Vidéosurveillance (2/3) : un rayon d’action toujours plus large, des garanties insuffisantesFlock

Vidéosurveillance (2/3) : un rayon d’action toujours plus large, des garanties insuffisantes

Des caméras hors la loi ?

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Vidéosurveillance (2/3) : un rayon d’action toujours plus large, des garanties insuffisantesFlock

La vidéosurveillance occupe une place toujours plus importante, au grand dam de la Commission nationale consultative des droits de l’homme. Elle formule ainsi 10 propositions pour que les caméras ne se déploient plus sans contrôles. Seconde partie de notre dossier sur son long avis.

Hier, nous expliquions que la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) s'inquiétait de la « banalisation » et de la « prolifération » des caméras de vidéosurveillance. Ce n’est pas le seul point problématique. Le rayon d’action s’est considérablement étendu et les méthodes de contrôle insuffisamment appliquées, au point que la CNCDH en arrive à comparer les caméras à « des outils d’intimidation ».

Notre dossier sur l’avis de la CNCDH :

De la surveillance des rues à celle des manifestations et frontières

La CNCDH relève que depuis leur légalisation par la loi n° 95 - 73 d’orientation et de programmation relative à la sécurité de 1995, la liste des finalités justifiant l’installation de caméras sur la voie publique « a été progressivement allongée et en compte désormais onze », contre cinq à l'origine.

L'article 10 de la loi de 1995 prévoyait en effet la possibilité d'autoriser la vidéosurveillance « aux fins d'assurer la protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords, la sauvegarde des installations utiles à la défense nationale, la régulation du trafic routier, la constatation des infractions aux règles de la circulation ou la prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés à des risques d'agression ou de vol ».

Y ont depuis été rajoutés la prévention d'actes de terrorisme, des risques naturels ou technologiques, le secours aux personnes et la défense contre l'incendie, la sécurité des installations accueillant du public dans les parcs d'attraction, le « respect de l'obligation d'être couvert, pour faire circuler un véhicule terrestre à moteur, par une assurance garantissant la responsabilité civile » et, enfin, la « prévention et la constatation des infractions relatives à l'abandon d'ordures, de déchets, de matériaux ou d'autres objets ».

La loi n° 2022 - 52 du 24 janvier 2022 relative à la responsabilité pénale et à la sécurité intérieure, qui a introduit la possibilité de recourir à des caméras aéroportées (par hélicoptères ou par drones), a de son côté prévu six finalités, dont deux motifs nouveaux : la sécurité des rassemblements publics et la surveillance des frontières :

« En légalisant les drones, le législateur a donc non seulement déployé des outils dotés de capacités de captation plus importantes et plus dynamiques que les caméras fixes, mais a aussi étendu le champ de la surveillance à des domaines sensibles qui ont trait à la liberté de manifester ou à la surveillance des personnes en migration. »

L’espace public a vocation à être un lieu de circulation anonyme

La CNCDH rappelle qu'elle avait déjà eu l’occasion d’exprimer ses craintes à l’égard de l’utilisation des drones pour la surveillance des manifestations, « susceptible de dissuader les personnes d’exercer leur liberté de manifester, dans l’espace public de manière anonyme » et pouvant aussi « s’apparenter par eux-mêmes à des outils d’intimidation, en particulier lorsqu’ils sont équipés d’un haut-parleur ou d’une sirène ».

La surveillance des frontières, qui ne figurait pas dans la proposition de loi que la CNCDH avait examinée, risquerait en outre d'engendrer « des comportements à risque de la part des personnes en migration, soucieuses d’échapper à leur surveillance ».

Concernant la vidéosurveillance algorithmique, la CNCDH « craint qu’à défaut d’une recherche dans les textes officiels, les citoyens ne soient pas avertis dans le détail des objets et situations détectés ». Et ce, d'autant que, régulièrement alertés sur les dérives de la reconnaissance faciale dans des pays totalitaires, et les risques de « surveillance de masse » depuis les révélations Snowden, ils « risquent de développer un sentiment de surveillance accrue » :

« Loin d’être mineures, ces évolutions et ces perceptions bouleversent en profondeur notre conception de l’espace public en lui retirant toute dimension privée. La CNCDH rappelle que l’espace public a historiquement vocation à être un lieu de circulation anonyme qui permet l’exercice des libertés et le respect de la vie privée. »

Des garanties insuffisantes, faute d’être mises en œuvre

Pour la CNCDH, les garanties prévues par le cadre légal actuel sont « insuffisantes, faute d’une mise en œuvre appropriée ». Dès lors, elles « méritent d’être renforcées, d’autant plus que les caméras sont de plus en plus performantes et parfois associées à des logiciels de traitement automatisé des images ».

De manière générale, la CNCDH relève en outre qu’aucune exigence de formation spécifique n’est prévue pour les personnes en charge du visionnage des images collectées. Elle recommande donc une formation de l’ensemble de ces agents à la fois sur les aspects techniques – y compris sur le fonctionnement de l’IA – et déontologiques.

Elle relève également que, en prévision de l’installation d’un système de vidéoprotection « ayant une finalité sécuritaire », les autorités publiques doivent effectuer une analyse d’impact relative à la protection des données personnelles.

Or, ces analyses d’impact sont « purement déclaratives », et reposent sur une « appréciation souveraine des risques, et des moyens d’y remédier », réalisée par les autorités souhaitant recourir à la vidéoprotection :

« En outre, leur portée est limitée à l’examen de l’incidence de cette dernière sur la protection des données et ignore par conséquent des aspects plus fondamentaux tels que l’incidence d’un dispositif de vidéoprotection sur des libertés fondamentales comme celle d’aller et venir, ou de manifester. »

Or, l'analyse du laboratoire d'innovation numérique de la CNIL (LINC) des articles de la presse régionale consacrés aux villages de quelques centaines d’habitants se dotant de caméras ne mentionne aucune analyse d'impact, non plus qu'aucun des dizaines d'articles que nous avons recensés ces derniers mois à ce sujet.

La CNCDH ne le mentionne pas explicitement, mais il serait dès lors louable de penser qu'elles n'ont probablement pas été effectuées, et que nombre de ces petites communes s'étant dotées de caméras, souvent avec l'aide et le concours de la gendarmerie, et grâce à des subventions publiques, nationales et régionales, ne respecteraient donc pas le cadre légal.

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La CNCDH ne le mentionne pas explicitement, mais il serait dès lors louable de penser qu'elles n'ont probablement pas été effectuées, et que nombre de ces petites communes s'étant dotées de caméras, souvent avec l'aide et le concours de la gendarmerie, et grâce à des subventions publiques, nationales et régionales, ne respecteraient donc pas le cadre légal.


Il me semble qu’il y a aussi un autre problème, concernant les subventions régionales. La région n’a pas de compétence en matière de sécurité, d’ordre public. Donc en attribuant une partie du budget régional à ces aspects, elle outrepasse ses compétences. À ma connaissance, personne n’a porté la chose en justice, mais il me semble que c’était évoqué dans un rapport de la cour des comptes.
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