La Dinum sous l’œil critique de la Cour des comptesFlock

La Dinum sous l’œil critique de la Cour des comptes

Gérer le budget ? Pour quoi faire ?

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La Dinum sous l’œil critique de la Cour des comptesFlock

Cinq ans ou presque après sa création, la Cour des comptes se penche sur la Direction interministérielle du numérique. Elle demande la clarification de sa stratégie et de son budget pour évaluer ses dépenses convenablement. Elle pointe aussi le besoin d'une vigilance dans l’exercice de ses missions historiques que sont la promotion de la donnée publique, assurée par Etalab, et le réseau interministériel de l’État.

Depuis 2019, le gouvernement a confié la gestion de la stratégie numérique de l'État à la Direction interministérielle du numérique (Dinum). La Cour des comptes a publié la semaine dernière un rapport (.PDF) sur les quatre premières années d'exercice de ce service qui a déjà connu plusieurs réorientations, aussi bien organisationnelles que d'objectifs. Elle y critique notamment le montage budgétaire sur lequel est assise la Dinum et la gestion « complexe » des ressources, ce qui complique l'évaluation financière dont est chargée la Cour des comptes.

Une dépense numérique pas assez rigoureuse

La Cour des comptes recommande, entre autres, de renforcer l'assise interministérielle de la Dinum et de créer une direction interministérielle des RH du numérique. Elle reste sur une vision d'une « optimisation des dépenses publiques grâce au numérique » et critique la nouvelle feuille de route de l'institution, qui s'en est écartée.

Elle remarque que « la constitution d’une vision consolidée de la dépense numérique de l’État apparaît un préalable indispensable au pilotage et à l’évaluation de sa stratégie numérique ».

À titre d'exemple, la Cour explique que « le panorama des grands projets numériques de l’État permet seulement d’estimer une partie de ces coûts, car seuls les projets supérieurs à 9 M€ sont analysés dans ce cadre. Ces projets représentaient, dans le panorama de juin 2023, un peu plus de 3,7 Md€ de coûts actualisés. Toutefois, ces grands projets numériques sont différents des "grands projets informatiques" recensés dans les programmes et rapports annuels de performance ». Elle demande donc qu'il existe une « meilleure coordination » pour « consolider les données budgétaires des grands projets portés par les ministères ».

La Cour explique que le budget de la Dinum a été multiplié par cinq entre 2019 et 2022 et « avant de retomber à 79 M€ d’AE [autorisations d'engagement] et 138 M€ de CP [crédits de paiement] en 2023 en raison de la fin de l’exécution du plan de relance ». Cette croissance des moyens se serait accompagnée, selon elle, « d’une construction budgétaire de plus en plus complexe ».

Pour la Cour, tout vient d'une constitution du budget de la Dinum faite de bric et de broc, à travers les différents programmes de la loi de finance. En effet, la Dinum est à cheval sur le programme « Coordination du travail intergouvernemental » dont elle dépend originellement, le programme « Innovation et transformation numériques » dont elle est responsable depuis 2019 et les crédits du plan de relance « Innovation et transformation numériques », dont elle est aussi chargée.

Ces crédits ont « représenté près de 60 % des ressources allouées aux actions numériques sur la période et [...] disparaîtront en 2024 ». La Dinum a enfin aussi été chargée du financement des guichets numériques du fonds pour la transformation de l’action publique.

Une stratégie numérique « trop instable » et confuse

La Cour des comptes constate aussi une difficulté à tenir un cap dans la stratégie numérique de l'État depuis 2015 : « les deux directions successives chargées de conduire la stratégie numérique de l’État, la Dinsic [Direction interministérielle du numérique et du système d'information et de communication] puis la Dinum, se sont doté depuis 2015 de trois stratégies successives ».

Pour la Cour des comptes, les changements institutionnels successifs « ont pu altérer sa capacité à piloter une politique interministérielle à fort impact ».

Elle évoque trois mouvements :

    • une volonté de décloisonnement avec la mise en place de « l’État-plateforme » sous la Dinsic d'Henri Verdier ;

    • un accent mis sur le service aux ministères de 2019 à 2022 par la Dinum de Nadi Bou Hanna ;

    • une nouvelle stratégie impulsée par la feuille de route de 2023 et se concentrant sur une « meilleure maîtrise de la conduite des grands projets numériques de l’État », une professionnalisation des RH et un volet sur la souveraineté numérique de l'État.

Pour la Cour, « il est désormais indispensable que la transformation numérique s’appuie sur une gouvernance interministérielle renforcée ».

Ces changements stratégiques ont conduit à un turnover important au sein de la Dinum avec des « conditions de recrutement difficiles dans un secteur très concurrentiel ». Et pourtant, les effectifs sont en « hausse continue » de + 43 % entre 2020 et 2023, précise la Cour des comptes. Mais « les changements de directeurs se sont traduits en 2019 et 2022 par des vagues de départs consécutifs à des désaccords stratégiques », explique encore le rapport.

Pérenniser les startups d'État

La Cour des comptes constate que le programme beta.gouv qui a créé les start-up d'État  « a pris une grande ampleur » en rassemblant une communauté de 1 200 « intrapreneurs, coachs et prestataires au sein de 18 incubateurs de ministères ou opérateurs ». Selon son décompte, 172 millions d'euros ont été dépensés par l'incubateur de la Dinum ou d'autres incubateurs publics.

Mais il serait « souhaitable que la Dinum s’attache désormais à pérenniser les start-ups d’État ayant prouvé leur succès et à arrêter celles en difficulté, en systématisant les analyses d’efficience mettant en regard moyens et impacts opérationnels » assène-t-elle.

Risque de fragiliser la politique publique de la donnée

Alors qu'aux débuts de la Dinum, l’ouverture des données publiques assurée par Etalab était une de ses missions phares, la Cour des comptes constate qu'elle est « aujourd’hui éclatée en raison de restructurations qui ont réduit les missions et les effectifs du service Etalab pour les confier à d’autres services, voire d’autres directions de la Dinum ». En conséquence, elle considère qu' « il existe un risque de fragiliser la politique publique de la donnée, par exemple la réutilisation de la donnée publique qui est loin d’avoir atteint un niveau optimal ».

Depuis la création d'Etalab, plus de 47 000 jeux de données ont été rendus disponibles sur data.gouv à fin 2023. Mais la Cour explique que l'effort est hétérogène selon les ministères : « alors que le ministère de l’Éducation nationale et de la jeunesse a ouvert la totalité des 20 jeux de données prioritaires, celui de la justice n’a ouvert aucun des 11 jeux de données prévus ».

Un réseau interministériel trop dépendant de prestataires

De la même manière, la Cour des comptes alerte sur le futur du « réseau interministériel de l’État ». Ce réseau informatique a été mis en production en 2013 pour préserver la souveraineté de l’État, mutualiser les ressources des ministères et « fonctionner en toutes circonstances, par exemple en cas d’une panne d’Internet en France » comme l’expliquait son directeur Guy Duplaquet.

Mais la Cour explique que l'externalisation des moyens qui y sont consacrés « soulève des problèmes de dépendance, de capitalisation et de pérennisation des compétences des équipes ainsi que de souveraineté dans la gestion du réseau ». Elle explique que le nombre important de prestataires se traduit par des « résolutions d'incidents souvent longues » ainsi qu'un manque de communication vers les ministères.

« Alors que les coûts d’investissement, de sécurisation et de maintenance ne cesseront de croître, une stratégie de moyen-terme partagée avec les ministères doit être adoptée », insiste la Cour.

L'adoption des logiciels libres, victime de l'instabilité stratégique

Pour la Cour des comptes, l'instabilité stratégique est la cause d'une promotion « encore balbutiante » des logiciels libres, « plus de onze ans après la circulaire dédiée ».

Plusieurs initiatives concurrentes existaient au sein même de la Dinum : le « socle interministériel de logiciels libres » (SILL) lancé suite à la circulaire de septembre 2012, le catalogue « Gouvtech » qui inclut aussi des solutions propriétaires ou disponibles en SaaS, et le portail code.etalab.gouv.fr qui référence les codes sources de logiciels produits par l'administration.

Selon la Cour, la création de GouvTech a posé plusieurs difficultés : faire « doublon avec une partie du SILL » et avoir été « développé par des équipes du programme "TECH.GOUV", sans coordination avec les agents chargés de ce sujet au sein d’Etalab ».

Elle rapporte aussi que GouvTech a été critiqué « par des acteurs du logiciel libre car
l’évaluation des solutions répertoriées, largement fondée sur les déclarations des éditeurs de solutions numériques qui demandaient le référencement de leur offre, présentait de nombreuses restrictions d’usage
 ».

« L’arrêt du catalogue GouvTech constitue une bonne initiative », affirme-t-elle. Mais la Cour déplore que « certains ministères, comme celui de la transition écologique, développent leur propre catalogue ». Elle se désole aussi que « les économies budgétaires réalisées grâce à la mise à disposition de logiciels libres ne sont pas calculées pour l’ensemble des administrations, seules certaines d’elles faisant l’objet d’une telle analyse ». La Cour demande à la Dinum de rationaliser ses catalogues en s'appuyant sur une analyse coût-bénéfice pour l'administration « permettant de prioriser les logiciels libres les plus utiles ».

Pas assez de structuration sur l'IA et le « numérique éco-responsable »

Enfin, sur les « nouveaux défis numériques publics », la Cour constate l'existence d' « initiatives foisonnantes » sur l'utilisation de l'IA et « notamment de l'IA générative ». Elle regrette cependant qu'elles ne soient pas encore articulées autour d'une stratégie plus globale sur le sujet ainsi que le manque de retours d'expériences.

« Dans le champ du numérique éco-responsable, la volonté politique affichée se heurte à une insuffisante structuration de son pilotage par la mission interministérielle pour le numérique éco-responsable », souligne-t-elle.

Commentaires (4)


Pas étonnant que le Ministère de la Justice soit à la traine au niveau informatique, c'est le dernier choix des classés de l'ex-ENA.
C'est pas beta.gouv.fr plutôt ? beta.gouv est filtré par ma boîte ...
Oui, c'est la même chose. Le nom du programme est "beta.gouv" mais l'url où il se trouve est "beta.gouv.fr" ;)

Martin Clavey

Oui, c'est la même chose. Le nom du programme est "beta.gouv" mais l'url où il se trouve est "beta.gouv.fr" ;)
Je confirme.
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