Sciences, changement climatique : une féroce guerre des ondes, sur Terre et dans l’espace
Tais-toi que je t’écoute
Il existe un règlement international sur les émissions d'ondes afin de garder certaines bandes de fréquences « vierges » et ainsi pouvoir écouter les signaux venant de la terre et des confins de l’espace. Cela permet à la fois de comprendre l’univers, mais aussi de prévoir des événements climatiques comme des tempêtes tropicales. Les intérêts scientifiques côtoient les intérêts financiers de grandes sociétés et ceux d’autres pays.
Le 25 juin à 16h59
9 min
Sciences et espace
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Le règlement des radiocommunications (RR) définit certaines bandes dites passives, c’est-à-dire dans lesquelles aucun service actif n’est autorisé. De plus, les services actifs sur les bandes adjacentes doivent se conformer à certains niveaux de puissance afin de limiter la « pollution » lors des mesures. Les émissions à mesurer sont en effet « extrêmement faibles ».
Tout cela est défini dans la résolution 750 de l’ITU (Union internationale des télécommunications), intitulée : « compatibilité entre le service d'exploration de la Terre par satellite (passive) et les services actifs concernés ».
Il existe également des bandes dites partagées, à l’intérieur desquelles les services actifs ne doivent pas dépasser certaines valeurs en émission. La résolution 751 définit les critères de partage dans la bande 10,6 à 10,68 GHz, tandis que la 752 fait de même pour la 36 à 37 GHz.
C’est « assez compliquées de les protéger, mais on peut y arriver », explique Thibault Caillet (expert en ingénierie du spectre à l'ANFR) lors du 9e atelier des fréquences – Les fréquences pour la science : l’Odyssée de l’espace –, de l’Agence nationale des fréquences.
Il y a enfin une troisième catégorie de bandes avec une attribution « reconnue », indiquant simplement que certaines « observations sont déclarées dans ces bandes », mais sans qu'aucune protection réelle ne soit mise en place.
L’importance des mesures des raies spectrales
Il existe deux grandes familles dans les mesures passives : les raies spectrales et les mesures de continuum.
Les premières permettent de caractériser le comportement intrinsèque de l’atome, et ainsi d’« identifier la nature du milieu observé ». Avec les secondes, on mesure l’interaction de l’atome dans son environnement. Détail très important : « Les raies spectrales ne sont pas déplaçables, tandis que les bandes continuum sont difficilement déplaçables », explique Thibault Caillet.
L’ANFR donne quelques exemples : « les bandes 22,5 GHz et 23,8 GHz sont utilisées pour caractériser et quantifier la vapeur d’eau dans l’atmosphère. Il existe aussi dans la bande 22,5 GHz une raie spectrale de la molécule d’eau (H2O) et trois raies spectrales de l’ammoniac (NH3) dans la bande 23,8 GHz […] Ces fréquences intéressent à la fois la radioastronomie, pour des observations interstellaires, et l’aéronomie, science d’étude des propriétés physiques et chimiques de l’atmosphère ».
C’est de cette manière que l’on peut donner des détails sur la composition de structure qui se trouvent à des années-lumière de la Terre.
L’importance des mesures dans le continuum
De leur côté, les mesures dans le continuum correspondent aux mesures de brillance, et donc de températures : « les émissions observées de ces sources radios sont extrêmement faibles et produisent donc des variations particulièrement faibles de la température de l’antenne ».
D’un point de vue pratique, ces mesures permettent d’avoir des informations sur les paramètres géophysiques de la Terre. Par exemple, la salinité des océans, la vitesse du vent, la concentration en nuages précipitant, la température de surface des océans, etc.
Prédire et suivre les tempêtes tropicales
Ce sont des informations très importantes, car la température de surface des océans permet de « prédire et de suivre les tempêtes tropicales (ouragans, typhons, cyclones) […] Un cyclone est un régulateur de climat », explique Thibault Caillet de l’ANFR. Quand la température des océans est trop élevée, ce sont les éléments naturels qui se produisent. On comprend bien l’importance dès lors de connaitre les températures et de prévoir au plus tôt ce genre de phénomènes, d’autant qu’ils vont être de plus en plus importants, ajoute l’ANFR.
Plusieurs bandes de fréquences permettent d’obtenir de nombreux détails sur le sandwich compris entre l’atmosphère et l’océan : la salinité à 1,4 GHz, la température de la mer à 6,9 GHz, les vagues et vent à 10 et 18 GHz, la vapeur d’eau entre 23 et 24,6 GHz, les nuages à 36 GHz, etc.
Guerre des fréquences
Le principal problème étant que la bande de 6,9 GHz n’est pas protégée par le règlement des radiocommunications, alors que la « mesure est hyper importante », affirme l’ANFR. Dans un scénario d’étude avec un déploiement de l’IMT (International Mobile Telecommunication) sur les 6/7 GHz, l’Agence estime que cela « pourrait induire à peu près 2 000 km de perte de mesure de température de surface des océans depuis les côtes. Autant dire que la bande est totalement perdue ».
Une solution serait alors d'utiliser des bandes complémentaires pour contourner le problème. Des études sont en cours sur des mesures de température de surface des océans dans deux autres bandes : 4 et 8 GHz. La CMR (Conférences mondiales des radiocommunications) 2023 « n’a pas voulu faire d’attribution », affirme l’ANFR, qui prend donc rendez-vous en 2027 pour la prochaine réunion.
Inquiétudes autour du WAIC des avions « sans fil »
Même là aussi tout n’est pas rose. Dans la première bande, à 4,3 GHz le WAIC (Wireless Avionics Intra-Communications) pourrait poser problème selon des estimations de l’ITU. De son côté, l’Organisation de l'aviation civile internationale (ICAO) pense que les perturbations ne devraient pas poser de problème. Voici le résumé de la situation par l’ANFR :
WAIC est la technologie qui devrait permettre aux avions de passer à des commandes « sans fil » et ainsi économiser des kilomètres de câbles, et donc du poids et par conséquence du carburant. Airbus et Boeing travaillent sur des commandes sans câble, mais « on n’y est pas encore », reconnait l’ANFR.
Sur les 8 GHz aussi, la situation pourrait être meilleure que prévue. Elle est actuellement utilisée pour des liaisons de service fixe (FS), mais les utilisateurs ont tendance actuellement à augmenter le gain et diminuer la puissance pour réduire la consommation électrique. C’est une bonne nouvelle pour les scientifiques, car la puissance rayonnée est ainsi moindre au-dessus des océans, avec donc moins de perturbations selon les estimations de la France.
D’autres problèmes se posent sur la bande 10 GHz, déjà utilisée par de nombreux opérateurs satellitaires pour les constellations, et cela ne va évidemment pas aller en s’arrangeant au fur et à mesure des lancements des milliers de satellites.
Météo France doit modifier ses radars à cause de l’Italie
Éric Allaix, responsable des fréquences chez Météo France, donne un autre exemple de brouillage contre lequel il ne peut rien faire : « Sur le radar d’Ajaccio, on est brouillé par des réseaux RLAN [réseau local radioélectrique, ndlr] qui se trouvent en Sardaigne. Cela doit faire 7/8 ans qu‘on est brouillé avec aucune réaction de l’administration Italienne ».
« Pour essayer de pallier cette situation, l’unique solution, c'est de migrer dans une bande où il n’y a pas de RLAN ». Un choix en dépit du bon sens… « pour ne pas se poser la question : "à quoi sert la réglementation ?" » dans ce genre de cas, ajoute-t-il.
Il ne décolère pas : « On se retrouve avec un service mobile qui n’a aucun droit, qui est secondaire, qui ne doit pas créer de brouillage et qui ne doit pas réclamer de protection, mais qui impose à un autre service primaire de migrer dans une autre bande, car il ne peut plus opérer puisqu’il est brouillé ». Changer de fréquence pour ce genre de matériel ne consiste pas seulement à tourner un potentiomètre, précise-t-il.
Si on arrive à ce genre de situation avec nos voisins les plus proches, on vous laisse imaginer ce que cela peut donner avec des pays plus lointains, faisant généralement passer leur intérêt avant celui des autres. On peut penser notamment à des superpuissances comme les États-Unis et la Chine.
Les bandes « sont très convoitées »
Nous avons ici quelques exemples seulement parmi tant d’autres. « Pas mal de gens pensent que les bandes passives prennent du spectre et que ce serait pas mal qu’elles soient utilisées par des émetteurs actifs », explique Thibault Caillet. « Elles sont très convoitées, on a de plus en plus de mal à les défendre, c’est de plus en plus compliqué […] Le spectre est de plus en plus rare et difficile d’accès ».
Dans le même registre, si des « scientifiques trouvent de nouvelles raies spectrales aujourd’hui, je pense qu’il est impossible pour eux de pouvoir inclure ces nouvelles bandes de fréquences dans le règlement des radiocommunications de façon passives ».
La guerre des fréquences est dans tous les cas loin d’être terminée. La prochaine Conférences mondiales des radiocommunications promet encore d’être mouvementée, sans compter les cas de brouillage et d’occupation de fréquences (ou de bandes adjacentes) par d’autres pays ou sociétés commerciales, notamment dans le monde du satellite et des radio-communications.
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Abonnez-vousLe 25/06/2024 à 23h08
La régulation sur les puissances sonores ne prend en compte que la puissance totale du spectre audible alors que tout le monde connaît l'expérience avec le verre qui casse à la bonne fréquence.
L'expression « casser les oreilles » est ainsi à prendre au premier degrés avec les bidules asiatiques qui nous jouent en boucle la lambada et autres truc du genre avec seulement 3 sinusoïdes bien concentrées.
Le pire, c'est les livres pour les tout petits avec un bruiteur qui fait le monstre ou le tracteur: aucune protection légale pour les oreilles de nos enfants.
Qu'attendent les politiques pour se sortir les doigts des oreilles ?
Le 26/06/2024 à 16h56