Face aux enjeux de l’espace, « nous ne pouvons pas être naïfs »

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Après les guerres de territoires, d’influence et cyber, celles de l’espace se préparent depuis un moment. Chacun positionne ses pions et surveille de plus ou moins près ses voisins. Dans ce climat tendu, l’Europe doit conserver sa souveraineté et son indépendance, notamment face aux acteurs du New Space.

En l’espace de quelques jours, des responsables de la Commission européenne ont fait des déclarations autour des questions de souverainetés et de géopolitiques. La semaine dernière, c’était Ursula von der Leyen (présidente de la CE) sur les semi-conducteurs. Cette semaine, le commissaire européen Thierry Breton remet une pièce dans le jukebox et nous déroule une partition sur l’espace.

Il commence, comme toujours en pareille situation, par de l’autocongratulation : « L'Europe est une puissance spatiale. Elle dispose de l'expertise, de la capacité industrielle, des start-ups et des atouts nécessaires pour peser sur la scène mondiale ». Le ton change néanmoins rapidement : « Mais l'heure n'est pas à l'autosatisfaction ».

Guerre dans l’espace : défendre nos intérêts et notre liberté

Il y a tout d’abord l'essor des opérateurs privés. On pense à SpaceX, qui assure des missions régulières pour la NASA, transporte des astronautes vers la Station spatiale internationale et assure des mises en orbite pour des partenaires et touristes. Blue Origin est aussi sur les rangs, ainsi que Rocket Lab et Virgin Galactic pour ne citer qu’eux.

Et le Vieux continent ? C’est une « opportunité majeure pour l'Europe. Nous devons libérer ce potentiel », affirme le commissaire… Problème, nous n’avons pour le moment aucune entreprise privée dans le New Space capable de rivaliser avec les Américains. Nous pouvons certes compter sur Ariane 5 – et bientôt Ariane 6 – mais avec moins d’agilité que ce dont sont capables des entreprises comme SpaceX.

De plus, « l'Espace est un domaine chaque jour davantage contesté ». Il en veut pour preuve le récent test russe d'un antimissile. Certains y voient un début de guerre froide spatiale dans un climat de plus en plus tendu. Les espionnages de satellites sont désormais monnaie courante, la militarisation de l’espace une question de temps… si ce n’est pas déjà trop tard.

La Russie avait déjà effectué un tel tour de force par le passé, tout comme les États-Unis, la Chine, et l’Inde plus récemment (en 2019). Cette fois encore, le pays a frappé un de ses propres satellites, il ne s’agit donc pas d’une déclaration de guerre, mais cela contribue à renforcer l’ambiance électrique… d’autant que les débris générés ont eu des répercussions.

Bref, « l'Espace est un domaine stratégique où les grandes puissances sont désormais en concurrence. Nous ne pouvons pas être naïfs. L'Europe doit défendre ses intérêts et sa liberté d'action dans l'Espace », martèle Thierry Breton… sans pour autant prononcer le mot « guerre » dans son discours.

Le commissaire détaille ensuite quatre « priorités » pour l’année à venir.

Galileo, Copernicus… : consolider nos actifs existants

Tout d’abord, nous devons « consolider nos actifs existants ». Le système de positionnement par satellites Galileo – concurrent du GPS américain – est un exemple. Alors que les « concurrents avancent vite », il ne faudrait pas que nous perdions notre avance : « Nous prévoyons de recevoir le premier satellite de 2e génération en 2024 et de procéder à son premier lancement la même année ».

Pêle-mêle, il est question d’exploiter « de véritables avancées technologiques telles que des antennes à configuration numérique, des liaisons intersatellites, de nouvelles technologies d'horloge atomique [plusieurs sont tombées en panne, ndlr], l'utilisation de systèmes de propulsion entièrement électrique ».

Copernicus est aussi une réussite européenne, mais le système d’observation de la Terre doit s’améliorer : « Dans quelques semaines, j'aurai l'occasion de présenter cette stratégie de modernisation ». Elle portera sur son fonctionnement, la manière dont il répond aux besoins liés à la transition écologique, la nécessité d’une résilience accrue et une plus grande réactivité.

Dernier point et pas des moindres de cette première partie : les lanceurs. Ariane et Vega ont fait leurs preuves, Ariane 5 ayant même été mis sur le devant de la scène grâce au lancement parfaitement calibré du télescope James Webb. C’est maintenant au tour d’Ariane 6 de faire ses preuves et surtout de faire baisser le prix des lancements.

Assurer notre autonomie pour les 20 à 30 prochaines années

En effet, l’Europe fait face à une forte concurrence : « nous devons développer une stratégie de lanceur européen à part entière qui assure ses besoins, sa position mondiale et son autonomie pour les 20 à 30 prochaines années ». Toutes les options semblent sur la table. Le « réutilisable » est actuellement en test, avec Themis et le moteur Prometheus de l’ESA.

« Nous allons bientôt lancer officiellement l'Alliance européenne pour les lanceurs spatiaux afin de définir une feuille de route technologique et une approche européenne holistique des lanceurs, en combinant la nécessité de consolider nos lanceurs existants – et indispensables – tout en établissant le cadre adéquat pour l'émergence de petits et micro-lanceurs », explique Thierry Breton.

En France, Bruno Le Maire a déjà expliqué qu’il voulait « rattraper le retard sur certains segments » et « investir dans les nouveaux usages ». Les ambitions sont claires : « Pour faire simple, nous aurons notre SpaceX, nous aurons notre Falcon 9 ».

Les réalités et défis de demain, éviter les dépendances

La seconde priorité de Thierry Breton « est de préparer et de projeter l'Europe dans les réalités de demain, d'anticiper les défis futurs et d'éviter les dépendances stratégiques potentielles ». Il faut donc que l’Europe se dote « d'une infrastructure de connectivité spatiale ».

En attendant d’avoir des détails – ils seront donnés « dans quelques semaines » –, le Commissaire explique que cette nouvelle politique s’articule autour de quatre axes :

  • Fournir un accès à l'Internet haut débit à tous les Européens, en mettant fin aux zones blanches. Un projet déjà annoncé l’année dernière, avec la mise en place d’un consortium.
  • Assurer la redondance avec les infrastructures terrestres et permettre à l'Europe de rester connectée quoiqu'il arrive.
  • Mettre en place une infrastructure ultra-sécurisée grâce au chiffrement quantique.
  • Développer une véritable infrastructure géopolitique : « Elle réduira la dépendance européenne vis-à-vis des initiatives commerciales non européennes en cours de développement. Elle fournira également à l'Afrique la connectivité nécessaire, offrant une alternative européenne, une première initiative de Global Gateway ».

Il faut aller vite : « Une fois ce projet présenté, je compte sur les États membres et le Parlement européen pour agir rapidement afin que nous puissions, si tout va bien, conclure les négociations dans un an et que les premiers services soient déployés dès 2024. C'est un projet ambitieux, mais réalisable ».

Thierry Breton veut aussi définir une stratégie européenne pour la Gestion du Trafic Spatial. Deux sujets s’entrechoquent : « Plus d'un million de débris sont en orbite autour de la Terre – et ce chiffre ne cesse d'augmenter ! On s'attend à ce que, dans les années à venir, plus de 30 000 satellites supplémentaires soient lancés ».

L’Europe surveille déjà 240 satellites (notamment ceux de Galileo et Copernicus), mais ce n’est pas suffisant : « Nous devons réduire notre dépendance vis-à-vis du système américain, tout en assurant l'interopérabilité. C'est également une question géostratégique que de pouvoir surveiller l'Espace de manière autonome et d'améliorer notre connaissance collective de la situation en cas de menace sur les ressources spatiales européennes ou nationales ».

En Europe on a des idées… qu’il faut concrétiser

Troisième priorité : développer une « véritable stratégie pour stimuler l'innovation dans l'Espace ». Il est ainsi question d'un « premier partenariat spatial ». But de la manœuvre : réunir l'industrie spatiale, les instituts de recherche, les universités et les pouvoirs afin de « concevoir – par le biais de feuilles de route technologiques – des plans à long terme et coordonner les investissements dans l'innovation spatiale ».

Dans l’idée déjà mainte fois avancée d’un « buy european act » pour les lancements institutionnels, le commissaire est « déterminé à utiliser les marchés publics de manière stratégique, y compris dans nos grands projets spatiaux. Ce sera le cas pour Copernicus nouvelle génération ou pour les projets de connectivité ».

« Nous utiliserons également les marchés publics pour tester de nouvelles solutions et en réduire les risques. C'est précisément l'objectif de notre initiative de validation/démonstration en orbite : pour un nouvel entrant, l'héritage des vols spatiaux en conditions réelles est indispensable. Sans cela, il n'y a pas d'opportunité commerciale »… Cela n’est pas sans rappeler l’histoire d’une société américaine dont le nom commence par Space et finit par X.

Le volet financier n’est pas oublié : « L'Europe ne manque pas de start-ups dynamiques qui ont des idées et des technologies disruptives. Mais nombre d'entre elles ne parviennent pas à obtenir des prises de participation importantes dans l'UE lorsqu'elles ont besoin de se développer. Elles n'ont d'autre choix que de se tourner vers des investisseurs non européens. C'est une perte majeure pour l'Europe. Le Fonds CASSINI va changer la donne ». Ce dernier est doté d'un milliard d'euros.

Des menaces inédites auxquelles il faut se préparer

Enfin, la quatrième et dernière priorité concerne « la dimension de défense de notre politique spatiale ». Nous avons déjà eu l’occasion de l’expliquer à plusieurs reprises : « nous sommes collectivement confrontés à des menaces inédites dans de nouveaux domaines stratégiques et contestés. C'est le cas du cyber et c'est aussi le cas de l'Espace, qui est crucial pour notre sécurité ».

Thierry Breton souhaite présenter « d'ici l'année prochaine une stratégie Espace & Défense ». Un des axes sera de « développer de nouvelles infrastructures à double usage "by design", en intégrant les besoins de la défense dès le départ ». C’est notamment le cas de Galileo qui propose des fonctionnalités et une précision améliorée pour des usages militaires. Il est aussi question de « surveiller l'Espace depuis l'Espace ».

L’armée française aussi se prépare, par l’intermédiaire du ministère des Armées qui renforce ses capacités de renseignement et de défense de ses satellites. Via la loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d'actes de terrorisme et au renseignement, la France peut expérimenter jusqu’au 31 juillet 2025 des interceptions (« écoutes ») de correspondances satellitaires. Elles sont autorisées soit pour des raisons techniques soit "pour des motifs de confidentialité" lorsque les services ne sont pas assurés du concours des opérateurs

Le commissaire veut enfin « réduire nos dépendances technologiques et renforcer la résilience de nos chaînes de valeur dans les secteurs critiques pour l'Espace tels que le quantique, l'intelligence artificielle et les puces. Ceci est essentiel pour garantir l'intégrité, la sécurité et le fonctionnement de nos infrastructures spatiales ».

Cet enjeu de souveraineté est pour rappel au cœur de notre magazine #3.

Commentaires (6)


Pitié que l’Europe ne lance pas des milliers de satellites pour se connecter à Internet comme les USA…


Je pense qu’une constellation européenne serait plus proche de celle de Oneweb. Quelques centaines de satellites en orbite moyenne avec la capacité de liaisons ultra-sécurisées pour des application militaires.


C’est clairement parti pour



Après ce n’est pas la seule solution envisageable, on pourrait imaginer un réseau de ballons atmosphériques comme le projet Goole Loon (d’ailleurs conçu avec le CNES donc on a une partie du savoir-faire)


Don’t Look Up. Regardez à vos pieds. Regardez la Terre. Va-t-elle nous accepter encore longtemps ? Une multitude de projets de conquête de l’espace pour oublier que nous détruisons notre habitat ?


Il ne faut faire l’autruche ni pour l’un ni pour l’autre sous peine de perdre toute autonomie et de se retrouver sous le joug d’une dictature au choix :




  • monétaire

  • idéologique

  • autoritaire



rayez la mention inutile…


Si déjà les patrons français voyaient leur système d’information et leur soft comme un fantastique levier (“l’investissement dans le logiciel n’est pas à rendement décroissant contrairement à tout le reste”), et non pas comme un coût et un boulet à trainer et à sous-traiter (avec toutes les pertes de compétences, d’innovation et de célérité qui vont avec).


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