Private Click Measurement, la proposition d’Apple pour mesurer anonymement les clics publicitaires
Pomme immaculée
Le 04 février 2021 à 16h06
10 min
Internet
Internet
Apple, très active actuellement sur la vie privée et la collecte des données personnelles, vient de publier un article détaillant Private Click Measurement sur le blog du moteur de Webkit. Cette méthode doit permettre aux parties intéressées la collecte des clics sur les publicités depuis les applications et pages web sur iOS.
Vrai cheval de bataille pour les uns, simple stratégie pour les autres, Apple a déclenché une véritable guerre pour la vie privée. Dans ce chahut, l’entreprise se heurte de plein fouet à Facebook, que des rumeurs décrivent comme en préparation d’une plainte contre la firme de Cupertino pour abus de position dominante.
Jusqu’à récemment, la stratégie d’Apple se basait sur un constat simple : après un échec dans le domaine de la publicité, les données personnelles ne faisaient plus partie des options envisageables. Relativement neutre sur le sujet pendant longtemps, le discours de l’entreprise prit donc une nouvelle tournure : désormais, tout serait axé sur le respect de la vie privée. Et effectivement, le message est renforcé année après année.
Aucun service de l’entreprise ne collecte de données personnelles pour du ciblage publicitaire. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’elle n’en collecte pas. Certaines informations se retrouvent prises dans l’utilisation de plusieurs services pour certains besoins, comme la personnalisation des recommandations sur des services comme Music.
Mais, tous produits confondus, la plupart des opérations de machine learning sont désormais effectuées sur l’appareil, comme la reconnaissance des visages sur les photos par exemple.
De la stratégie à la guerre ouverte
Depuis le 1er janvier cependant, la stratégie s’est faite plus guerrière. Les fiches des applications dans l’App Store doivent arborer le détail des données personnelles récoltées et la manière dont elles sont utilisées. Au grand dam de Facebook, dont les applications – tout particulièrement Messenger – ressortent bien peu grandies.
Mais c’est avec le futur iOS 14.5, actuellement en bêta, qu’Apple va porter un coup sévère aux entreprises vivant du pistage publicitaire, en tout premier lieu Facebook et Google. Lorsqu'elle sera déployée, toute application voulant accéder à l’identifiant unique publicitaire (IDFA) devra en demander l’autorisation à l’utilisateur, suivant le RGPD.
Si celui-ci refuse, l’application ne pourra obtenir les informations d’utilisation transversales, c’est-à-dire récoltées à travers d'autres applications. Facebook et Google préparent donc les développeurs tiers à ce changement, qui passe notamment par SKAdNetwork, un nouveau socle proposé par Apple pour obtenir des données anonymisées.
SKAdNetwork positionne iOS et plus particulièrement l’App Store comme éléments centraux de la collecte. À ceci près que les données sont agrégées et – normalement – débarrassées de tout élément qui pourrait conduire à l’identification. Le résultat est peu ou prou le même pour les publicitaires, avec par exemple les conversions, c’est-à-dire quand une publicité mène à une action spécifique, comme le téléchargement d’une application.
Apple s’attaque maintenant aux campagnes publicitaires et à la mesure des clics
Dans les actuelles bêtas 14.5 d’iOS et iPadOS, les développeurs web peuvent « s’amuser » avec une nouvelle fonction baptisée Private Click Measurement (PCM). Elle est conçue pour permettre aux parties intéressées de mesurer le nombre de clics dans une page web ou une application.
Pourquoi proposer une nouvelle méthode ? Parce qu’en plus du reste, Apple a aussi déclaré la guerre aux cookies. La bataille a commencé à l’automne 2017 avec la première mouture de l’Intelligent Tracking Protection (ITP). Elle utilise le machine learning pour déterminer si les cookies ont un droit « légitime » d’accéder aux données de navigation. Comprendre, séparer par exemple les cookies servant à stocker les paramètres d’un site de ceux uniquement là pour pister les habitudes des internautes.
Avec iOS/iPadOS 13.4 et Safari 13.1 pour macOS, cette lutte est montée d’un cran avec le blocage complet et par défaut de tous les cookies tiers. En outre, les données de chaque site étaient purgées tous les sept jours. Ce qui avait fait dire à certains que l’entreprise cherchait à tuer les Progressive Web Apps, sa position étant bien connue : Apple ne jure que par le code natif. La situation, on l’a vu, est nettement plus nuancée.
Rêvant sans doute d’un futur entièrement débarrassé des cookies, Apple devait donc préparer un nouveau terrain pour transmettre certaines informations, notamment les clics publicitaires. Car à l’inverse d’un iOS et de son App Store, une technologie web ne fonctionne pas si elle n’est pas reprise par une masse critique d’acteurs.
Le fonctionnement de Private Click Measurement
Comment fonctionne Private Click Measurement ? D’abord, cette fonction est active par défaut dans Safari sur iOS/iPadOS 14.5. Elle couvre deux cas de figure : la navigation classique dans le navigateur et les pages web ouvertes dans des vues déportées (SFSafariViewController
) par les applications tierces. L’utilisation des WebViews n’étant pas couverte, les navigateurs tiers ont quartier libre.
Apple donne un exemple : un utilisateur clique sur un lien, qui l’amène à travers différents domaines jusqu’à une page finale. Sur cette dernière, un mécanisme de suivi peut demander – jusqu’à sept jours après – à connaitre les clics qui ont amené l’internaute jusque-là. On a d’un côté un identifiant de source d’attribution (attributionsourceid
) sur 8 bits, capable donc d’identifier jusqu’à 256 campagnes publicitaires en parallèle. De l’autre, attributeon
, codé sur 4 bits, permettant donc de reconnaitre jusqu’à 16 évènements de conversion.
Si un clic sur une publicité de social.example a emmené l’utilisateur sur shop.example, l’attributionsourceid
est stocké comme clic pour sept jours. Cette donnée est stockée par le navigateur, mais n’est pas directement accessible aux sites. PCM ne fonctionne qu’en eTLD+1, pour éviter que des sous-domaines ne soient créés pour chaque internaute.
Ces valeurs de 8 et 4 bits ont été choisies pour permettre une certaine souplesse, sans pour autant être assez précis pour lier les informations à une personne en particulier. Les informations collectées sont envoyées en HTTPS depuis une fenêtre dédiée en navigation privée sans le moindre cookie, sous la forme de rapports expédiés entre 24 et 48 heures après leur création. Ceci, selon l’équipe de Webkit, pour dissocier l’envoi de tout autre évènement.
Dans le cas d’une application, le fonctionnement de base reste le même, avec une convention de nommage différente. Attributionsourceid
devient sourceIdentifier
, attributeon
devient destinationURL
, etc.
À la manière de SKAdNetwork, l’objectif n’est donc pas de casser le marché de la publicité, mais d’arriver plus ou moins au même résultat avec des données anonymisées. Les entreprises continueront de voir que quelqu’un a cliqué sur une pub et même que cette personne est allée jusqu’à un achat, mais ne pourront plus savoir qui.
« Aucun annonceur, vendeur ou même Apple ne peut voir quelles publicités sont cliquées ou quels achats sont réalisés. Cette solution évite de placer sa confiance dans l’une des parties impliquées – le réseau publicitaire, le vendeur ou d’autres intermédiaires – afin qu’aucun d’entre eux ne puisse pister les utilisateurs pendant qu’ils cliquent sur des publicités ou achètent des produits sur Safari », vante l’entreprise.
Quelques précisions. D’une part, l’utilisation du mode de navigation privée bloquera l’enregistrement des données par PCM. D’autre part, les bloqueurs de publicités pourront ajouter des paramètres pour détecter et bloquer le chemin .well-known
, aboutissant au blocage de PCM, donc à sa collecte.
Enfin, les options de Safari dans iOS 14.5 reçoivent deux nouvelles capacités : un bouton pour supprimer l’ensemble des données enregistrées par PCM, et un autre pour désactiver la fonction.
Apple veut faire de PCM un standard
Private Click Measurement n’est pas à proprement parler une nouveauté. La première version de la fonction a été présentée en 2019 par l’équipe de Webkit. Le nom final est plus récent et son fonctionnement a été débattu au sein du groupe Privacy Community du W3C et sur GitHub.
Si PCM est débattu au W3C, c’est qu’Apple compte en faire un standard. Mais avant que le processus ne démarre, il faut que la technologie ait fait l’objet de deux implémentations indépendantes. Apple est donc actuellement en pourparlers avec Mozilla, Brave, Google ou encore Microsoft pour une intégration à leurs navigateurs.
En attendant, PCM est présent dès la première bêta d’iOS 14.5, ce qui peut d’ailleurs soulever quelques sourcils : pourquoi intégrer une technologie qui n’a même pas entamé son chemin vers la standardisation ?
Apple donne plusieurs raisons. D’abord la nécessité de collecter des retours par l’ensemble des acteurs concernés : annonceurs, développeurs web, analystes et ainsi de suite. Ensuite, la société a préféré donner la même chose à tout le monde, plutôt qu’une approche par partenaires dument sélectionnés. Enfin, parce qu’en dehors de quelques exceptions, « la fonctionnalité et les données d’attribution sont stables », tout particulièrement le choix des 8 bits côté source du clic et des 4 bits côté attribution.
Certains éléments ne sont en effet pas finalisés et d’autres sont en préparation. Le plus important est sans conteste le mécanisme de prévention des fraudes par l’utilisation de jetons sans lien. On imagine que les annonceurs préfèreront attendre qu’une telle protection soit en place avant de se jeter sur PCM. Apple prévoit également d’utiliser une API JavaScript moderne pour déclencher les évènements, plutôt que le classique (et vieux) pixel. Le support des liens PCM dans les iframes imbriqués est lui aussi prévu.
Encore une fois, il n’est pas question de casser le marché de la publicité en bloquant leur personnalisation si rémunératrice. Mais à Cupertino, on propose de le faire de manière plus « vertueuse », qui par définition casserait la capacité de certaines entreprises à constituer des dossiers entiers d’habitudes, basés sur des informations identifiantes. Et si SKAdNetwork peut déplaire comme solution 100 % Apple, Private Click Measurement aurait l’avantage d’être plus générique. Une étape... qui pour l’instant reste à accomplir.
Private Click Measurement, la proposition d’Apple pour mesurer anonymement les clics publicitaires
-
De la stratégie à la guerre ouverte
-
Apple s’attaque maintenant aux campagnes publicitaires et à la mesure des clics
-
Le fonctionnement de Private Click Measurement
-
Apple veut faire de PCM un standard
Commentaires (9)
Vous devez être abonné pour pouvoir commenter.
Déjà abonné ? Se connecter
Abonnez-vousLe 04/02/2021 à 20h20
Article intéressant même si quelques passages sont obscures. Il m’a fallu quelques secondes pour comprendre eTLD+1
D’une façon général dans vos articles Apple et vie privée il manque une critique sur l’ouverture du code. Ici Apple vente que sa solution permet de ne plus avoir a faire confiance a un tiers. Mais si, à Apple justement. Il faut les croire sur parole que iMachin fait bien ce qu’ils disent que ca fait…
On attendra donc l’arrivée de PCM sur Brave ou Firefox avant de se réjouir pour la vie privée.
Le 04/02/2021 à 20h43
Il faut aussi une pression coté utilisateur, par exemple j’en ai parlé sur le forum insider de edge, pour poussé les user eux meme a demandé la feature.
Si ca peut aider a réduire le tracking “sauvage” par un tracking qui permet au publicitaire de vivre sans y laissé la totallité de notre vie privé, c’est du Win-Win
Le 04/02/2021 à 21h10
Heu c’est pas du tout 4 bits ce que je vois sur l’image, ça se rapproche plus de 20o=160b, peut-être même une longueur arbitraire. À moins que je n’aie loupé quelque chose?
Le 05/02/2021 à 00h57
Comme dit une p de pub énervante au possible : “Malinx, l’Applenx !” (Ah ben nan marche pas)
Astuce digne d’un prestidigitateur : tu le veux le kouki, tu le veux le kiki ? Attrape ! Et hoooop, anonymisé !
@Watom : pour répondre à tes inquiétudes, si c’est validé par le W3C, alors c’est forcément open source, intégré à la page par le site coté serveur et ne dépends pas directement de la Pommette…
Euh enfin normalement ? C’est pas eux qui attribuent les ch’ti numéros anonymisés, nan ?
Le 05/02/2021 à 17h14
Pourquoi pas. C’est pas idiot du tout comme fonctionnement.
Après, si cela devient un standard, tant mieux. Mais ce PCM deviendra forcément désactivable (peut être pas sur Safari, certes) et donc finira désactivé petit à petit. Donc la solution n’empêchera pas les publicitaires de contourner le mécanisme.
Comme 100% des autres features du browser en fait. Globalement c’est vrai pour tout logiciel : tu dois croire sur parole que le logiciel fait ce qu’il dit. Même pour un soft opensource si ce n’est pas toi qui l’a compilé.
La question qu’il faut plutôt se poser c’est : quel intérêt Apple aurait à mentir ? Certes Apple pourrait renier ses “valeurs marketing” et vendre quand même du tracking aux copains. Mais dans ce scénario, imagines-tu la bombe à retardement pour Apple que représenterait un tel contrat avec une entreprise publicitaire ? Le risque serait considérable pour des clopinettes par rapport à leurs milliards de bénéfices dus à une image “vertueuse” construite sur des décennies ?
Quand t’es la seule boite tech au monde à pouvoir marger en centaines de $ sur un smartphone, t’as assez peu d’intérêt à jouer au con pour revendre 3 clics horodatés sur une publicité.
Le 07/02/2021 à 01h39
OK pour utiliser le filon de la poule aux œufs d’or tant que ça marche aujourd’hui.
Mais quelle garantie peut avoir le consommateur que la société ne va pas revendre les données accumulées le jour ou le marché sera différent?
Si dans 30ans, 30ans de conso valent + qu’un i-toy, la société saura s’adapter ?
Le 07/02/2021 à 08h26
Je suis d’accord sur le principe. Mais peut être aussi faut-il regarder ce que collecte Apple aujourd’hui : à priori pas grand chose ne sort d’iOS vers les serveurs d’Apple par exemple. De même sur MacOS, on le voit bien, dès qu’ils mettent en place un truc à l’arrache qui crée une fuite de données, ils se prennent une shitstorm.
Un exemple assez marrant du peu de contrôle qu’Apple a sur tes données (et je dis bien Apple en tant qu’entité, pas iOS en tant qu’OS) : quand tu fais jouer ton droit de rétractation sur l’App Store, ils te remboursent immédiatement mais l’application reste sur ton téléphone et fonctionne toujours. C’est une anecdote évidemment, mais il était impossible de désactiver à distance ou vérifier la légitimité d’une application sans communiquer à Apple quelle appli tu utilises et quand.
Là où je te rejoins c’est qu’évidement il ne faut prendre pour argent comptant que les faits actuels et ne pas en faire un acquis pour le futur.
Le 07/02/2021 à 08h48
Effectivement, c’est extrêmement dur de parier sur la manière dont vivra une entreprise dans 30 ans.
Je pense néanmoins que changer autant de fonctionnement est très difficile pour une si grosse boîte.
Je pense par exemple à Microsoft qui a essayé de diversifié en mettant de la pub dans outlook, récupérer plus d’informations dans Windows,… Ils ont dû faire machine arrière car les professionnels ne leur faisait plus confiance.
Un autre cas emblématique est Google qui, malgré toutes sa puissance financière n’arrive pas à trouver une autre ressource stable que leur moteur de recherche avec la publicité. YouTube a été une exception, mais c’est un logiciel qui a été racheté.
Pour revenir aux données d’Apple, à ma connaissance, le seul point embêtant auxquels ils peuvent accéder est le contenu d’ICloud. Tout le reste a été étudié pour que ça fonctionne avec leur puce sécurisée incassable pour le moment même pour eux (voir toutes les tentatives de justice américaines pour y accéder et la difficulté des entreprises spécialisée).
Pour ICloud d’ailleurs, je pensais qu’ils avaient tout changer pour éviter qu’une cour de justice leur demande l’accès aux données serveur. Ça n’a jamais été fait et ils ont encore la clé maître ?
C’est sûr que ne rien donner aux entreprises est le moyen le plus sûr d’éviter leur exploitation.
Mais il faut y inclure également les logiciels open source car rien ne dit qu’une entité malveillant n’y a pas glisser un bout de code pour accéder à toutes les données, comme le dit jpaul
Le 06/02/2021 à 19h35
Au niveau des technos web, c’est fréquent qu’un acteur développe une solution a un problème puis le propose au W3C.
Le Manifest, une des possibilités techniques à la base pour les PWA a par exemple était mis en place dans Chrome. Ça semblait une bonne idée mais l’expérience a montré qu’il y a des soucis techniques insolubles de cette manière. Donc la proposition a été abandonné en cours d’écriture.
Les différentes intégrations dans les navigateurs permettent de tester les cas réels pour faire évoluer la spécification. Par exemple le système de grille en CSS a eu 3 implémentation différentes qui ont cohabité avant sa version finale. C’est un vrai casse tête pour les développeurs webs…
Le business model d’Apple est la vente d’une expérience unifiée et sûre pour l’utilisateur. Je l’imagine mal se tirer une balle dans le pied pour faire un petit plus d’argent avec la pub.
Par contre, ils ont dû être content de leur trouvaille pour gêner les concurrents en appuyant au bon endroit 😅