BuzzFeed, le futur des sites de presse et de l’investigation ?
Une projection, pas un souhait
Le 23 août 2014 à 08h00
6 min
Internet
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BuzzFeed a levé 50 millions de dollars il y a deux semaines. Une somme gigantesque pour ce site habitué à la publication de contenus orientés « people » et humoristiques. L'un des investisseurs a toutefois expliqué qu'il n'était plus question de toucher que l'ultra grand-public et qu'il s'orientait désormais vers du « journalisme d'investigation à couper le souffle ». Cela pourrait-il donner des idées à certains ?
BuzzFeed et médias traditionnels, un parcours croisé ?
Depuis de nombreuses années maintenant, les médias sont en crise. Les budgets publicitaires destinés à la presse papier se sont effondrés et les modèles sur Internet sont encore à trouver. Les licenciements se sont ainsi multipliés, ceci que ce soit chez les médias généralistes ou même chez certains spécialistes, les derniers en date étant le Time et Gamespot. Pour survivre, certains n'ont pas hésité à abandonner leur indépendance et à rejoindre des grands groupes. D'autres se sont fait racheter, à l'instar du Monde et du Nouvel Obs en France, ou encore outre-Atlantique du célèbre Washington Post, croqué pour à peine 250 millions de dollars par Jeff Bezos, le patron d'Amazon.
La comparaison entre BuzzFeed et le Washington Post est d'ailleurs criante. Le premier ne se veut pas sérieux (même s'il peut l'être), il attire une audience gigantesque de 150 millions de visiteurs par mois et sa valorisation se rapproche du milliard de dollars. Le second est on ne peut plus sérieux, vise une audience de niche avide d'économie et vaut 3 à 4 fois moins que BuzzFeed. D'une manière globale, l'incapacité de la presse à réaliser des bénéfices pousse cette dernière à réduire certains de ses budgets. Les papiers d'investigation, qui demandent du temps (et donc de l'argent), passent ainsi à la trappe, au profit de contenus plus courts et plus à même de faire du clic ou d'attirer en Une.
Pour accroître leur audience et donc leurs revenus publicitaires, de nombreux sites de presse dits traditionnels n'hésitent aussi pas à trouver des moyens détournés. En France, Le Nouvel Obs et Le Figaro attirent de nombreux internautes grâce à leurs services de... conjugaison. La-conjugaison.nouvelobs.com et Leconjugueur.lefigaro.fr arrivent ainsi très souvent en tête des recherches lorsque l'on souhaite trouver la conjugaison d'un verbe. La multiplication des actus people, des divisions féminines et/ou masculines (mode, beauté, etc.) ou encore l'émergence des blogs ou d'éditorialistes (type LePlus sur le Nouvel Obs) permet aussi d'attirer les visiteurs. Et nous ne parlons même par des techniques de rafraichissement automatique des pages. Le but étant toujours de faire plus, pour gagner plus.
C'est là que le parallèle avec BuzzFeed prend forme. On le voit, les médias traditionnels font de moins en moins de journalisme pour s'orienter vers d'autres activités. BuzzFeed, lui, semble prendre le sens inverse. Tourné vers les articles LOL, Win, OMG, Cute, Trashy, FAIL et WTF, ses principales catégories (copiées par LeLab d'Europe1 avant d'être apparemment retirées), aux contenus pas toujours maisons par ailleurs, le site a d'abord su attirer une audience extrêmement large et importante. Il faut dire que la publication massive d'articles (parfois 400 par jour) et les sujets ultra grand public abordés ont grandement participé à cette explosion du nombre de visiteurs.
Les réseaux sociaux et les vidéos ultras maîtrisés
Appuyant son audience sur les réseaux sociaux, BuzzFeed embrasse « la culture Internet. Tout est d'abord optimisé pour le mobile et le social » a ainsi commenté Marc Andreessen, le co-fondateur du fonds ayant participé aux 50 millions de dollars investis. Les différentes pages YouTube du site cumulent plusieurs milliers de vidéos, pour des millions d'abonnés et un nombre de vues total malheureusement caché. Néanmoins, quand on sait que la moindre vidéo fait plusieurs centaines de milliers de vues, quand elle n'atteint pas le million (ou les millions), on se doute que les comptes YouTube du site dépassent le milliard de vues sans aucun problème. Et ce n'est pas la création de BuzzFeed Motion Pictures qui ralentira sa cadence.
L'une de ses vidéos les plus vues
La start-up américaine dispose donc déjà de l'audience et sait comment exploiter aux mieux les outils fournis par la toile. Attirant les budgets publicitaires et multipliant les articles sponsorisés, l'argent rentre donc dans les caisses. De quoi passer à la nouvelle étape : la publication d'articles d'investigation. Il faut ainsi rappeler que le site a été fondé il y a huit ans par Jonah Peretti, anciennement au Huffington Post. D'autres camarades du même journal en ligne l'ont ensuite suivi. Mieux encore, fin 2011, le site recrute en tant que rédacteur en chef Ben Smith, journaliste ayant œuvré pour de nombreux titres, dont le Wall Street Journal Europe, les New York Sun, Observer et Daily News, ou encore Politico. Plus récemment, il y a quelques semaines à peine, la start-up a réussi à attirer Greg Colman, l'ancien président de Criteo et surtout du Huffington Post.
« Investir beaucoup plus dans le contenu de haute qualité dans les années à venir »
BuzzFeed voit grand, et la presse classique devrait bien s'en inquiéter, ou s'en inspirer, c'est selon, d'autant que Mashable prend le même chemin. Lors de l'annonce de la levée de fonds de 50 millions de dollars, Chris Dixon, « general partner » chez Andreessen Horowitz, expliquait sur son blog que le site était le futur des médias et qu'il ne fallait surtout pas se focaliser sur ses papiers légers. Le site « dispose maintenant d'une équipe de rédaction de plus de 200 personnes couvrant un large éventail de sujets - politique, sport, affaires, divertissement, voyage, etc - et le site prévoit d'investir beaucoup plus dans le contenu de haute qualité dans les années à venir » argumentait-il afin d'expliquer les raisons d'une telle levée de fonds. Marc Andreessen, sur son compte Twitter, est allé encore plus loin en déclarant que BuzzFeed s'engageait vers du « journalisme d'investigation à couper le souffle », sans exagération aucune. Et pour prouver ses dires, d'anciennes enquêtes, très sérieuses cette fois (sur l'international notamment) ont été prises en exemple.
5/And then on top of its technology core, Buzzfeed's reporting team is now routinely committing breathtaking investigative journalism...
— Marc Andreessen (@pmarca) 11 Août 2014
La question est de savoir si BuzzFeed compte réellement appuyer sur l'accélérateur et multiplier les articles de fond, les dossiers et les enquêtes, ou si cela ne restera qu'une goutte d'eau dans un océan de LOL, de Cute et de WTF. Si vraiment ces 50 millions venaient à être utilisés en ce sens plus qu'en l'optimisation pour les moteurs de recherche et les réseaux sociaux, alors effectivement, le site pourrait bien devenir une référence parmi les médias. Il lui faudra toutefois éviter à l'avenir les polémiques de type Benny Johnson, pris en flagrants délits de plagiat massif...
BuzzFeed, le futur des sites de presse et de l’investigation ?
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BuzzFeed et médias traditionnels, un parcours croisé ?
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Les réseaux sociaux et les vidéos ultras maîtrisés
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« Investir beaucoup plus dans le contenu de haute qualité dans les années à venir »
Commentaires (21)
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Abonnez-vousLe 23/08/2014 à 09h42
de nombreux sites de presse dits traditionnels n’hésitent aussi pas à trouver des moyens détournés.
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Le 23/08/2014 à 09h43
Le 23/08/2014 à 09h44
BuzzFeed correspond au comportement typique des internautes: le butinage.
Lire un dossier/article de fond sur un sujet précis, Ok. Mais aller sur un site dédié de ce genre pour lire 5 ou 6 dossiers consécutifs, non !
Le 23/08/2014 à 10h04
la publication massive d’articles (parfois 400 par jour)
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Il n’y a pas d’erreur ? Fichtre " />
Globalement cela ne me semble pas aussi déconnant que les apparences le laissent penser. Le monde, les mentalités et les habitudes sont en train d’évoluer profondément et les médias classiques ont, comme d’autres entreprises anciennes dans d’autres secteurs, un mal fou à suivre la tendance et à se réformer à la hauteur des enjeux. Ceci alors même qu’ils bénéficient d’aides plus que conséquentes (en France du moins, mais surement aussi à divers degrés dans d’autres pays).
La fracture de confiance et d’intérêt entre le public et bon nombre de médias est déjà largement consommée, et ça ne va aller qu’en s’intensifiant à mesure que les générations avancent. Dans ce contexte il est tout à fait logique, et même sain, que de nouveaux acteurs émergent. Et même si ça commence sur des modèles débiles, l’édito montre bien que le fait que l’argent et les clics rentrent à cet endroit-là crée un appel d’air qui peut faire changer les perspectives.
Même inféodés à la pub et au clic, ça reste des modèles jeunes et malléables. Quoi qu’on en dise, c’est un véritable atout et une forme d’indépendance par rapport à des mastodontes enchainés à une formule historique pataude, des lourdeurs idéologiques, et des directeurs/éditorialistes infernaux que tout le monde déteste mais qui restent inamovibles contre toute logique. Si la transition vers quelque chose de plus sérieux est bien menée, il y a fort à parier que de nombreux talents soient tentés par une aventure qui ressemble plus au futur de la presse qu’à son passé.
Même si la comparaison a ses limites, on peut tout de même citer « Vice » comme l’exemple le plus flagrant de ce modèle hybride. C’est un site/magazine où des trucs hallucinants de diversité se côtoient de manière totalement décomplexée. La première fois qu’on y arrive on pense en général être sur un site à buzz facile. Ce qui n’est pas complètement faux. Sauf qu’on est en même temps sur l’un des organes de presse parmi les plus innovants, les plus téméraires et les plus libres qui existent. Les deux ne sont plus antinomiques là-bas. C’est ainsi qu’on peut passer en trois clics d’un test de sextoy (NSFW) masculin par un journaliste homo dans un style trash dégueulasse, au reportage du seul journaliste au monde à avoir approché l’État Islamique.
Bref, les apparences sont parfois trompeuses et les modèles se transforment, pour le meilleur et pour le pire. Difficile donc de vouloir caricaturer et de tirer trop vite des conclusions.
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Le 23/08/2014 à 10h19
Le 23/08/2014 à 10h22
Le 23/08/2014 à 10h57
Le 23/08/2014 à 11h04
Reznor n’a pas tord, personnellement, à part sur des sujets précis comme NXI, je n’arrive pas à trouver un journal en ligne “sérieux” qui ne me fasse pas fuir avec leur dogmatisme, leurs éditorialistes éxecrables… C’est d’un malsain alors qu’ils se la jouent supérieurement intelligents.
Alors certes, j’ai fait des études qui font passer les articles que je lis pour de la bouillie inculte, mais même sans cela, on se retrouve toujours avec la “same old shit”.
Il manque vraiment quelque chose de neuf en France. Le problème ici, c’est qu’il faut avoir les millions avant de faire quoi que soit.
Et puis pitié, qu’ils arrêtent de faire des jeux de mots moisis sur tous les titres des articles (même les plus graves) qu’ils publient (en ça j’aime bien NXI qui met ça en sous-titre et en plus c’est bien plus fin, c’est de l’humour, pas uniquement du jeu de mots de base).
Bon, ce que je me dis, c’est que ce n’est qu’une question de temps, il y a de l’espace à prendre en France dans tous les domaines du journalisme (parce que c’est la même histoire avec la culture, par exemple la musique etc.).
Bref, je cherche désespérément quelque chose d’original…
Petit message à NXI : si vous pouviez essayer de cesser d’utiliser certains réflexes de journalistes du type : Chapeau de l’article qui se termine par “Explications”. Vous voyez de quoi je parle… " />
Le 23/08/2014 à 11h36
Le futur du journalisme, vraiment ?
Plutôt le futur de la publicité:http://www.buzzfeed.com/advertise
BuzzFeed n’a actuellement qu’un seul objectif, diffuser de la publicité de manière virale. J’ai des doutes quand à un brusque retournement de veste…
Le 23/08/2014 à 11h54
Le pire ce sont les articles sponsorisés sur BuzzFeed…
Le 23/08/2014 à 11h54
Le 23/08/2014 à 11h58
Le 23/08/2014 à 12h03
Par contrepour ce qui est des points de vue réactionnaires et limite fachos et ils sont au poil sur croah.fr ! " />
http://croah.fr/mots-clefs/theorie-du-genre/
Le 23/08/2014 à 12h16
heu oui, je ne parlais pas du type d’info spécifiquement, bien qu’un peu… mais croah c’est vraiment pas ma came sorry.
En fait, je parle surtout d’une nouvelle façon de traiter l’information… Liberation avait moyen de tout reprendre à zéro vu la merdouille dans laquelle ils étaient… au final… nada, on reste dans le journalisme à la papa. Vive les rachats " />
Le 23/08/2014 à 23h12
Le 23/08/2014 à 08h25
Rien d’étonnant à son succès. Contrairement à d’autres pure players, Buzzfeed a eu l’audace d’assumer le fait de mélanger des vidéos de chats avec des sujets très sérieux sur leur une, ce qui a permis d’attirer un auditoire plus éphémère, qui passe par là de temps en temps… Un peu comme Cheezburger à son époque.
Comme disait Patrick Le Lay à son époque “c’est du temps de cerveau à vendre”. " />
Le 23/08/2014 à 08h44
Bah PC Next Inpact fait pareil. Un dossier sur Hadopi entre un article sur Call of et un sur Assassin’s Creed " />
Le 23/08/2014 à 08h48
La comparaison entre BuzzFeed et le Washington Post est d’ailleurs criante. […] Le second est on ne peut plus sérieux, vise une audience de niche avide d’économie […]
Alors ca c’est a classer dans LOL, OMG, et WTF.
" />
Le 23/08/2014 à 08h49
Mort de rire :" />
http://free.glamourparis.com/instant-glamour/view_article?id=23514&t=visionn…
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Le 23/08/2014 à 09h01
Le 23/08/2014 à 09h17
Néanmoins, quand on sait que la moindre vidéo fait plusieurs centaines de milliers de vues, quand elle n’atteint pas le million (ou les millions),
ca c’est de l’approximation. " />