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L’Europe spatiale a-t-elle les moyens de ses ambitions ?

Sur l’empreinte écologique des lanceurs, oui !

L’Europe spatiale a-t-elle les moyens de ses ambitions ?

Le 09 novembre 2023 à 11h00

L’Agence spatiale européenne veut réduire l’empreinte environnementale de l’aéronautique, aussi bien sur Terre que dans l’espace avec une Charte Zéro Débris. Elle compte aussi sur le privé pour se relancer dans le fret et les vols habités, notamment avec la Station spatiale internationale en ligne de mire. Problème, l’Europe est privée de lanceur depuis des mois et pour encore un bon moment.

La conquête puis l’exploration spatiale, on la connait principalement par le prisme de la science et de la recherche de traces de vies à l’aide de sondes et autres rovers. Mais, c’est aussi des milliers de satellites en orbite autour de la Terre pour nos usages de tous les jours, un chiffre qui augmente rapidement ces dernières années à cause du lancement des constellations de milliers de satellites afin de proposer un accès à Internet partout dans le monde.

L’Agence spatiale européenne rappelle d’ailleurs, à juste titre, que « le monde est plus dépendant que jamais des technologies spatiales », aussi bien dans le civil que le domaine militaire. 

Josef Aschbacher, directeur général de l’ESA (Agence spatiale européenne), le rappelle en guise d’introduction au Sommet sur l’espace à Séville : « La politique spatiale, c’est aussi la politique climatique, la politique industrielle et la politique de sécurité. L’espace est un atout essentiel face aux enjeux globaux. Il figure au menu des négociations au niveau international, et l’Europe doit prendre une part active aux discussions s’y rapportant ». Les enjeux de souveraineté sont donc très importants. 

Réduire l’empreinte environnementale de l’aéronautique

L’ESA veut permettre à l’Europe de passer d’une surveillance passive à une gestion active du changement climatique en mobilisant « les moyens spatiaux […] afin de soutenir les efforts déployés aux niveaux national et européen pour atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050 ».

Deux principales pistes sont mises en avant : « les fabriques d’informations […] dont l’objectif est d’exploiter les données d’observation de la Terre associées à l’informatique dématérialisée et à des méthodes d’analyse de pointe pour aider les décideurs et l’industrie à négocier le virage de la neutralité carbone », ainsi que le système Iris, « qui contribuera à réduire l’empreinte environnementale du secteur aéronautique ».

Iris est un programme de l’ESA (qu’il ne faut pas confondre avec la constellation Iris² concurrente de SpaceX Starlink, OneWeb et Amazon Kuiper) dont le but est de « rendre l’aviation plus sûre, plus verte et plus efficace en développant un nouveau système de communication air-sol par satellite pour la gestion du trafic aérien (ATM), en partenariat avec Inmarsat. D’ici 2028, Iris permettra une gestion complète des trajectoires 4D au-dessus des espaces aériens du monde entier et la liaison de données sera le principal moyen de communication entre les contrôleurs et les équipages de cockpit ».

Iris ESA

L’Agence spatiale européenne ne compte pas en rester là et « s’attachera en parallèle à réduire l'empreinte environnementale de tous les projets spatiaux sur l’ensemble de leur cycle de vie et à promouvoir une industrie spatiale propre et durable ». Les plus taquins noteront que l’Europe est pour le moment au plus bas sur l’empreinte environnementale des lanceurs, car ils sont pour le moment soit cloué au sol (Vega-C), soit en retard (Ariane 6) ou encore plus disponible (Ariane 5). 

Et voilà la première Charte Zéro Débris au monde !

Continuant sur sa lancée, l’Europe annonce rien de moins que « la première Charte Zéro Débris au monde », qui a été finalisée très récemment, le 16 octobre pour être précis. Si on connait bien le point Godwin dans les discussions générales et politiques, on pourrait presque parler d’un point Kessler dans celles portant sur les débris dans l’espace.

Il s’agit pour rappel d’un phénomène physique (notamment mis en avant par le film Gravity) : les débris entrainent des collisions, qui entrainent donc plus de débris, qui entrainent plus de collisions, et ainsi de suite… un emballement pouvant conduire à rendre une partie de l’espace inaccessible tellement elle est occupée par des débris. 

Le point Kessler, c’est maintenant dans le communiqué de l’ESA : « Plus de satellites ont été lancés ces dernières années qu’au cours de six décennies entières d’exploration de l’espace. 130 millions de débris spatiaux de plus d’un millimètre sont en orbite autour de la Terre, menaçant les satellites aujourd’hui et à l’avenir. Une fois par semaine, un morceau de satellite ou de fusée rentre dans notre atmosphère de manière incontrôlée ».

Lors des retours atmosphériques, les morceaux sont généralement entièrement brûlés et ne constituent pas un danger, mais ce n’est pas toujours le cas. Le lanceur Long March 5B de la Chine en est le parfait exemple.

C’est de nouveau Aschbacher que l’on retrouve à la manœuvre : « Pour mettre en œuvre la Charte Zéro Débris, l’ESA se concentrera sur le développement de technologies révolutionnaires pour l’élimination des satellites en fin de vie, l’entretien en orbite et l’élimination active des débris. De plus, l’ESA travaillera main dans la main avec les institutions en charge des aspects réglementaires ». 

Aux USA, déjà une amende de la FCC pour mauvais désorbitage 

Les États-Unis et plus particulièrement la FCC sont par contre en avance, en donnant pour la première fois une amende pour mauvais désorbitage de son satellite EchoStar-7 et pour avoir mal nettoyé l’espace derrière lui. 

Comme Next le rappelait alors, « en septembre 2022, la FCC a décidé d'adopter une règle qui contraint les propriétaires de satellites à les désorbiter cinq ans après leur retraite ». Auparavant, seule la France s’était dotée d’une loi et donc d’un pouvoir juridique pour faire respecter la règle des 25 ans pour désorbiter un satellite. Dans le reste du monde (Russie et Chine en tête), la gestion des déchets spatiaux n’est pas vraiment une priorité, comme en attestent par exemple les essais de tirs pour détruire des satellites.

1 Charte, 3 axes, 14 points 

La nouvelle norme s’appliquera à toutes les missions et les partenariats de l’ESA à partir de 2030. Elle vise donc le « zéro débris ». Elle est divisée en trois sections, avec trois à six points à chaque fois :

Principes généraux :

  1. Les débris spatiaux ne devraient pas être intentionnellement libérés au cours d’activités spatiales et les débris spatiaux produits involontairement doivent être au maximum limités.
  2. Les effets néfastes des débris spatiaux – notamment leur impact sur la population et les infrastructures – lors de leur retour dans l'atmosphère doivent être anticipés et atténués, dans toute la mesure du possible.
  3. Des efforts constants et collaboratifs doivent être mis en place pour améliorer nos connaissances et notre compréhension des débris spatiaux, quelle que soit leur taille. Nous devons aussi comprendre les effets qu’ils ont sur nous et réciproquement. 

Des objectifs en commun :

  1. La probabilité de générer des débris spatiaux (collisions ou fragmentations) doit rester inférieure à 1 sur 1 000 pendant toute la durée de vie orbitale. Il faut identifier un seuil de probabilité global approprié pour les constellations en orbite basse.
  2. Le nettoyage en temps opportun sur les orbites basses et géostationnaires doit être réalisé avec une probabilité de succès d'au moins 99 % après la fin de la mission, y compris par des moyens externes si nécessaire.
  3. Le risque de victimes dû au retour dans des objets devrait rester nettement inférieur à 1 sur 10 000, dans l’objectif d’atteindre zéro victime.  
  4. Le partage régulier et transparent d’informations doit être facilité. Une participation active au renforcement des mécanismes mondiaux de coordination du trafic spatial doit être encouragée.
  5. L’accès à des données récentes et précises sur les objets spatiaux mesurant jusqu’à 5 cm en orbite terrestre basse et 20 cm en orbite terrestre géostationnaire doit être amélioré, afin de renforcer les capacités de prise de décision pour éviter les collisions. 

Fonctionnement de la charte : 

  1. Inviter à des échanges réguliers sur les contributions respectives.
  2. Encourager toute entité démontrant un engagement fort en faveur de la sécurité et de la durabilité de l'espace à adhérer à cette Charte, sans nécessiter l'accord des partenaires existants.
  3. Saluer la proposition de l'Agence spatiale européenne de maintenir une liste des partenaires de cette Charte et d'offrir des opportunités d'échanges régulières (un peu d’autopromotion ne fait pas de mal visiblement).
  4. Attendre de tous les partenaires qu'ils contribuent à la promotion de cette Charte.
  5. Inviter tous les partenaires à collaborer sur les prochaines étapes au-delà de 2030.
  6. Favoriser le développement de technologies et d’indicateurs de performances qui respectent les principes directeurs et soutiennent la réalisation des cibles de la Charte.

Fret et vols habités : l’ESA lance les hostilités

L’ESA met en concurrence les entreprises européennes pour qu’elles développent un service permettant le retour de fret depuis l’espace, « l’objectif étant de confier à un prestataire commercial européen, d’ici 2028, l’approvisionnement de la Station spatiale internationale et le retour de fret sur Terre ». Ce n’est qu’une première étape : « Ce véhicule de transport de fret pourrait ensuite évoluer vers une version habitée, et pourquoi pas desservir à terme d’autres destinations si les États membres en expriment le souhait ».

Le calendrier pourrait surprendre puisque la NASA ne s’est engagée à maintenir la Station spatiale internationale que jusqu’en 2030. De son côté, la Russie pourrait jeter l’éponge dès l’année prochaine. L’Europe vise aussi 2030 pour l’ISS, mais pourrait passer la main au secteur privé afin de continuer l’aventure.

Disposer d’un véhicule permettrait de s’y rendre sans dépendre des capsules Crew Dragon de SpaceX et autres Soyouz des Russes, les seuls pour le moment en capacité de le faire. Boeing est aussi sur la brèche avec son Starliner, mais cela ne donnera dans tous les cas pas de souveraineté à l’Europe sur le sujet. 

« Le financement public nécessaire à la réalisation des premières étapes de ce projet a déjà été obtenu, et la compétition devrait permettre de drainer des financements privés », espère l’ESA. Il est donc maintenant temps pour les entreprises qui souhaitent se lancer de préparer leurs propositions. Elles pourront être présentées lors du prochain sommet du Conseil de l’ESA au niveau ministériel en 2025. 

ArianeGroup a déjà présenté un projet avec Susie, un dernier étage réutilisable et habitable prévu pour s’installer en haut d’une fusée Ariane 64. Ariane 6 sera pour rappel déclinée en deux versions : Ariane 64 avec quatre boosters et Ariane 62 avec deux boosters.

L’ESA veut être le « client de référence » et un « facilitateur »

Ariane 6 (qui cumule les années de retard et qui n’a toujours pas fait son vol inaugural) et Vega-C (cloué au sol après un échec lors d’une mission) sont présentés comme « les garants de l’accès de l’Europe à l’espace ». Difficile néanmoins de lutter face aux fusées réutilisables Falcon 9 de SpaceX, qui profitent largement des déboires de l’Europe. Quoi qu’il en soit, l’Agence rappelle (s’il en est besoin) que l’Europe « doit absolument conserver les compétences techniques et l’outil industriel qui lui permettront de s’assurer un accès ininterrompu à l’espace » :

« Les ministres ont donné le coup d’envoi d’une nouvelle approche concurrentielle ambitieuse en matière de transport spatial, l’objectif étant de réduire le montant des financements publics, de permettre à l’Europe de reconquérir ses parts de marché et de conserver son rang mondial en donnant à l’ESA le rôle de "client de référence" et de "facilitateur" d’activités et de services spatiaux commerciaux ». 

L’Europe en marche vers le réutilisable avec Prometheus et Thémis

On peut y voir la volonté de mettre en place un « buy european » act sur le spatial… même s’il est pour le moment impossible à tenir, faute de lanceur. Le réutilisable n’est pas cité non plus, mais on se doute que c’est le sujet en creux. Les travaux avancent pour rappel sur le moteur réutilisable Prometheus et le démonstrateur Thémis, mais on est encore loin d’un potentiel usage commercial.

Pendant ce temps, SpaceX passe la seconde avec Starship, même si la société enchaine pour le moment les loupés. C’était aussi le cas au début de la récupération des premiers étages de SpaceX, avec maintenant le succès que l’on connait. 

Commentaires (5)

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Je viens de regarder la doc d’ariane 6 (https://www.arianespace.com/wp-content/uploads/2021/03/Mua-6_Issue-2_Revision-0_March-2021.pdf), sur la fin des boosters, ça peut accélérer quand même jusqu’à 6g (page 50). Après, pour Susie, la rentrée est normalement prévue à 3.5g (https://www.ariane.group/en/news/susie-the-reusable-space-transporter-european-style/) ce qui serait moins qu’une montagne russe.

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En complément :
Quand l’ISS partira à la retraite, Starlab, une station spatiale privée, prendra le relais (20mn, 9/11/23)




Pour continuer ses activités de recherches quand l’ISS sera mise hors service, l’Agence spatiale européenne (ESA) embarquera ses astronautes dans Starlab, une station spatiale privée construite par Airbus et l’Américain Voyager Space […] Elle a conclu le 1er octobre un accord similaire avec Axiom Space, qui développe elle aussi une station avec le soutien de la Nasa et la participation industrielle du franco-italien Thales Alenia Space.


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+1 pour le sous-titre

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Quitte à faire référence à un film, autant faire également référence à des séries TV. Je vous propose de lire le synopsis de la série Dead Like Me qui montre le danger des retours atmosphériques :D

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tazvld a dit:


Je viens de regarder la doc d’ariane 6 (https://www.arianespace.com/wp-content/uploads/2021/03/Mua-6_Issue-2_Revision-0_March-2021.pdf)


Y’a un mode d’emploi pour une fusée ! notons qu’il y’a moins de pages que celui de mon imprimante laser, donc ça doit plus simple à utiliser :D

L’Europe spatiale a-t-elle les moyens de ses ambitions ?

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