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Laurent Toustou, IGN : « Lire le territoire, c’est déjà le changer »

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Le 15 mai, l’Institut national de l’information géographique et forestière (IGN) dévoilait sa nouvelle application Cartes. Next s’est entretenu avec deux de ses principaux artisans : Gaël Chumiatcher et Laurent Toustou.

Qu’est-ce qui a motivé le lancement de l’application Cartes, et quand le projet a-t-il été lancé ?

Laurent Toustou (chef de service données, produits et usages) : Nous sommes l’acteur de cartographie de service public de la France, ce qui signifie que nous avons beaucoup de données, et de la donnée d’une complexité importante. Historiquement, notre lien avec le grand public, ce sont les cartes papier. Cartes s’inscrit dans une volonté de fournir un service grand public gratuit qui permette de découvrir et mieux connaître le territoire.

Gaël Chumiatcher (chargé de produit) : L’application est l’un des chantiers emblématiques de l’IGN. L’institut cherche à être le compagnon des découvertes et des territoires autant que le cartographe de l’anthropocène, c'est-à-dire l'observateur des évolutions du territoire. En cela, l’application est une vitrine du savoir-faire de l’IGN en matière de cartographie. En pratique, le projet a démarré il y a un peu plus d’un an.

Vous expliquez « lever le voile sur les 90 % du territoire invisibilisés par les applications des géants du numérique ». Quelle forme cela prend-il, exactement ?

Laurent Toustou : Le plan permet de cliquer sur n’importe quel bâtiment pour obtenir des informations précises, sur sa hauteur, sur sa date de construction, mais aussi de permettre d’explorer les données relatives aux zones agricoles, aux forêts, etc. C’est une manière de donner accès à toute la profondeur de la donnée IGN autant que de redonner de l’information sur la majeure partie du territoire qui est habituellement assez peu qualifiée par les autres acteurs parce que ça ne correspond pas à leur modèle économique.

Par ailleurs, l’application était un bon moyen d’ouvrir nos informations relatives au suivi des évolutions climatiques au grand public. C’est pourquoi nous avons intégré à Cartes des photos historiques, avec des boutons qui permettent d’observer l’évolution du territoire. C'est aussi dans ce but que nous avons éditorialisé une centaine de points pour mettre en évidence certains phénomènes particuliers, comme le retrait des lignes de côte, etc.

Gaël Chumiatcher : Il y a une vraie volonté de partage des connaissances derrière Cartes. La France, ce n’est pas seulement des rues, des bâtiments, ce sont aussi ses forêts, ses espaces agricoles, son patrimoine culturel, etc. Le but de l’application est de rendre cela accessible aux internautes : je me promène, je veux savoir quelle est la parcelle agricole à côté de moi, je clique, et je saurai que c’est de l’artichaut. De la même manière, quand je me promène en forêt, l’application peut me renseigner sur l’essence principale de la parcelle où je me trouve.

D’où viennent toutes ces informations ?

Laurent Toustou : Notre site internet Géoportail donne accès à des milliers de données, produites par l’IGN, coproduites par des acteurs publics, produites par d’autres acteurs mais redirigées sur le géoportail… C’est un peu comme un kiosque à cartes. Le problème, c'est que si on ne sait pas ce qu’on y cherche, c’est difficile de s’y retrouver. Dans un sens, Cartes permet d’éditorialiser ces données. Tout ce qu’on fait, on le fait avec l’aide de contributeurs. Même si on est garant de l’ensemble, on a estimé important de valoriser ces partenaires jusque dans l'application.

Même si ce n’est pas le cœur de notre activité, on a aussi estimé important de fournir des informations sur les commerces, leurs horaires d’ouverture, sur les arrêts de bus, etc. Comme il n’y a pas de données publiques spécifiques sur ces sujets, plutôt que de réinventer la roue, il nous a semblé intéressant de nous appuyer sur l’existant. En l’occurrence, nous nous appuyons sur l'initiative d'OpenStreetMap.

À ce sujet, des lecteurs demandent si vous envisagez de partager certaines de vos données avec OpenStreetMap.

Laurent Toustou : Nos données sont en open data, donc OpenStreetMap peut les utiliser comme il le souhaite. L’autre axe de collaboration, c’est notre bouton Signaler : si des internautes nous signalent des erreurs sur un élément OpenStreetMap, pour le moment, une boîte apparaît qui suggère d’aller le signaler directement à OpenStreetMap, en fournissant le lien. Dans le futur, on voudrait que ça génère directement une note dans OpenStreetMap. Autant pour nous que pour eux, l’intérêt est que la donnée soit la plus vive et la plus riche possible, donc c’est une de nos pistes de travail.

Combien de personnes ont travaillé sur Cartes ?

Gaël Chumiatcher : Comme dit, il y a eu beaucoup de contributeurs, différentes équipes impliquées, etc. Mais sur un an, sur la partie stratégie, construction, développement, ça a concerné environ trois personnes.

Combien le développement de l’application a-t-il coûté ?

Laurent Toustou : Quelque chose comme 250 000 euros pour l’application elle-même. Mais la donnée, encore une fois, n’existe pas seulement pour ce projet-là, donc c’est un montant qui ne compte pas le travail en continu sur la cartographie, qui est notre mission cœur.

Avez-vous déjà des données sur le nombre de téléchargements ?

Gaël Chumiatcher : Oui, car Cartes a été proposée en mise à jour de l’ancienne application Géoportail, qui était plus minimaliste. Celle-ci était déjà installée sur un million d’appareils, et la mise à jour est quasiment terminée. Par ailleurs, vendredi [17 mai, ndlr], on comptabilisait 100 000 téléchargements supplémentaires.

Quels étaient vos objectifs ?

Laurent Toustou : Notre objectif, c'était surtout de rencontrer un besoin. C’est-à-dire pas proposer quelque chose qui existe déjà, mais plutôt fournir quelque chose de neuf, montrer le territoire non pas uniquement dans un but de trajet, mais permettre de l’afficher dans toute sa complexité.

Dans les premiers retours que l’on reçoit, on entend que les gens vont beaucoup regarder ce qu’il y a autour de chez eux, autour des endroits où ils ont envie de partir en vacances, ça leur sert à préparer leur projet… donc c’est positif. Sur la partie des points éditorialisés, ça a l’air de convaincre aussi. Et c’est important : visualiser le recul du trait de côte, ça change complètement la vision qu’on a des évolutions climatiques, et on reçoit aussi de bons retours sur cette dimension plus éducative.

Gaël Chumiatcher : Il y a aussi une logique à rendre les cartes accessibles à tous. Sur Cartes, il y a beaucoup d’objets représentés. Or, on s’est aperçu que peu de gens comprenaient pourquoi tel bloc était représenté en gris, pourquoi tel autre était vert, etc. Sur des cartes papiers, la seule manière de comprendre cette complexité, c’était de regarder la légende. Avec l’application, on peut permettre à un lecteur qui ne sait pas lire une carte de comprendre l’information qu’il voit, parce qu’à chaque objet sur lequel on clique, on obtient une explication précise.

Quelles sont les évolutions que vous prévoyez ? Est-ce que Cartes proposera des calques supplémentaires ? Un mode hors ligne ?

Gaël Chumiatcher : En l’état, il s’agit d’une première proposition. Nous avons donc prévu d’enrichir les données thématiques, notamment pour proposer plus d’informations liées au patrimoine culturel. Quant au mode hors ligne, on sait qu’il est très attendu – il est aussi très pertinent en cartographie. Pour le moment, c’est le mode cache qui remplit cet office, mais on est tout à fait conscient qu’il faut aller plus loin et proposer des cartes hors lignes.

Laurent Toustou : Sur les questions de mobilité, aussi, nous ne proposons pour le moment que des trajets piétons et voiture. Or, dans un contexte d’anthropocène, il paraît logique de promouvoir les mobilités douces. C’est donc un axe d’amélioration que nous avons identifié, même si nous n’avons pas encore eu le temps d’avancer pour trouver les bons partenaires.

Est-ce que Cartes proposera un mode collaboratif ?

Gaël Chumiatcher : Sur le bouton « signaler », on a ajouté la possibilité pour les utilisateurs de nous signaler des lieux qu’ils estiment importants, pour enrichir notre liste de points d’attention. Ça nous permet d’aller les vérifier et, le cas échéant, d’augmenter notre base.

Laurent Toustou : Une grande partie des données qu’on affiche sont issues de notre base de donnée TOPO, et sont mises à jour grâce à la collaboration d’acteurs de terrain, des conseils départementaux, l’agence de l’eau, etc. Les recueillir pour les mettre à jour, c’est notre travail. Après, ça n’a pas vocation à être une communauté grand public.

Pourquoi était-ce important pour l’IGN de proposer sa propre application ? En quoi est-ce un enjeu de souveraineté ?

Laurent Toustou : Lire le territoire, c’est déjà le changer. La cartographie, ça permet à la politique publique comme aux citoyens d’agir sur le territoire, grâce à la connaissance qu’ils en ont. C’est précisément pour cela qu’il y a besoin d’acteurs public pour produire et mettre à jour ces informations.

Les acteurs privés du domaine agissent en fonction de logiques qui leur sont propres : ils mettent avant tout les informations commerciales en valeur parce que c’est ce qui génère de la publicité, ce dont dépend leur modèle économique. Cela crée une focalisation sur les zones urbaines et les commerces. Ces acteurs se focalisent aussi sur les routes, puisqu’ils proposent des services de navigation. Cela crée un biais, qui est d’envisager le territoire uniquement sous une logique d’usage.

C’est cohérent avec leur service, mais pour l’IGN, c’était important de produire une contre-proposition qui serve l’intérêt général. C’est-à-dire qui ne se contente pas de dire « pour aller où vous voulez, tournez à droite puis à gauche », mais qui montre l’ensemble du territoire. C’est important, car ça permet aussi les discussions entre acteurs publics, collectivités et citoyens sur une variété de sujets.

Sommaire de l'article

Introduction

Qu’est-ce qui a motivé le lancement de l’application Cartes, et quand le projet a-t-il été lancé ?

Vous expliquez « lever le voile sur les 90 % du territoire invisibilisés par les applications des géants du numérique ». Quelle forme cela prend-il, exactement ?

D’où viennent toutes ces informations ?

À ce sujet, des lecteurs demandent si vous envisagez de partager certaines de vos données avec OpenStreetMap.

Combien de personnes ont travaillé sur Cartes ?

Combien le développement de l’application a-t-il coûté ?

Avez-vous déjà des données sur le nombre de téléchargements ?

Quels étaient vos objectifs ?

Quelles sont les évolutions que vous prévoyez ? Est-ce que Cartes proposera des calques supplémentaires ? Un mode hors ligne ?

Est-ce que Cartes proposera un mode collaboratif ?

Pourquoi était-ce important pour l’IGN de proposer sa propre application ? En quoi est-ce un enjeu de souveraineté ?

Commentaires (7)


Cette application est très intéressante. Je la teste depuis quelques jours. Hâte que le bouton signaler envoie automatiquement les infos à OSM. J'attends aussi le mode routage à vélo avec impatience :prof:
Je viens de voir que les itinéraires sont exclusivement à pied ou en voiture.

Dommage.

Chouette appli sinon.
Il y a IGN Rando qui fait ç'est payant par contre. Ce qui me laisse à penser que l'IGN ne va pas supprimer une source de revenu pour intégrer la rando sur l'app (ceci dit je peux me tromper).
Une fonctionnalité manquante, qu'on retrouve dans d'autres applications spécialisées, et qui pourrait être utile à mon avis : enregistrer son trajet avec possibilité d'export GPX. Quand je pars en VTT au hasard, j'aime bien enregistrer ma trace et regarder a posteriori ce que j'ai fait comme parcours.
On a là un très très bon début d'alternative à google maps, merci pour ce travail.
Et vivement le bouton 'Signaler' directement dans l'application pour corriger toutes les petites imperfections dans mon quartier :D
Belle illustration d’article :ouimaistusors:
Ouiiiiiiii 🥰
Dernièrement Flock a fait une belle série de super illustrations et moi ça me transporte à chaque fois
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