Connexion
Abonnez-vous

L’ESA exclut brutalement le projet de télescope spatial infrarouge de ses prochaines missions

L’IR ne décollera pas

L’ESA exclut brutalement le projet de télescope spatial infrarouge de ses prochaines missions

Le 22 octobre 2020 à 08h55

L’Agence spatiale européenne a annoncé jeudi l’abandon de son projet de télescope spatial infrarouge SPICA qui était l’un des trois encore en compétition pour devenir la mission M5 du programme Cosmic Vision. Le couperet est tombé avant même la fin de la sélection, l’ESA pointant des problèmes de budget.

L’ESA et la JAXA, l’agence spatiale japonaise, n’enverront donc peut-être jamais de télescope infrarouge dans l’espace. Un tel projet aurait permis d’étudier plus précisément l’origine et l’évolution des galaxies et des planètes, la formation des étoiles, mais aussi le comportement de la poussière interstellaire.

Cet arbitrage ne touche pas un petit projet. Si dans le nom « M5 », le M signifie « Medium », « le plafond donné en 2017 de la mission M5 était de 550 millions d’euros » indique à Next INpact Paul McNamara, le coordinateur des missions d’astronomie et d’astrophysique de l’ESA ayant pris part à cette décision.

Mais ce coup d’arrêt tombe alors que l’équipe de SPICA ne s’y attendait pas. Pour elle, le processus de sélection ne prévoyait pas une telle sentence à ce stade de la compétition.

Un abandon contesté en interne

En 2018, l’ESA avait présélectionné trois projets parmi une trentaine de candidats : le télescope infrarouge SPICA, la sonde spatiale EnVision pour étudier Vénus et THESEUS qui vise à explorer l'Univers précoce. Les trois projets devaient ensuite passer différentes phases (définition, consolidation et sélection) de validation pour arriver à la sélection finale. Attendue pour la mi-2021, elle devait décider lequel des trois projets pourrait voir le jour.

Après des années de travail, cette disqualification du processus de sélection M5 entre deux jalons a du mal à passer auprès des astrophysiciens européens. Surtout que les responsables de SPICA n’ont été informés qu’en recevant, le 7 octobre, un email avec la photo d’une lettre lapidaire leur annonçant l’arrêt du projet. Les autres collaborateurs n’ont eu aucune autre communication que l'annonce faite par l’ESA le 15 octobre.

Dans une tribune à paraître dans la revue scientifique Nature et dont Next INpact a pu prendre connaissance, l’équipe du projet SPICA, accompagnée d’autres astrophysiciennes et astrophysiciens, dénonce un manque de justice et de transparence et déplore que « la nature de cette annulation ne [leur] donne aucune confiance dans le processus de décision au plus haut niveau de l’ESA ».

Ils pointent « un manque de négociation, de discussion et de communication avant l’abandon » et posent la question « Pourquoi le coût est devenu un problème seulement après le succès à de nombreux jalons ? ».

Marc Sauvage, astrophysicien au CEA et responsable principal du développement d’un des instruments scientifiques du projet SPICA, réagit amèrement à cette décision : « je ne le vis pas très bien parce que, professionnellement, j’ai investi beaucoup d’énergie dans ce projet et je me suis projeté dans l’idée de travailler sur cet instrument encore un certain temps ».

« Nous étions, bien sûr, toujours dans un processus compétitif et nous étions un des trois projets en compétition. Les règles du jeu étaient claires et il était possible que, mi-2021, ce soit un autre projet qui soit sélectionné » ajoute-t-il, « mais ce qui s’est passé, ce n’est pas que nous n’avons pas été sélectionnés parce que nous avons été jugés moins intéressants que les deux autres projets de missions par un jury de nos pairs, mais parce qu’on nous a retirés de la compétition ».

Un processus normalement très encadré

« Nous faisons des points réguliers avec chacun des projets pour vérifier si, premièrement, c’est faisable techniquement et deuxièmement, si c’est faisable dans le planning donné », nous explique Paul McNamara.

Chaque mission doit réussir à monter ses projets scientifiques utilisant des instruments de très haute technologie tout en les rendant les plus légers et les plus petits possibles pour que les industriels de l’aéronautique comme Airbus puissent les envoyer sans que ça coûte trop cher. Un processus censé être très encadré.

Dans sa tribune, l’équipe de SPICA explique, par exemple, qu’en juillet l’ESA leur a demandé de réduire le diamètre de leur miroir de 2,5 à 1,8 mètre pour rentrer dans les contraintes de coûts des industriels. L’équipe assure avoir accepté et réussi, au cours de l’été, à proposer une solution prenant en compte cette nouvelle contrainte tout en assurant la qualité du travail de la mission. Des points ont été faits lorsque les projets ont été présélectionnés, à mi-chemin entre mars et juillet 2020 et un dernier point devait être fait en janvier prochain.

Mais jusqu’au mardi 20 octobre, soit deux semaines après l’annonce en interne de l’abandon du projet, aucune information n’était remontée à l’équipe de SPICA affirmant que le jalon de mi-chemin n’avait pas été validé. Elle était donc tournée vers le prochain jalon de janvier.

Dans l’annonce de l’abandon, pour Marc Sauvage, « il y a un côté paternaliste un petit peu insupportable » de l’ESA, « On nous dit que ce n’est pas la peine d’essayer alors que nous étions en train d’arriver à le faire ».

Une mission M un peu spéciale

Mais SPICA est une mission M atypique de l’ESA. Le projet a d’abord été lancé en 2007 par la JAXA avec une petite collaboration de l’ESA. Mais, pour des raisons techniques, le projet fut abandonné une première fois en 2009. Il a ensuite profité de la mission M5 pour proposer une nouvelle collaboration plus équilibrée financièrement entre l’ESA et la JAXA. Au total, le budget de SPICA pèse donc plus du double d’une mission M ordinaire de l’ESA.

Et le projet demande plus qu’une gestion interne, mais une répartition des tâches à l’international alors que la plupart des missions M de l’ESA sont des projets à échelle européenne. Paul McNamara confirme que « SPICA est une mission complexe et de grande envergure » et déplore « qu’après avoir fait de nombreuses études et essayé de nombreuses choses pour réduire le budget, ça ne rentre pas dans le budget ni de l’ESA ni de la JAXA ».

Mais des critiques sont aussi adressées aux responsables de l’ESA. Marc Sauvage pense que « l’ESA a vraiment sous-estimé le fait qu’il fallait non seulement mettre en place des équipes pour développer le projet mais aussi pour coordonner le développement du projet. Et ce manque est de la responsabilité de l’agence ».

Une astronomie infrarouge européenne à l’abandon ?

Résultat, l’astronomie infrarouge européenne est presque à l’arrêt. Si une partie peut se faire au sol, une bonne partie des observations de l’astronomie à infrarouge est impossible ici-bas du fait des variabilités d’atmosphère.

« Au sol, on développe beaucoup la très haute résolution spatiale. C’est très intéressant parce qu’on va voir des détails dans des objets individuels mais c’est plus compliqué de faire de grands relevés pour couvrir des grandes étendues du ciel ou couvrir de très grands nombres de sources. C’est plus facile à faire de l’espace », explique Marc Sauvage.

« La communauté scientifique qui existe aujourd’hui va devoir se reconvertir en terme thématique. Et s’il existe un projet d’astronomie infrarouge lointain spatial dans le prochain programme spatial européen, il sera fait par des personnes qui ne sont pas encore dans l’astronomie » déplore-t-il encore.

Commentaires (13)

Vous devez être abonné pour pouvoir commenter.

Abonnez-vous
votre avatar

Et bien, le genre de nouvelles qui te plombe un moment :/



Autant la décision pour des raisons budgétaire peut se comprendre (des fois le choix n’est pas permis).
Mais à quel moment l’arrêt d’un tel projet peut être fait sans même consulter/dialoguer avec les premiers concernés et, encore pire, sans même adresser à tous les concernés un message complet et détaillé justifiant ce choix ?

votre avatar

(reply:1832515:Norde) Pas de quoi se plomber la journée non plus, ce n ‘est pas un abandon complet de projet et mission pour raisons budgétaire, c’est juste une exclusion de la mission SPICA de la liste des projets candidats, il reste EnVision (Vénus, mission très intéressante et assez tendance avec cette histoire de phosphine) et Theseus, un télescope spatial gamma. Le point problématique ici c ‘est l’annonce un peu trop brutale á l’équipe du CEA.
Il faut savoir que ces projets ne sont pas non plus à un stade très avancé, cette article ressemble un peu à une tribune de Marc Sauvage qui chouine parce que sa mission n’est pas sélectionnée, mais c’est le jeu. Entre Theseus et EnVision une seule mission sera sélectionnée, plus tard, alors que plein d’équipes bossent dessus de chaque coté, y compris du personnel ESA.
C’est dur mais c’est comme ça.


votre avatar

Et qui plus est dire que l’astronomie infrarouge est au point mort en Europe c’est un peu gonflé, l’industrie et des labos européens sont pas mal impliqués dans le JWST, qui fait du proche infrarouge, et il y a suffisamment de données Herschel dans l’infrarouge lointain pour alimenter 30 ans de thèses et de papiers.

votre avatar

(reply:1832534:jack oneill)


Pas sur que l’équipe SPICA voit ça du même œil.
(ce n’est pas de moi que je parlait en parlant de “plomber”, mais bien des premiers concernés)

votre avatar

Norde a dit:


Pas sur que l’équipe SPICA voit ça du même œil.


C’est le jeu ma pauv’ Lucette. C’est rageant pour ceux qui ont participé au projet, je le comprend tout à fait mais c’est ainsi. Chouiner parce qu’on a appris la nouvelle un peu abruptement ne dénote pas non plus une force de caractère capable de mener le projet à bien, mais surtout un problème d’ego.



C’était le projet le plus ambitieux mais les 2 autres sont tout aussi enthousiasmant. Et comme le dit Jack O’Neill, y a des péta-octets de données à éplucher sur le sujet ;)

votre avatar

Je ne vois pas en quoi se plaindre d’un manque de respect dénote une “faiblesse de caractère” ou un problème d’ego.



C’est plutôt se faire jeter comme un vieille serviette sans broncher qui dénoterait une faiblesse de caractère.

votre avatar

Manque de respect… LOL
Ta réaction est symptomatique de la société actuelle, je je je. Sauf que le je atteint rapidement ses limites et cet article en est le parfait exemple.
Il est plus facile de rejeter la faute sur les autres que de se remettre en cause.



*Ce n’est pas une attaque personnelle einh, juste une position plus générale sur le sujet.

votre avatar

Ah je comprend mieux le message du dessus.
Un bon vieux reac des familles :troll:



Regarde bien la situation pour SPICA, c’est une décision prise pas un nombre de personne restreint qui touche un grand nombre de professionnels impliqués depuis des années.
Le “je je je” dans cette histoire, c’est celui/ceux qui bazardent un projet comme ça sans aucun respect pour les autres.



Comme le dit très justement fullero, là seule chose que l’on obtient avec ce genre de comportement idiots c’est de la rancœur qui ne manquera pas de s’exprimer à la première occasion.

votre avatar

Mais c’est le processus de sélection ! Oui un petit nombre de personnes à l’ESA et aux réunions annuelles ministérielle prend cette décision et non les scientifiques impliqués dans chaque projet n’y prennent pas part puisque chaque proposal est traité comme dans un appel d; offre publique où chaque équipe défends son projet.
Chacune des 3 missions en lisse à eu droit à une étude complète au cours des deux dernières années en concurrent design pour évaluer le design et le coût préliminaire, et là pour le coup chaque équipe scientifique était impliquée ainsi qu’une chiée d’ingénieurs de l’ESA/JAXA/NASA, et à la fin une décision à été prise. C’est comme ça que ça a toujours fonctionné ! Si ces études préliminaires ont montré que cette mission n’est pas viable avec le budget prévu, il est normal que la mission soit évincée.
Et oui je résultat est communiqué par une lettre officielle par email/courrier, non il n’y a pas une cérémonie avec tapis rouge pour les perdants et auto flagellation du directeur Science de l’ESA pour s’excuser.



Je bosse à l’ESA, j’ai bossé en support pour certaines de ces 3 missions, et pour avoir côtoyé pendant mes études/thèse le milieu de la planéto et astrophysique en France (et le monde, et je continue de bosser avec eux), oui certains ont des égos démesurés et pourrissent l’ambiance.

votre avatar

J’espère qu’ils consacreront le budget ainsi économisé pour finir de déployer la 3G en France (je n’ose même pas parler de la 4G)

votre avatar

Le travail reste un temps de vie dépensé pour atteindre un but.
Le travail mérite toujours le respect parce que s’ emmerder dans la vie pour un résultat incertain plutôt que s’ éclater à se faire du bien en toute liberté je ne vois pas trop l’ intérêt.
En dehors des problèmes d’ ego eu égard au temps de vie payé de sa personne, la façon dont s’ est fait la communication manque d’ intelligence.
On reçoit le respect qu’ on se souhaite et pour la prochaine fois, je ne pense pas que les équipes en attribueront le moindre à ces décideurs.
Quand à la force de caractère, ce n’ est pas forcément en criant le plus fort qu’ on aperçoit son existence mais après un tel coup comment ne pas se plaindre ?
Les commissariats sont remplis de gens avec énormément de force de caractère qui ont fait énormément de conneries et les expériences de psychologie clinique démontre le contraire.
fr.wikipedia.org Wikipedia

votre avatar

(reply:1832771:jack oneill)
Alors je ne connais pas Marc Sauvage en particulier donc je ne me prononcerai pas de manière génerale, mais là, il chougne. Il était déjà responsable d’un des instruments sur Herschel, c’est déjà le travail d’une vie de scientifique d’avoir son bébé sur une mission aussi importante et couronnée de succès.


votre avatar

Question naïve :
Est-ce que cela ne va pas pourrir les relations en l’Esa et la Jaxa ?

L’ESA exclut brutalement le projet de télescope spatial infrarouge de ses prochaines missions

  • Un abandon contesté en interne

  • Un processus normalement très encadré

  • Une mission M un peu spéciale

  • Une astronomie infrarouge européenne à l’abandon ?

Fermer