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Ondes gravitationnelles : les détections LIGO-Virgo ouvrent « une nouvelle page de l’exploration du cosmos »

#BalanceTonOnde

Ondes gravitationnelles : les détections LIGO-Virgo ouvrent « une nouvelle page de l’exploration du cosmos »

Le 23 novembre 2020 à 16h17

Depuis la première détection des ondes gravitationnelles en 2016, les observations se multiplient. On en a désormais une cinquantaine, mélangeant des trous noirs et/ou des étoiles à neutrons. Cette moisson est due à des améliorations régulières dans les détecteurs. D’autres mesures sont déjà en cours d’analyse.

Le 11 février 2016, une annonce était faite par les scientifiques des collaborations LIGO et Virgo : « la première observation directe d'ondes gravitationnelles ». Une découverte importante, puisqu’elle permettait de valider une des prédictions de la théorie de la relativité générale d’Albert Einstein.

Depuis, les observations directes des ondes gravitationnelles se sont multipliées, souvent entre deux trous noirs, mais aussi parfois avec des étoiles à neutrons ouvrant ainsi la voie à une « nouvelle astronomie ». Fin 2017, un troisième instrument venait s’ajouter aux deux détecteurs, permettant ainsi de déterminer avec plus de précision la provenance des ondes gravitationnelles (via une technique de triangulation).

De plus, au fil des années, les instruments LIGO et Virgo se sont améliorés, donnant toujours plus de résultats. Sur le troisième « run » des deux laboratoires, ce sont ainsi pas moins de 39 événements qui ont été relevés… alors qu’on n’en avait identifié aucun seulement cinq ans en arrière.

Trois « Observation runs », avec des améliorations à chaque fois 

Tout d’abord un rappel important sur le fonctionnement des détecteurs d’ondes gravitationnelles qui utilise le principe de l’interféromètre de Michelson. Un faisceau laser est envoyé, puis divisé en deux par une lame séparatrice (un miroir). Chaque moitié fait alors des allers-retours dans un des deux bras de plusieurs kilomètres de long, placés à 90° l’un de l’autre. On regarde ensuite s’il existe un décalage entre les deux parties du faisceau, ce qui serait le signe d’une « déformation » de la structure par des ondes gravitationnelles.

La précision joue un rôle primordial dans ce genre d’expérience, car les déformations sont infimes. Celles causées par l’onde détectée en février 2016 provoquent « une variation relative des dimensions de 10^⁻²¹, soit une déformation d’une petitesse inimaginable, de l’ordre d’un centième de millimètre sur une année-lumière, ou quelques centièmes du diamètre d’un atome par rapport à celui du Soleil », explique l'Université de Liège.

LIGO dispose de deux interféromètres aux États-Unis. Le premier à Hanford – baptisé H1 – dans l’État de Washington, et le second à Livingston – L1 – en Louisiane. De son côté, Virgo est une réalisation franco-italienne qui se trouve à Pise en Italie. LIGO existe depuis le début des années 2000, mais les détecteurs ont été améliorés au fil des années, avec diverses campagnes de mesures. Advanced LIGO a ensuite été mis en service en 2015.

Un « Observation run 1 » – alias O1 – a été lancé dans la foulée, en septembre 2015 pour se terminer en janvier 2016. Durant cette phase, trois événements ont été observés, dont celui du 14 septembre 2015, à 11h51 (9h51 GMT) précisément, qui avait donné lieu à la grande annonce de février 2016. Les deux détecteurs LIGO avaient alors enregistré des variations similaires, avec 7 millisecondes d’écart.

LIGO Virgo

Advanced Virgo se joint à la fête le 1er août 2017

Une fois O1 terminé, les instruments sont mis en pause pendant plusieurs mois afin de les améliorer. Le second « run » est lancé en novembre 2016 pour se terminer en août 2017. Au début, les deux détecteurs LIGO étaient seuls, mais ils ont été rejoints par Advanced Virgo le 1er août 2017, soit un peu moins d’un mois avant la fin de cette période d’observation.

L’intérêt d’un troisième détecteur n’est pas à prendre à la légère : « Bien que la sensibilité d’Advanced Virgo soit pour l’instant encore inférieure à celle de Advanced LIGO, elle est suffisante pour confirmer une détection potentielle de Advanced LIGO et elle permettrait de localiser les sources d'ondes gravitationnelles dans le ciel avec une bien plus grande précision », explique l’unité de recherche Artemis.

Pour quelques dizaines de mégaparsecs de plus

Voici un rappel de la précision de chaque détecteur pendant les trois runs d’observation, en Mpc pour mégaparsec (un parsec valant a peu près 3,26 années-lumière) : 

LIGO Virgo Crédits : Virgo

Virgo donne quelques explications sur ces valeurs, mais sachez simplement que plus c’est élevé mieux c’est : « la sensibilité d’un détecteur d’ondes gravitationnelles comme Advanced Virgo est souvent rapportée à un nombre unique, le « BNS range ». Il s’agit de la distance à laquelle le signal produit par la fusion d’un système de deux étoiles à neutrons (« BNS » pour « Binary Neutron Stars ») pesant chacune 1,4 masse solaire donne un rapport signal-sur-bruit de 8 avec la méthode du filtrage optimal de Wiener. Cette distance est moyenne sur toutes les positions possibles de la source dans le ciel et sur toutes les orientations possibles du système binaire ».

Pour O3a, « la sensibilité des détecteurs a été considérablement accrue depuis la précédente campagne en 2017. La distance limite d'observation a été approximativement doublée », explique le laboratoire AstroParticule et Cosmologie (APC), une Unité Mixte de Recherche (UMR) créé en 2005.

L’APC ajoute que « les données recueillies sont analysées en ligne en quelques minutes. Des alertes sont diffusées lorsque des événements notables sont identifiés, ce qui permet la recherche d'éventuelles contreparties électromagnétiques et neutrinos. La campagne O3 s'annonce très prometteuse, car déjà deux alertes ont été publiées en 10 jours d'observation ». Un an plus tard, l’heure est au bilan.

39 événements en seulement six mois

Durant les deux premiers runs, une dizaine d’événements ont été détectés par la collaboration LIGO-Virgo. Le troisième run O3 a débuté le 1er avril 2019 et devait durer un an, en deux parties : O3a du 1er avril au 1er octobre 2019, puis O3b jusqu’au 27 mars 2020. 

Durant la seule période O3a, les scientifiques ont observé 39 événements, qui « impliquent le plus souvent trois trous noirs : les deux trous noirs initiaux et le trou noir résultant de la fusion ». Ainsi, le nombre total de trous noirs observé s'élève donc à plus de 100.

Sur les 39 événements, 26 « ont été détectés en temps réel et ont fait l’objet d’alertes publiques tandis que les 13 autres sont nouveaux ». 

LIGO Virgo

Trous noirs, étoiles à neutrons et systèmes « hybrides »

Dans le détail, le catalogue comprend « 36 fusions de systèmes binaires de trous noirs, une probable fusion de deux étoiles à neutrons et deux systèmes probablement "hybrides", formés d’un trou noir et d’une étoile à neutrons ». Cela « représente une somme d’informations et de données sur la physique des trous noirs qu’on aurait eu peine à imaginer il y a encore quelques années », explique le CNRS.

Une pluie de résultats, notamment rendue possible par des améliorations sur Virgo afin d’optimiser de nombreux composants du détecteur et ainsi améliorer largement sa sensibilité à toutes les fréquences, qui « a doublé » affirme Ilaria Nardecchia, chercheuse à l’Université de Rome Tor Vergata et membre de la Collaboration Virgo.

LIGO aussi a eu droit à des améliorations. Ainsi, « la distance jusqu’à laquelle une source donnée (par exemple une fusion de deux étoiles à neutrons, la source de référence la plus couramment utilisée) était détectable a cru également, ce qui a entraîné une augmentation spectaculaire du volume d’Univers observé (proportionnel au cube de la distance) : par exemple d’un facteur six pour Virgo entre la fin de O2 et le début de O3a ». Une plus grande étendue à observer et donc plus d’événements détectés. 

« Au-delà de notre compréhension de l’évolution des étoiles »

« En plus d’écrire une nouvelle page de l’exploration du cosmos par l’humanité, nous voyons maintenant des sources dont nous n’étions pas sûrs de l’existence auparavant ou qui vont au-delà de notre compréhension de l’évolution des étoiles », lâche Ed Porter, directeur de recherche CNRS au laboratoire APC (Paris) et lui aussi membre de la Collaboration Virgo.

« En fait, les données du nouveau catalogue posent de sérieuses questions sur la validité de certains scénarios de formation ou modèles astrophysiques, parmi ceux qui semblaient jusqu’alors les plus plausibles », ajoute le CNRS. Cela remet en cause des limites « théoriques comme expérimentales », explique Virgo.

C’est par exemple le cas de certains trous noirs, qui « ont une masse comprise entre 65 et 120 masses solaires, un intervalle interdit par les modèles d’évolution stellaire. D’après ces derniers, les étoiles les plus lourdes sont, au-delà d’un certain seuil en masse, totalement détruites lors de l’explosion en supernova ».

On attend maintenant le run O3b, puis O4 et O5

Les scientifiques planchent maintenant sur l’analyse finale des données du run O3b. « Le grand nombre d’événements qui restent à étudier promet une troisième édition du catalogue au moins aussi excitante que celle publiée aujourd’hui », s’enthousiasme Giovanni Losurdo, chercheur INFN et porte-parole de la Collaboration Virgo.

Notez que le détecteur japonnais KAGRA s’est joint à la fête depuis décembre 2019 (pour le run O3b donc). Un accord a été signé avec LIGO et Virgo, qui « couvre les recherches communes d’ondes gravitationnelles ainsi que le partage des données scientifiques pour les prochaines années ; il prévoit également l’élargissement de la collaboration dans le futur, grâce à l’arrivée de nouveaux partenaires ».

« En parallèle, nous faisons tout notre possible pour améliorer encore de manière significative le détecteur Virgo, afin de faire progresser sa sensibilité en vue de la prochaine prise de données », ajoute-t-il. Baptisée O4, elle se déroulera dans le courant 2022.

Sachez que trois articles scientifiques ont été mis en ligne simultanément lors de la publication du catalogue O3b :

« Ces articles sont très importants et marquent une étape supplémentaire sur la route longue et excitante que nous suivons depuis quelques années », affirme Giovanni Losurdo en guise de conclusion.

Commentaires (8)

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Pourquoi à chaque fois ça m’évoque:
youtube.com YouTube:oops:

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Prochaine étape, LISA. Avec un interféromètre géant dans l’espace …

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Avec une telle sensibilité, comment font-ils pour filtrer les mouvements parasites ? Par exemple, si une coccinelle saute de joie à l’idée qu’elle pourra bientôt s’envoler sans attestation dérogatoire, comment différencier l’événement d’une véritable onde gravitationnelle ?

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olt01 a dit:


Avec une telle sensibilité, comment font-ils pour filtrer les mouvements parasites ? Par exemple, si une coccinelle saute de joie à l’idée qu’elle pourra bientôt s’envoler sans attestation dérogatoire, comment différencier l’événement d’une véritable onde gravitationnelle ?



  1. il faut une énergie gigantesque pour déformer l’espace temps

  2. les fréquences de ces déformations sont connues depuis presque 30 ans avec précisions. Et les détecteurs sont prévus pour, le reste n’est pas capté

  3. dans un reportage d’une heure sur LIRGO, 30 mn était consacré à… la réduction du bruit. Tout peut produire du bruit, et LIRGO a fonctionné plus d’un an “pour écouter son propre bruit”



C’est vraiment horriblement compliqué de détecter ce genre de choses. A tel point que la première onde captée a été annoncé quelques jours plus tard, le temps que l’autre détecteur vérifie dans ses données et élimine toute source de bruit de son coté aussi.

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olt01 a dit:


Avec une telle sensibilité, comment font-ils pour filtrer les mouvements parasites ? Par exemple, si une coccinelle saute de joie à l’idée qu’elle pourra bientôt s’envoler sans attestation dérogatoire, comment différencier l’événement d’une véritable onde gravitationnelle ?


La question est bonne et la métaphore m’a fait rigoler :bravo:



À ce que j’ai compris, il y a déjà plusieurs niveaux d’isolation successive depuis l’extérieur, près de 7 je crois. Ça doit par exemple isoler aussi des vibrations dues aux (souvent modestes) vagues qui tombent sur la plage à quelques kilomètres de là, pour l’installation italienne.




linkin623 a dit:




  1. dans un reportage d’une heure sur LIRGO, 30 mn était consacré à… la réduction du bruit. Tout peut produire du bruit, et LIRGO a fonctionné plus d’un an “pour écouter son propre bruit”


Intéressant, merci.

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linkin623 a dit:




  1. il faut une énergie gigantesque pour déformer l’espace temps

  2. les fréquences de ces déformations sont connues depuis presque 30 ans avec précisions. Et les détecteurs sont prévus pour, le reste n’est pas capté

  3. dans un reportage d’une heure sur LIRGO, 30 mn était consacré à… la réduction du bruit. Tout peut produire du bruit, et LIRGO a fonctionné plus d’un an “pour écouter son propre bruit”



C’est vraiment horriblement compliqué de détecter ce genre de choses. A tel point que la première onde captée a été annoncé quelques jours plus tard, le temps que l’autre détecteur vérifie dans ses données et élimine toute source de bruit de son coté aussi.


LIRGO? :keskidit:
LIGO et VIRGO ont été fusionnés? :transpi:

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Patch a dit:


LIRGO? :keskidit: LIGO et VIRGO ont été fusionnés? :transpi:


:cartonjaune: ça va s’est pareil :inpactitude2:

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Patch a dit:


LIRGO? :keskidit: LIGO et VIRGO ont été fusionnés? :transpi:


Haha j’avais même pas fait gaffe :bravo:

Ondes gravitationnelles : les détections LIGO-Virgo ouvrent « une nouvelle page de l’exploration du cosmos »

  • Trois « Observation runs », avec des améliorations à chaque fois 

  • Advanced Virgo se joint à la fête le 1er août 2017

  • Pour quelques dizaines de mégaparsecs de plus

  • 39 événements en seulement six mois

  • Trous noirs, étoiles à neutrons et systèmes « hybrides »

  • « Au-delà de notre compréhension de l’évolution des étoiles »

  • On attend maintenant le run O3b, puis O4 et O5

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