Balade dans la Voie lactée : à la découverte du système triple Alpha Centauri
Proche du cœur, loin des yeux
Le 17 août 2022 à 08h39
10 min
Sciences et espace
Sciences
Après une balade dans le Système solaire on prend le large et on se dirige vers le système triple Alpha du Centaure et donc Proxima Centauri, l’étoile la plus proche de nous dans la Voie lactée. N’allez pas croire pour autant qu’elle se trouve à la porte d’à côté.
Dans un précédent dossier, nous nous étions penchés sur notre Système solaire. Nous avions commencé par le Soleil, élément central et catalyseur de la vie sur Terre, puis avions décliné l’ensemble des planètes sans oublier la ceinture d’astéroïdes, les lacunes de Kirkwood et la ceinture de Kuiper.
Cet ensemble d'objets célestes est à la fois gigantesque à notre échelle lorsque l’on veut l’étudier à l’aide de sondes ou se rendre sur place, mais aussi tellement ridicule à celle de l’Univers comme nous allons le voir. On prend un peu le large – mais on reste dans notre galaxie (la Voie lactée, qui comprend plus de 100 milliards d’étoiles) – pour arriver sur le système stellaire et planétaire le plus proche de nous : Alpha Centauri (α Centauri) ou Alpha du Centaure dans la langue de Molière.
Un système avec trois étoiles, de trois « couleurs » différentes…
Il s’agit d’un système stellaire triple, cela signifie simplement qu’il comprend trois étoiles, contre une seule – le Soleil – dans notre Système solaire. Elles sont simplement identifiées par des lettres : Alpha Centauri A (ou Rigil Kentaurus), Alpha Centauri B (Toliman) et Alpha Centauri C plus connue sous le nom de Proxima du Centaure (ou encore simplement Proxima).
Alpha Centauri A est une naine jaune (comme notre Soleil) qui « est 10 % plus massive que le Soleil et d'un rayon 23 % plus grand », précise Wikipédia ; c’est l’étoile la plus lumineuse du système triple. Alpha Centauri B est une naine orange ; sa taille et sa masse sont plus faibles et elle est un peu moins lumineuse.
Enfin Proxima du Centaure est une naine rouge bien plus petite (1/6e du rayon du Soleil), légère (1/8e de la masse du Soleil), froide et moins lumineuse que les deux autres… et c’est peu de le dire. Comparée à notre Soleil, sa luminosité dans la lumière visible n’est que de 0,006 % de celle de notre étoile. Alpha Centauri C n’a été découverte qu’en 1915 et n’est pas visible à l’œil nu, contrairement au couple Alpha Centauri AB.
Le nom de code des deux premières missions de Thomas Pesquet – respectivement Proxima et Alpha – font d’ailleurs écho à ce système triple.
- Mission Proxima : ce soir, un Français décolle pour un voyage de six mois dans l'ISS
- Crew Dragon : SpaceX écrit « une page d’histoire », Thomas Pesquet prépare sa mission Alpha
… qui sont gravitationnellement liées
Alpha Centauri A et B sont liées et orbitent ensemble sur une durée de 80 ans, mais l’Observatoire de Paris expliquait fin 2021 qu’Alpha Centauri C est elle aussi « liée gravitationnellement à ses deux voisines ». C’était en effet la conclusion d’une étude publiée dans Astronomy & Astrophysics.
Pour arriver à cette conclusion, il a fallu mesurer la vitesse relative de Proxima par rapport à ses deux voisines : « Si cette vitesse est trop élevée, alors Proxima s’échappera du voisinage d’Alpha Centauri. Si elle est suffisamment faible, elle restera en orbite ».
La limite entre ces deux situations est matérialisée par la vitesse de libération (qui porte bien son nom). Elle est de 545 m/s (± 11 m/s) dans le cas présent, supérieure à la vitesse mesurée entre Proxima et le système double qui est de 309 m/s (± 55 m/s), même en prenant le pire scénario sur les incertitudes de mesures. En bref, « notre plus proche voisine est donc une étoile triple ».
Quoi qu’il en soit, ce sont « nos plus proches voisines, à environ 270 000 unités astronomiques », explique l’Observatoire de Paris. Proxima est la plus proche de notre Soleil (d’ou son nom), mais elle se trouve tout de même à 4,2 années-lumière.
Cette unité – année-lumière – correspond, comme son nom l’indique, à la distance parcourue par la lumière (dans le vide) pendant un an. Elle vaut à peu près 10 000 milliards de km, ce qui place l’étoile la plus proche de notre Soleil à plus de 40 000 milliards de km. À titre de comparaison, les sondes Voyager 1 et 2 sont à respectivement 23,5 et 19,6 milliards de km de notre Terre.
Une exoplanète confirmée, d’autres candidates
Pour le moment, les scientifiques n’ont pas détecté d’exoplanète autour d’Alpha Centauri A et B, même s’il y a des candidats. « La technique d’observation par vitesse radiale […] a cependant permis d’établir des limites supérieures à leurs masses : au plus 50 fois celle de la Terre dans la zone habitable de la composante A, et 8 fois celle de la Terre dans la zone habitable de la composante B ». On appelle zone habitable d’une étoile la distance où l’eau peut se trouver sous forme liquide.
Par contre, une exoplanète a été identifiée autour de Proxima du Centaure : Proxima b. Découverte en 2016, elle « est même rocheuse, d'une taille comparable à celle de la Terre, et située dans la zone habitable de son étoile », explique le CNRS. Deux autres exoplanètes « candidates » sont également annoncées : Proxima c et d. Nous sommes déjà revenus en détail sur le cas de ces exoplanètes dans une précédente actualité.
Si proches et si loin à la fois lorsqu’il faut les « photographier »
Les distances sont telles que pour observer n’importe laquelle des étoiles du système triple seuls les télescopes peuvent être utilisés. Eric Lagadec, astrophysicien à l'Observatoire de la Côte d'Azur, précise que « c'est quasi impossible de voir des détails sur une étoile au télescope ». Une déclaration qui faisait suite au #ChorizoGate.
Alors oui, une étoile c’est grand (et même parfois énormément plus que notre Soleil), mais c'est aussi (très) très loin : « Au travers d'un télescope, ça donne plus ou moins un point. Disons que dans un télescope, toutes les étoiles vont être semblables, on verra juste des différences de couleur ». Toutes, sauf le Soleil bien évidemment, qui est actuellement scruté par deux sondes.
L’astrophysicien met les points sur les i : « Vous ne verrez donc pas d'images de la surface d'une étoile avec le JWST. Par contre vous en verrez sûrement des spectaculaires avec le futur télescope géant ELT (Extremely Large Telescope, oui, on donne des noms tiptop aux télescopes) de 40 m de l’ESO au Chili », mais il va falloir encore patienter jusqu’aux alentours de 2030.
- Solar Orbiter permet de découvrir « le Soleil comme vous ne l’avez jamais vu »
- Solar Orbiter, Parker Solar Probe : deux sondes spatiales « aux portes de l'enfer »
Autre solution : envoyer une sonde sur place. Problème, avec les sondes actuelles, même les plus rapides, il faudrait des dizaines de milliers d’années pour arriver à destination. Par exemple, Voyager 1 mettrait encore 76 000 ans pour atteindre Alpha du Centaure, rappelle Eric Lagadec.
Breakthrough Starshot : une mission d’exploration
Un projet un peu fou a été annoncé en 2016 – Breakthrough Starshot –, avec la participation de l'astrophysicien Stephen Hawking, décédé depuis. L’idée est de trouver un moyen de lancer un voyage interstellaire pour de toutes petites sondes. Ces nano-vaisseaux, d’un gramme seulement, seraient propulsés grâce à des rayons laser qui viendraient frapper de petites « voiles » pour donner de la vitesse aux sondes.
Cette technique permettrait d’atteindre 20 % de la vitesse de la lumière – soit environ 60 000 kilomètres par seconde, excusez du peu – et ainsi espérer atteindre Alpha du Centaure en 20 ans seulement. À titre de comparaison, il ne faudrait que 7 secondes pour atteindre la Lune à cette vitesse.
Francis Rocard revenait sur ce projet dans les colonnes de Science et Avenir : « c'est un projet fou, mais pas impossible ! L'idée d'une propulsion laser avait déjà été proposée il y a plus de 10 ans par le Jet propulsion laboratory (JPL) de la NASA. Et leur conclusion était la même : c'est le seul moyen d'imaginer faire un voyage interstellaire aujourd'hui ».
Le voyage est une chose, envoyer des informations en est une autre avec des sondes aussi petites et légères… on voit déjà les soucis rencontrés par des sondes dans notre système solaire. Même à la vitesse de la lumière, la moindre information mettrait quatre ans à arriver.
Des ceintures de poussières dans Alpha Centauri
L’ESO rappelle que, comme pour tout astre stellaire, « chaque nouvelle observation de son environnement la rend plus intéressante et excitante ». Il y a quelques années, « des boucles nommées "ceintures de poussières" ont été observées autour de l’étoile : elles contiennent des fragments de roches et de glace ». La taille des morceaux de roches qui les composent varie d’un minuscule grain de poussière à plusieurs kilomètres de large.
L’Observatoire rappelle que de « telles boucles sont bien connues puisque notre Système solaire en contient deux, nommées Ceinture d’astéroïdes et Ceinture de Kuiper : elles sont constituées de morceaux de matière qui ne se sont pas regroupés jusqu’à former des objets plus grands comme des planètes ou des satellites naturels ».
Quelle importance me direz-vous ? « Ces ceintures rocheuses nous suggèrent que Proxima du Centaure abrite probablement plus qu’une seule planète », ajoute l’ESO. On en connait une pour le moment, avec deux candidates en plus, mais l’espoir d’en découvrir davantage n’est donc pas à prendre à la légère.
Ce genre de connaissance sera également très utile à la mission Breakthrough Starshot. Plus les scientifiques connaissent l’environnement, plus il sera aisé de monter une mission en sécurité avec des objectifs précis à observer. On n’en est pas encore là, et la route est encore longue… dans tous les sens du terme.
Balade dans la Voie lactée : à la découverte du système triple Alpha Centauri
-
Un système avec trois étoiles, de trois « couleurs » différentes…
-
… qui sont gravitationnellement liées
-
Une exoplanète confirmée, d’autres candidates
-
Si proches et si loin à la fois lorsqu’il faut les « photographier »
-
Breakthrough Starshot : une mission d’exploration
-
Des ceintures de poussières dans Alpha Centauri
Commentaires (10)
Vous devez être abonné pour pouvoir commenter.
Déjà abonné ? Se connecter
Abonnez-vousLe 17/08/2022 à 10h28
Fascinant, merci
Le 17/08/2022 à 11h00
Chouette article, merci
Le 17/08/2022 à 11h26
Si on lance une sonde d’1 g à pleine vitesse, est ce que cette toute petite masse suffit pour contenir une caméro, un transmetteur radio pour envoyer les données, etc. Bref, si c’est juste pour envoyer un caillou sur place mais ne rien pouvoir en faire, ça limite grandement l’intérêt.
Le 17/08/2022 à 13h29
Il faut plutôt le voir dans l’autre sens : avant, on croyait que l’exploration interstellaire était impossible. Maintenant, on se rend compte qu’on serait capable d’envoyer quelque chose là-bas en seulement 20 ans. Bon, c’est un grain de riz, mais c’est un premier pas.
Le 17/08/2022 à 23h13
Je comprends l’expérience, mais j’imagine qu’il faudra certainement plusieurs impulsions laser pour donner à l’objet les 20% de la vitesse-lumière.
Sinon les matériaux du “grain de riz” vont se désintégrer sous l’effet de l’accélération…
Et je me demande comment on va faire pour retrouver la présence spatiale de ce “grain de riz” une fois proche de sa destination pour valider l’expérience…
Bref ça me semble un peu fumeux comme théorie pratique…
Le 24/08/2022 à 03h30
Tout est expliqué ici : https://breakthroughinitiatives.org/initiative/3 (lien partagé dans l’article)
Le 17/08/2022 à 12h45
chouette article :)
@seb : on connait la distance entre alpha/beta et proxima ?
Le 17/08/2022 à 13h44
D’après Wikipedia :
Le 18/08/2022 à 08h46
Suffit qu’il ait une antenne pointée vers la Terre, et une fois arrivé à destination, on recevra les données… quatre ans et quelques mois plus tard ! Soit une attente d’environ 25 ans entre le lancement et la réception des premières données.
Le 24/08/2022 à 08h04
dans le cadre du nano satellite la méthode de transmission imaginé sera par effet doppler, si tu émet une source d’énergie sur quelque chose alors il y’a réflexion d’une partie de l’énergie… tu peux donc ensuite moduler ce retour pour envoyer une information sans aucun besoin énergétique.
Le laser qui sert à la propulsion sert alors aussi de canal de communication.