but est de démontrer la trajectoire ascensionnelle à haute altitude, la rentrée atmosphérique, l’atterrissage, la remise en état et la réutilisation. Themis sera mis à contribution, avec trois moteurs Prometheus et tous les sous-systèmes nécessaires à la récupération de l’étage.
L’Agence spatiale européenne ne parle par contre pas des coûts estimés de remise en état du lanceur entre chaque mission ni du nombre de voyage que pourra réaliser une même fusée. SpaceX a déjà réutilisé 10 fois deux de ses lanceurs, qui sont revenus se poser sans encombre (paré pour un 11e lancement ?).
Fusée réutilisable Themis : l’Europe valide le « premier jalon »… la route est encore très longue
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… mais vise toujours 2025 pour les vols
Commentaires (12)
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Abonnez-vousLe 03/12/2021 à 15h03
L’article pointe l’avance des américains sur les européens, mais c’est surtout une histoire de nouveaux acteurs (qui partent de zéro) v.s. anciens acteurs (qui ont déjà une solution non-réutilisable) du domaine spatial. Où en sont ULA ou Northroop Grumman dans la fusée réutilisable ?
Le 03/12/2021 à 16h06
Et pourquoi donc ? Qu’est ce qui empêcherait cela ? Des clients plus “frileux ” ?
Si la mission échoue, ArianeGroup devra certes rembourser mais c’était la même chose pour SpaceX, non ?
Du point de vu des sociétés “historique” c’est exacte et pour le coups ArianeGroup est même en avance par rapport aux autre sociétés historiques. Sauf erreure de ma part, aucun projet de ce type chez ULA ou Northroop Grumman par exemple alors que du coté russe, il y en a un dans les carton il me semble.
Après au globale, au niveau des agences spatiales, l’Europe est quand même à la bourre, 10 ans quand même !
Il me semble que les Lissoir avaient aussi parlé de sociétés privées espagnole et française mais je ne me souviens plus de leur nom.
Du côté des chinois il me semble qu’ils ont déjà fait quelque “hop test”.
Le 03/12/2021 à 20h54
Car ArianeGroup fait juste la mise en oeuvre, c’est l’ESA qui dirige le programme.
S’ils demandent a ArianeGroup de tenter ça mais qu’ils estiment que c’est chaud, c’est l’ESA qui va payer les factures.
SpaceX lançait surtout ses propres satellites, la récupération (ou pas) c’était juste un bonus.
Et surtout ils ont plein d’argent du gouv américain a claquer, alors que l’ESA doit certainement supplier pour avoir son budget
Le 03/12/2021 à 23h43
Entièrement d’accord sur un point : l’Europe est à la ramasse. Et pas que sur l’espace.
On est encore sur des lauriers et d’autres acteurs mettent le paquet pour tout prendre.
SpaceX, Tesla : tout le monde riait en disant que “ça ne marchera jamais”. Résultat ? Tout roule pour eux et ils ont une avance considérable.
Le 04/12/2021 à 09h30
Est-ce qu’il aurait pas aussi un énorme problème issue de la bureaucratie et de la toute puissance des industries ?
SpaceX, Tesla et co… sont leur propre patron, pas besoin de mettre d’accord les 27 états membres ou de faire des répartitions de tâches qui ont plus de volonté politique que technique (Coucou les rosbeefs avec leur cigarette dans les moteurs ou les optiques à 300 k€ éclatés contre les murs…). Quand il y a un problème avec un fournisseur avec négligence avérés, je pense que SpaceX et co n’hésitent pas aller au tribunal. J’ai souvenir de projets scientifiques français (voir européen) où quand les scientifiques ont menacé de porter l’industriel fautif (avéré, en mode je m’en balance par dessus la jambe du respect du cahier des charges…), la bureaucratie s’est mis en branle et à tout fait pour éviter que ça se termine devant les tribunaux. Je pense qu’il y a une question de mentalité à faire évoluer.
Après comme dit l’adage, vaut mieux tard que jamais. Et si ArianeGroup parvient à faire ce que fait SpaceX et co, ça sera super.
Le 04/12/2021 à 13h57
Il y aussi la culture américaine du risque et de l’échec qui n’est pas considéré négativement mais normal. En cas d’échec, il y recherche des causes et améliorations, en bureaucratie, c’est ouverture du parapluie pour éviter que ça me retombe dessus car c’est mauvais pour ma carrière donc tout faire pour éviter l’échec
Le 04/12/2021 à 17h35
C’est bien vrai. Cependant, si c’était de l’argent publique je suis pas sûr que ça serait bien perçu par le contribuable. (directement ou indirectement).
Le 05/12/2021 à 14h59
Indirectement, les acteurs privés perçoivent de l’argent public de la part de la NASA puisqu’elle finance en partie leurs travaux lorsqu’ils sont sélectionnés dans un programme qu’elle dirige.
Exemple récent : Crew Dragon de SpaceX qui a été co-développé et financé par la NASA. Et plus récemment le Starship qui a été sélectionné comme véhicule pour Artemis (m’enfin il me semble que c’est encore bloqué à cause de la plainte de Blue Origin).
Après, clairement, le privé n’a pas les contraintes que la NASA, l’ESA, ou ArianeGroup peuvent avoir. Leur construction est trop liée au politique (le budget de la NASA peut varier selon l’administration au pouvoir, son directeur, et des programmes ont été interrompus ou mis en pause à cause de ça, Artemis en a fait partie) là où le privé n’a comme contrainte que le suivi de ses actionnaires et investisseurs. Raison aussi pour laquelle le New Space se développe bien en Europe aussi avec diverses entreprises qu’elles soient en France, Allemagne, ou encore Espagne.
Le 06/12/2021 à 13h10
Je suis d’accord avec ce que tu dis. Mais en pratique, est-ce que le contribuable américain moyen sait ça ?
Parce qu’en France, je peux t’assurer que les gens le savent.
Merci pour la précision.
Le 06/12/2021 à 11h14
l’ESA a 22 membres. Certains membres de l’UE ne font pas parte de l’ESA et elle compte des membres qui ne sont pas dans l’UE, p.ex. la Suisse
Le 06/12/2021 à 16h31
Citation en informatique : “Un projet qui commence à l’heure finira en retard. Un projet qui commence en retard finira en retard.”
Le 09/12/2021 à 12h31
Sur le dernier schéma, on voit “Vernon, France”, et après, non pas “Kourou, France”, mais “Kourou, European Spaceport”. Kourou serait-il devenu une enclave européenne ?