Antitrust : Google et la FTC démentent d’éventuels accords durant l’enquête
Pour une poignée de pages manquantes
Le 30 mars 2015 à 13h25
9 min
Économie
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La Federal Trade Commission et Google ont fini par réagir à l’article du Wall Street Journal qui présentait l’agence gouvernementale comme informée des pratiques anticoncurrentielles de l’entreprise lorsqu’elle a repoussé l’idée d’une plainte. Toutes deux torpillent le Journal, pointant des manques de preuves dans ce qu’elles considèrent un texte à charge. Sans pour autant répondre à toutes les questions ni remettre en cause certains faits.
Un article polémique
Le Wall Street Journal a récemment lâché un pavé dans la mare avec un article accusant nettement la FTC de ne pas avoir suivi les conseils de son propre bureau de la concurrence quand il était question d’une éventuelle plainte contre Google. La Commission menait l’enquête depuis deux ans, mais a finalement décidé, en janvier 2013, que la société de Mountain View ne contrevenait pas aux règles de la concurrence, malgré les éléments pointés par son bureau de la concurrence. Nous soulignions alors que ce dernier n’était pas le seul, et que le bureau du commerce par exemple avait recommandé de ne pas s’engager sur la voie des tribunaux.
L’article était alimenté par un document que le Wall Street Journal n’aurait normalement pas dû obtenir, mais qui avait été envoyé par erreur lors d’une réponse de la FTC à une demande d’informations. Le rapport était incomplet, mais il contenait de précieux renseignements sur ce qui avait été constaté par le bureau de la concurrence. Google favorisait ainsi bien ses propres produits face à ceux de la concurrence, en utilisant la position écrasante de son moteur de recherche et en « pillant » les bases de données de ses concurrents, qui ne pouvaient qu’accepter sous peine de se voir déréférencés. Plusieurs pratiques anticoncurrentielles étaient également mises en avant dans le domaine de la publicité.
La FTC est offusquée, Google se moque
La FTC a fini par réagir en indiquant que, contrairement à ce qu’avait indiqué le Wall Street Journal, la décision unanime des cinq commissaires était en accord avec les recommandations tant du bureau de la concurrence que de celui de l’économie, avec le soutien du bureau du procureur général, contredisant directement le Journal. Pour la FTC, les engagements demandés à Google ont été respectés et il n’y a donc pas lieu de rouvrir cette porte. La Commission insiste sur sa mission de protection des consommateurs et donne en exemple le dépôt d’une plainte contre Google et son attitude sur certains brevets essentiels, le jour-même de l’arrêt de l’enquête antitrust.
Edith Ramirez, présidente de la Commission, pointe les « suggestions trompeuses » du Wall Street Journal propres à remettre en cause l’intégrité de l’agence. Elle s’agace particulièrement de réunions qui auraient pris place entre des agents de la FTC et des employés de Google, aboutissant à une orientation de la décision finale des commissaires. « Pas le moindre fait n’est donné pour étayer ce récit trompeur » indique la Commission, qui ne donne aucune explication non plus de son côté. Elle termine simplement sur un nouveau regret qu’une telle documentation ait atterri entre les mains du journal, en répétant que des mesures seront prises pour que le problème ne se renouvèle pas.
Google de son côté ne cache ni son amusement, ni même son dédain. Dans un billet paru vendredi soir, il pointe deux problèmes en particulier. D’une part, que le journal ait indiqué que les commissaires n’avaient pas suivi les recommandations du bureau de la concurrence, puisque la FTC déclare au contraire que les trois bureaux étaient en accord. La firme ne fait donc ici que répéter ce qui a été indiqué par la Commission, sans rien apporter de plus.
D’autre part, elle s’insurge contre les 230 rencontres environ qui auraient eu lieu entre la Maison-Blanche et des représentants de Google. Non seulement ces réunions abordaient des sujets divers (voitures autonomes, réforme du dossier patient, cloud, sécurité et autres), mais Google signale que d’autres entreprises ont eu également de nombreuses rencontres sur la même période, notamment Microsoft (270) et Comcast (150). Mais si Google donne des exemples de contenu de ces réunions, elle ne le fait que pour une cinquantaine d’entre elles. L’éditeur se défend toutefois d’avoir cherché à influencer la Maison-Blanche vis-à-vis de l’enquête qui était alors en cours.
Le rapport ne contient que la moitié des pages
En fait, le problème principal dans les informations obtenues par le Wall Street Journal est qu’elles sont tirées d’un document incomplet. Le rapport du bureau de la concurrence contient normalement 160 pages, mais la version reçue n’en présente que 85. Le Journal a publié depuis le fameux document et on peut se rendre compte que seules les pages paires sont présentes pour la grande majorité du rapport.
De fait, quand on souhaite lire la conclusion… on n’en trouve que la moitié. La page 116 du rapport est pourtant claire et sans autre interprétation possible : « L'équipe conclut que la conduite de Google a conduit – et va conduire – à une vraie nuisance pour les consommateurs et l’innovation dans la recherche en ligne et dans les marchés publicitaires. Google a renforcé ses monopoles sur la recherche et la publicité liée aux recherches à travers des moyens anticoncurrentiels, et a désamorcé la capacité des concurrents […] à combattre ces monopoles, ce qui aura un effet négatif durable sur les consommateurs ».
Le bureau de la concurrence aborde plusieurs exemples de manières dont Google « a maintenu illégalement ses monopoles », le document pointant donc à plusieurs reprises que le comportement de la firme enfreignait la loi : recherche, publicité, avis laissés par les consommateurs, contrats exclusifs, conditions décourageantes et ainsi de suite. Si les conclusions du bureau sont sans appel, peut-on nécessairement en déduire qu’il a bien recommandé qu’une plainte soit déposée à l’encontre de Google ?
Le bureau de la concurrence avait noté des facteurs atténuants
Quand on remonte à la page 114, on peut lire une série de problèmes qui ne manqueraient pas de surgir en cas de plainte contre le géant de la recherche :
- « La concurrence n’est qu’à un clic de là » : il est facile d’aller voir ailleurs, d’autant que Google ne fait rien payer
- La puissance du monopole de Google pourrait être remise en cause par d’autres services puissants, tels que Facebook et Twitter, capables eux aussi de garder les utilisateurs en ligne durant de longues périodes et donc de rentabiliser les investissements publicitaires
- Les différentes améliorations apportées au moteur de recherche ont été bénéfiques pour les consommateurs
- Le simple fait que Google agrège et organise le contenu des sites résulte en un vrai service pour le consommateur (un point capital dans la manière dont la FTC aborde la concurrence en général)
- La plupart des gros annonceurs publient déjà sur AdWords et AdCenter
En d’autres termes, en dépit des infractions constatées dans le comportement de Google, le bureau de la concurrence note qu’il existe des facteurs atténuants. Étant donné qu’il manque une page de la conclusion, on ne peut donc pas savoir ce que le bureau a réellement recommandé aux cinq commissaires. Et c’est justement là que se situe la principale ligne de défense : la FTC affirme que les trois bureaux ont tous donné le même avis, ne pas attaquer Google. Mais ni Google, ni la Commission ne peuvent nier les infractions constatées.
Chercher l'équilibre entre strict respect des lois et bénéfice pour le consommateur
De son côté, le Wall Street Journal n’a pas mis à jour son article. Cependant, un autre est paru hier soir pour expliquer les raisons qui ont poussé la FTC à ne finalement pas lancer de procédure judiciaire contre Google, malgré les problèmes constatés. Il souligne un point crucial : contrairement à la Commission européenne par exemple, la FTC prend davantage en compte le « confort » du consommateur, d’où la liste des facteurs atténuants.
Ce nouvel article insiste sur l’énorme pression qui pesait sur la FTC, notamment face à des conclusions particulièrement épineuses: Google fournissait de vrais services, gratuits de surcroit, tout en ayant des pratiques anticoncurrentielles. Selon L. Gordon Crovitz, il se pourrait donc bien que la FTC ait davantage considéré les bénéfices pour les consommateurs, se contentant alors de demander à Google des modifications, mais sans contrainte de temps ni menaces d’amendes au cas où elles ne seraient pas faites. D’autant que la Commission affirme que Google a bien procédé à ces aménagements.
Le premier article du Wall Street Journal a donc pu sauter par erreur sur la conclusion que le bureau de la concurrence avait recommandé d’attaquer Google en justice, augmentant alors la dimension « scandaleuse » des informations qui avaient été récoltées durant l’enquête. Pour autant, la FTC ne peut nier le fait qu’elle était en possession de ces informations et qu’elle savait donc que la firme enfreignait les lois antitrust dans différents domaines. Google ne peut pas affirmer non plus que ses pratiques sont « bonnes pour la concurrence » (ce qui avait été affirmé en janvier 2013 après l’annonce de la conclusion de l’enquête) puisque le document est très précis à ce sujet.
Les yeux vont donc se tourner vers la Commission européenne et sa propre enquête sur Google. Les décisions prises seront peut-être plus strictes, l’approche étant davantage centrée sur la licéité des méthodes employées. Ce qui avait d’ailleurs abouti pour Microsoft à des décisions assez saugrenues, comme le retrait de Windows Media Player dans la fameuse édition « N » de Windows, ou encore le panneau de sélection des navigateurs.
Antitrust : Google et la FTC démentent d’éventuels accords durant l’enquête
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Un article polémique
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La FTC est offusquée, Google se moque
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Le rapport ne contient que la moitié des pages
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Le bureau de la concurrence avait noté des facteurs atténuants
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Chercher l'équilibre entre strict respect des lois et bénéfice pour le consommateur
Commentaires (11)
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Abonnez-vousLe 30/03/2015 à 13h39
L’équilibre est rétabli ;) Merci.
Le 30/03/2015 à 14h06
Comme tu peux voir, on est franchement loin du démontage.
Le 30/03/2015 à 14h12
Outch, la FTC était pourtant connue pour ses positions bien plus sévères surtout quand il s’agissait de nuire aux concurrents.
Sa position est bien étrange par rapport à son passé.
Dans tous les cas, google a bien violé les lois de la concurrence, et google ne sera pas sanctionné, là où les concurrents le sont.
Je crois qu’il y a assez d’arguments pour justifier l’ouverture d’une enquête pour corruption.
Le 30/03/2015 à 14h12
je ne comprends pas pourquoi ce rapport ne pourrait pas être public " />
Le 30/03/2015 à 14h22
Le 30/03/2015 à 14h32
Le 30/03/2015 à 15h50
Le 30/03/2015 à 16h50
Pour moi le point essentiel est préservé : la liste des infractions constatées, inscrite noir sur blanc dans le rapport. Que le bureau n’ait pas très probablement pas recommandé de poursuivre Google, ça parait établi. Mais que le même bureau ait détaillé toutes les manières dont Google enfreignait la loi, ça c’est une chose qui ne pourra pas être effacée.
Le 30/03/2015 à 17h55
Le 31/03/2015 à 08h10
Ce qui est appelé “risques” est au mieux une liste de facteurs atténuants, comme je le dis dans l’actualité. Le fait de constater que la recherche Google fonctionne bien ou que la concurrence n’est qu’à un clic n’est pas un risque.
C’est l’essence même de la problématique ici : on part d’une série de problèmes sérieux et bel et bien constatés, puis on cherche des raisons de ne pas attaquer. C’est le grand écart des manières de voir entre les deux côtés de l’Atlantique. Et protéger son business devrait être une affaire du gouvernement dès que les lois qui régissent le pays ont été enfreintes. Sinon autant que chacun fasse ce qu’il veut.
Le 31/03/2015 à 09h24