L’Assemblée nationale adopte le projet de loi sur la géolocalisation
Où est Charlie ?
Le 12 février 2014 à 11h21
12 min
Droit
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Débattu dans le cadre d’une procédure d’urgence, le projet de loi sur la géolocalisation de Christiane Taubira a été adopté hier soir par l’Assemblée nationale, après que le Sénat en a fait de même le 20 janvier. Le texte va donc entrer dans sa dernière ligne droite, même si députés et sénateurs vont encore devoir s'entendre dans les prochains jours sur plusieurs points clés sur lesquels règne un désaccord assez profond. Ce qui n'est en revanche pas gagné...
Présenté en décembre dernier après que la Cour de cassation a menacé d’annulation l’ensemble des procédures de géolocalisation opérées dans le cadre des enquêtes placées sous l’autorité du Parquet, le projet de loi de la ministre de la Justice vise à combler rapidement la brèche ainsi ouverte par la Haute juridiction. Le 22 octobre dernier, cette dernière a effectivement estimé que de telles opérations de surveillance (via des balises ou des téléphones portables) constituaient « une ingérence dans la vie privée » des personnes concernées. Or, aux yeux des juges, des mesures de cette importance ne peuvent être en l’état actuel du droit exécutées que sous le contrôle d'un juge, et non pas d’un procureur.
Un projet de loi profondément amendé par le Sénat en janvier
L’idée était donc de poser et définir un cadre strict dans lequel le Parquet allait être autorisé à ordonner des mesures de géolocalisation en temps réel. D’abord discuté au Sénat, le projet de loi a été profondément remanié, puisque les élus du Palais Bourbon ont amendé le texte sur plusieurs aspects (voir notre article).
Premièrement, les sénateurs ont réduit le périmètre des infractions pouvant justifier la mise en place d’opérations de géolocalisation sur ordre du ministère public. Le seuil plancher pour le déclenchement des opérations fut effectivement rehaussé, faisant référence aux crimes et délits punis d’une peine supérieure ou égale à cinq ans de prison (et non plus trois ans, comme le souhaitait le gouvernement).
Deuxièmement, ils ont raccourci la période durant laquelle le Parquet peut se passer de l’aval d’un juge pour continuer de géolocaliser un suspect. Alors que le projet de loi prévoyait que le procureur de la République demande au juge des libertés et de la détention l’autorisation de poursuivre les opérations au-delà du quinzième jour, les sénateurs ont préféré que l’aval du juge soit obligatoire après « huit jours consécutifs » de géolocalisation sous l’autorité du Parquet.
L’avis de la CNIL publié in extremis
Transmis à l’Assemblée nationale à la fin du mois de janvier, le projet de loi était discuté hier après-midi par les députés. Mais, fait rare, la CNIL a entre temps été invitée par le président de la Commission des lois, Jean-Jacques Urvoas (qui est également membre de la CNCIS, cette autorité administrative chargée de contrôler les demandes d’interceptions de sécurité transmises au Premier ministre) à dévoiler son avis sur le texte, lequel datait du mois de décembre. D’habitude, cet avis reste connu du seul gouvernement. Et c’est à l’ASIC, l’association des géants du Net (Google, Amazon, Facebook, etc.) que l’on doit cette publication, puisque le député Urvoas a fait suite à une demande de l’organisation.
Seulement, les députés n’auront pas vraiment eu le temps de se pencher en profondeur dans la délibération de la CNIL, cette dernière ayant été rendue publique hier en fin de matinée, soit quelques heures avant l’examen du projet de loi... Cet avis (PDF) n’en demeure pas mois intéressant.
En effet, dans un premier temps, l’institution souligne que « l’utilisation de dispositifs de géolocalisation est particulièrement sensible au regard des libertés individuelles, dès lors qu'ils permettent de suivre de manière permanente et en temps réel des personnes, aussi bien dans l’espace public que dans des lieux privés ». La CNIL prévient ainsi que les dispositifs de géolocalisation « ne sont pas uniquement des aides techniques à la réalisation de filatures sur la voie publique telles que réalisées par les enquêteurs », dans la mesure où ils « peuvent également apporter des éléments relatifs à la vie privée qui n’auraient pas pu être portés à la connaissance des enquêteurs dans le cadre d’une filature traditionnelle ».
Une fois cette mise en garde effectuée, la gardienne des données personnelles s’en prend ensuite aux dispositions même du projet de loi. Ainsi, elle explique que la durée des mesures de géolocalisation devrait être au maximum de huit jours, et non de quinze jours (comme le veut le gouvernement). Il s’agit d’ailleurs de ce qu’ont décidé finalement les sénateurs. Autre bémol apporté par la CNIL : l’autorité administrative estime que le projet de loi devrait explicitement comporter des protections vis-à-vis de certains professionnels - tels les journalistes ou les parlementaires notamment.
Alors que l’ASIC s’inquiétait du fait que les objets connectés pourraient potentiellement être concernés par des opérations de géolocalisation, la CNIL a simplement trouvé à redire que « le suivi d’un objet n’entraine pas nécessairement le suivi de la personne visée par l’enquête », et qu’il serait par conséquent nécessaire « de préciser les dispositions qui s’imposeront aux enquêteurs pour éviter de porter atteinte aux droits des tiers lors du déploiement d’un tel dispositif ».
L’Assemblée nationale revient sur les principales modifications apportées par le Sénat
Hier soir, c’est en quelques heures que les députés ont voté en séance publique l’ensemble du projet de loi de Christiane Taubira (voir le compte-rendu des débats). Les élus du Palais Bourbon ont toutefois fait table rase de la plupart des modifications opérées par le Sénat.
Tout d’abord, les députés ont validé le périmètre des mesures de géolocalisation tel qu’adopté en Commission des lois. De fait, l’assemblée est quasiment revenue à ce qu’avait initalement proposé l’exécutif. La version retenue du projet de loi prévoit ainsi qu’il « peut être recouru à tout moyen technique destiné à la localisation en temps réel, sur l’ensemble du territoire national, d’une personne à l’insu de celle-ci, d’un véhicule ou de tout autre objet, sans le consentement de son propriétaire ou de son possesseur » dans trois cas de figure :
- Dans le cadre d’une enquête ou d’une instruction relative à un crime ou à un délit puni d’une peine de prison d’au moins trois ans (et non plus cinq ans, comme le voulait le Sénat).
- Au cours d’une procédure d’enquête ou d’instruction de recherche des causes de la mort ou de la disparition.
- Lors d’une procédure de recherche d’une personne en fuite.
Cela signifie que le périmètre des infractions concernées devient plus large que ce qu’avait retenu le Sénat. En clair, le nombre de personnes pouvant être géolocalisées sera plus important. Aussi, et c'est assez rare pour être remarqué, les députés se sont opposés à un amendement du gouvernement, qui souhaitait finalement n'appliquer ces dispositions qu'aux crimes et délits passibles de cinq ans de prison. L'exécutif est ainsi revenu sur son propre projet de loi afin de parer aux risques de non-conformité à la Convention européenne des droits de l'homme, en vain.
Les objets connectés restent potentiellement dans le périmètre
De plus, l’Assemblée nationale n’a pas souhaité encadrer davantage la référence aux « objets » pouvant être géolocalisées, ce qui avait pourtant suscité une levée de boucliers de la part de l’ASIC. Le gouvernement a d'ailleurs donné un avis défavorable à un amendement écologiste qui visait à ce que la liste des objets concernés soit précisée par décret. « Il ne s’agit pas d’entraver le travail des forces de l’ordre, mais de lever le flou lequel peut être préjudiciable pour nos libertés. Aujourd’hui, tout objet a vocation à devenir un objet connecté. Il paraît donc justifié que la liste des objets faisant l’objet d’une géolocalisation puisse être connue et que celle-ci soit très claire » a défendu le député Sergio Coronado dans l’hémicycle. Son collègue Alain Tourret a de son côté fait valoir qu’une telle imprécision pourrait provoquer une censure du Conseil constitutionnel.
Mais Christiane Taubira n’a pas voulu céder. « Une liste a toujours les défauts intrinsèques aux listes. D’une part, elles sont toujours soumises au risque d’un oubli. D’autre part, leur actualisation ne suit pas forcément le rythme des évolutions technologiques, surtout dans un domaine comme celui qui nous occupe où les progrès sont particulièrement rapides » a-t-elle ainsi rétorqué. Avant de poursuivre : « Je crains qu’il n’y ait un malentendu. Les objets en question font l’objet d’une géolocalisation et non pas d’une interception. Il s’agit de localiser les personnes grâce à ces objets et non pas d’entrer dans les contenus, potentiellement confidentiels, des supports technologiques, qu’il s’agisse d’ordinateurs ou de téléphones comme dans le cas des interceptions ».
La durée des opérations de géolocalisation ramené à quinze jours
Les députés ont également fait machine arrière sur la durée des mesures de géolocalisation. En effet, conformément à ce qu’avait décidé la Commission des lois, l’Assemblée nationale a préféré ramener à « quinze jours consécutifs » la durée maximale pendant laquelle le Parquet pourra se passer de l’aval du juge.
Plusieurs élus avaient pourtant déposé des amendements afin de laisser ce délai à huit jours. L’écologiste Sergio Coronado étaient de ceux-ci : « Le contrôle d’un juge au bout de huit jours est plus protecteur pour les libertés individuelles et le délai qui avait été fixé au Sénat me paraît tout à fait opérationnel. A contrario, le délai de quinze jours nous paraît un peu excessif » a fait valoir l’intéressé dans l’hémicycle. Le député n’a d’ailleurs pas manqué de souligner que « c’est également ce qu’a jugé la CNIL dans un avis qu’elle a rendu ce matin. Elle note en effet que, dans le cadre des procédures de flagrance, la durée de l’autorisation du procureur de la République devrait être de huit jours et reconductible éventuellement une fois pour être en cohérence avec l’article 53 du Code de procédure pénale ».
Après avoir assuré aux députés réfractaires qu’elle entendait leurs arguments, la Garde des Sceaux a insisté pour que le législateur reste sur un délai de quinze jours. « C’est parce que nous nous étions fondés sur la durée d’une enquête de flagrance prolongée que nous avions estimé que le délai de quinze jours ne mettait pas en péril l’efficacité de l’enquête. Je répète que je me réjouis que la Commission des lois soit revenue à ce délai de quinze jours, sinon on ferait peser quelques risques sur les enquêtes de flagrance » a ainsi déclaré Christiane Taubira.
Vers une saisine a priori du Conseil constitutionnel ?
Désormais adopté par le Sénat et l’Assemblée nationale, le texte devra être peaufiné dans les prochains jours par les parlementaires. Sauf surprise, une Commission mixte paritaire, composée de sept députés et sept sénateurs, sera prochainement réunie. Le gouvernement a pour rappel engagé une procédure accélérée sur ce texte, avec par conséquent une seule lecture par chaque assemblée. Mais les points de désaccord sont relativement importants, il faudra suivre attentivement les discussions à venir.
Alors que l'exécutif veut hâter le pas en raison de la suspension des activités parlementaires (à partir du 28 février), soulignons que les parlementaires ont évoqué hier l'option d'une saisine du Conseil constitutionnel, de même que la ministre de la Justice, l’idée étant d’éviter une éventuelle censure résultant d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC). Christiane Taubira a ainsi évoqué « l’hypothèse d’une saisine a priori du Conseil constitutionnel, avant promulgation de la loi », l’objectif étant de ne pas prendre « le risque qu’après la promulgation de la loi, une enquête conduite conformément à cette loi soit cassée à cause de l’inconstitutionnalité ou de l’inconventionalité [d’une de ses dispositions]. Une telle censure nous placerait tous dans une situation inconfortable, surtout s’il s’agit d’une enquête en matière de terrorisme ou de criminalité » a expliqué la Garde des Sceaux.
L’Assemblée nationale adopte le projet de loi sur la géolocalisation
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Un projet de loi profondément amendé par le Sénat en janvier
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L’avis de la CNIL publié in extremis
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L’Assemblée nationale revient sur les principales modifications apportées par le Sénat
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Les objets connectés restent potentiellement dans le périmètre
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La durée des opérations de géolocalisation ramené à quinze jours
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Vers une saisine a priori du Conseil constitutionnel ?
Commentaires (15)
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Abonnez-vousLe 12/02/2014 à 11h37
Ben oui ce serait bien de vérifier que c’est constitutionnel avant de mettre en marche le bousin.
On ne m’enlèvera pas de la tête (à moins de me prouver le contraire bien sûr) que toutes les dernières lois sont là pour rendre conforme à la loi les pratiques actuelles faites en sous-marin dans la peur d’un Snowden français (remarquez bien qu’il aura plus de chance de s’appeler Martin que Snowden, mais passons… " />).
Le 12/02/2014 à 11h43
Où est Charlie ?
Ici " />
Le 12/02/2014 à 11h56
Le 12/02/2014 à 12h00
Le 12/02/2014 à 12h20
Le 12/02/2014 à 12h30
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Le 12/02/2014 à 12h50
Le 12/02/2014 à 13h48
Bien profond il nous l’ont mis… et il n’y a personne dans la rue alors qu’ils déchiquètent méthodiquement notre vie privée; c’est ce qui me choque le plus.
Le 12/02/2014 à 13h49
Le 12/02/2014 à 13h58
suspension des activités parlementaires (à partir du 29 février)
Quoi, les parlementaires ne travailleront pas le 29 février 2014 ! Quelle bande de fainéants !
Le 12/02/2014 à 14h02
Le 12/02/2014 à 15h03
Le 12/02/2014 à 15h29
Le 12/02/2014 à 20h28
Le 13/02/2014 à 23h12