League of Legends : Riot Games chamboule les LCS aux États-Unis, quelles pistes en Europe ?
De la ligue des légendes à la ligue des champions
Le 02 juin 2017 à 15h21
12 min
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C'est un véritable séisme qui a secoué le petit monde de l'e-sport aux États-Unis. Riot Games a décidé de faire table rase du système actuel des LCS en Amérique du Nord pour permettre la mise en place de franchises, sur le modèle de la NBA. En Europe, les équipes discutent aussi d'un nouveau format.
Le marché de l'e-sport occupe une place de plus en plus importante dans le paysage vidéoludique. Selon le très optimiste Newzoo, il devrait peser près de 700 millions de dollars cette année à l'échelle mondiale avant d'atteindre près de 1,5 milliard de dollars en 2020. Un gros gâteau sur lequel bon nombre d'acteurs veulent mettre le grappin, mais dont la croissance est encore loin d'être assurée.
Compteurs à zéro
Actuellement, les équipes, les joueurs et les éditeurs ne sont globalement pas satisfaits des retombées financières de ce phénomène qui brasse pourtant des audiences importantes, avec près de 200 millions de spectateurs réguliers dans le monde, dont la moitié en Asie.
Pour s'adapter à ce nouvel environnement et permettre à l'écosystème grandissant de l'e-sport de poursuivre sa croissance, Riot Games, l'éditeur de League of Legends a décidé de remettre complètement à plat la structure de son championnat phare en Amérique du Nord : les LCS NA (League Championship Series North America).
Plus question de promotions et de relégations sportives entre Championship Series et Challenger Series. La nouvelle formule emprunte son format à la NBA, en faisant la part belle aux franchises, qui devront mettre 10 millions de dollars sur la table pour participer à l'aventure.
Pour comprendre les enjeux et les défis que soulèvent ce nouveau format pour l'e-sport sur League of Legends, et évoquer les changements attendus en Europe pour 2018, nous avons discuté avec les principaux concernés : les équipes professionnelles. Nous avons ainsi pu nous entretenir avec Romain Bigeard, team manager des Unicorns of Love, et Nicolas Maurer, directeur général de Vitality, deux équipes engagées dans les LCS EU. Hasard du calendrier, elles doivent s'affronter ce soir à 20 h dans le cadre de cette compétition.
Des franchises façon NBA
Dans un long billet, l'éditeur détaille le nouveau format qui sera mis en place dès 2018 pour les League Championship Series NA, sa compétition phare qui oppose actuellement les dix meilleures équipes nord-américaines. La nouvelle formule mettra aux prises dix franchises sélectionnées cet été sur divers critères.
Le premier est financier. Les structures candidates devront mettre 10 millions de dollars sur la table pour acquérir le droit de participer à la ligue. En plus de ce premier paiement, elles devront dévoiler à Riot leur modèle économique sur les prochaines années, leur stratégie pour attirer des sponsors ou encore sur la façon dont ils pensent rémunérer les joueurs qui participeront.
L'intérêt des futurs propriétaires est également passé à la loupe. Connaissent-ils quelque chose à l'e-sport ? Sont-ils bien entourés ? Quels objectifs pousuivent-ils en se lançant dans un tel projet ? Enfin la stratégie de l'équipe prétendante doit elle aussi être scrutée. Leurs locaux, leur stratégie pour détecter et former de nouveaux talents, leur capacité à permettre la reconversion de leurs joueurs une fois leur carrière terminée seront ainsi étudiés de près.
L'idée pour Riot est de chercher des partenaires qui visent une présence sur le long terme afin de développer l'audience de son jeu et de ses compétitions. Un point crucial pour l'éditeur.
Pas de relégation, sauf cas exceptionnel
En contrepartie de leur investissement de départ, les équipes auront l'assurance de ne pas se faire bouter hors du championnat en cas de mauvaises performances. Selon Riot, le risque de relégation en Challenger Series est un handicap pour les équipes, qui ont davantage de difficultés à nouer des accords sur le long terme avec leurs partenaires. L'exposition dans la division inférieure est en effet moindre et donc moins intéressante pour les sponsors.
Une équipe peut toutefois perdre sa place en cas de non-performances répétées. Si l'une termine cinq splits (une demi-saison) à la 9e ou 10e place sur un créneau de quatre saisons, Riot se réserve le droit de céder la place à une structure plus performante.
Pour Nicolas Maurer de chez Vitality, une équipe qui a acquis sa place en LCS EU en rachetant celle de Gambit, c'est une condition sine qua non pour assurer une certaine stabilité aux sponsors, et donc s'assurer de revenus plus stables pour l'équipe. « Actuellement en Europe, en l'espace d'un an on peut avoir quatre équipes reléguées sur un total de 10, c'est absolument énorme. À titre de comparaison dans le foot ce sont deux ou trois équipes sur 20 qui descendent. Là il nous suffit qu'un joueur se blesse et soit indisponible pendant 3 ou 4 semaines pour qu'on se retrouve dans une position délicate », note-t-il.
Romain Bigeard des Unicorns of Love tient quant à lui un discours contraire. « C'est important pour les audiences qu'il y ait des matchs avec de gros enjeux, y compris pour le maintien. Un club de foot qui joue sa place en Ligue 1 à la dernière journée va remplir son stade. Et puis ça permet aussi de raconter des histoires... et il n'y a pas de bonne histoire sans un peu de sang », plaisante-t-il.
Quant aux risques de voir une équipe tomber accidentellement au niveau inférieur, il n'y croit pas. « Avant de descendre, il y a un tournoi de barrage à jouer contre les deux meilleures équipes de la division inférieure avec des matchs en trois manches gagnantes (Bo5). Il faut en perdre deux pour descendre. Lors du dernier split, l'équipe qui est descendue, Origen, avait perdu l'ensemble de ses 13 matchs dans la saison régulière. Elle n'avait juste pas le niveau requis. À ce niveau-là ce n'est plus une question de poisse », élude-t-il.
Un brassage du niveau par les joueurs
Il n'y aurait toutefois pas de risque de voir toujours les mêmes équipes aux avant-postes pour Nicolas Maurer. « En NBA, on voit toujours les mêmes franchises et ça ne pose aucun problème. Les moins bons ont la possibilité de sélectionner en premier les nouvelles recrues lors du Draft et ça permet de rebattre les cartes. Avant de recruter LeBron James comme ça, Cleveland n'était nulle part, en trois ans ils jouaient une finale ».
Justement, les Challenger Series vont aussi changer de formule aux États-Unis pour devenir un championnat à destination des équipes réserve des dix franchises présentes au niveau supérieur. « C'est comme au foot. Quand tu as un joueur prometteur qui est encore un peu jeune, tu ne l'envoies pas directement jouer en Ligue des Champions. Tu lui donnes du temps de jeu en CFA pour qu'il s'aguerrisse avant de le faire entrer progressivement dans l'effectif pro » nous résume-t-on chez Vitality.
Un talent qui brillera dans cette division attirera surement l'œil de l'ensemble des dix grandes franchises, qui pourront chercher à le prendre dans leurs filets et ainsi rebattre les cartes dans le championnat principal. Aux yeux de Romain Bigeard, la détection de nouveaux talents est justement un problème.
Pour lui, il est primordial de faire en sorte que l'écosystème soit suffisamment alimenté en capitaux pour que chacun puisse envisager l'e-sport comme une carrière, au même titre qu'on le ferait pour le football. « En Europe il y a plus de joueurs qu'en Corée, et pourtant tous les meilleurs joueurs viennent de là-bas... je ne peux pas croire qu'il n'y a pas un seul grand joueur de la même trempe que Faker sur tout le continent. Seulement à l'heure actuelle l'e-sport n'est pas autant ancré dans notre culture que dans la leur, et c'est compliqué pour un jeune de se dire qu'il peut faire carrière là-dedans », résume-t-il.
D'un autre côté, l'arrivée de nouvelles têtes serait aussi un bon moyen selon UoL de limiter l'inflation des salaires. « Là en Europe sur 200 joueurs avec un niveau Challenger, 150 sont sous contrat et les 50 autres font juste ça pour le fun sur Twitch et ne veulent pas se prendre la tête... du coup il n'y a pas vraiment de concurrence et les joueurs savent qu'on ne peut pas les remplacer facilement. Si le vivier grandit, cela deviendra un peu plus facile de les motiver et de faire monter la pression quand c'est nécessaire »
Salaires minimum en hausse et partage des revenus
Pour attirer les équipes et s'assurer de leur fournir assez d'argent pour maintenir un niveau compétitif, Riot Games a également mis au point un nouveau système de répartition des revenus. Actuellement, l'éditeur fournissait une enveloppe de base aux équipes qualifiées en LCS qui devait leur permettre de subvenir à une partie de leurs besoins. À elles ensuite de compléter la mise avec leurs sponsors et leurs produits dérivés.
Dès 2018, l'éditeur mettra dans un pot l'ensemble des revenus tirés des droits de retransmission des compétitions et des sommes versées par les sponsors des tournois. 32,5 % de ce montant ira dans les poches des équipes. Elles toucheront une part fixe prise sur une première moitié de l'allocation prévue, et une part variable dépendant de leur classement à la fin de la saison régulière et de leur contribution aux audiences des tournois. Ces sommes devront permettre aux équipes de maintenir leur réserve, leurs collaborateurs (entraîneurs, équipes marketing...) et leur gaming house.
Les salaires des joueurs seront quant à eux partiellement pris en charge par Riot Games, qui a décidé de relever leur salaire minimum de 25 000 dollars par an à 75 000. « L'annonce est surtout symbolique », tranche-t-on chez Vitality. « Je ne suis pas convaincu qu'un seul des joueurs en LCS NA était payé au salaire plancher. En Europe, rien qu'en Challenger Series, certains joueurs sont payés plus de 50 000 euros par an. Il y a une surenchère assez folle avec l'arrivée de gros investisseurs, il y a un an et demi ça pouvait être un beau chiffre pour un joueur en LCS EU ».
Riot allouera en effet une enveloppe de 35 % des revenus de la ligue au versement de salaires aux joueurs. Si le total devait être inférieur à 75 000 dollars par tête, l'éditeur rajoutera la part manquante de sa poche. Si au contraire les affaires sont florissantes, les joueurs toucheront tous un bonus en fin d'année.
Un syndicat pour les joueurs
Riot Games veut également mettre en place un syndicat regroupant les joueurs professionnels. Il devra élire plusieurs représentants qui pourront prendre part aux décisions concernant l'avenir de la ligue. L'éditeur injectera les fonds nécessaires pour que les joueurs puissent accéder à diverses ressources, des conseillers financiers, des avocats pour relire leurs contrats etc. La gestion de cette association sera intégralement confiée aux joueurs, qui en feront ce qu'ils en veulent.
Crédits : Riot Games - LoL Esports
L'initiative est saluée aussi bien par Unicorns of Love que Vitality, leurs responsables estimant que c'est un bon moyen d'assainir les relations entre les clubs et les joueurs, et d'éviter que les uns et les autres se trouvent dans des postures délicates à cause de contrats mal ficelés. « On a vu des choses pas très jolies », confessent-ils unanimement, faisant valoir le besoin d'aider les joueurs, souvent jeunes, à mieux maîtriser leur carrière. « Certains sont mieux entourés que d'autres, ils ont leur famille qui veille au grain. Pour d'autres c'est plus compliqué. On a entendu des histoires de conflits entre joueurs et équipes qui ont commencé par un contrat pas lu », commente Nicolas Maurer.
Quel avenir pour les LCS Europe ?
Dans un court communiqué, Riot Games a confirmé qu'il n'était pas prévu de mettre en place un système de franchises paneuropéennes dans le cadre des LCS EU pour le moment. Un soulagement pour Romain Bigeard qui estime que ce modèle est adapté au marché américain, déjà habitué au principe des franchises permanentes, mais qui n'aurait pas pu fonctionner en Europe. « On n'a pas les mêmes contraintes, aux États-Unis il y a un marché à peu près uniforme avec 300 millions de personnes qui parlent la même langue. Ici on est 500 millions, on parle une vingtaine de langues différentes et y'a une grande variété de marchés avec des habitudes de consommation différentes... L'équation n'est pas du tout la même » siffle-t-il.
Riot est conscient de cette problématique et discute en ce moment d'adaptations à faire au modèle des LCS en Europe. Du côté de Vitality, on nous confirme que de nombreuses options sont sur la table. UoL nous assure de son côté que les changements pourraient aussi bien concerner « 5 % que 50 % » de la formule. Autant dire que les négociations ne devraient pas aboutir avant au moins quelques semaines.
L'une des idées pourrait être de s'appuyer sur un modèle plus proche du football, avec des saisons régulières dans chaque pays, donnant accès à une sorte de Ligue des Champions opposant les meilleures équipes européennes. « Avec un système plus régional, je suppose qu'on sacrifierait légèrement les audiences de la saison régulière, au profit du tournoi final européen » estime-t-on chez UoL
Quant au résultat du match de ce soir, les Unicorns of Love se positionnent comme favoris. Mais en e-sport comme en sport, les surprises sont parfois au rendez-vous.
League of Legends : Riot Games chamboule les LCS aux États-Unis, quelles pistes en Europe ?
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Compteurs à zéro
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Des franchises façon NBA
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Pas de relégation, sauf cas exceptionnel
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Un brassage du niveau par les joueurs
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Salaires minimum en hausse et partage des revenus
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Un syndicat pour les joueurs
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Quel avenir pour les LCS Europe ?
Commentaires (11)
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Abonnez-vousLe 02/06/2017 à 15h43
Cool… le monde de l’e-sport se professionnalise.
Y a pas de raison que ca reste un divertissement vidéo-ludique quand on peut en faire un système lucratif.
Avec un peu de chance ca deviendra tellement lucratif qu’on verra émerger des coups tordus, de la corruption, voire même un système mafieux. Et là, on pourra dire que le jeu vidéo c’est devenu un vrai sport.
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Le 02/06/2017 à 15h58
Les coups tordus et la corruption, ça n’a pas attendu la professionnalisation.
Le 02/06/2017 à 16h00
J’ai l’impression que Riot est vraiment sur la bonne voie, en adaptant les recettes qui marchent, la où ça marche et en donnant une place à tout les acteurs pour qu’ils puissent défendre leur intérêts.
Cela dit, reléguer une équipe des LCS par an aurait permis de laisser sa chance a une équipe Challenger (mais peut être qu’il n’y a pas encore assez d’équipe pour avoir un top niveau plus large)
Le 03/06/2017 à 09h10
Le 03/06/2017 à 14h46
Article complet " />
Le 03/06/2017 à 18h57
Le 03/06/2017 à 19h16
Pour quelqu’un qui ne sors jamais sans son petit poney, interroger Unicorns of Love c’est original.
N’est-ce pas Kevin ? ;)
Le 04/06/2017 à 12h50
Jamais compris le succès de lol…. qui est ENORME.
Y a même pas de deny ( pour les connaisseurs…. ), bref ca me dépasse.
Le 05/06/2017 à 07h33
Le 05/06/2017 à 09h38
Joueur de Dota ?
Le 05/06/2017 à 10h10