La France se rêve en « champion de l’IA » : plus de milliards sur la table, formations et objectifs
Intelligence artificielle, argent réel
Le 17 novembre 2021 à 13h50
9 min
Sciences et espace
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Le gouvernement a annoncé il y a quelques jours la « deuxième phase de la stratégie nationale pour l’IA », avec 2,2 milliards d’euros à la clé. La majorité des crédits iront à la formation, avec notamment la création d’un Portail national. Il est aussi prévu de recruter « 15 scientifiques étrangers d’envergure mondiale ».
Début 2018, le député Cédric Villani publiait son épais rapport sur la stratégie nationale et européenne en matière d'intelligence artificielle. Emmanuel Macron lui emboitait le pas et dévoilait le plan du gouvernement sur l'IA, qui s’appuyait sur ce rapport dont il reprenait certaines propositions.
- Intelligence artificielle : décortiquons les 235 pages du rapport de Cédric Villani
- Intelligence artificielle : des propositions de Cédric Villani au discours d'Emmanuel Macron
Une première phase avec 1,5 milliard d’euros de budget. Comme prévu, ce plan a « conduit à la création et au développement d’un réseau d'instituts interdisciplinaires d’intelligence artificielle (3IA) [MIAI à Grenoble, 3IA Côte d’Azur à Nice, PRAIRIE à Paris et ANITI à Toulouse, ndlr], le soutien à des chaires d’excellence en IA, le financement de programmes doctoraux et l’investissement dans les capacités de calcul de la recherche publique (Jean Zay) ».
Que sont devenues les propositions de 2018 ?
Le gouvernement se félicite donc des retombées. On l'imaginait de toutes façons mal faire l'inverse. Quelques chiffres ont été donnés pour l'occasion : « 190 chaires de recherche environnées qui ont été financées », « une extension très substantielle des programmes doctoraux de recherche, avec près de 370 contrats de thèse supplémentaires, dont une centaine de thèses en entreprise CIFRE, soit 500 nouveaux docteurs en IA au total ».
Il est également précisé que, « depuis 2018, de nombreuses entreprises étrangères ont choisi notre pays pour y implanter leurs laboratoires IA ou pour les renforcer : Cisco, DeepMind, Facebook, Fujitsu, Google, HPE, IBM, Intel, Microsoft, NaverLabs, SAP ». Que ces implantations soient ou non liées à la stratégie nationale sur l’IA et à diverses subventions éventuellement récupérées au passage, elles participent à une lame de fond sur le sujet.
Qu’en est-il des autres propositions comme viser 40 % d’étudiantes dans les filières numériques d’ici 2020, développer la transparence et l’audit des algorithmes – Parcoursup n’est toujours pas ouvert, et dans le service public les choses avancent doucement – ou la revalorisation des carrières dans la recherche publique en améliorant l’attractivité de la France ? Ce n’est malheureusement pas précisé...
L’IA en France : 502 startups avec 13 459 personnes
« Malgré le nombre limité de grandes entreprises numériques au sein de sa base industrielle, la France a su nourrir un écosystème de startups en IA extrêmement dynamique […] Les créations d’entreprises axées sur l’IA couvrent tous les domaines technologiques, toutes les verticales fonctionnelles des organisations et la plupart des secteurs d’activité ». En 2021, il est ainsi recensé 502 startups spécialisées en IA, soit une hausse de 11% par rapport à 2020.
Elles emploient « 13 459 personnes en 2021 (pour 70 000 emplois indirects générés), c’est-à-dire une augmentation de 35 % par rapport à 2020 (10 008 employés) ». Ces entreprises prévoient en outre de recruter plus de 9 000 personnes en 2022, selon France Digitale. On pense également à des acteurs comme Hugging Face qui se démarquent en proposant un service répondant à une demande propre à ce marché.
La startup, qui a levé 40 millions d'euros en début d'année, propose en effet des modèles et jeux de données prêts à l'emploi, mais va plus loin, se présentant comme une sorte de « GitHub du ML ». Elle propose ainsi des services comme ses Spaces qui permettent d'héberger « simplement » des applications exploitant certains modèles, met à dispositions de nombreuses ressources, des outils d'optimisation et autres solutions visant les entreprises.
On note d'ailleurs que le récent pilier industriel du cloud intègre une dimension liée aux infrastructures pour l'IA, soutenant différents projets, dont celui d'OVHcloud d'une « plateforme d'IA permettant d'avoir facilement accès à des services d'IA, exempt des biais culturels propres aux modèles proposés par les acteurs extra européens [qui] proposera notamment des outils adaptés à des filières spécifiques, facilitant leur usage par des utilisateurs non experts ». Un sujet où des acteurs déjà en place comme Hugging Face pourraient apporter leur savoir-faire.
Deuxième chevron : 2,2 milliards d’euros sur cinq ans
Toujours est-il que « la compétition internationale s’est fortement accrue dans les domaines de l’IA : des progrès très nets du traitement automatisé du langage naturel aux résultats prédictifs des modèles d’apprentissage profonds en matière de biologie moléculaire structurale, par exemple. Il existe une myriade d’applications concrètes à exploiter ». La France et l’Europe doivent donc passer à la vitesse supérieure pour rester dans la course.
C’est dans ce contexte que « la deuxième phase de la stratégie nationale pour l’IA » est lancée. Elle « prévoit de consacrer au total 2,22 milliards d’euros à l’IA pour les cinq ans qui viennent, dont 1,5 milliard d’euros de financements publics et 506 millions d’euros de cofinancements privés » et 86 millions de financement européens.
La contribution publique proviendra du quatrième Programme d'investissements d'avenir (PIA4) à hauteur de 648 millions, « d’autres crédits publics » à hauteur de 288 millions et de 700 millions du plan d’investissement France 2030. Le gouvernement précise que « sur le total de 1,5 milliard d’euros, la formation représente 56 % ».
Un « plan de formation massif » à 781 millions d’euros
Ce poste de dépense est d'autant plus important, que pour devenir un acteur « du premier cercle » un pays doit non seulement développer les « compétences requises en mathématiques, en informatique et en sciences cognitives », mais aussi réussir à garder les chercheurs et autres spécialistes.
Le bilan et les perspectives du ministère de l'Économie et des Finances montrent que les besoins vont croissant, alors que nous avons toujours un déficit sur certains profils :
- « Dans une économie de la donnée qui progresse d’environ 10 % par an, le déficit de profils pourrait doubler et atteindre 160 000 à l’horizon 2025 ;
- Les emplois directement liés à la science des données et à l’IA devraient croître de 60 % en 5 ans pour la seule branche de l’ingénierie et du conseil numérique ;
- 91 % des grands groupes ont recruté ou formé en interne ces 3 dernières années et 75 % affichent des besoins pour les prochaines années ;
- La création de startups spécialisées sera l’un des plus efficaces vecteurs de diffusion de l’IA dans notre pays et source de création d’emplois ».
Le gouvernement annonce qu’un « plan de formation massif [au sein des universités et des grandes écoles, ndlr] en deux volets sera déployé pendant 5 ans » avec « un volet "formation d’excellence" dans le cadre du Plan "France 2030" et un volet "massification de l’offre nationale de formation en IA" dans le double cadre de la Stratégie d’accélération pour l’IA et du Plan "France 2030" » soit 781 millions d’euros de cofinancements publics et privés.
Là aussi il sera intéressant de faire le bilan des actions qui seront menées, car on voit se multiplier ces dernières années des formations plus ou moins sérieuses, certaines promettant à n'importe qui de devenir data scientist ou expert de l'IA en quelques semaines, comme d'autres le font avec le développement web ou le « marketing digital ».
Le tout est favorisé par la possibilité de les faire financer par le Compte Personnel de Formation (CPF), mais n'a guère de sens lorsque l'on connait la complexité de ces sujets et des connaissances nécessaires. Il faudra donc s'assurer que les dépenses de ce plan n'iront pas alimenter ces mécaniques peu qualitatives.
Un « Portail national » de recensement des formations en approche
Un « diagnostic » est prévu pour 2022 afin d’évaluer l’impact de la Stratégie nationale suite à la publication du rapport de Villani. Il proposera un panorama de ce qui est déjà en place et conduira à la « création d’un Portail national de recensement des formations à la science des données, à l’IA et à la robotique. Il permettra à l’ensemble des étudiants de mieux repérer les établissements pour effectuer leurs choix ».
Cette seconde phase, devant faire « de la France un champion de l’IA », a trois objectifs en ligne de mire : monter la nation en compétences, devenir un leader dans les domaines de l’IA embarquée et de l’IA de confiance et enfin accélérer le déploiement de l’IA dans l’économie. 11 « indicateurs de succès à 2025 » ont été dévoilés.
- Former et financer une cible d’au moins 2 000 étudiants en DUT / licence / licence pro, 1 500 étudiants en master et 200 thèses supplémentaires par an en régime de croisière.
- Placer au minimum 1 établissement d’excellence dans les meilleurs rangs internationaux
- Recruter 15 scientifiques étrangers d’envergure mondiale d’ici janvier 2024
- Capter de 10 à 15% des parts du marché mondial de l’IA embarquée à horizon 2025 et faire de la France un leader mondial dans le domaine
- Soutenir 10 projets d’IA de démonstrateurs ou de développement technologique d’IA frugale
- Lancer 4 démonstrateurs d’usages de l’IA dans les verticales prioritaires que sont l’automobile, l’aéronautique, l’industrie 4.0 et l’énergie d’ici fin 2022
- Livrer 3 à 4 plateformes logicielles interopérables multi-acteurs, d’envergure européenne, dans les domaines de l’IA embarquée ou décentralisée et de l’IA de confiance
- Développer les plateformes souveraines libres et leurs écosystèmes en data science, apprentissage machine et robotique
- Participer à plusieurs projets de Plateformes européennes de test et d’expérimentation en IA
- Renforcer le transfert de la recherche à l’innovation par le passage à l’échelle de plusieurs accélérateurs, avec pour objectif de tripler le nombre de startups créées d’ici fin 2023
- Accompagner 400 PME et ETI d’ici à 2025 dans l’adoption de solutions IA visant à accroître leur compétitivité
Rendez-vous dans quatre ans pour faire un nouveau point de la situation.
La France se rêve en « champion de l’IA » : plus de milliards sur la table, formations et objectifs
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Que sont devenues les propositions de 2018 ?
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L’IA en France : 502 startups avec 13 459 personnes
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Deuxième chevron : 2,2 milliards d’euros sur cinq ans
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Un « plan de formation massif » à 781 millions d’euros
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Un « Portail national » de recensement des formations en approche
Commentaires (11)
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Abonnez-vousLe 17/11/2021 à 19h41
Et pendant ce temps là, il y a des français qui préparent une révolution dans le son…
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Le 17/11/2021 à 20h51
Avant (ou afin) de recruter des scientifiques étrangers d’envergure, ils feraient bien de faire l’inventaire des scientifiques français exilés et d’essayer de les faire rentrer au bercail… mais bonne chance pour leur offrir des conditions au moins équivalentes à celles qu’ils ont déjà…
Le 17/11/2021 à 22h35
Ça peut sembler anecdotique mais pour le coup c’est un des gros changements, la communauté de recherche en IA a accès gratuitement à un supercalculateur possédant plusieurs milliers de GPU.
Le 18/11/2021 à 05h26
On n’est pas si mal en France. Pas mal d’expatriés ne partent que pour l’argent mais seraient heureux de rentrer si le salaire suit. J’ai vu plusieurs personnes rentrer des US par exemple, qui ne supportaient plus les conditions de vie des US malgré un salaire de la Sillicon Valley.
Tous les retours d’expatriés que j’ai eu sur à peu près similaire dans pas mal de pays qui paient beaucoup : tu vis une vie de roi mais t’as vraiment pas intérêt à vouloir de la sécurité pour ta famille ou ta santé ni à c envisager de ne changer ne serait-ce qu’un peu d’orientation. Mais c’est un choix personnel.
Il « suffirait » d’aligner les salaires, même avec un net moindre mais avec les conditions sociales de la France pour récupérer / empêcher de partir pas mal de monde.
Ça me parait pas injouable et ça se fait petit à petit honnêtement. Un ingénieur spécialiste en IA / un data analyst a déjà très peu de mal à trouver du travail en France et les salaires sont très loins du SMIC, même en début de carrière.
Il ne me semble pas impossible que les investisseurs finissent par être obligés de mettre les sommes nécessaires sur la table.
Le 18/11/2021 à 08h27
Tu parles de recherche ou de travail « classique » ?
Parce que autant si tu travailles dans le privé dans l’IA tu gagnes pas mal, autant en recherche tu ne touches pas grand’chose.
Et les États-Unis ne sont pas le seul pays d’expatriation, certains partent en Suisse, au Luxembourg, au Royaume-Uni…
Le 19/11/2021 à 05h56
Alors vous avez tout à fait raison que le fait que j’ai complètement mis de côté la recherche et que je parlais effectivement du privé. Je n’ai pas de relations dans le public et donc j’ai fait l’erreur de totalement zapper la recherche. Donc vous pouvez prendre mon commentaire comme ne s’appliquant qu’au privé.
Le 18/11/2021 à 09h39
Assez d’accord avec votre vision du retour d’expat. (Quoique avoir un rendez-vous médical spécialisé (ophtlamo, dentiste…) au US est bien plus rapide qu’en France, certes ça coûte bonbon, mais en général votre employeur (université pour ma part) mettent le paquet de ce coté et vous pouvez vous en tirer tranquillement).
Par contre, vous omettez un point important : En France, parti à l’étranger quand on est chercheur est une obligation déguisée pour espérer (et non pour avoir) une possibilité de poste en France.
Sauf qu’un ingénieur sera mieux payé qu’un docteur en France. (J’ai récemment eu le cas avec moi (pas dans l’IA) et un autre confrère qui lui a fait de l’IA dans sa thèse [Mais en physique]). Alors qu’ailleurs c’est moins vrai.
Par contre aligner les salaires serait un grand pas mais pas suffisant pour remettre les voyants aux verts. Basiquement, la recherche connaît presque les même déboires que l’hôpital en ce moment. (sauf que la recherche ne soigne pas directement, donc c’est moins grave au vu de la situation actuelle). Augmenter les salaires et injecter de l’argent ne vas pas changer grand-chose tant que le système lui-même ne sera pas revue.
C’est absolument vrai ! J’ai vu un collègue demandé de l’argent (et l’obtenir) en mentionnant juste le mot IA une seule fois dans son proposal alors que son domaine est de la physique spatiale…
Les pays scandinaves sont pas mal aussi (en comparaison de l’Allemagne et du Royaume-Uni).
Le 18/11/2021 à 08h15
Pas forcément équivalentes à celles qu’ils ont déjà, mais juste décentes serait déjà énorme et éviterait une énorme quantité de départs. La recherche en France, c’est juste une vaste blague : la grande majorité de ceux dans ce secteur sont payés au lance-pierre et ont des moyens dérisoires pour faire leur travail…
Le 18/11/2021 à 08h22
J’ai effectivement eu pas mal de témoignages de sous-financement de la recherche en France. :/
Ce qui me met un peu mal à l’aise c’est que sur deux chercheurs ayant des domaines proches, celui estampillé IA aura des financements, l’autre non…
Le 19/11/2021 à 06h04
Il me semble qu’en Suisse, ayant envisagé d’y travailler il y’a quelques années, niveau santé et social, tu es à peine mieux loti qu’aux US. En tout cas en tant qu’expat, il me semble que niveau chômage par exemple c’est un peu la misère. Et le chômage, même si tu comptes ne jamais y être, c’est un peu l’assurance de base si toute une famille dépend de ton salaire.
Je me trompe peut être cela dit. Mais il lessons que c’est ce qui m’avait refroidi, avec l’impossibilité technique et financière d’acheter un logement.
Le 19/11/2021 à 07h44
Oui, c’est clairement la recherche publique qui est à la peine en France. Mais même plus largement : les profs sont sous-payés, les thésards se battent pour leurs financements, il faut trouver des post-docs…
Dans ma boîte j’ai des anciennes du milieu de la recherche…maintenant elles bossent dans le privé.
Sur le chômage en Suisse, apparemment ça dépend de si tu es résident ou frontalier : https://www.travailler-en-suisse.ch/chomage-suisse.html (je n’y ai jamais travaillé).
Si tu es « juste » frontalier tu es au chômage en France, si tu as la résidence, tu as le chômage suisse, c’est peut-être la différence.
Et oui, le coût de la vie est bien plus cher en Suisse, et l’immobilier ça doit être encore pire. Y a-t-il un pays où l’immobilier est abordable de nos jours ? :/