La régulation des plateformes aux portes du projet de loi Macron
Prudence est mère de sûreté
Le 05 juin 2015 à 09h11
8 min
Droit
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Dans le cadre du projet de loi sur la Croissance (dite loi Macron), le gouvernement a envisagé de modifier le statut des acteurs du Net. Comment ? En accroissant leurs obligations dès lors qu’ils s'adressent à des consommateurs, voire simplement des « non-professionnels ». C’était le sens d’un projet d’amendement. En dernière ligne droite cependant, l’idée devrait rester dans les cartons.
Députés et sénateurs réunis au sein de la commission mixte paritaire n’ont su trouver de terrain d’entente pour arbitrer le projet de loi sur la Croissance, entre sa version votée au Sénat et celle de l’Assemblée nationale. Le texte d’Emmanuel Macron sera donc réexaminé la semaine prochaine par les parlementaires. À l’occasion, toutefois, nous avons appris que le Gouvernement a envisagé de déposer une rustine visant à contraindre les acteurs du Net à de nouvelles obligations. C’est le sens de ce projet amendement que nous révélons.
Pour résumer, il comptait encadrer l’activité des « plateformes numériques » sous trois angles : les espaces collaboratifs, les places de marché (« marketplaces ») et les commentaires en ligne, sur des sites marchands ou n’importe quel intermédiaire du Net.
Régulation des plateformes numériques « collaboratives »
Si l’on décode, dès qu’un acteur du Net quelconque aurait eu pour activité la mise en relation de deux consommateurs ou de deux non-professionnels « en vue de la vente, la fourniture, la location ou l’échange de biens et de services », il aurait été tenu de délivrer une « information loyale, claire et transparente » sur plusieurs points.
Il aurait alors dû en effet détailler « les conditions d’utilisation du service d’intermédiation fourni », « le prix de ce service », « les modalités de référencement, de classement et de déréférencement des offres mises en ligne », « les droits et obligations des parties en matières civile et fiscale », enfin au besoin « un mode de règlement extrajudiciaire des litiges. »
Il est aussi prévu que lorsque cet acteur verrait des paiements transiter sur son site, il aurait cette fois dû communiquer « au vendeur, au fournisseur ou au loueur de biens ou de services un état récapitulatif annuel des sommes perçues au titre de la vente, de la prestation de services ou de la location de biens ». Ces obligations pourraient par exemple viser eBay, Priceminister ou LeBonCoin mais pas seulement puisque les moteurs de recherche type Google disposent aussi d’un tel versant commercial.
Le récapitulatif annuel qu’il entendait instaurer est intéressant : saisi par les services de la DGCCRF, via le droit de communication, Bercy pourrait alors prendre connaissance plus facilement de l’ensemble des activités d’une personne physique vendant un peu trop sur ces sites. À la clef, une douloureuse requalification en commerçant de fait, avec redressement et autres joyeusetés fiscales. Bien entendu, il devrait aussi faciliter les contrôles des vendeurs professionnels, ceux peu en phase avec les obligations fiscales locales.
Les plateformes numériques « marketplaces »
Une disposition est cette fois taillée spécialement pour les « marketplaces », un sujet très suivi par le ministère. Selon le résumé exprimé dans l’exposé des motifs, « il s’agit pour des sites de vente en ligne de réserver à d’autres vendeurs indépendants, voire même à des particuliers, des espaces de ventes en leur faisant profiter des fonctionnalités de leurs plateformes d’e-commerce et de leur potentiel de trafic, sous condition du versement d’une commission sur les ventes réalisées ».
Ces places de marché viennent donc s’incruster sur un site de commerce en ligne. Quand celui-ci met en relation vendeurs ou prestataires et des acheteurs, il aurait été tenu de fournir « une information loyale, claire et transparente sur les modalités de référencement et de classement des offres de vente ou de prestation de services, les frais correspondant au service de mise en relation, la qualité de l’annonceur et, le cas échéant, un mode de règlement extrajudiciaire des litiges ». Il aurait aussi pour obligation de mettre à disposition du professionnel « un espace lui permettant de communiquer au consommateur » l’ensemble des informations précontractuelles.
Une régulation plus serrée des commentaires en ligne
Enfin, une dernière salve vise les espaces ouverts aux commentaires des consommateurs, notamment les comparateurs de prix ou les moteurs de recherches qui proposent à quiconque de classer à coup de petites étoiles les qualités de tel ou tel vendeur.
Bref, « toute personne dont l'activité consiste, à titre principal ou accessoire, à collecter, modérer ou diffuser des avis en ligne de consommateurs, est tenue de délivrer une information loyale, claire et transparente sur les modalités de vérification des avis mis en ligne ». L’acteur du Net devrait dans tous les cas préciser si ces avis sont ou non vérifiés et le cas échéant quelles sont « les caractéristiques principales de la vérification mise en œuvre ».
Selon les explications gouvernementales, il s’agirait ici de « rendre plus fiables les avis en ligne, en allant plus loin que la norme nationale (Norme NF Z74-501) d’application volontaire qui a été élaborée en vue de limiter la possibilité de diffuser des « faux avis ». En effet, la mesure proposée (…) impose aux sites internet mettant en ligne des avis d’indiquer, de manière explicite, si la publication de ces avis fait l’objet d’un processus de vérification, et, lorsque c’est le cas, d’en préciser clairement les principales modalités ». Ces pistes reprennent celles portées par le Conseil national de la consommation dans un avis publié en mai, sur les avis donnés sur Internet par les consommateurs.
Chacun des manquements à l’une ou l’autre de ces obligations aurait été sanctionné d’une amende administrative de 75 000 euros pour les personnes physiques, voire 375 000 euros pour les personnes morales.
Élargir l’amendement Régulations des moteurs de Catherine Morin Desailly
Par cet amendement finalement mort-né, le gouvernement entendait modifier le texte qui fut proposé par la sénatrice UDI Catherine Morin-Desailly sur les moteurs de recherche, en amplifiant considérablement la portée des dispositions. L’exécutif trouve d’ailleurs l’idée de la sénatrice UDI certes intéressante, mais pas assez musclée : « cette mesure, parfaitement louable dans son objectif, ne traite que des moteurs de recherche ayant « un effet structurant sur le fonctionnement de l’économie numérique » et ne répond qu’imparfaitement à la problématique plus globale de l’encadrement des plates-formes numériques ».
Un projet pour l'instant abandonné, mais des travaux en parallèle au CNC
Selon nos sources, le gouvernement aurait donc décidé de laisser cette rustine dans les cartons. Et pour cause : une concertation est actuellement menée au sein du Conseil National de la Consommation, et tout empressement n’est jamais bon lorsque les effets de bords sont nourris. D’ailleurs, on imagine sans mal le déséquilibre que peut générer une telle régulation entre les acteurs facilement accessibles, ceux installés en France, et les autres au siège social plus lointain.
En attendant, dans le mandat délivré par la DGCCRF au CNC le 28 mai 2015, Bercy a prévenu déjà qu’ « afin de garantir la loyauté des échanges réalisés à partir des plateformes numériques, le gouvernement souhaite améliorer l’information des utilisateurs des plates-formes sur les conditions de fonctionnement de ces dernières mais aussi sur leurs droits et obligations ».
Les services du ministère de l’Économie envisagent ainsi « une obligation générale pour les plateformes de fournir aux consommateurs une information loyale, claire et transparente sur les critères de classement et de référencement des offres, les conditions de leur retrait et les frais correspondant au service de mise en relation ». Ils tablent aussi sur « des règles d’information, à la charge des plateformes, portant sur les droits et obligations des parties en matière civile, sociale et fiscale afin de permettre aux particuliers qui souhaitent échanger, louer ou vendre de prendre connaissance de leurs droits et obligations (comme, par exemple, l’absence de droit de rétractation pour l’acheteur) ». On retrouve donc la même philosophie que ce fameux projet d’amendement.
Par ces coups de butoirs juridiques, la DGCCRF espère aussi éviter d’avoir à réviser le droit européen. « Comme l’a souligné le Conseil d’État dans son rapport annuel consacré au numérique en 2014, rappelle-t-il dans la lettre adressée au CNC, la création d’un statut spécifique aux plateformes nécessiterait donc la renégociation de la directive de 2000 » (sur les aspects techniques des services de la société de l’information). Mais cette prudence n'est pas partagée par tous : les ayants droit sont parvenus à convaincre le gouvernement d'adresser une note à Bruxelles reprenant leurs doléances, visant notamment la modification du statut des intermédiaires, avec filtrage et hausse de responsabilité à la clef.
La régulation des plateformes aux portes du projet de loi Macron
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Régulation des plateformes numériques « collaboratives »
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Les plateformes numériques « marketplaces »
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Une régulation plus serrée des commentaires en ligne
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Élargir l’amendement Régulations des moteurs de Catherine Morin Desailly
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Un projet pour l'instant abandonné, mais des travaux en parallèle au CNC
Commentaires (9)
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Abonnez-vousLe 05/06/2015 à 09h27
Le 05/06/2015 à 09h27
Ça manque d’amendements en faveur des ayants droits, c’était sur que ça allait pas passer. Sinon la partie concernant les commentaires en ligne, ça aurait été intéressant de voir comment ils allaient gérer ça
Le 05/06/2015 à 10h49
cette horrible impression de poulets sans tête qui courent dans tous les sens… (sauf les ayant\( droit\))
Le 05/06/2015 à 10h54
Je vois plus ça comme un homme de Neandertal qui découvre les ordinateurs.
Le 05/06/2015 à 11h52
Le 05/06/2015 à 19h54
T’a oublié taxer.
Tout ces particuliers qui essaient de survivre et ne paient aucune taxe, on peut pas laisser faire ca… .
Le 05/06/2015 à 09h21
Censure, contrainte. Rien de neuf quoi." />
Le 05/06/2015 à 09h24
À la clef, une douloureuse requalification en commerçant de fait, avec redressement et autres joyeusetés fiscales
en bref, trouver de l’argent
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Le 05/06/2015 à 09h26