Google condamnée à 2 millions d’euros : la décision du tribunal de commerce de Paris
Clauses, toujours
Le 30 mars 2022 à 10h39
6 min
Droit
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Dans la décision rendue ce 28 mars, le tribunal de commerce de Paris a dénoncé plusieurs clauses abusives dans les contrats Google. Retour sur ce jugement, que Next INpact diffuse.
En février 2018, le ministère de l’Économie avait assigné à la fois Google Inc (devenu Google LLC), Google Ireland Limited, Google Commerce Limited et Google France devant le tribunal de commerce de Paris.
L’index était alors pointé sur le contrat de distribution de Google Play où, selon Bercy, plusieurs clauses constitueraient « une tentative de soumission ou une soumission à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ». En clair ? Des clauses abusives dans ce contrat d’adhésion, où les développeurs doivent tout accepter sans possibilité de négociation.
Devant le tribunal de commerce, Google a fait utilement valoir que Google France n’exploite pas Google Play. Google Ireland Limited, par contre, a bien été reconnue comme étant « en charge de la politique européenne en matière de relations avec les développeurs français ».
L’entité a multiplié les moyens pour tenter d’éviter cette action. Elle a ainsi reproché au ministère de ne pas s’être appuyé sur des exemples ou des témoignages précis.
Inutile, lui a répondu en substance la juridiction : « la seule présence des clauses critiquées dans le contrat d’adhésion en cause permet de mettre en jeu l’action autonome dont dispose le ministre de l’Économie, étant rappelé qu’il n’est de plus pas exigé de démontrer que les clauses critiquées ont été effectivement mises en œuvre ».
Déséquilibre significiatif
Sur le fond plusieurs clauses ont été épinglées, comme l’avait révélé le site Les Échos hier, analysées en tenant compte de la position de « leader » de Google sur le marché considéré.
La juridiction a rappelé que les contrats d’adhésion ne sont pas interdits, mais encore faut-il qu’existe un corolaire : l’absence de clauses « créant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties ».
Le dossier s’est en effet structuré autour de l’article L442-6 du Code de commerce qui, dans sa version à l’époque des faits, interdit « de soumettre ou de tenter de soumettre un partenaire commercial à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties ».
Une règle rugueuse pour Google, confortable pour le ministère, puisque Bercy n’a pas à démontrer l’application effective de ces clauses ni à rechercher les effets de ce déséquilibre.
Dans son passage en revue des troupes, la juridiction a épinglé tour à tour la clause qui permet d’imposer aux développeurs un tarif entre 0,50 et 350 euros pour le prix des apps, tout en laissant une commission de 30 % sur chaque vente sur le Play Store. Et Google s’offre la liberté de modifier à tout moment cette grille tarifaire, à sa discrétion.
« Google ne fournit […] aucune véritable justification quant à la fourchette de prix imposée », alors que dans le même temps, l’entité « ne supporte aucun risque financier lié au développement des applications ».
S’ajoute en outre un droit d’inscription de 25 dollars, sans oublier les revenus issus de la publicité et de la valorisation des données. En face, « les développeurs n’ont aucune marge de manœuvre pour négocier le taux de commission ».
Frais, modification du contrat, et autres asymétries
Google a reconnu ce déséquilibre, non sans mentionner que la clause avait été modifiée le 12 juin 2020, où elle prévoit des frais de service, qui peuvent être modifiés à tout moment « mais sous réserve de l’envoi d’une notification au développeur ».
Autre clause dénoncée, la liberté que s’accorde Google pour modifier le contrat, ne laissant qu’une alternative au développeur : accepter ces modifications ou partir. Là encore, la juridiction a deviné un déséquilibre significatif.
Même conclusion pour la clause qui permet à Google de retirer à sa discrétion un produit du Store ou le reclasser, voire de suspendre et exclure un développeur, sans information a priori ou a posteriori. L’entreprise a évoqué la nécessaire protection du consommateur, mais l’argument n’a pas convaincu.
Sort funeste identique pour les clauses organisant une procédure de résiliation asymétrique du contrat. Si Google peut résilier à tout moment, le développeur doit respecter un préavis de 30 jours, du moins dans la version des clauses examinées par le tribunal.
Autre « déséquilibre significatif » trouvé dans ces clauses, celui qui permet à Google de « divulguer gratuitement et librement des informations auprès de tiers alors que les développeurs sont privés de tout contrôle sur la portée de la collecte d’information et l’utilisation des données qu’ils communiquent à Google », dixit la décision.
Sur le terrain des garanties, mêmes constats. L’utilisation du Store par les développeurs se fait à leurs propres risques, sans aucune garantie, et ils en assument l’entière responsabilité. Google dans le même temps s’accorde une exemption totale de responsabilité.
Pas d'astreinte, mais 2 millions d'euros d'amende
Google s’est plusieurs fois appuyé sur un règlement intervenu depuis lors, en date du 20 juin 2019, mais le tribunal a répondu que ce texte n’était pas applicable au litige.
Google LLC, Google Ireland Limited et Google Commerce Limited se sont vus ordonner, dans les trois mois, de « cesser pour l’avenir toute pratique consistant à faire figurer les clauses litigieuses identifiées ».
Le tribunal n’a pas jugé utile d’assortir sa décision d’une astreinte, mais a tout de même condamné les trois entités à 2 millions d’euros solidairement. La DGCCRF pourra en outre publier cette décision sur son site, ainsi que Facebook et Twitter.
Google condamnée à 2 millions d’euros : la décision du tribunal de commerce de Paris
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Déséquilibre significiatif
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Frais, modification du contrat, et autres asymétries
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Pas d'astreinte, mais 2 millions d'euros d'amende
Commentaires (6)
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Abonnez-vousLe 30/03/2022 à 11h33
Un moment, a force de ne rien respecter et de se prendre des prunes, y a pas un truc qui s’appelle la récidive? C’est pas possible de leur mettre une prune bien significative. Parce que sincèrement, 2M, j’ai pas l’impression que ca les dissuades de quoi que ce soit…
Le 30/03/2022 à 12h33
Je crois pas que le sujet ai déjà été traité ici car c’est un gros pavé dans la mare mais tu peux trouver des infos à côté : Le Monde
Le 30/03/2022 à 16h13
Merci du lien de l’article!
Le 30/03/2022 à 15h55
La conséquence chez Google? Une chasse d’eau de moins par an pour amortir la prune…
Le 31/03/2022 à 09h35
La vraie conséquences de ces décisions sont les éclaboussures de cette chasse d’eau. Les GAFAM n’aiment pas avoir mauvaise presse
Le 01/04/2022 à 09h25
On ne lutte pas contre un monopole avec des amendes, surtout aussi ridicules face à un monstre du web. On lutte contre un monopole en boycottant ses produits, en favorisant les logiciels libres, et en soutenant les créateurs de logiciels libres.
Sauf qu’en France, on préfère prostituer notre informatique chaque année en milliards d’€ chez microsoft, pour des logiciels devenus inutiles, notamment face à un LibreOffice et un GNU/Linux qui font leur boulot. Mais l’état n’a jamais un rond quand il s’agit de soutenir les acteurs du libre et de toute façon il ne le pourrait même pas, puisque l’UE le lui interdit au nom de la libre concurrence : la même qui fait que les surfaces de vente sont minées par les marges arrières et les certifications obligatoires, interdisant de fait tout vendeur soumis à présenter des machines sous OS libre aux particuliers !