La mission Microscope atteint son objectif, mais le principe d’équivalence reste inébranlable
À la fin, c’est encore Einstein qui gagne la partie
Le 15 septembre 2022 à 12h33
7 min
Sciences et espace
Sciences
Le satellite Microscope a tenu ses promesses en améliorant d’un facteur 100 la précision de mesure sur le principe d’équivalence (ou universalité de la chute libre). Au final, rien ne change dans nos connaissances et c’est une « nouvelle victoire pour la Relativité générale d’Einstein ».
Microscope (MICROSatellite à traînée Compensée pour l'Observation du Principe d'Équivalence) est une mission du CNES placée en orbite en 2016, à bord d'une fusée Soyouz. En 2018, le satellite était en fin de vie : ses réserves de gaz étaient à sec, les dernières mesures ont été effectuées en octobre.
Microscope : 2,5 ans de mission scientifique, 25 ans de désorbitage
Il est alors entré dans une (très) longue phase de désorbitage : « Il faut vider et neutraliser ses sources d’énergie, pour éviter tout risque d’explosion… et la création de débris » expliquait alors le Centre national d'études spatiales. Deux grandes voiles viennent augmenter la surface de frottement afin de faire redescendre petit à petit le satellite, jusqu’à sa désintégration dans l’atmosphère.
Une longue opération qui prendra environ… 25 ans. Un délai conforme à la « Loi sur les Opérations Spatiales » nous précisait le CNES.
10 x 10 = 100, le compte est bon
En décembre 2017, les premiers résultats très encourageants sont tombés. Microscope a permis de vérifier le principe d'équivalence de la chute libre avec une précision de 2x10⁻¹⁴ (soit 14 chiffres après la virgule), et ce « après avoir analysé seulement 10 % des données acquises ».
C’est une amélioration d’un facteur 10 par rapport aux précédentes expériences. Aujourd’hui, rebelote avec de nouveau un facteur 10, soit un facteur 100 sur l’ensemble de la mission.
Le principe d'équivalence pour les nuls
Vous vous demandez peut-être ce qu’est ce principe d'équivalence de la chute libre ? Le CNRS rappelle qu’il s’agit de rien de moins qu’un « pilier de la théorie de la relativité générale » d’Albert Einstein, qui « postule que tous les objets tombent de la même façon dans le vide ».
Ainsi, dans le vide – ce « détail » est très important – une boule de bowling et une plume tomberont exactement à la même vitesse ! C’est complètement contre-intuitif, notamment car nous vivons dans un monde qui n’est pas vide et dans lequel ce principe ne peut donc pas s’appliquer. L’air qui nous entoure n’est pas vide (il est composé à environ 78 % d’azote, 21 % d’oxygène et 1 % d’argon), contrairement au vide spatial.
Pour s’en rendre compte visuellement, il existe une célèbre démonstration visuelle réalisée par Brian Cox (BBC). Dans une immense chambre sous vide, les deux objets dont nous venons de parler sont lâchés en même temps et… arrivent en même temps au sol. Si vous ne l’avez jamais vue, prenez 5 minutes pour la regarder.
Bien évidemment cette expérience n’apporte pas de preuve. Les scientifiques ne cherchent d’ailleurs pas tant à prouver le principe d’équivalence (comment le faire ?) qu’à trouver un contre-exemple. La moindre brèche permettrait de le mettre à mal. Or, les implications découlant du principe d’équivalence sont gigantesques, rappelle le CNRS : « tester le principe d’équivalence revient à tester la fondation de toutes les théories de la gravitation et plus généralement des théories alternatives à la relativité ».
Pourquoi s’acharner à tester ce principe d’équivalence ?
L’ONERA et le CNRS expliquent que la Relativité générale a permis des progrès importants dans notre compréhension de l’Univers : « expliquer l’anomalie jusque-là insoluble de l’orbite de Mercure, prévoir des phénomènes aussi surprenants que les lentilles gravitationnelles, les trous noirs ou les ondes gravitationnelles ». Mais les scientifiques sont confrontés à un problème de taille : la « Relativité générale semble incompatible avec la théorie quantique des champs qui décrit fidèlement le monde des particules et de l’infiniment petit ».
Deux théories incompatibles qui décrivent deux choses auxquelles nous sommes confrontés, et qui marchent chacune parfaitement bien dans leur domaine respectif. Les chercheurs sont donc à la recherche du Graal qui prendrait la forme d’une « théorie universelle », fonctionnant à la fois pour la gravitation et pour la physique quantique. Or, « la plupart des théories candidates prédisent une violation du principe fondateur de la Relativité générale ».
Violer le principe d’équivalence reviendrait donc à ouvrir une brèche dans la relativité générale d’Einstein (excusez du peu…) et ainsi une voie royale à d’autres théories. Nous nous étions entrevus avec Thibault Damour (médaille d'or du CNRS pour ses travaux sur les ondes gravitationnelles et professeur permanent à l'Institut des Hautes Études Scientifiques) sur les implications d’une telle découverte.
Après 400 ans d’analyses, le principe résiste encore et toujours
Nous n’en sommes pas là, loin de la même. Depuis plus de 400 ans, les scientifiques multiplient les expériences pour mettre à mal ce principe d’équivalence, sans succès. Microscope l’a d’ailleurs confirmé en 2017 avec une précision inégalée de 2x10⁻¹⁴
Depuis, 15 fois plus de mesures ont été accumulées par les scientifiques jusqu’à la désorbitation du satellite débutée en 2018 : « L’équipe scientifique a analysé la totalité des données et a réussi à repousser encore les limites du test en faisant 10 fois mieux qu’en 2017 ». La précision est désormais de 10⁻¹⁵.
Cela signifie que, « en comparant les accélérations de chute libre de deux corps de compositions différentes, les équipes en charge de Microscope démontrent que leur écart relatif est inférieur à quelques 10⁻¹⁵ ». C’est donc « une nouvelle victoire de la Relativité générale proposée par Albert Einstein il y a plus d’un siècle ».
C’était la précision espérée lors du lancement de la mission et, à titre de comparaison, cela reviendrait à comparer le poids d'une mouche à celui de la pyramide de Khéops… Au final, Microscope a donc amélioré d’un facteur 100 la précision du test du principe d’équivalence (10 fois en 2017 et de nouveau 10 fois en 2022).
73 millions de km de chute libre, sans différence notable
Durant les deux ans et demi d’exploitation scientifique du satellite, les instruments ont permis de comparer la « chute libre » de deux matériaux (platine et titane), sur 1 642 révolutions autour de la Terre, soit 73 millions de km. C’est comme si on avait réalisé l’expérience avec la boule de bowling et la plume sur environ la moitié de la distance entre notre Terre et le Soleil.
Même si c’est la fin de la mission pour Microscope, cela ne prouve pas que le principe d’équivalence soit vrai ou faux. Il pourrait être violé à une précision supérieure à 10⁻¹⁵ ou simplement dépendre de paramètres que Microscope ne pourraient pas prendre en compte à cause de sa conception, même avec toute la bonne volonté du monde.
« Ici on parle de violation à grande distance, à longue portée. Mais il est tout à fait possible qu'il n'y ait pas de violation à grande distance » : la violation du principe d'équivalence pourrait être « exponentiellement décroissante avec la distance », nous expliquait Thibault Damour. « Je suis convaincu qu'il y a des violations du principe d'équivalence, mais elles se font en dessous du micron », concluait-il. Microscope pourrait tourner des dizaines d’années que cela ne changerait rien.
Et même si le principe d’équivalence était violé à longue portée il faudrait améliorer la précision des mesures… indéfiniment ? « Je pense que s'il n'y avait rien à 10^- 18, alors là il faudrait abandonner les choses », nous expliquait le chercheur… soit un facteur 1 000 par rapport à feu Microscope.
La mission Microscope atteint son objectif, mais le principe d’équivalence reste inébranlable
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Microscope : 2,5 ans de mission scientifique, 25 ans de désorbitage
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10 x 10 = 100, le compte est bon
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Pourquoi s’acharner à tester ce principe d’équivalence ?
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Après 400 ans d’analyses, le principe résiste encore et toujours
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73 millions de km de chute libre, sans différence notable
Commentaires (8)
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Abonnez-vousLe 15/09/2022 à 13h19
merci pour l’article
cependant “Depuis plus de 400 ans, les scientifiques multiplient les expériences pour mettre à mal ce principe d’équivalence, sans succès”
on parle d’Einstein juste avant, mais du coup, soit c’est pas 400 ans, soit il manque juste une phrase indiquant d’où / de qui vient le “principe d’équivalence” pour clarifier un peu les choses
c’est pas Newton et sa pomme à priori vu qu’il est né en 1643 ça fait pas non plus 400 ans :/
Le 15/09/2022 à 13h27
Si je ne m’abuse c’est effectivement nommé “principe d’équivalence” depuis Einstein mais l’étude de la chute de corps de masses différentes date de bien avant.
Par exemple Simon Stevin le faisait dans les années environs 1600 avec des boules de plomb.
Le 15/09/2022 à 15h31
merci :)
je me doutais bien qu’il y avait un truc, mais je voyais pas ce qui était considéré comme “fondation” du principe d’équivalence depuis 400 ans
Le 15/09/2022 à 13h40
en fait, la théorie disant que la vitesse de chute d’un corps dans le vide est indépendant de sa masse a été formulée par Galilée et énoncée en 1604. Il y a donc un peu plus de 400 ans.
Le principe d’équivalence d’Einstein est une généralisation de ce résultat.
Le 15/09/2022 à 16h10
Le principe d’équivalence concerne l’équivalence de la masse gravitationnelle avec la masse inertielle (pas l’équivalence de la chute libre de deux masses).
Mais cette équivalence n’est pas possible si deux masses différentes ne tombent pas à la même vitesse (première des trois conditions de l’équivalence : principe d’équivalence faible).
Un peu de lecture : Le principe d’équivalence d’Albert Einstein (wikpédia).
Et d’après la relativité générale, la gravitation est « juste » une déformation de l’espace et donc la masse gravitationnelle est intrinsèquement la même que la masse inertielle.
Le 15/09/2022 à 16h59
Par définition les géodésiques sont une généralisation de la ligne droite sur une surface courbe.
Donc deux corps de même masse peuvent tout à fait tomber à des vitesses d’apparence différentes pour un observateur lointain mais parcourir des distances identiques et donc “tomber à la même vitesse”.
C’est ce qui explique pourquoi on ne crame pas Gallilée à chaque fois qu’on découvre une région de l’espace où la courbure des photons est le fait des lentilles gravitationelles par ex… Mais pas de bol avec les trous noirs où tout de suite l’équivalence devient moins claire alors qu’on énonce à la manière du zéro Kelvins que la masse des photons est nulle, ce qui, si on va un peu plus loin, confirme que le physicien ne rêvait pas lorsqu’il s’imaginait chevauchant la lumière à sa vitesse .
Le 15/09/2022 à 22h12
Aussi connu sous le nom “principe de JCVD” qui stipule que : “Si on enlevait l’air du ciel, tous les oiseaux tomberaient par terre….Et les avions aussi….”
Le 16/09/2022 à 06h40
Blow my mind.