Données de santé : SOS Médecins nous détaille la genèse de son entrepôt
SOS Médecins a obtenu de la CNIL l’autorisation de constituer un entrepôt de données de santé. La fédération d’associations devrait collecter ses premières données d’ici la fin du mois et mener ses premières analyses avant la fin de l’année. Avec quels moyens, dans quel cadre et pour quels objectifs ? Nous nous sommes entretenus avec Céline Falco, médecin, initiatrice et coordinatrice du projet.
Le 06 septembre à 09h15
8 min
IA et algorithmes
IA
Pour la première fois, la CNIL a donné son feu vert (décision DT-2024-016, non publique) pour la constitution d’un entrepôt de données de santé (EDS) pour la médecine de ville. Cette base, baptisée Contact, est financée par la fédération SOS Médecins France, qui compte 64 associations réparties sur tout le territoire, pour environ 1 300 médecins. Une charge lourde, pour laquelle SOS Médecins cherche actuellement des partenaires pour pérenniser le projet, la constitution et l’entretien de ces dépôts coûtant des millions d’euros.
La nouvelle fait d’autant plus de bruit qu’en France, le stockage et l’utilisation des données de santé, notamment à des fins de recherche, fait l’objet d’un très intense débat remontant jusqu’au Conseil d’État. Le cas du Health Data Hub est toujours en suspens. Son fonctionnement est loin d’être optimal, comme souligné par un rapport interministériel, et la question de l’hébergement des données chez Microsoft (Azure) reste au cœur des débats.
Et les ambitions de Contact sont nombreuses, comme l’indique Jean-Christophe Masseron, médecin et président de SOS Médecins France : « Cette autorisation de la CNIL marque le premier jalon d’un projet ambitieux : CONTACT permettra, dès cette année, de mener des projets de recherche et d’innovation au bénéfice des patients et de l’accès aux soins, avec notamment des études en vie réelle ». Le développement et l’évaluation d’algorithmes d’IA font partie du projet.
À l’origine du projet : « une grosse frustration »
Nous nous sommes entretenus avec Céline Falco, médecin, initiatrice et coordinatrice du projet Contact. Celle qui se définit également comme « un peu geek » nous a indiqué comment l’idée lui était venue : « une grosse frustration ».
Auparavant présidente de la commission scientifique de la fédération, elle nous dit avoir reçu il y a quelques années un étudiant avec un projet de thèse nécessitant des données nationales. Constatant alors que les seules données existantes provenaient du réseau SURSAUD (sur lequel SOS Médecins travaille avec Santé publique France depuis 2006) et qu’elles étaient limitées à quelques informations (motif d’appel, diagnostic et s’il y a eu hospitalisation), l’idée lui vient de lancer un entrepôt de données sur la base des informations brassées par SOS Médecins.
« J’ai parlé du projet autour de moi. J’ai rapidement vu que c’était porteur, puisque les données concernées n’existaient nulle part ailleurs. Les données de l’urgence ou de la semi-urgence en médecine de ville n’existent qu’à SOS Médecins, comme pour tout un tas d’études de trajectoires et de parcours de soin », explique Céline Falco.
Le projet Contact a donc été lancé il y a deux ans. La faisabilité technique a rapidement laissé place à une faisabilité juridique. Comme le Dr Falco nous le confirme, l’entrepôt lui-même est prêt. Maintenant que la CNIL a donné son feu vert, les premiers accords de partage de données avec des associations devraient être signés d’ici la fin du mois. De quelles données parle-t-on ? De toutes les informations textuelles renseignées par la fédération durant l’intégration de l’intervention, de la prise d’appel à la résolution finale.
Quel bénéfices attendus ?
La question est évidente : qu’espère tirer SOS Médecins de cette masse de données ? Ces informations, qui seront pseudonymisées, seront exploitées pour quatre finalités validées par la CNIL. La première est interne et « concerne l’amélioration des pratiques de SOS médecins et du pilotage de l'activité de la fédération ». Les trois autres sont « davantage extérieures ».
D’une part, SOS Médecins veut « participer à l'amélioration du système de santé en améliorant les trajectoires et parcours de soins », à la fois dans le sens ville-hôpital et dans le sens hôpital-ville. Un point essentiel, selon le Dr Falco : « On parle souvent de la ville qui va vers l'hôpital, mais beaucoup moins de l'hôpital qui va vers la ville. Pourtant, c'est fondamental, notamment quand on parle de désengorgement des urgences. Car il y a deux moyens de désengorger un tuyau : diminuer le flux à l'entrée et augmenter le flux à la sortie. Nous on peut agir sur ces deux moments clés là de la prise en charge du patient ».
L'inévitable intelligence artificielle
Avec cet entrepôt, SOS Médecins veut aussi « participer à la recherche en médecine générale, en partie avec des cas d'usage pouvant être très variés en fonction des partenaires ». Ces derniers peuvent être institutionnels, avec par exemple des recherches épidémiologiques ou du médico-économique. Les partenaires peuvent également être industriels, avec des études en vie réelle et collecte des retours des patients tout au long de la chaine du soin (notamment avant et après la consultation).
Donc pas seulement une approche statistique, mais avec un travail de type IA ? « Oui, c’est la dernière finalité autour de laquelle on s’est mis d’accord avec la CNIL. Nous pensons que nous pouvons être pertinents à beaucoup d'endroits de la prise en charge avec de l’IA. Par exemple pour de la régulation augmentée, car nous en sommes en lien avec les centres 15, les SAS, etc. Les possibilités en prise en charge sont nombreuses aussi, par exemple l’aide à la prise de décision et à la prescription », explique Céline Falco.
Des intervenants exclusivement français
Pour le Dr Falco, Contact vient combler un manque. Il existe en effet déjà des entrepôts de données de santé, tenus par les hôpitaux, et un autre pour la médecine générale. Il n’y avait cependant rien « pour les épisodes de soins aigus, les patients en errance de soins, en rupture de traitement, sans médecin traitant ».
La réalisation technique du projet a été confiée à Arkhn, à qui divers établissements de santé et instituts (CHU de Toulouse, Institut Curie, Institut National du Cancer…) ont déjà fait appel. La société s’est occupée de la mise en place, mais les données sont techniquement entreposées chez AZNetwork, certifié Hébergeur de Santé (HDS). L’intégralité des intervenants sont français, nous confirme Céline Falco : « la souveraineté était un élément important du projet ». La coordinatrice nous assure que le RGPD et tous les règlements possibles sont pris en compte.
Aucun lien avec le HDH
Puisque l’on parle de souveraineté, SOS Médecins s’est-elle mise en lien avec le Health Data Hub ? « Nous sommes attachés à la souveraineté nationale, mais également vis-à-vis de SOS Médecins », nous répond la coordinatrice de Contact. « On ne veut pas être attachés à quoi que ce soit. Travailler avec le HDH, ça veut dire d’emblée s’apparier au SNDS [Système National des Données de Santé, ndlr], voire reverser nos données au SNDS, sans contexte de projet, sans cas d’usage. On préfère que l’on vienne nous porter un projet et le valider, puis ensuite on travaille ensemble ».
SOS Médecins a ses propres besoins, son propre silo, ses propres données ? « Tout à fait, ce qui ne nous empêche pas de travailler avec d’autres. Car le but est vraiment l’amélioration générale du système de santé, les trajectoires et l’accès aux soins ». Le Dr Falco indique que la fédération est particulièrement ouverte aux partenariats avec des centres hospitaliers pour avoir une vision plus large du parcours de santé.
Données de santé : SOS Médecins nous détaille la genèse de son entrepôt
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À l’origine du projet : « une grosse frustration »
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Quel bénéfices attendus ?
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L'inévitable intelligence artificielle
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Des intervenants exclusivement français
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Aucun lien avec le HDH
Commentaires (5)
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Abonnez-vousLe 06/09/2024 à 09h34
Donc Michel Durand, habitant 15 avenue Charles De Gaulle, sera enregistré sous "m.durand;15 av. CDG" ?
C'est ce que disent toutes les sociétés qui ne sont pas en conformité avec le RGPD...
De plus je ne vois rien concernant le consentement des soignés. Est-ce que l'intérêt légitime du projet leur permet de s'en passer ?
Donc si l'IA décide qu'il n'est pas nécessaire d'envoyer un médecin, et que l'appelant meurt, c'est la responsabilité de l'IA, ou de SOS Médecins ?
Modifié le 06/09/2024 à 10h12
Donc Michel Durand, habitant 15 avenue Charles De Gaulle, sera enregistré sous "m.durand;15 av. CDG" ?"
La pseudonymisation est suffisante, car ça ne se contente pas de remplacer Michel Durand par m.durand et son adresse par des abbreviations....
https://guides.etalab.gouv.fr/pseudonymisation/pourquoi-comment/#qu-est-ce-que-la-pseudonymisation
Le 06/09/2024 à 17h45
Les accès étant segmentés, les chercheurs n'ont accès qu'à des données pseudonymisées.
La pseudonymisation est primordiale car si dans ton entrepôt tu dois réidentifier un patient pour lequel un diagnostic est découvert, bah il faut pouvoir le faire pour la prise en charge.
Le 06/09/2024 à 10h17
Ce qui est dommage, c'est que l'on ait un groupement qui crée une base dans son coin, sans s'interfacer avec les bases publiques, sans vrai consentement du patient.
Doctolib, que je ne porte pourtant pas dans mon cœur, a mis en place une procédure opt-in (certes bien poussée aux patients).
Le labo où va ma mère lui a fait approuver un doc légal avant de lui donner ses résultats, l'informant que ses données pouvaient entrainer des IA, avec un opt-out conçu pour être le plus relou possible (contacter formellement le DPO).
Ici on n'aborde pas le sujet.
Le 06/09/2024 à 17h49
La pseudonymisation est nécessaire pour retrouver et soigner les gens... Sinon quel intérêt d'en faire des entrepôts de données ?
Les entrepôts doivent être taillés sur mesure pour le type de traitement que tu va y faire. Toutes les bases de données n'ont pas les mêmes buts.